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lundi 11 novembre 2024

Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne

 Philippe Desan, Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire, Paris, Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €

Ce n'est ni de la littérature ni de la philosophe, c'est un roman policier. Le sous-titre renvoie à, ou au moins évoque - c'est une idée de l'éditeur -, un célèbre roman politique de Balzac publié en 1841. Roman historique qui évoquait l'époque de Napoléon 1er.

Le roman du français Philippe Desan, Professeur de littérature française à l'Université de Chicago - mais il est aussi un ancien champion cycliste, un grimpeur qui rêve encore des grandes classiques belges (p. 376) ! - est d'abord un "polar historique" ; il s'agit d'une intrigue que l'auteur aurait "ruminée durant de longues années". Ce "divertissement érudit" donne pourtant à penser : et l'on ne voit plus, ni Montaigne ni La Boétie, comme avant, quand on referme ce livre. 

Cet ouvrage parcourt plusieurs siècles, partant du 16ème pour la première étape, le siècle de Montaigne, pour arriver au 21ème, le siècle où se déroule la soutenance d'une thèse consacrée, le  3 juin 2023, à Montaigne. C'est la dernière étape, l'arrivée au sprint à Paris, place de la Sorbonne.

C'est un bon roman ; il donne à voir un Montaigne que l'on ne connaît guère, un Montaigne qui songe à sa carrière, un Montaigne homosexuel, un Montaigne qui aime les femmes dont, raconte ce livre, Marguerite de Carle, l'épouse de son ami La Boétie. Mais qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui est faux ? Allez savoir... et cherchez sur Internet ! L'ouvrage donne à voir trois illustrations : le fauteuil de Montaigne, la reproduction d'un tableau qui a servi d'ex voto, et l'image d'une gourde de Montaigne, toutes pièces reprises par l'argumentation de la thésarde. Ce livre se lit de deux manières, en même temps, comme un policier, mais aussi comme un ouvrage d'histoire littéraire. Et le lecteur ou la lectrice hésite... Que la soutenance de thèse ne se passe pas très bien ne saurait étonner. Le jury sera-t-il à la hauteur de la thèse ?

dimanche 2 juin 2024

Lucrèce, relu. Autrement, et tellement mieux

Pierre Vesperini, Lucrèce. Archéologie d'un classique européen, Paris,  Fayard, 414p., Bibliogr, Index, 24€

Voici un grand livre sur un philosophe classique, écrit par un Professeur que l'on ne saurait concevoir plus classique (et normalien) mais aussi formidablement moderne. Tout d'abord, l'ouvrage multiplie les exemples, les références grecques et latines (dans la langue d'origine, surtout en notes).
Surtout, le livre est bien organisé, pédagogiquement. Tout d'abord, la Grèce vue de Rome : l'otium graecum pour Rome qui se perçoit comme "ciuitas erudita", ville savante (selon Ciceron). Puis viennent plusieurs chapitres dont l'un est consacrés au commanditaire du De Natura Rerum, Memmius, dont Lucrèce, poeta, est un "client".

"Lucrèce est périégète" (guide, qui décrit, raconte son voyage), déclare Pierre Vesperini qui souligne que l'ordre des thèmes abordés obéit à une logique selon laquelle chaque chose (res) évoquée fonctionne comme un prétexte (du grec πρόφασις prophasis, en latin, locus) qui provoque d'autres discours, qui, à leur tour, provoquent d'autres discours, et ainsi de suite (p.153). L'illustration, qui vaut démonstration, suit. Ce tissage des choses, leurs connections suivent des listes, des sous-listes non systématiques (on est dans le règne de "apesanteur taxinomique" !, p.170). L'auteur aussi parle du vertige qui peut saisir le lecteur, ou l'auditeur, à suivre "le dédale infini des bibliothèques mentales" que peut faire défiler cette pratique. Tout s'éclaire, et l'on comprend dès lors l'organisation du discours de Lucrèce...

"Lucrèce, quand il écrit, écrit pour l'oreille" (p.102) ; de plus, la lecture à Rome concernait seulement les passages les plus connus qui étaient d'ailleurs aussi, souvent, des passages enseignés par les "grammatici". "On lisait par extraits", affirme Pierre Vesperini (p.178), cette "lecture découpée" renvoyant à la pratique des " conversations lettrées". Et la conclusion s'impose : "Le De natura rerum n'était donc ni désordonné ni incohérent ; ses principes d'ordre et de cohérence n'étaient simplement pas les nôtres" (p. 181).
 Pour teriner, les chapitres X à XVI du livre sont consacrés à la postérité de l'oeuvre de Lucrèce jusqu'aux Lumières, puis bien au-delà, avec Henri Bergson (qui produit un petit manuel de lecture de Lucrèce) et même Bertolt Brecht qui l'a emporté en exil.
Chemin faisant, Pierre Vesperini émet des hypothèses qui débordent largement son objet d'études. Ainsi de l'hypothèse de l'opposition entre culture populaire et culture savante, opposition qui serait née des sociétés bourgeoises. Voilà qui demanderait (dans un autre ouvrage ?) d'amples démonstrations.

Au total, l'ensemble compte 291 pages de texte sur 412 pages. Donc, 30 % de l'ouvrage sont consacrés aux annexes : les notes, la bibliographie, l'index (des noms seulement, mais, et c'est dommage, pas des notions et concepts). La bibliographie ensuite, pertinente mais qui, parfois, mélange un peu tout. Cela dit, les notes sont toujours très riches, suggestives et bienvenues : elles constituent un outil de travail et d'approfondissement important.

L'ouvrage est de remarquable qualité, même si la conclusion est un peu rapide, allusive. Il s'agit d'une "archéologie" (cf. le titre de l'ouvrage) : elle retrace le voyage de l'oeuvre de sa naissance aux siècles récents. La première lecture fait défricher le sujet ; une seconde lecture permet d'en approfondir les conclusions. Reste que l'on voudrait en savoir plus sur la méthode et comprendre les intentions de l'auteur. Alors, il faut lire d'autres ouvrages de lui : j'ai attaqué par La philosophie antique, dont le traiterai prochainement.


mardi 20 août 2019

Dictionnaire Montaigne, à lire méticuleusement, dans le désordre


Dictionnaire Montaigne, 2013 p.  Sous la direction de Philippe Desan, 2018, Classiques Garnier, Paris

Ce Dictionnaire Montaigne reprend et enrichit en 749 entrées un dictionnaire publié d'abord en 2007. Il est dirigé par Philippe Desan, professeur de littérature à Chicago et spécialiste reconnu de l'oeuvre de Montaigne.
Tout y est et l'on trouve (de) tout dans cet ouvrage : un texte sur Nietzsche, l'article "Mélancolie" ou l'article "Mémoire" (la mémoire est suspecte aux yeux de Montaigne), un article sur la "Femme" et un sur "l'Homme", un article sur le "Judaïsme" (Montaigne descendant de marranes ?)... Chaque article s'accompagne de références bibliographiques, le "Mexique - Pérou", le "Moi", le "Paratexte" des Essais, "Pindare" que Montaigne n'a sans doute pas lu, "Platon" par J-L Viellard-Baron, ou la "Rhétorique"..., sur Pascal" aussi, son ardent lecteur, etc.

A quoi sert un tel ouvrage ? A se retrouver dans l'oeuvre de Montaigne, ou, plutôt aussi, à s'y perdre mais à s'y perdre pour s'y retrouver, ailleurs. Le livre mêle des mots que l'on attend, ainsi la "Pédagogie" et des mots que l'on n'attend guère comme le "Phare de Cordouan" (à l'entrée de l'estuaire de la Gironde) dont Montaigne ne verra pas l'achèvement ou le "Repentir" qu'il dénonce ("la repentance n'apporte que du déplaisir") ou encore l'article sur "Rome" dont il reconnaît "qu'elle est la "seule ville commune et universelle", que la "Bulle de bourgeoisie romaine" (qu'il reçoit le 5 avril 1581) est "un titre vain" mais qu'il l'a reçu avec "beaucoup de plaisir". La "signature" de Montaigne fait aussi l'objet d'un article qui s'essaie à démêler le vrai du faux....

"Je ne peints pas l'estre, je peints le passage", affirmait Montaigne ; le livre évoque les "Revues montaignistes" (que l'auteur a reprises). Ronsard et Montaigne ? Peut-être, sans doute même. Shakespeare a-t-il lu Montaigne ? Les deux sont des culminations de la Renaissance, souligne l'auteur qui hésite à conclure. Terminons avec les "Cannibales" que Montaigne traite avec précaution et prudence. Montaigne est un auteur formidable que cet immense ouvrage tend à montrer par tous les côtés : il y parvient plutôt bien et l'on a bien du mal à refermer le livre dont chaque article ouvre un problème de la lecture de Montaigne au XXIème siècle, qui à son tour en suscite d'autres.

Le format de poche convient bien à cet ouvrage qui pourtant gagnerait à un second mode de présentation, complémentaire, autre, plus polémique et discutant les idées avancées par les auteurs. Un format batailleur donc. Numérique ?

mardi 3 avril 2018

Herméneutique et réseaux textuels. Pour comprendre les créations ?


Michel Charles, Composition, Paris, Seuil, 473 p., 26 €

Michel Charles est Professeur de littérature et théorie littéraire ; il est aussi le directeur de la revue Poétique.
"Ce livre propose une réflexion sur l'analyse des textes", sur leur assemblage, leur montage. C'est aussi une réflexion sur l'art de lire. Selon l'auteur, l'analyse doit venir d'abord ; ensuite, et ensuite seulement, peut ou devrait pouvoir commencer l'exploitation des textes pour des études, culturelles, historiques, philosophiques. Et non l'inverse. D'emblée, la question est ainsi posée du rôle primordial de l'analyse littéraire.

La première partie de l'ouvrage est consacrée à des "réflexions sur l'analyse", confrontant lecture et herméneutique puis passant à l'analyse-même (composition et forme). "Qu'est-ce qui rend possible la pluralité des lectures possibles ?" demande Michel Charles. Sa réponse : il y a virtuellement plusieurs textes compris dans le "texte idéal", avéré, texte philologiquement déterminé, texte de référence à un moment donné et reconnu par tout le monde (éditeurs, enseignants, etc.). En revanche, chaque lecture, chaque lecteur actualisent successivement des textes virtuels, suite d'hypothèses sur la suite du texte, interprétations qui sont des anticipations plus ou moins rationnelles (selon un modèle, ici, c'est un modèle littéraire qui guide l'anticipation). "Les textes construits par la lecture sont ce que peut produire l'activité herméneutique" (notons que l'auteur s'en tient à l'hypothèse d'une lecture linéaire : la lecture non linéaire ne faisant que compliquer la construction des textes).

De nombreux exemples sont développés à l'appui de cette thèse empruntant tous à la littérature, à la poésie, aux romans, au théâtre. Toutefois, ce qui est exposé par Michel Charles vaut sans doute pour la composition des narrations en général, des séries télévisées et des films, notamment, et de leur consommation : ainsi, ce qui fait le suspense, dans une série ou un roman policiers, naît du sentiment de l'incertitude quant à la suite, de la fragilité des textes virtuels actualisés, l'imprévisibilité (relative : l'écart au modèle) des éléments et de la fin, le dénouement. Le téléspectateur n'en finit pas de dénouer provisoirement des intrigues, de se tromper avec plaisir, sans cesse.
L'auteur décrit en virtuose ces textes virtuels multiples auxquels donne naissance la lecture du texte idéal (i.e. réel). En fait, ce "texte idéal" n'existe pas, il n'est que la somme des textes virtuels, des lectures inégalement probables ; il constitue un réseau, il est "en attente" : "Le texte, ou ce qu'on nomme communément le "texte", sera donc ultimement un réseau textuel qui se monnaie en détail pour donner une multitude de textes possibles qu'actualisent (ou non) des lecteurs".
Michel Charles poursuit et complique la construction de l'édifice des textes : ainsi, une bibliothèque personnelle constitue un réseau, puisque le lecteur établit des liens, des connexions entre divers textes qu'il a lus, son capital littéraire ou cinématographique. Un Grand texte, réseau de texte virtuels, est également produit par les références, les citations, les allusions : l'auteur évoque alors l'exemple de la "librairie" de Montaigne, véritable réseau, matérialisé, de textes (dont les citations sur les poutres). Sur ce plan, Internet peut être considéré comme une gigantesque librairie ; pensons-aussi aux situations de binge-reading et aux type de lectures qu'elles permettent, comparons à la lecture des œuvres de Balzac quand elles étaient publiées en feuilleton périodique et à la lecture d'un lecteur qui dispose de toute La Comédie Humaine...
Un réseau, entendu de cette manière, est donc un ensemble organisable de fragments textuels, de formes ou thèmes, ni citables ni lisibles. La forme la plus élémentaire est le mot : l'analyse lexicologique met les mots en relation, mais les occurrences des mots diffèrent par leur contexte ; c'est la mise en relation des mots qui peut faire passer de l'analyse lexicale, pure description statistique, pur comptage, au sémantique. On le voit, le travail d'analyse des textes, de leur composition, pourrait déborder, par ses applications, les études littéraires classiques et aborder le terrain plus neuf du traitement automatique des discours (TAL) avec ses clusters, ses cooccurrences, ses liens, et approcher la création qui est composition...
Comment ne pas penser au travail de Henri Meschonnic sur le latin de Spinoza et la composition en apparence si abstraite des textes du philosophe ("more geometrico") ? Henri Meschonnic dénonce "la surdité des philosophes au langage", leur ignorance du lien entre affect et concept, là où se trouvent les traces d'émotion qui président à la composition de ses textes (modèle tacite ?).

Après une première partie où l'auteur expose sa théorie, ses principes méthodologiques, sont développés, en détail, à fin d'illustration et de démonstration, de nombreux exemples : c'est "l'épreuve des textes". Le corpus mobilisé pour les démonstrations emprunte à François Villon et Joachim Du Bellay (thème ubi sunt), à Honoré de Balzac, à Prévost, Madame de Lafayette, Stendhal, Gustave Flaubert et Marcel Proust.

Travail brillant, très stimulant auquel il ne reste qu'à associer des exemples de textes provenant d'autres champs créatifs : partitions musicales, séries TV, articles scientifiques, journalisme... Est-ce opérationalisable ? Comment ?
Peut-on raisonnablement concilier et combiner la notion "micro" de composition, telle que l'expose Michel Charles, avec celle d'anticipation rationelle développée par la macro-économie classique (Robert Lucas) ? Lecteurs rationnels et consommateurs rationnels ont en commun des modèles d'anticipation, un raisonnement probabiliste et sans doute des biais émotionnels. Et la possibilité de corriger et composer leurs attentes. L'homologie conceptuelle est en tout cas intéressante et peut s'avérer féconde dans les deux champs, puisque, dans l'un comme dans l'autre, on se raconte des histoires, les change, s'adapte...


Références

Henri Meschonnic, Spinoza. Poème de la pensée, Paris, CNRS Editions, 2002 - 2017,  447 p., Index.

Alain Legros, Essais sur les poutres. Peintures et inscription chez Montaigne, Paris, Klincsieck, 548 p, bibliog., index

mercredi 13 décembre 2017

Aux origines de l'école laïque française : le Dictionnaire de Ferdinand Buisson



Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie, Paris, Robert Laffont, 2017, 969 p., 32 € avec des notices relatives aux auteurs et des notes relatives aux articles (contexte historique, biographique)

Cet ouvrage fut aux origines de l'école laïque française, obligatoire, gratuite et proche (une école dans chaque commune). Alors que cette école va mal, mal traitée depuis des décennies, que ses principes se délitent (quid de la gratuité, de l'obligation, de la laïcité et de la proximité ?), il est bon de retourner à cet ouvrage fondateur. On y retrouvera les intentions des législateurs et des théoriciens de l'éducation d'il y a un siècle et demi. Ce dictionnaire qui fut un ouvrage politique est devenu un témoin historique, un document. A l'époque, il fut diffusé à 20 000 exemplaires.
Heureuse initiative que de le republier. Bien sûr, malgré son petit millier de pages, il s'agit d'une version très abrégée de l'édition originale qui comptait quatre gros volumes (cf. infra) et s'intitulait Dictionnaire de pédagogie de l'instruction primaire. Tous les mots comptaient : pédagogie pour instruire dès le commencement. Ferdinand Buisson, prix Nobel de la paix, dreyfusard, sera directeur de l'enseignement primaire pendant dix-sept ans après en avoir dirigé le service de la statistique. Ce fut un fervent partisan de l'école unique et de l'égalité des chances sociales.
La forme dictionnaire (articles classés par ordre alphabétique) a été choisie pour donner aux personnes chargées de l'institution scolaire un outil commun de références. Dans la société du livre, le dictionnaire connote à la fois la somme et la dignité culturelle : l'époque est aux Larousse, au Littré, à La Grande encyclopédie. L'ambition encyclopédiste de Ferdinand Buisson est manifeste ; d'ailleurs, l'article "encyclopédistes", très fouillé, est rédigé par Gabriel Compayré, historien des doctrines éducatives. Ce dictionnaire se trouve donc à mi-chemin entre L'Encyclopédie de Diderot et Wikipedia. Ouverture internationale systématique, européenne surtout, pédagogie des Lumières : beaucoup d'articles sont consacrés aux sciences, aux techniques, à l'histoire, à la géographie. L'influence de Diderot et d'Alembert est flagrante.
Que trouvait-on dans ce Dictionnaire de pédagogie de l'instruction primaire ? Tout ce qu'il fallait, à l'époque, pour être instituteur ou institutrice :
  • des thèmes essentiels de la didactique des disciplines : calcul mental, dictée, écriture-lecture, géographie, géométrie, histoire naturelle, langue maternelle, chant, orthographe, leçon de choses, exercices cartographiques, géologie, travail manuel, météorologie, vocabulaire, instruction civique...
  • des articles sur les outils quotidiens du travail scolaire : encrier, mobilier, boulier, projections lumineuses, tableaux muraux d'enseignement, plume, ardoise (son crayon et son effaçoir) utilisée comme cahier de brouillon, bons points, copies, globes
  • des préoccupations toujours actuelles : architecture scolaire, écoles d'aveugles, hygiène scolaire, vestiaires, la maison d'école, le voyage scolaire, récréation, absence, politesse
  • des articles sur les références philosophiques en matière d'éducation : Montaigne, Froebel, Pestalozzi, Comenius, Kant, Luther, Horace Mann, Rousseau, Marie Pape-Carpentier
  • Les 4 gros volumes de mon exemplaire de l'édition originale
    (Librairie Hachette, 1880, 1888)
  • des thèmes classiques de la psycho-pédagogie et de la philosophie morale (leur importance n'a pas changé et le débat est toujours ouvert) : ennui, curiosité, étourderie, créativité, observation, précocité, volonté, mémoire, le jeu, propreté, égoïsme, obéissance. Et j'en passe... mais il n'y a rien sur l'école coloniale qui fut si importante. Omission significative... 
Le Dictionnaire, c'est le monde vu depuis l'école et le métier d'instituer la République (Jean Jaurès, ancien professeur, dans son discours de 1903, pour la distribution des prix au lycée d'Albi, répétera : "instituer la république").
Et cette "maison d'école", quelle belle idée ! Aujourd'hui, nous avons des "groupes scolaires" !

Etre instituteur de la Troisième République, ce n'était pas une mince affaire. Ces hussards de la République, comme les appellera Charles Péguy, devaient tout savoir, et savoir tout enseigner... Ils ont défriché, laïcisant ce qu'ils ont hérité de siècles d'enseignement religieux privé, très longuement cité, détaillé et critiqué, laïcité oblige. Les instituteurs instituaient la République après des siècles de monarchie et d'empire. La Cinquième République les a rebaptisés "professeurs des écoles" ; les enfants n'y ont rien gagné. La République non plus. Démagogie !
Piliers locaux de la République nouvelle, polyvalents, les instituteurs d'alors devaient tout savoir de l'environnement qu'ils partageaient avec leurs élèves, du village et de l'économie agricole, de la faune et la flore, tout sur l'habitat, les saisons, les métiers... Forts en calcul, en géométrie et en français : de solides généralistes. L'article "Instituteurs, institutrices", signé par Ferdinand Buisson lui-même, rappelle que le terme d'instituteur (ni Lehrer, ni teacher) vient de la Révolution française, et qu'on le doit notamment à Condorcet (1792) ;  mais, c'est Jules Ferry (textes de 1880-1881) qui lui donne ses lettres de noblesse. Article à mettre au programme des "professeurs des écoles" et des ministres d'aujourd'hui.
Les collaborations sont nombreuses pour une telle somme : parmi les 358 auteurs du dictionnaire, beaucoup d'enseignants de tous ordres, instituteurs et inspecteurs, professeurs, recteurs, membres de l'institut, français et étrangers. Quelques grands noms : Camille Flammarion (astronomie), Emile Durkheim (articles "enfance", "éducation", "pédagogie"), Eugène Viollet-le-Duc (architecture), Pauline Kergomard (éducation enfantine), Ernest Lavisse (historien, auteur de manuels scolaires), Michel Bréal (linguistique), Théodule Ribot (psychologie), Charles Angot (météorologie), Marcellin Berthelot (chimie)...

Conclusion de l'article "plume" dans l'édition originale
Les médias sont évidemment absents ; avant les mass médias. Les médias ne constituent pas une préoccupation de l'éducation : dans l'édition originale, on trouve un article sur le télégraphe qui réclamait la collaboration de l'instituteur (comme le secrétariat de mairie) et un article, très long, recensant les périodiques professionnels traitant de l'éducation en France et à l'étranger, notons encore un article sur le papier et sa fabrication. Le média c'est l'école et l'école de Jules Ferry n'avait pas de "parallèle", hormis peut-être les églises, les synagogues.
La pédagogie scolaire, conservatrice par construction, résiste au changement technologique. Prête à l'exploiter, elle est prudente dans ses innovations, attentive au classique (ce que l'on enseigne dans la classe !). Comment ne pas sourire en lisant la conclusion assertive de l'article "plume" : "les plumes d'acier[...] sont loin de valoir une plume d'oie bien taillée", "il n'est pas d'instituteur..." (cf. illustration ci-contre). Plus tard, l'école entrera en conflit avec le stylo à bille, la calculette...

L'aspect encyclopédique du Dictionnaire de pédagogie [et d'instruction primaire] s'estompe dans cette édition nouvelle, réduite, élaguée. D'où l'intérêt d'éditions numériques comme celle du Nouveau dictionnaire de pédagogie (1911) par l'institut Français d'Education ou celle de Gallica en mode image (première édition, 1880).
On perçoit confusément derrière la diversité des auteurs et des thèmes traités, la langue et les valeurs communes de la Troisième République : seule une analyse lexicale associant les mots en clusters et en mesurant les distances (NLP), pourrait en évaluer l'originalité et le vieillissement.
Le texte de l'historien Pierre Nora placé en préface n'a pas été écrit pour cette édition nouvelle du dictionnaire mais pour son ouvrage sur Les lieux de mémoire (1984) ; c'est une présentation historique du dictionnaire comme patrimoine de la France.

On comprendra mieux, en parcourant ce dictionnaire, les ambitions scolaires de la Troisième République et leur actualité politique ; on comprendra aussi le souci qu'Albert Camus manifestait dans le manuscrit de son auto-biographie : “allonger et faire exaltation de l’école laïque” (Le Premier homme, Paris, Gallimard, 1960).

dimanche 2 juillet 2017

Baudelaire, poète de nos disruptions


Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire, 2015, Paris, Equateurs France Inter parallèles, 72 p. 13 €

André Guyaux, Le Paris de Baudelaire, Paris, 2017, Editions Alexandrines, 110 p., Index.

Antoine Compagnon,  Professeur de littérature au Collège de France, avait déjà proposé "un été avec Montaigne". Ce fut un succès inattendu. Il a récidivé avec Charles Baudelaire en 2015.
Travail de vulgarisation. Sans doute : rares ceux qui veulent lire un gros volume sur Charles Baudelaire. En revanche, tout le monde peut reprendre un peu de Baudelaire, oublié peut-être depuis la préparation du baccalauréat de français à la fin de la classe de Première. Et ce n'est pas si saugrenu. Antoine Compagnon parvient à nous donner envie de re/lire Baudelaire : pour cela, il puise dans Les Fleurs du Mal, bien sûr, mais à bien d'autres sources aussi, la correspondance, les articles publiés dans la presse, les critiques, les poèmes en prose, etc.

L'ouvrage se compose de 34 chapitres courts, quelques pages chacun, la ration quotidienne. Parfaite posologie. Quel est l'objectif de ce petit livre qui suit l'émission de radio de l'été 2014, que l'on peut encore écouter (ici) ? Inviter à fréquenter Baudelaire, à parcourir ses textes, "à sauts et à gambades", selon l'expression de Montaigne, pour le plaisir et pour réfléchir et le lire.

L'approche de l'auteur donne à penser un Baudelaire aux prises avec le changement de paradigme culturel : l'urbanisme, les styles de vie, l'éclairage, la photographie. Tout d'abord, on y perçoit que Baudelaire vit -mal - le début de la disruption de la société traditionnelle française, rurale, agricole, monarchiste. Le voici entrant dans une société industrielle, urbaine, qu'installent les grands travaux haussmanniens à Paris, avec ses "rues assourdissantes" qui hurlent, la foule qui s'y presse (cf. Edgar Allan Poe). "Baudelaire n'aimait pas son époque", résume Antoine Compagnon. En effet, Baudelaire refuse "la croyance naïve dans le progrès", ce "fanal obscur", "cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne" : nouvelles techniques, éclairage au gaz, électricité, machines à vapeur, photographie, suffrage universel (la vérité dans le nombre), colonialisme, militarisme n'annoncent rien de bon et ne constituent certainement pas toujours un progrès. Le peuple n'a-t-il pas élu Napoléon III ! Charles Baudelaire se plaint de la presse certes mais pas de toute presse : "Les journaux à grand format me rendent la vie insupportable" mais, contre la presse de masse qui se développe, il loue "l'utilité du petit journal", celui qui harcèle.
Hors-Série du 29 Juin 2017, 8,5€
Mais, Charles Baudelaire est aussi un classique, qui écrit comme Racine selon le mot de Marcel Proust en 1921, un dandy qui dénonce "le spécialiste", lui préférant l'humaniste, "l'homme de Loisir et d'Education générale". Baudelaire, inclassable, paradoxal, ne cesse d'étonner. Il revendiquait "le droit de se contredire" : il en a usé ! Critique de la presse, il est journaliste à ses heures ; critique de Paris, il s'en éloigne rarement, et il en va ainsi pour lui de la photographie, de Victor Hugo... Homme de son temps, homme de notre temps ; de la révolution industrielle à la révolution numérique, il demeure une fertile fréquentation pour lire les changements. Poète de la disruption, ce qui le rend si proche de nous, qui sommes aux prises, à notre tour, avec une insaisissable disruption. Là où Baudelaire désespère de la modernité, Guillaume Appolinaire et les surréalistes s'en émerveilleront.

Antoine Compagnon a donc gagné son pari. Nous relirons Baudelaire en nous demandant, comme il le fit en son temps, quel sont aujourd'hui les "fanaux obscurs" qui aveuglent et "jettent des ténèbres" sur nos vies, sur notre monde. Notre représentation du progrès encore : numérisation, écrans, portable, réseaux sociaux, robots ? L'intelligence artificielle est-elle le progrès partout célébré ? A quelles conditions ? Quelles croyances nous font avaler le numérique tout rond, ses pompes et ses ouvrages, sans mâcher, sans ruminer ?

"Un été avec ..." devient un genre littéraire hybride, articulant l'oral de l'émission de radio et l'écrit d'un petit livre de synthèse, comme une brève anthologie. Un été avec Machiavel (Patrick Boucheron), avec Victor Hugo, avec Proust... avec Pavese un jour peut-être !
Allons ! Posons notre smartphone, et prenons notre été en main, avec Charles Baudelaire et Antoine Compagnon (cf. aussi son texte dans le Hors-Série du Monde "Baudelaire. Moderne et anti-moderne").

Le Paris de Baudelaire est consacré à la relation complexe de Baudelaire à la ville capitale ("Je t'aime ô capitale infâme"). Gros plan du "rôdeur parisien" visitant l'Exposition Universelle de 1855 où, sur les quais, l'on peut saisir le triomphe de la révolution industrielle, bateaux à vapeur et locomotives. Le Palais de l'industrie vient d'être construit avec sa galerie des machines. Charles Baudelaire dénoncera dans l'idée de progrès une "invention du philosophisme actuel" et même, lui, l'ami de Nadar, "l'industrie photographique".
André Guyaux montre le rôle de la peinture : Baudelaire perçoit Paris à travers le prisme des "Eaux-fortes sur Paris" de Charles Meryon et des dessins de Constantin Guys, "le peintre de la vie moderne". Des voyants, des phares comme Delacroix, Manet, Courbet.

Comme Un été avec BaudelaireLe Paris de Baudelaire apporte un peu de relativisme à la célébration présente de la modernité numérique et à ses manifestions triomphales et intéressées ("badauderie parisienne", aurait pu dire Baudelaire). La modernité n'est pas une idée neuve.

samedi 17 septembre 2016

Le livre, entre auteurs et imprimeurs



Roger Chartier, La main de l'auteur et l'esprit de l'imprimeur, Paris, 2015, Gallimard, folio Histoire, 406 p. Index. Notes abondantes (80 p.)

Touche après touche, Roger Chartier retrace, l'histoire du livre avant le 18ème siècle, pour y distinguer la part de l'auteur et celle de l'imprimeur. Cet examen minutieux est riche d'intuitions et de suggestions pour penser le nouveau tournant pris au 21ème siècle par le livre, entre imprimerie et édition numérique.
Cet ouvrage au format de poche rassemble des contributions à l'histoire du livre que l'auteur a dispersées dans diverses revues, actes de colloques, livres collectifs. Il constitue une anthologie commode pour suivre, de cas en cas, la pensée de Roger Chartier, Professeur au Collège de France (Ecrit et cultures dans l'Europe moderne).
Le travail de Roger Chartier est indispensable pour analyser l'histoire de l'écrit en Europe, et donc l'histoire des médias. Pour exposer ses thèses, Roger Chartier choisit des moments particuliers de l'histoire, des pliures exemplaires où se révèle nettement la nature de l'écrit.

Intitulé "la main de l'auteur", un chapitre traite du manuscrit (codex) : archives littéraires, manuscrits d'auteurs, rares avant le 19ème siècle, manuscrits de théâtre des 16 et 17ème siècles ; se révèlent alors le rôle des copistes et des textes préparés pour l'imprimeur par les correcteurs et typographes.

Plusieurs développements sont consacré à la traduction, et à la relation du livre à la scène de théâtre : édition de livres de régies et copies d'acteurs (sorte de prompt book guidant la représentation) ; au centre de l'analyse, les œuvres de Shakespeare et de Cervantes. Roger Chartier étudie également le rôle de la ponctuation dans l'oralité, pour le passage à la scène.

Un chapitre est consacré au texte de Bartolomé de las Casas (1552) sur la colonisation espagnole des Amériques et la destruction des Indiens par l'esclavage et les travaux forcés (15 millions de morts selon Bartolomé de la Casas) : Brevísima relación de la destruyción de la Indias. Roger Chartier suit les traductions et les éditions de ce texte et ses utilisations variées au service de diverses causes politiques et religieuses (Montaigne y puisera).

Un chapitre est consacré aux préliminaires d'un texte, tout ce qui forme le paratexte, selon l'expression de Gérard Genette. Le paratexte comprend préfaces, avant-propos, avertissements, dédicaces, approbation des censeurs, autorisation d'imprimer, etc. La démonstration est menée à partir d'une édition de Don Quichotte : l'intervention de l'imprimeur s'avère primordiale.

La mémoire, "bibliothèque sans livre" ? Roger Grenier évoque à ce propos le rôle des "librillos de memoria", ces sortes de tablettes (writing tables), effaçables et portables, sur lesquelles on écrit avec un stylet et qui fait penser par leur format et leur mobilité aux tablettes actuelles et aux ardoises magiques d'autrefois, qu'évoque Sigmund Freud comme métaphore de l'appareil psychique ("der Wunderblock", 1925).

Les réflexions de Roger Chartier alimentent précieusement et subtilement l'analyse de l'évolution de l'écriture et du livre avec le numérique (voir Ecriture et lecture numériques). Plus que jamais l'histoire des médias éclaire leur présent.

dimanche 4 octobre 2015

Liberté, égalité, mobilités


Jean-Pierre Orfeuil et Fabrice Ripoll, Accès et mobilités. Les nouvelles inégalités, Gollion (Suisse), Infolio Éditions, 2015, 211 p. Bibliogr.

Travail à deux voix de chercheurs (urbanisme et socio-économie des transports, géographie) : à partir d'approches différentes, ils font le point sur les réflexions sur la mobilité, l'examinant sous l'angle des inégalités entre les personnes, pensant la mobilité comme une espèce de capital.
Quelles sont les relations entre inégalités sociales et inégalités de mobilité ? Plus que de mobilité sociale ou de mobilité résidentielle, il s'agit plutôt, dans tout l'ouvrage, du quotidien de la mobilité spaciale donc, à travers l'aménagement du territoire, de tout ce qui fait que l'on est, ou non, assigné à résidence, mobilité qui assure l'accès aux services (scolaires, commerciaux, administratifs, de santé, etc.).

Quelle définition de la mobilité retenir pour une approche aussi radicale? Pourquoi notre société, nos cultures valorisent-elles la mobilité ? La mobilité est une dimension manifeste de la liberté et de l'autonomie. Est-elle un droit des citoyens ? Si oui, comment garantir ce droit dérivé d'une maxime d'égalité?
L'approche historique montre la transformation de la mobilité : la motorisation avec le développement du réseau autoroutier, la construction d'aéroports, l'organisation et la tarification des transports publics (TER, TGV, métro, tramways, bus). Progressivement apparaît l'échec de l'Etat Providence dans ce domaine car "les pouvoirs publics ont laissé l'automobile et les poids-lourds exercer un monopole radical sur la voirie", provoquant ainsi des inégalités de mobilité au détriment des plus pauvres. La corrélation inégalité / mobilité si elle est féconde ne permet pas, évidemment, de dégager de relations de causalité. Que faire dans l'analyse de l'amour passionné et aveugle de l'automobile ?

La mobilité est une notion désormais ambigüe. Elle renvoie non seulement à la capacité de déplacement mais aussi à l'accès à des technologies et des appareils : smartphone (mobile), ordinateur, connexions continues, partout en tout temps. Ces technologies commandent à leur tour l'accès à des services numérisés (téléphonie, Web, courrier, banque et paiement mobiles, santé, administation, etc.), technologies qui supposent la maîtrise de savoir-faire dépendant du capital culturel. Jean-Pierre Orfeuil insiste sur la proximité ; celle-ci reste déterminante (la distance aux établissments scolaires et universitaires est une variable clé des inégalités). Il insiste également sur l'obligation de mobilité, obligation croissante liée principalement au travail quotidien, le coût de la mobilité repésentant un partie importante des revenus du travail (automobile). Géographie vécue qui a son coût humain en fatigue, en stress provoqué par la mobilité nécessaire dans certaines conditions de vie et de travail ("Elle court, elle court, la banlieue", 1973). Cette obligation de mobilité commence à toucher le numérique (cf. BYOD).
La recherche doit désormais combiner dans son approche ces deux espèces de mobilité : nouveau défi conceptuel. Prendre en compte le développement de sociétés comme Uber, l'évolution des politiques des prix sous l'effet des places de marché (enchères, prix variables selon les dates d'achat, les périodes achetées, l'offre et la demande), etc.

Fabrice Ripoll invite à se méfier de la notion générale de mobilité et des injonctions qu'elle recèle, injonctions qui s'apparentent à un discours d'accompagnement idéologique, à fin de marketing : il faut à tout prix être mobile (FOMO: fear of missing out !). La mobilité apparaît à l'auteur comme une construction sociale qui demande une critique systématique, épistémologique. C'est ce travail auquel il s'attèle brillammant dans la seconde partie de l'ouvrage. Faut-il voir l'immobilité comme "la misère du monde", une modernisation du servage (le serf étant attaché à la terre), ou bien comme la tranquilité gagnée, un luxe, un loisir à la manière de Montaigne, ou de Julien Gracq.
Sans jargonner inutilement, clair, ouvert, l'ouvrage laisse entrevoir la complexité et l'enchevêtrement des problématiques issues de la mobilité. Par ailleurs, celle-ci s'avère un analyseur fécond de l'organisation sociale contemporaine. L'interférence des formes d'inégalité, leur sur-détermination (exemple : la mobilité des femmes) demandent des études subtiles. Les médias sont, bien sûr, directement concernés par la mobilité, qu'il s'agisse de la publicité extérieure, du Web, de e-commerce, de transports...

Quel type de mobilité et d'immobilité construit le numérique, quelles solutions apporte-t-il aux inégalités de mobilité ? La livraison à domicile, mobilité nouvelle (drive), ne risque-t-elle pas de contribuer à une nouvelle forme de "grand renfermement" ? Le e-commerce, les MOOC (massive open online course) ou l'e-administration peuvent-ils compenser certaines inégalités d'aménagement du territoire ou bien engendrent-t-ils une nouvelle exclusion ? Et l'on pourrrait mentionner encore les formes numériques du loisir (cinéma à domicile avec VOD et OTT), ou même de la socialisation avec le "choix du conjoint" et la nuptialité (e-dating)... La mobilité numérique est-elle la mobilité des Millenials ?

jeudi 9 juillet 2015

Comprendre la Californie ? Poésie et vérités



Jean-Michel Maulpoix, L'Amérique n'existe pas, e-book disponible sur amazon (kindle), sur iTunes (Books), etc. 5 €

En 1994, à 42 ans, Jean-Michel Maulpoix est invité aux Etats-Unis par une université californienne. Il prend note de son dépaysement et le raconte. Le paysage quotidien américain, la vie quotidienne aux Etats-Unis lui sont une occasion de se connaître Européen. Ce carnet de notes de voyage est publié d'emblée, exclusivement, en livre numérique, avec photos prises par l'auteur. Nouvelle écriture autobiographique.

Il y a loin des collines de la Franche-Comté aux plages de Californie, de Montbeliard, où est né Jean-Michel Maulpoix, à Los Angeles. Dès son arrivée, le voyageur ressent "une différence culturelle qui stimule en la déconcertant la cervelle d'un français formé à la vielle école des humanités". Poésie et vérités, le récit de voyage est une tradition littéraire : Montaigne, Goethe, Stendhal... Professeur de littérature à l'université, Jean-Michel Maulpoix est connu pour une œuvre de critique littéraire mais, surtout, pour sa merveilleuse "prose poètique". Lisez Une histoire de bleu (cf. infra), par exemple, vous verrez.

S'agit-il de la découverte de l'Amérique ou de la découverte de la Califormie ? Aurait-on le même livre, la même expérience si l'auteur, invité par Middlebury College (Vermont), avait atterri à Boston ? Ce bleu, les couleurs pastel des photos, ce n'est pas le Vermont, pas le Wisconsin...
On pourrait penser qu'il s'agit d'un livre à lire en écoutant les Beach Boys et Brian Wilson. Oui et non. Certes, l'auteur ne semble pas avoir été séduit, à première vue, par les Californiennes, leurs formes, leur bronzage : "I wish they all could be California girls", disaient les Beach Boys, lui non ? Sa Chevrolet, il est vrai, n'était qu'une Nova, pas une "409".
Le séjour californien de Jean-Michel Maulpoix fut toutefois, selon sa formule astucieuse, "Le songe d'une vie d'été" : l'auteur semble avoir habité un tableau de Hockney. Il a été touché par tant de bleus, de lumière : les bords du Pacifique... Ce que traduisent ses photos. Mais par le surf, non ; peu de "good vibrations", pas de "Fun, fun, fun" ?

"J'ai cru comprendre l'Amérique... Je me trompe sûrement", confesse Jean-Michel Maulpoix, lucide, plus que Tocqueville. Sûrement ! Si les observations brutes sont convaincantes, les premières interprétations ont des airs de clichés. L'auteur l'admet : "on est à chaque instant tenté par des formules expéditives, telles que : ici la vie humaine a commencé à se débarrasser des livres". Trop de prévention, trop de précipitation, peut-être, ou pas assez ? La Californie, et encore moins l'Amérique, ne tiennent pas en quelques propositions, mais ces propositions annoncent une direction qu'il faudra rectifier, redessiner, de voyage en voyage... La simplicité de l'Amérique est une apparence provisoire à laquelle se laissent prendre les touristes européens, fussent-ils universitaires. Aux Etats-Unis, plus on y reste, plus le complexe, le compliqué nous étreignent. Et l'on finit par comprendre que, comme l'auteur le concède à la fin du voyage, l'on n'a peut-être pas compris grand chose. En fait, "l'Amérique n'existe pas", pourtant Jean-Michel Maulpoix convient qu'il l'a finalement rencontrée, lors d'un "coup de blues", de retour à Montparnasse (c'est le dernier chapitre : se dépayser du dépaysement). Car l'Amérique est plus qu'un pays, c'est un état d'esprit, une disposition : "California state of mind". "Ce n'est pas un pays mais un espace, un mode de coexistence pacifique, un processus consommatoire : elle se jette sur ce qui pourrait être".

L'auteur note que les modes de vie américains envahissent l'Europe. Mais n'est-ce pas plutôt l'Europe qui s'intoxique de bon cœur et révoque ses racines ? L'Amérique n'existe pas est une expérience et un livre de 1994. Apple perçait sous IBM, Google sous Microsoft. On était encore loin de la superbe de la Silicon Valley et de la "Californication" évoquée dans la série sur L.A. (Showtime). Cette Californie est-elle notre notre destin, celui de l'Europe, le point de départ d'une re-création ?

"Destruction leads to a very rough road
But it also breeds creation [...]
And tidal waves could'nt save the world
From Californication"

Red Hot Chili Peppers chantait ainsi "Dream of Californication" en 2000, empruntant à l'économie numérique une image de la destruction créatrice.
Ce que la romancière et journaliste Joan Didion, californienne, dit de sa Californie, vaut peut-être pour l'Amérique en général, donnant raison, finalement à Jean-Michel Maulpoix  : “California is a place in which a boom mentality and a sense of Chekhovian loss meet in uneasy suspension; in which the mind is troubled by some buried but ineradicable suspicion that things better work here, because here, beneath the immense bleached sky, is where we run out of continent". In "Notes from a Native Daughter," in Slouching Towards Bethlehem. 
Jean-Michel Maulpoix a perçu le côté tchékovien de la Californie, et le traduit à sa manière : "Je ne me suis à vrai dire jamais guéri de l'Amérique. Car il n'est pas de pays où l'on se trouve plus contingent et plus mortel qu'en celui-là." Californie, terre du numérique universel, là où l'Européen déraciné apprend qu'il n'a plus de racines, referme ses bouquins sur le nom de Heidegger et, guérissant de ses collines, se laisse aller à la technique, à l'intelligence artificielle, et à une "histoire de bleu"... "California dreaming"... la vie en bleu ?

dimanche 31 mai 2015

L'événement Socrate, sa propagation jusqu'à nous



Paulin Ismard, L'événement Socrate, Paris, Flammarion, 2015, Bibliogr., Index, 21 €, 304 p.

Le procès de Socrate et sa condamnation à mort en -399 constituent un événement de la mémoire occidentale et de l'histoire de sa philosophie. Evénement : "un événement n'est pas ce que l'on peut voir ou savoir de lui mais ce qu'il devient (et d'abord pour nous)", rappelle l'auteur, citant Michel de Certeau. Histoire qui se propage depuis les textes canoniques de Platon et de Xenophon, tous deux intitulés Apologie de Socrate. L'Affaire Socrate, dit encore l'auteur, comme on a dit l'Affaire Dreyfus. Affaire toujours contemporaine au point qu'en 2012, on a rejoué ce procès à Athènes. Rappel de Paulin Ismard, en conclusion : "la Grèce antique demeure une réalité bien vivante".

Ce qui frappe dans cet événement vieux de 25 siècles, c'est tout ce que l'on en ignore et qui sans doute assure sa vitalité. La cause même du procès, d'abord. Il s'agit probablement un procès politique (c'est la guerre civile) qui voit la revanche de la démocratie contre l'oligarchie des "Trente-Tyrans" (-404 / -403) que Socrate a soutenue. Mais, qu'est-ce que la démocratie grecque, est-elle proche de la notion actuelle ? Le mot peut être trompeur ; en fait, les démocraties occidentales d'aujourd'hui auraient sans doute pour les Grecs d'autrefois beaucoup des traits d'un régime oligarchique, le suffrage indirect créant et entretenant une oligarchie politicienne (cf. Daniel Gaxie, Le cens caché, 1978). Les dispositifs numériques pourraient-ils rénover la démocratie, la rendre directe, la déprofessionnaliser ?

Depuis sa mort, l'histoire de Socrate et de sa fin théâtralisée est reprise sans cesse (cf. infra, le tableau de David) ; ainsi, le personnage de Socrate sera-t-il récupéré successivement par le christianisme, l'Islam, la Renaissance (Erasme, Montaigne), les Lumières ("Socrate Diderot" dit Voltaire à propos de l'encyclopédiste embastillé qui, dans sa cellule, traduit l'Apologie de Socrate), les Révolutionnaires, de Robespierre à Babeuf et bien d'autres (utile rappel de Paulin Ismard, citations à l'appui). Ainsi, l'événement se transforme pour se perpétuer et habiter la mémoire. Rappelons quand même le rôle que jouent, dans le maintien de "l'événement Socrate", les dialogues de Platon, lus et étudiés à l'école (combien de temps encore ?).

Socrate est le philosophe emblématique des professeurs de philosophie, comme le rappelle Maurice Merleau-Ponty dans son Eloge de la philosophie (1953, leçon inaugurale au Collège de France) : "Il faut se rappeler que même les philosophes-auteurs que nous lisons et que nous sommes n’ont jamais cessé de reconnaître pour patron un homme qui n’écrivait pas, qui n’enseignait pas, du moins dans des chaires d’État, qui s’adressait à ceux qu’il rencontrait dans la rue et qui a eu des difficultés avec l’opinion et avec les pouvoirs, il faut se rappeler Socrate. La vie et la mort de Socrate sont l’histoire des rapports difficiles que le philosophe entretient, – quand il n’est pas protégé par l’immunité littéraire, – avec les dieux de la Cité, c’est-à-dire avec les autres hommes et avec l’absolu figé dont ils lui tendent l’image". Tout est dit, et l'on débat toujours : Socrate, sophiste ou non sophiste ? Rappelons que Fârâbî, éminent lecteur de Platon, laissait entendre que, du point de vue de Platon, Socrate s'y prenait mal et qu'une méthode douce, comme celle de Trasymaque eût mieux convenu (cf. Pierre Bouretz, Lumières du Moyen-Age. Maïmonide philosophe, Gallimard, 2015, Chapitre 1).

Livre d'histoire et de philosophie, sur le droit et la religion dans la Cité aussi, L'événement Socrate, alimentera efficacement une réflexion sur la notion d'événement et sur les médias qui le structurent et le propagent, et par lesquels il perdure. Quels médias dans le cas de Socrate ?  Le livre, l'école, le musée (tableaux)...
"L'historien doit se faire sismographe" pour saisir la puissance continue de l'événement, dit Paulin Ismard. L'auteur est toujours prudent dans ses interprétations, clair. Circonspection sémantique salutaire : pour des lecteurs modernes, que peuvent signifier dans les énoncés socratiques des termes comme εὐσέβεια (piété), ἀρετή (vertu), "évergète pauvre", philanthropie ?

N.B. Alors que des politiciens doutent de la place du grec dans notre enseignement, regrettons que les mots grecs utilisés dans le livre ne soient pas écrits aussi avec l'alphabet grec. Réflexion à mener sur l'édition et la vulgarisation, qui vaut pour toute langue étrangère.

David - The Death of Socrates
Jean-Louis David, La mort de Socrate, 1787 (The Metropolitan Museum of Arts, New York)
dont la reproduction partielle est utilisée pour le couverture du livre de Paulin Ismard (cf. supra)

jeudi 5 mars 2015

Quelles langues nous parlent ?


D'autres langues que la mienne, sous la direction de Michel Zink, Paris, Editions Odile Jacob, 2014, 286 p., 23,9 €

Voici 13 contributions issues d'un colloque, présentées par Michel Zink. Le point commun de ces textes est le plurilinguisme de qui écrit dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle. Si l'on apprend sa langue maternelle sans le savoir, sans trop d'effort, naturellement, au contact des proches, les autres langues, langues des autres, sont apprises après la langue maternelle, à l'aide de la langue maternelle, dans des conditions plus ou moins scolaires, artificielles, au terme d'un effort constant pour ne pas les oublier.
Claudine Haroche évoque le cas du romancier Aharon Appelfed. L'allemand, sa langue maternelle, est devenue, avec le nazisme la langue des assassins de ses parents ; il apprend l'hébreu en Israël où il a émigré. "La langue maternelle, tu ne l'apprends pas, elle coule", note-t-il ; pourtant, il y renonce et l'hébreu, au terme d'un difficile apprentissage, deviendra sa nouvelle "langue maternelle", mais vulnérable, "une langue que j'ai peur de perdre"...
Paul Celan (1920-1970), a l'allemand pour langue maternelle ; ses parents aussi ont été assassinés par les nazis, mais pourtant il écrit sa poésie en allemand. Paul Celan quitte Czernowitz (Roumanie / Ukraine), émigre et travaille en France après avoir parlé roumain dans son enfance et étudié le russe. Sa poésie s'efforce de dénazifier la langue allemande devenue totalitaire au service du IIIème Reich ("LTI", expliquera Victor Klemperer). L'antisémitisme, endémique, avait depuis longtemps préparé le terrain langagier du nazisme, en Autriche-Hongrie comme en Allemagne : l'altération de la langue fut un long procès exacerbé finalement par les nazis (cf. le travail prémonitoire de Karl Kraus sur la langue allemande).

La contribution de Jacques Le Rider évoque trois auteurs évoluant dans des configurations  interculturelles complexes, liées au judaïsme dans la Mitteleuropa, au tournant du XXème siècle. D'abord, Fritz Mauthner, romancier, journaliste et linguiste qui, à Prague, parle allemand en famille, tchèque à l'école et yiddish ailleurs. Il se considère privé à jamais de langue maternelle, la langue familiale lui semblant un allemand artificiel, sans racine ("langue de papier").
Le cas de Franz Kafka est différent. À Prague, on parle allemand et tchèque. Selon la loi, la nationalité est déterminée par la langue : Franz Kafka se déclare de langue allemande alors que sa famille parle tchèque. En fait, il travaille en tchèque, écrit en allemand. Sa langue maternelle (Muttersprache) n'est pas l'allemand classique mais un Allemand de Bohème mêlé de yiddish. En revanche, son allemand littéraire est dépouillé "jusqu'aux limites de la froideur", observe Hannah Arendt. Le troisième cas est celui de Elias Canetti ; il parle le judéo-espagnol (ladino) en famille, apprend l'anglais et le français à l'école (à Manchester) puis, enfin, l'allemand à huit ans avec sa mère, allemand qui deviendra pour lui la langue du lien à la mère (Mutterbindung). Ensuite, il apprend l'hébreu avec son grand-père...

Dans "La langue qu'on fait sienne : le latin au Moyen Âge", Pascale Bourgain évoque la situation langagière courante pendant le Moyen Âge et la Renaissance qui voient coexister langues vulgaires et latin. Le latin n'est pourtant pas alors une langue étrangère, c'est la langue du pouvoir, de la religion dominante, la langue des "travailleurs intellectuels", des étudiants, médecins, juristes, "gens à latin", selon Molière. Le latin est "langue savante", dit Pascale Bourgain mais n'est plus, ou rarement, langue maternelle. Montaigne ?
Karlheinz Stierle dans la même optique traite des langues de Pétrarque (XIVème siècle), le toscan populaire du Canzionere, le provençal, le latin.
Ces analyses peuvent permettre d'analyser la situation de l'anglais en Europe aujourd'hui, utilisé en situation professionnelle comme le fut le latin. Cet anglais professionnel (koiné scientifique, commerciale) est différent de l'anglais langue maternelle ; dépouillé, simplifié, tant à l'oral qu'à l'écrit, tant dans ses aspects lexicaux que syntaxiques, il s'impose de plus en plus dans les situations d'enseignement supérieur et de recherche. La situation professionnelle des anglophones ne ressemble-t-elle pas à celle des italianophones quand le latin était langue dominante (Dante, Pétrarque) : ils parlaient latin aisément, certes, mais avec un accent toscan. Et le latin se substituait nécessairement à la langue maternelle quand le discours "avait un certain degré d'intellectualité", note Pascale Bourgain : ne faudra-t-il pas que Descartes fasse traduire en latin le Discours de la méthode (1637) pour lui donner une portée internationale ?

Marc Fumaroli décrit minutieusement le plurilinguisme de Paris lorsque, au XVIIIème siècle, l'Europe parlait français ("Quand l'Europe parlait français, Paris était polyglotte") : Paris, cosmopolite, parlait toscan, castillan, les traductions étaient diverses et nombreuses... Et l'auteur de conseiller : "Concentrez-vous sur l'enseignement du français et de ses classiques, soutenez et réveillez, si besoin est, sa vocation traditionnelle de langue de traduction [...] il y a de nos jours pénurie d'esprit et de savoir-vivre, noyés dans la communication massive." Marc Fumaroli fait l'éloge des médias à l'âge classique : "A la lecture des livres, s'ajoutent à Paris celle des journaux et des brochures, dont la rue est la quotidienne corne d'abondance, la fréquentation assidue des cafés, la promenade dans les jardins publics et sur les boulevards, les emplettes dans les boutiques à la mode".

Jean-Noël Robert expose un "dialogue au pinceau" tenu en chinois entre un Coréen et un Japonais dont la langue commune de communication est le chinois écrit. Antoine Compagnon traite de la langue familiale dans l'œuvre de Marcel Proust, du rôle des affleurements complices de yiddish dans les conversations des personnages de la Recherche.

Ce ne sont pas là toutes les contributions : il y a un texte sur les mathématiques et le langage, des textes sur la poésie, etc. Beau travail qui conduit à la confrontation de points de vue distants : l'ouvrage vaut pour chacun de ses chapitres mais aussi pour cette confrontation qui exige une lecture croisée.

Les langues sont-elles des destins demandions nous à propos de The Writer as a migrant ? Reposer la question avec les exemples de Vladimir Nabokov, passant du russe à l'anglais, de Joseph Conrad du polonais à l'anglais, de Lin Yutang, sinophone écrivant en anglais ; évoquer aussi Elsa Triolet qui, romancière russophone bilingue, écrivant en français, se demande si elle a un "bi-destin ou un demi-destin") ; Emmanuel Levinas qui, enfant, parlait russe en famille, écrira et enseignera en français, traduira Husserl (allemand) en français ; Matteo Ricci italien qui écrivit en chinois ; Hannah Arendt, germanophone, écrivant et enseignant en anglais aux Etats-Unis...
Tous ces exemples "d'autres langues que la mienne" témoignent que la dichotomie langue maternelle / langue étrangère est insuffisante pour rendre compte de la diversité des situations langagières et des productions culturelles qui en sont issues. Une troisième catégorie est peut-être à promouvoir, celle des langues professionnelles, comme le latin ou l'anglais, devenus pour beaucoup, langue maternelles de personne sans être des langues étrangères. La langue est indiscutablement le premier des médias.

Références

Elsa Triolet, La mise en mots, Paris, Skira, 1969

MediaMediorum, Langage totalitaire

Viktor Klemperer, LTI Notizbuch eines Philologen, Berlin, 1975, Reclam. Publié en français LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996

Edmund Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, Traduit de l'allemand par G. Peiffer et E. Levinas, Vrin, 1947

dimanche 18 mai 2014

Montaigne en été

Antoine Compagnon, Un été avec Montaigne, Edition des Equateurs / France Inter, 2013, 170 p.

Avant d'être un livre, c'est une émission de radio de l'été 2012, sur France Inter, grande radio nationale, vers midi. Ce polytechnicien, qui occupe la chaire de littérature française moderne et contemporaine au Collège de France, veut faire lire et aimer Montaigne, et, pour cela, faire écouter Montaigne en été, pendant les vacances, par la voix de Daniel Mesguich. Pari de programmation osé et noble que le secteur public autorise et revendique.
Sortir un texte classique et difficile, le rendre accessible, actuel et fécond, travail de pédagogue que réalise Antoine Compagnon avec adresse et talent.

Que retenir de Montaigne pour penser et critiquer notre présent qui voit partout s'installer le numérique ?
  • Montaigne apparaît comme un conservateur prudent, qui s'interroge sans cesse sur les bénéfices du changement. L'innovation n'est pas gage d'amélioration. "Le monde est inepte à se guérir : il est si impatient de ce qu'il le presse, qu'il ne vise qu'à s'en défaire, sans regarder à quel prix. Nous voyons par mille exemples, qu'il se guérit ordinairement à ses dépens". Une telle attitude pourrait aider à penser et peser notre volonté de changer la vie, de passer au numérique à tout prix, ignorant presque tout de son impact social à terme, obnubilés par ses prouesses et aboutissements technologiques. Regard de privilégié ?
  • Montaigne doute du progrès, et des conquêtes coloniales notamment ; ainsi, parlant de l'Amérique : "nous aurons fort hâté sa déclinaison et sa ruine, par notre contagion". Trois Indiens que Montaigne rencontre à Rouen en 1562 s'étonnent du monde qu'ils découvrent : comment se fait-il que tout le monde obéisse à quelques uns ("servitude volontaire", dira La Boétie) ? Comment tolère-t-on tant d'inégalité ? Questions qui restent essentielles : dans quelle mesure le numérique participe-t-il de la servitude volontaire, de la modernisation des inégalités ?
  • "Les Essais" sont écrits en français, langue du peuple et des femmes, et non en latin, langue des savants et de l'Eglise. Montaigne observe que la langue change en permanence ; comment nos logiciels d'analyse des textes et de sentiment prennent-ils en compte ces variations, coincés dans la lexique ? 
  • Les Essais, livre de philosophie pratique. D'abord, le monde bouge sans cesse : "le monde n'est qu'une branloire pérenne". "Je ne peins pas l'être, je peins le passage". "Il faut accommoder mon histoire à l'heure". Autant de maximes à intégrer dans la conception du temps : nos intentions changent sans cesse. Avec le numérique, on saisit le "temps réel" mais saisit-on le changement ou seulement une suite de moments ? "Moi à cette heure, et moi tantôt, sommes bien deux" or beaucoup de nos concepts de médiaplanning (tel le retargeting) supposent et construisent une cohérence des personnes dans le temps, une identité remarquablement continue. Postulat commode, intelligence bien artificielle.
  • Les Essais sont un livre, mais jamais terminé, interminable. Montaigne enrichit sans cesse son texte, écrivant dans les marges des ajoutages."Mon livre est toujours un : sauf qu'à mesure, qu'on se met à le renouveler..." Occasion d'approfondir la notion de livre original ou fini, la notion de "surpoids", comme dit Montaigne (cf. Le texte original n'existe pas). Quel Montaigne lisons nous aujourd'hui ? Dans quel français ? (cf. Actualités de Montaigne).
  • Montaigne vante un art non linéaire de la lecture, feuilleter, errer dans une les livres ("je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein"). Eloge d'un travail intellectuel sans suite dans les idées pour mieux les laisser libres de s'organiser, d'inventer peut-être, de surprendre aussi (la démarche surréaliste n'est loin). 
  • Montaigne, on l'a appris dès la classe de seconde, critique l'encyclopédisme scolaire de son temps. Le Web délivrera-t-il l'école de l'encyclopédisme ? Quel statut donner à la mémorisation ? Quelle dose de par cœur optimise le rendement des apprentissages ?
La vie ? Jouer son rôle. Ne pas trop y croire, y croire mais pas trop : "la plupart de nos vacations sont farcesques". Combien de fois dans une réunion ou devant la télé n'avons nous pas eu envie de dire à quelque petit chef bardé de titres de cesser de se prendre au sérieux.
Montaigne avoue trois amours, trois commerces : les "belles et honnêtes femmes", les amitiés et les livres. A la différence des premiers, souvent éphémères, le livre est un commerce durable : "cettui-ci côtoie tout mon cours, et m'assiste partout". La portabilité numérique accentue la disponibilité des livres, leur proximité.

Voici venir l'été, podcast ou livre, vous reprendrez bien un peu de Montaigne. Un hors série de Philosophie Magazine peut vous y aider (7,9 €, juillet 2014).

dimanche 6 janvier 2013

Les bibliothèques d'écrivains : traces de lectures, traces d'écriture

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Bibliothèques d'écrivains, sous la direction de Polo d'Orio et Daniel Ferrer, Paris, CNRS éditions, 2001, 255 pages, 18 €

Comment lisaient les écrivains des siècles passés, avant les livres numériques (e-book) et les liseuses (e-reader) ? Les livres, livres écrits et livres lus de Winckelmann, Montesquieu, Stendhal, Flaubert, Schopenhauer, Nietzsche, Woolf, Joyce, Valery et Pinget sont examinés, partiellement, patiemment, pour dégager des pratiques, des stratégies de lecture / écriture. Cet ouvrage collectif peut être étudié aussi avec, pour arrière pensée, une réflexion sur ce que changera la lecture numérique à ces pratiques d'écrivains, pratiques formées par la fréquentation des livres de papier, aux pages numérotées dont le texte imprimé est entouré de marges, des livres où l'auteur glisse aussi des cartes, d'autres pages manuscrites, des lettres et même des fleurs fanées (Valéry).

Les écrivains - comme les étudiants - écrivent dans les marges des livres et des polys ; aujourd'hui, il "stabilotent", en couleur. Certains écrivains prennent des notes dans des cahiers, sur des fiches, rédigent des "cahiers d'extraits" ("copiés-collés", dirait-on aujourd'hui), des répertoires (Montesquieu avec le droit romain). Surtout, ils annotent dans les marges. Cette pratique manuscrite est peut-être menacée : annoter un livre numérique est incommode, inconfortable même ; en revanche, surligner (highlight) reste assez aisé et l'on peut retrouver et relire, d'un seul coup d'oeil ou successivement, toutes ses annotations.
Les livres lus portent trace des stratégies de lecture ; ainsi l'on peut voir que Valéry lisait surtout par fragments, tirant des échantillons de pages dans le livre à lire et ne lisant jamais un livre du début jusqu'à la fin (sauf les livres scientiques).
L'appel des marges ("libido marginalium") est souvent l'un des premiers pas de la composition d'un ouvrage, de l'élaboration d'une réflexion. Dans les marges, s'établit le dialogue privé d'un écrivain avec des écrivains d'autres temps, d'autres lieux. Digestion à la manière de Montaigne qui digère Sénèque et que recopie Winkelmann, ou à la manière de  ; la marge attire aussi les mathématiciens, ainsi de Fermat qui écrivit dans un ouvrage de Diophante qu'il n'avait pas assez de place dans la marge pour rédiger sa démonstration "merveilleuse" du fameux théorème ("Hanc marginis exiguitas non caperet", 1637).
Importante aussi la composition des bibliothèques, celle qu'ils avaient réunie chez eux, celles qu'ils constituaient en voyage, bibliothèques virtuelles aussi des livres empruntés. Livres achetés, offerts, dédicacés, coupés ou non : capital culturel objectivé que les héritiers se partagent et dispersent, ce qui en rend aujourd'hui l'analyse difficile.
Editions rue d'Ulm, 2004, 840 p. index

Les travaux rassemblés dans cet ouvrage donnent à entrevoir une manière riche et rigoureuse d'envisager les modes de production littéraires. Chaque contribution permet de mieux lire les oeuvres des auteurs évoqués. Cela va du travail de documentation encyclopédique de Flaubert qui atteint des proportions gigantesques avec Bouvart et Pecuchet aux méthodes de relectures des marges élaborées par Stendhal (le livre fonctionnant alors comme bloc-notes). Le chapitre sur Nietzsche décrit l'incroyable falsification de l'oeuvre pratiquée par sa soeur afin de s'attirer les bonnes grâces des lecteurs nazis. L'histoire de l'édition des oeuvres de Nietzsche s'achève par un travail de catalogage regroupant les facsimilés des manuscrits et des premières éditions (travail collectif, en accès gratuit sur le Web : "Hypernietzsche"). Le numérique apporte à l'analyse littéraire une manière plus rigoureuse, plus précise, vérifiable de lire un auteur (cf. l'édition récente de Molière).

Recomposer la vie de la production littéraire, la dialectique complexe des lectures et de l'écriture à travers les traces des compilations, les annotations, des ouvrages accumulés. Les enseignants de littérature et de philosophie trouveront dans ce livre de quoi les aider à expliquer et exposer la genèse des oeuvres de manière plus convaincante. Ce travail laisse entrevoir ce que l'édition numérique apportera à la compréhension des oeuvres. Mais dans le livre numérique, pas de fleurs fanées !


N.B. Pour illustrer l'intérêt de connaître la bibliothèque d'un écrivain pour en comprendre l'oeuvre, signalons le remarquable travail accompli pour Paul Celan, "lecteur de philosophie", travail plurilingue (surtout allemand et français, mais aussi grec et russe) ; ces lectures rassemblées et classées éclairent les lecteurs actuels du poète.
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samedi 1 septembre 2012

Journalisme littéraire : Joan Didion


  • Joan Didion, Slouching Towards Bethlehem. Essays, FSG Classics, 1956, 238 p.
  • Joan Didion, We Tell Ourselves Stories In Order To Live, Collected Nonfiction, Every Man's Library. Alfred A. Knopf, 2006, 1122 p., Chronology, avec une superbe Introduction de John Leonard.
Californienne de souche, née à Sacramento en 1934, Joan Didion commnce une carrière de journaliste au magazine Vogue (1956). Son premier ouvrage, qui regroupe des essais de journalisme littéraire ("non-fiction"), est publié en 1968 : Slouching Towards Bethlehem, d'après le titre d'un essai très sceptique sur la vie des hippies à San Francisco (Haight-Ashbury district). Genre hybride ?
Les thèmes abordés par l'oeuvre de Joan Didion sont divers mais ils possèdent une unité de style littéraire et philosophique, faite d'apparent détachement, d'émotion sans les mots galvaudés de l'émotion. Jamais sentimentales, presque ethnographiques, ses analyses semblent être l'effet d'un regard anthropologique sur les Etats-Unis. Beaucoup d'observations subtiles jamais ennuyeuses, orientent un regard tour à tour proche et éloigné - macro-micro - à la Lévi-Strauss. Son métier, son talent en matière de journalisme, c'est aussi sa discrétion : "My only advantage as a reporter is that I am so physically small, so temperamentally unobtrusive, and so neurotically inarticulate that people tend to forget that my presence runs counter to their best interests". La complaisance n'est pas son genre moral.

Presque tous les sujets traités le sont à son initiative ("my idea"); ils ont été publiés d'abord par des revues et des magazines de toutes sortes (The New York Review of Books, The New Yorker, New West, The New York Times Magazine, The Amercain Scholar, Vogue, The Saturday Evening Post, Travel & Leisure, Esquire, mais elle se les approprie ("Whatever I do write reflects, sometimes gratuitously, how I feel") puis, de cette diversité de "choses vues" de très près, à l'air parfois hétéroclite, surgit une vision, un point de vue lucide sur la transformation des Etats-Unis et de leur culture. Joan Didion prend son sujet par tous les bouts : l'importance des centres commerciaux (mall culture), les hippies, El Salvador, Cuba, Bogota, l'oligarchie politicienne, ses journalistes et ses consultants... Hollywood, John Wayne, Los Angeles et la Californie, Miami et la Floride.
Les médias installés en prennent pour leur grade, jusqu'au Wahsington Post (elle ne décèle pas la moindre activité cérébrale dans les textes de B. Woodward, l'un des journalistes de l'histoire du Watergate !). Complices des pouvoirs, "media poisoners", disaient les hippies.

Dans "Political fictions", Joan Didion décrit, mieux que les spécialistes auto-proclammés de la science politique, l'hégémonie de la politique politicienne, des politiciens professionnels qui ont confisqué la démocratie américaine pour en faire leur business. Elle stigmatise l'usage électoral des médias, pointant, derrière d'apparentes oppositions, un consensus intéressé sur les limites du dissensus entre partis politiques alternant au pouvoir. Conclusion : "le plus grand des partis est celui de ceux qui ne voient pas de raison de voter".

Tous ces petits écrits font de très grands livres.
Lus trop vite, les essais de Joan Didion ont été souvent mal compris ; il faut les lire en gardant présente à l'esprit leur idée dominante : la décomposition du monde social, son désordre ("the evidence of atomization, the proof that hings fall apart"), son entropie (Levi-Strauss disait qu'anthropologie devrait s'écrire entropologie) ; on peut les lire avec profit en songeant que l'économie numérique porte l'atomisation sociale à l'incandescence. CfKatherine Losse à propos de Facebook. A confronter aussi à la lecture de la Californie par Jean-Michel Maulpoix.
Cette oeuvre journalistique est aussi, en marge, une réflexion sur le journalisme littéraire, genre confus (cf. "Literary Journalism. What it is. What it is not", in Commentary, July-August 2012). Bien sûr, il y a la qualité de l'écriture, "littéraire", mais aussi la puissance d'une approche à la première personne, ("the implacable I"), à la Montaigne ; Joan Didion est elle-même la matière de ses livres et de ses articles. A sa façon, elle aussi peint le passage. Et puis, parce qu'il est littéraire, ce journalisme là n'est pas près d'être produit par des robots avec des algorithmes et des données (cf. Narrative Science).
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vendredi 12 août 2011

Actualités de Montaigne

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Montaigne est actuel. Sur presque tous les sujets, ce qu'il a écrit il y a plus de quatre siècles, il invite encore à penser. Pourtant, la langue de Montaigne nous est de plus en plus lointaine voire incompréhensible ; ses références historiques et philosophiques sont ésotériques pour beaucoup d'entre nous, rendant sa lecture difficile. Plusieurs éditions récentes de Montaigne se sont attelées à cette difficulté. Comment rendre Montaigne lisible, aimable, comment rendre son actualité accessible, féconde. Il ne s'agit pas seulement de la langue, mais de l'organisation même des Essais, de leur présentation à des lecteurs entraînés à d'autres médias, en somme de leur ergonomie.
Partons de l'édition postume de 1595 (la première édition date de 1580) comme point de repère. Elle est reprise par Gallimard dans la Pléiade, édition savante, dans le français de l'époque avec des notes de bas de page pour ce qui n'est plus clair à un lecteur du XXIe siècle. L'ensemble comporte 1975 pages avec index, variantes, bibliographie et plus de 400 pages de notes. Un album l'accompagnait en 2007.

En contrepoint de cette édition de référence et d'étude, voici trois éditions rompant délibérément avec l'édition originale, son ordre, sa langue pour mieux faire valoir un texte qui n'a vieilli que dans ses apparences ou, plutôt, dans son mode d'emploi.
  • Citons aussi la traduction des Essais en "français moderne" par André Lanly, Paris, Gallimard, 2008, 1534 p.
  • How to Live. A life of Montaigne in one question and twenty attempts at an answer, par Sarah Backwell, Vintage Books, London, 2011, 388 p. Index, chronology. 
    • L'auteure, décidément irrespectueuse et moderne -et en cela digne de Montaigne - sort des chemins  habituels pour rendre Montaigne lisible par un large public anglophone. Elle propose un Montaigne pratique (de type Q and A), pour apprendre à vivre, "prendre soin de soi", comme on disait. Après tout, remarque-t-elle, Les Essais ne sont-ils pas une préfiguration de ce qu'apportera le Web à la biographie avec les blogs, les pages personnelles, les murs des réseaux sociaux ? 
    • 20 questions ont été identifiés par Sarah Backwell, thèmes susceptibles d'accrocher ses comtemporains, 20 portes d'entrée, 20 chemins de pensée où suivre Montaigne. Exemples : "Do a good job, but not too good a job", "Wake from the sleep of habit", "Do something no one has done before", "Give up control". Quel programme !
  • Aux Editions Leo Scheer, Bénédicte Boudou a dirigé Le Dictionnaire de Montaigne ; elle poursuit un objectif voisin : donner envie de lire Montaigne, faciliter la lecture des Essais. Pour aider le lecteur qui a perdu son latin, cette "anthologie thématique" de 718 pages comporte d'utiles notices biographiques du monde de Montaigne (130 pages) et deux brefs index (des noms, des thèmes). Le texte de Montaigne a été traduit du français moyen au français contemporain, les citations latines sont traduites, la ponctuation modernisée. De plus, les auteurs ont effectué une recomposition en 150 thèmes dans lesquels il et aisé de s'orienter.
Dans tous ces cas, le travail éditorial consiste à rendre Montaigne aux lecteurs. Il y a eu d'autres tentatives dans les siècles passés.
A tout cela manque aujourd'hui une dimension numérique (cf. le travail récent sur Molière), la capacité de lire sur des liseuses (eReaders), avec leur portabilité, leur moteur de recherche, leur dictionnaire intégré, le partage des notes, les illustrations didactiques.  Recomposer Montaigne avec des liens, des personnalisations, etc. : en versions numériques, Kindle, iBook, applis, n'existent paradoxalement, pour l'instant et à notre connaissance, que des reprises strictes du texte de Montaigne, sans aucun travail éditorial). A comparer aussi  avec le travail effectué pour l'appli iPad consacrée à On the road de Jack Kerouac.
En attendant de telles productions, ces diverses éditions, et il y en a des dizaines d'autres, rappellent la versatilité de l'édition papier et toutes les possibilités qu'elle ouvre.

N.B. 
  • Signalons, pour replacer Montaigne dans l'évolution littéraire et le "genre essais", le travail de Marielle Macé, Le temps de l'essai. Histoire d'un genre en France au XXe siècle, Paris, Belin, 2006, 366 p. Index, Biblio. Tout particulièrement le chapitre 1, "Mémoire du genre".
  • Voir aussi l'ouvrage estival d'Antoine Compagnon, Montaigne en été.
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