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dimanche 26 mai 2013

Chopin et les réseaux musicaux à Paris

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Jean-Jacques Eigeldinger, Chopin, âme des salons parisiens. 1830-1848, Paris, Fayard, 2013, 336 p. Bibliogr, Index.

La vie musicale au début du 19ème siècle à Paris est une vie de salon plus que de concerts. Mélomanes et compositeurs interprètes passent d'un salon à l'autre, plusieurs parfois dans une même soirée. Les banquiers, les ambassades, les puissants du moment ont leur salon. Et, bien sûr, Pleyel, éditeur de partitions, facteur de pianos renommés, tient un salon qui contribuera au marketing sophistiqué de ses produits.

Dans les salons, on chante, on suit sur les partitions, on lit, on déchiffre. La bonne société prend des cours avec les grands compositeurs et interprètes, achète des pianos, lit la presse spécialisée (Revue musicale, Le Pianiste, La France musicale, Le Ménestrel, etc.). Les compositeurs sont invités, ou pas ; ils publient et dédicacent leurs partitions, autant de "likes" et de RT. Un réseau musical prend place et s'étoffe ainsi. "Le salon de M. Zimmerman est au monde musical ce que le temple de la Bourse est au monde financier. Là se cotent tous les talents de l'Europe, là s'escomptent tous les succès, là se négocient toutes les gloires..." (p. 34). Le réseau se manifeste d'abord comme un marché structuré et structurant des talents et du capital social et culturel circulant.

Chopin donne peu de concerts ; il juge le concert peu propice à la musique, trop contraignant, relevant de la "machine" à gagner de l'argent (cf. p. 268). Chopin ne joue quand ça lui chante, quand il n'a pas "mal aux nerfs", il joue pour de petites assemblées, avec ses amis, ses élèves, ses proches (Delacroix, Heine, Georges Sand, Berlioz, Liszt). Ce n'était pas "l'homme de la foule", dira Berlioz (qui lui envoyait du "Chopinetto mio" !). Le plus souvent, Chopin improvise ; il a longtemps refusé les programmes imprimés. On n'a donc peu de traces de ces interventions dans les salons, sinon par des mentions, dans les courriers et dans la presse. De la plupart de ses improvisations, il ne reste rien, son oeuvre "enregistrée" (partitions, disques, CD, etc.) ne représente qu'une partie limitée de son oeuvre.
Parmi les objectivations du réseau de Chopin, notons celle que manifestent, par exemple, l'ensemble des lettres de recommandation qu'il peut obtenir pour un de ses élèves, partant en voyage à travers l'Europe. Le réseau a une géographie : proximité sociale et spaciale (dans le quartier, la ville) jouent un grand rôle. La communication se fait de bouche à oreille, mais également par une correspondance continue, lettres et billets. Le réseau social numérique n'a fait qu'exploiter un besoin banal, lui apporter une technologie commode et bon marché.
L'auteur, Jean-Jacques Eigeldinger, Professeur à l'Université de Genève, est un spécialiste de l'oeuvre et de la vie de Chopin ; il lui a consacré de nombreux livres. Son ouvrage sur Chopin et les salons parisiens, qui comporte de nombreux documents (pp. 113-263), est une référence pour les mélomanes, les historiens et les fans de Chopin : ils y découvriront un musicien polyglotte, complexe, qui aimait aussi se déguiser, imiter, fair le clown. Un homme sympathique, mal connu.
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lundi 23 avril 2012

La voix de Bossuet à la radio

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Elle était célèbre, la voix de Bossuet, elle résonnait devant Louis XIV et sa cour. Retransmission à la radio, par France Musique (un peu après 1H58mn), du Carême du Louvre, le 5 mars 1662 (Bossuet a 35 ans, Louis XIV, 24). Grâce à Geoffroy Jourdain et Benjamin Lazare, nous pouvons écouter une partie du "Sermon du nouveau riche". Ce sermon, ainsi que les Oraisons funèbres de Bossuet, nous les avons peut-être lus au lycée, mais nous ne les avons jamais entendus, jamais écoutés. Ces chefs d'oeuvre d'oralité sont lettre morte lorsque l'on ne fait que les lire.

Les voici, lus, déclamés par Benjamin Lazar, avec l'accent bourguignon de l'époque, avec les "R" qui roulent et tonnent et vibrent, avec les silences que ne marque pas l'imprimé, avec les "s" du pluriel, tous prononcés, qui sifflent à la fin des mots dans le silence de l'écoute. Tout à coup, on "perçoit" la partition de ce sermon au lieu d'un espace uniforme, linéaire ; la ponctuation et la mise en page s'avèrent de faible secours pour rendre compte de la musique du texte. De l'orateur, on perçoit la volonté d'expliquer, de convaincre, les menaces aussi : ne s'agit-il pas de convertir ? On "perçoit" la structure fixe propre au genre du sermon (texte, exordes, péroraison). On l'entend penser, argumenter. Eloquence à propos de laquelle Christine Noille-Clauzade évoque une "machine démonstrative".

Les textes des sermons de Bossuet sont incertains, Christine Noille-Clauzade parle même de "texte en ruines" (cf. infra, Références). Les sermons n'étaient pas entièrement écrits, encore moins préparés pour être imprimés. Nous ne disposons que de versions manifestement approximatives, réécrites, complétées à partir des ébauches, des brouillons, raturées : les préparations. Le sermon prononcé était différent du texte le préparant, "inachevé" qui laissait, et prévoyait, une large part à l'improvisation. L'édition dont nous disposons relève quelque peu de la doxographie.

A cette occasion, on peut imaginer ce qu'impose à un document oral sa reconstitution écrite, ce que l'écrit fait aux oeuvres anciennes (cf. Homère standardisé, fixé...). Beaucoup des "grands textes" que nous étudions à l'école (notamment pour le baccalauréat) étaient conçus pour l'oral, pour être récités, dits et joués. Ainsi, la volonté de transmettre, l'enseignement réduisent-ils le théâtre, qui est conçu pour être vu, écouté, entendu, à de l'écrit. Plus de voix, plus de costume, plus de décors, plus de lumières : du texte, une typographie spécifique et quelques didascalies. Et des élèves s'ennuient...
Penser aux discours politiques d'André Malraux ou de Charles de Gaulle et ce dont nous prive une version imprimée. Penser aux cours publiés. Penser à ce qu'il pourrait résulter du passage à l'écrit d'un débat télévisuel !

Un changement de média n'est jamais neutre pour son contenu.
C'est toujours une sorte de transcription : à titre d'illustration, pour percevoir ce que cela signifie, que l'on pense, par exemple, à la transcription pour piano de La Symphonie fantastique de Berlioz par Liszt. L'oeuvre, ainsi réduite, y gagnera en diffusion. (cf. ci-dessous : la symphonie dirigée par Leonard Bernstein puis sa "réduction" pour piano avec la partition de Franz Liszt, "arrangée).
Mais on peut également, par exemple, imaginer une arrivée d'étape du Tour de France suivie à la radio et la comparer à la même arrivée regardé à la télévision.



Références

Yvonne Champailler, Présentation des sermons dans les Oeuvres de Bossuet publiées en Pléiade, Paris, Gallimard, 1961 (où ne figure pas le "Sermon du nouveau riche"), pp. 1031-1033.

Christine Noille-Clauzade, "A la recherche du texte écrit : enquête rhétorique sur les sermons de Bossuet", paru dans Lectures de Bossuet : Le Carême du Louvre, Presses Universitaires de Rennes, pp. 89-109.

Olivier Millet, "Le sermon comme événement. Stratégies éditoriales de Jean Calvin dans ses publications imprimées de sermons, entre oralité, art oratoire et impression", in Greta Komu-Thilloy, Anne Réach-Ngô, L'Ecrit à l'épreuve des médias. Du Moyen Age à l'ère électronique, Paris, Classiques Garnier, 2012, pp. 93-106.
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