lundi 23 septembre 2019

Retour dans les "camps" de la mort



Ginette Kolinka (avec Marion Ruggieri), Retour à Birkenau, Paris, Grasset, 100 p.

L'ouvrage est modeste mais fier et ferme. L'auteur se souvient de son expérience de Birkenau, Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt, camps de déportation et de concentration, et d'extermination. Célèbres.
Elle est alors une jeune fille. Elle raconte ce qu'elle a vécu, perçu : les coups, la faim, le froid. La haine aussi, et quelques rares solidarités. A sa sortie, elle pèse vingt kilos.
Comment survivre à une telle expérience ?
Elle y retourne pourtant, bien des années après. Elle n'aime pas ce qu'elle voit d'Auschwitz, musée trop bien organisé maintenant. Elle n'aime pas non plus Birkenau ("maintenant, c'est un décor") ; elle n'y voit plus qu'un "faux lieu". Elle, elle peut imaginer encore l'odeur, la saleté... alors que le Birkenau qu'elle retrouve est "bien propre" : "je ne ressens rien", dit Ginette Kolinka.

Evoquer son expérience pour des lycéens ? "Je ne vais pas dans les musées, peu au cinéma, encore moins au théâtre... Je n'ai pas de conversation...". Alors, non... Mais, finalement, elle y va et fait le travail.
Le livre dit les camps d'abord, sa vie dans les camps, et s'achève avec le retour dans sa famille, son mariage et, sur le tard, l'accompagnement de voyages de lycéens qui visitent les camps avec leur classe. C'est bref, bien écrit, clair et simple. Sans fioritures, direct. Pas de bavardages.
Edifiant.
Mais les camps que l'on visite aujourd'hui ne sont plus ce qu'ils ont été ; et c'est tant mieux ! Quel sens alors ont les visites ? Comment leur faire dire leur histoire, notre histoire, l'Histoire ?  Les modalités du tourisme ordinaire sont vaines, au mieux. Il faut d'autres outils pour que l'horreur parle et fasse peur, et, peut-être, nous guérisse... Mais quels outils ? Des films, mais alors quel montage ?
Il faut les inventer, et c'est urgent.

mardi 10 septembre 2019

Les migrations sont au Collège de France


François Héran, Migrations et sociétés, Paris, Collège de France - Fayard, 2018, 74 p.

C'est sa première leçon au Collège de France. Prononcée le 5 avril 2018. Les migrations constituent un sujet politique avant d'être économique, en France, en Europe, entre autres. Le sujet est embrouillé de multiples manières et il est bien difficile de s'y retrouver. Un point de vue scientifique est bienvenu. François Héran, ce normalien philosophe devenu professeur au Collège de France (chaire "Migrations et société"), à ce sujet controversé doit apporter sa culture, son intérêt et sa rigueur. Car il y a de quoi faire !

Le texte de sa leçon inaugurale déclare d'emblée - c'est sa deuxième phrase - que  "les migrations [...] sont une composante ordinaire de la dynamique des sociétés". Et la conclusion sera claire : "Mon programme ne prétend pas trancher toutes les questions sur la place de l’immigration dans la société : il entend les poser dans le respect des faits ». Donc saisir l'ordinaire, le banal, ce que l'on ne voit guère et en respecter les faits. Tous les faits.
Que pèse l'immigration dans la population française ? Près du quart de la population si l'on prend en compte deux années consécutives ; et, toutes proportions gardées, l'Europe accueille plus d'immigrants que les Etats-Unis. La France manquant de bras pour assurer son développement fait appel naturellement aux immigrés : l'immigration apporte la main d'oeuvre indispensable à son développement. Depuis le milieu du XIXème siècle, ce à quoi l'on assiste est "non pas une intrusion massive mais une infusion durable", souligne François Héran. Accuser les démographes qui ne feraient que rapporter un flux à un stock est inutile et naïf. "Neutralité engagée" : revendique simplement l'auteur, ni pour ni contre l'immigration, "qu'on le veuille ou non, nous devons faire avec l'immigration, tant elle est ancrée dans nos sociétés".

3,4% de la population mondiale, selon une statistique de l'ONU (2017) sont concernés par l'immigration, donc plus de 95% de la population mondiale n'a jamais émigré. Les populations, selon Adam Smith, devraient avoir le droit d'émigrer : aujourd'hui en France, 220 000 migrants entrent dans ce pays parce qu'ils en ont le droit, tout simplement. Saluant les travaux "quali" d'Abdelmalek Sayad et de Stéphane Beaud dont l'auteur reconnaît avoir besoin, il revendique également les descriptions statistiques pour mieux comprendre les immigrations. François Héran dans sa première leçon, programmatique, montre le rôle des statistiques et leur "vitalité" pour reposer les problèmes. "Ce n'est pas pour dominer que l'Etat s'applique à compter, c'est pour rendre des comptes", conclut-il.

Le travail de François Héran au Collège de France est bienvenu pour aborder le problème de l'émigration, scientifiquement, et, notamment, l'émigration ordinaire. Qu'est ce qui dépend de nous, pays d'accueil, et qu'est ce qui n'en dépend pas ? Peut-on vivre dans deux nationalités à la fois ? Les questions ne manquent pas. Aussi, le travail de ce cours sera-t-il suivi attentivement car il se promet d'énoncer "sur une base informative aussi solide que possible" des questions que le débat politique ne sait pas poser sérieusement.