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dimanche 15 mai 2022

Descartes et la fabrication d'un canon philosophique

 Delphine Antoine-Mahut, L'autorité d'un canon philosophique. Le cas Descartes, Paris, Vrin, 2021

Quel est le véritable Descartes, celui que l'on peut isoler aujourd'hui, par delà quatre siècles d'histoire de la philosophie ? Comment se constitue la canonisation d'un nom ? "On ne façonne et on ne rectifie son autoportrait qu'en interaction et par démarcations permanentes avec celles et ceux qui s'y emploient, y contraignent voire tentent de le faire à la place de l'intéressé. De têtes de Turcs en caricatures plus ou moins bienveillantes, on construit, on affine et on affirme sa figure". Ensuite, viennent, bien sûr, les diverses et successives réceptions de l'oeuvre, les biographies, les éditions et traductions, les interventions des proches et des héritiers, voire des disciples, etc. Tout ceci contribue à la constitution d'un canon.

Delphine Antoine-Mahut, normalienne, Professeur, qui enseigne la philosophie à l'ENS (Lyon), étudie minutieusement dans cet ouvrage l'histoire de Descartes et de la propagation des idées qui lui sont attribuées, depuis ses contemporains (Claude Clairselier) jusqu'à Charles Renouvier, en passant par Louis de La Forge, Nicolas Malebranche, Destutt de Tracy et Victor Cousin. Ainsi s'achève la statue de Descartes et la genèse du canon Descartes. L'histoir ne s'arrête pas là toutefois : quid de Descartes aujourd'hui ? Pour les lycéens qui l'apprennent en classe (mais en reste-t-il ?) ?

mardi 28 décembre 2021

Spinoza dans toute son oeuvre et selon l'ordre de ses raisons

 Alexandre Matheron, Etudes sur Spinoza et les philosophies de l'âge classique, ENS Editions, Lyon, 741 p.,  2011, Index des noms, Index des passages cités de Spinoza, Préface de Pierre-François Moreau.

Voici une somme, celle des travaux d'Alexandre Matheron sur Spinoza (en dehors de ses travaux de thèse : Individu et communauté chez Spinoza, 1968 et Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza, 1971. Alexandre Matheron était LE spécialiste de Spinoza. 
Alexandre Matheron était d'abord un disciple de Martial Guéroult dont il a apprécié la méthode telle qu'exposée et mise en oeuvre dans Descartes selon l'ordre des raisons (publié en 1953). Le spinozisme est pour Guéroult comme pour Alexandre Matheron un "rationalisme absolu" (le réel est rationnel). 
Alexandre Matheron subit aussi l'influence de Pierre Lachièze-Rey dont Les origines cartésiennes du Dieu de Spinoza fut publié en 1932. Pierre-François Moreau dans sa préface souligne également l'importance d'un marxisme passé par la phénoménologie : "la magistrale étude de Jean-Toussaint Desanti", à qui il succède à l'ENS (Introduction à l'histoire de la philosophie, 1956), et Jean-Paul Sartre (Critique de la raison dialectique, publié en 1960). 
Pierre-François Moreau conclut son introduction en soulignant le langage cartésien de Spinoza : "parce qu'il n'a pas d'autre langage à sa disposition et qu'il doit forger sa pensée à travers ce langage - car on ne pense que dans un lexique, et on ne pense de façon originale qu'en modifiant peu à peu un lexique reçu".
L'oeuvre publiée est colossale : Spinoza est traité par tous les aspects possibles de son oeuvre et l'ensemble est divisé en deux parties : "Ethique, anthropologie, politique, religion", d'abord, puis "Ethique, ontologie, connaissance, éternité", deux parties séparées par deux lectures de Spinoza, l'une consacrée à Victor Delbos, l'autre à L'anomalie sauvage d'Antonio Negri.


mercredi 28 octobre 2020

Lire et relire Pascal en vacances

 Antoine Compagnon, Un été avec Pascal, Paris, Equateurs / France Inter, 2020, bibliogr., 232 p.

Pascal fut un savant, d'abord. Et toujours. Il fréquenta jeune enfant les séances de l'Académie de Mersenne ; il y rencontrera les savants de son temps, Roberval, Descartes et Gassendi. On lui doit une machine arithmétique (machine à calculer). Il rédigea un Traité des coniques dès l'âge de seize ans. Il défie les savants européens avec les problèmes de la cycloïde. Il s'occupe des probabilités dans son traité sur La Machine arithmétique. Homme d'affaires, il réfléchit à l'assèchement du marais poitevin et lance une entreprise de transports publics à Paris, les "carrosses à cinq sols", entreprise qui réussira... Il y aura aussi la correspondance avec Fermat "sur la règle des partis", les "Expériences nouvelles touchant le vide", les "Traités de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l'air" : Pascal scientifique d'abord, mathématicien et physicien, donc. Ensuite, il y eut le métaphysicien, et c'est de ce second Pascal que nous entretient Antoine Compagnon, qui, lui-même, avant d'enseigner les lettres au Collège de France, fut élève de l'école Polytechnique.

Le livre d'Antoine Compagnon est parfaitement conduit ; il est habilement conçu pour être lu en vacances d'été. Quatre ou cinq pages par thème et quarante et un thèmes, que l'on peut lire dans le désordre, ouvrir au hasard. Ici, Pascal débat avec Montaigne et nous avons tous gardé dans un coin de notre mémoire des phrases de Pascal : les deux infinis, le roseau pensant, le nez de Cléopâtre, l'uretère de Cromwell, "Qui veut faire l'ange fait la bête", "Le coeur a ses raisons, que la raison ne connaît point", "le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie", "La vraie éloquence se moque de l'éloquence", esprit de géométrie et esprit de finesse... Nous avons en notre esprit un catalogue de Pascal et il est agréable ici de le retrouver et de l'alourdir, sérieusement, d'en retrouver les thèmes mis en perspective.

Antoine Compagnon reprend pour titres des quarante et un chapitres de son livre des phrases clefs, des expressions des Pensées et, en quatre ou cinq pages, les commente chacune et en tire l'essentiel. Qu'il s'agisse de la tyrannie ou de la casuistique par trop laxiste, ou des marxistes (mais que vient faire Althusser ici ?), de la violence et de la vérité ("La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique"), il sait retenir l'essentiel, pour lui. A Christine de Suède, Pascal écrira avoir "une vénération toute particulière pour ceux qui se sont élevés au suprême degré ou de puissance, ou de connaissance. Les derniers peuvent, si je ne me trompe, aussi bien que les premiers, passer pour des souverains". Christine qui prétendait aux deux puissances a certainement apprécié... ce Pascal si souverainement modeste qui s'adresse à elle.

Pascal défend aussi le divertissement ("Sans divertissement il n'y a point de joie. Avec le divertissement il n'y a point de tristesse"). Et de conclure, comme l'auteur de ce petit livre rafraichissant : "Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle. Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre, mais l'un la place mieux". Pascal place ses balles habilement et Antoine Compagnon apprécie les coups du champion. 

Voici un livre à lire en vacances, ou en week-ends, à petites doses, pour se reposer du quotidien, et penser tranquillement, finalement.


mardi 24 décembre 2019

Spinoza encore, un immense chantier épistémologique



Henri Atlan, Cours de philosophie biologique et cognitiviste. Spinoza et la biologie actuelle, Paris, Editions Odile Jacob, 635 p. Bibliogr., Index nominum, index rerum. 35 €.
Préface de Pierre Macherey

L'objet de ce livre est la philosophie de Spinoza qui écrivait au XVIIème siècle (1632-1677). Que peuvent en comprendre et en retenir des lecteurs du XXIème siècle, quatre siècles plus tard. Pour cet examen, l'auteur qui est biologiste, confronte les idées de Spinoza aux connaissances scientifiques actuelles en neurobiologie et en intelligence artificielle. L'ouvrage a constitué une thèse pour le doctorat en philosophie, thèse soutenue en décembre 2017.
L'auteur relit donc L'éthique de très près pour en isoler des lignes fondamentales qui peuvent et doivent retenir l'attention d'un lecteur moderne. En fait, cet ouvrage est une thèse de philosophie soutenue à Paris I en 2017, thèse qui fait suite à un cours à Johns Hopkins University aux Etats-Unis (Baltimore, 2007).

Henri Atlan veut aider les lecteurs actuels de L'éthique à "s'orienter dans la pensée", selon l'expression de Kant, à schématiser, à imaginer donc comme le souligne Pierre Macherey dans sa préface. Pierre Macherey, toujours Althusérien, voit dans ce spinozisme "une arme imparable pour combattre la philosophie spontanée des savants" et finalement, pour "en finir avec toutes les formes de croyance". Henri Atlan se sert de la philosophie de Spinoza, et de celle de Ludwig Wittgenstein, en ayant également pour objectif d'en terminer avec toute forme de croyance. Le rôle de "la petite physique" située entre les propositions 13 et 14 de la deuxième partie de L'éthique s'avère essentiel où Henri Atlan peut définir les conditions d'une morale pour une vie libre.
L'ouvrage de Henri Atlan se compose de deux grandes parties : dans la première, l'auteur lit Spinoza de manière originale, montrant comment il ne fonde pas une théologie, comment il lie matière et pensée, et comment il sait ne pas achever son travail par une absence de théorie physique générale.
La seconde partie concerne les rapports esprit / corps et traite de questions actuelles : la théorie de l'information, et une épistémologie pragmatique qui rend compte de données expérimentales et s'achève en un monisme que Henri Atlan décrit comme anomique.

Cet ouvrage est beaucoup trop complexe pour que l'on en rende compte en une page. Tout d'abord, il me faudrait le relire, et le relire encore. Ensuite, il faut en discuter les hypothèses et les conclusions de manière systématique pour y voir clair et les confronter à l'état actuel des sciences et techniques, biologie et intelligence artificielle. Mais, en le lisant à petites doses, lentement, on ne manquera pas d'être fasciné par le travail en cours, qui s'accomplit dans la lecture minutieuse, actuelle et ancienne, de Spinoza. En fait, une fois débarrassé du charabia de son époque, l'oeuvre de Spinoza se révèle assez contemporaine ; il ne se perd pas dans les rouages de la philosophie de son temps, pour peu que l'on sache l'en détacher, ce que fait Henri Atlan avec habileté. C'est toute une épistémologie que ce travail révèle et l'on se demande si un mode d'exposition nouveau ne permettrait pas de mieux lire, et Spinoza et Henri Atlan.

vendredi 27 juillet 2018

Les sciences cognitives, sciences rigoureuses de la publicité ?


La cognition. Du neurone à la société, sous la direction de Thérèse Collins, Daniel Andler et Catherine Tallon-Baudry, Paris, essais Folio, Gallimard, 2018, 727 p., Index des noms, bibliographie (hélas, pas d'index des notions), 14,9 €

David Vernon, Artificial Cognitive systems. A Primer, 2014, MIT Press, Boston, 266 p. Index (des noms et des notions). 40 $.

Cet ouvrage imposant peut servir de manuel et de carte pour s'orienter dans les multiples disciplines réunies sous le label général de sciences de la cognition. La lecture du sommaire seule (17 p.) donne le vertige : il s'agit donc d'un outil complet, d'une encyclopédie du domaine. Il sera utile aux étudiants mais aussi aux praticiens de la publicité dont ces sciences ne sont pas le domaine de prédilection. La plupart des chapitres recoupent des préoccupations actuelles de la publicité qu'il s'agisse principalement du ciblage sous toutes ses formes ou de l'évaluation des actions publicitaires (décision d'achat, attribution, performance, agrément, prédiction...). Beaucoup de chapitres seront également utiles à certains domaines du journalisme auxquels il apportera un peu de rigueur et de prudence (psychologie générale, santé, conseils aux parents, psychologie de l'enfant, etc.). L'évolution rapide de ce secteur scientifique impose une mise à jour régulière des manuels, défi pédagogique constant.

Quelque uns de ces chapitres :
- l'émotion
- l'intention
- la perception visuelle (computer vision)
- l'action (la rationalité)
- la personnalité et la personnalisation
- l'attention (distraction, multitasking)
- la mémoire (mémorisation, démémorisation, oubli)
- le langage, etc.

L'ouvrage commence par ce que Jean-Paul Sartre appelait "le sérieux" de la cognition, les données physiologiques : "de la molécule au neurone" puis des neurones au cerveau" chapitre qui se termine par un développement sur "le défi des neurosciences cognitives". Un chapitre complet est consacré au développement, un autre à l'évolution, puis à la perception visuelle, au langage, à la décision (apprentissage, rationalité), à la conscience, au raisonnement, à l'émotion, etc. La question éthique est également évoquée.
D'autres dimensions de la cognition peuvent être abordés par l'activité publicitaire, notamment la création. Comment la tester, l'évaluer ? Les réactions aux tests et enquêtes diverses (AB testing), le design des interfaces utilisateur (UI), la gestion des interactions, tout cela relève également, peu ou prou, des sciences de la cognition. Pensons encore à ce qu'apporte et qu'apportera le développement des capteurs portables (wearables divers et fitness trackers, sous forme de bracelets, d'adhésifs, etc.) capables d'enregistrer en continu (donc réduisant bientôt les biais) des données biologiques et biométriques (rythme cardiaque, sudation, tension, température, mouvement des yeux, niveau de cortisol, etc.) et de les analyser en temps réel ou presque. Ces capteurs devraient révolutionner l'observation indispensable à la compréhension de la cognition.

Devant l'ambition totalisante du livre, comment ne pas évoquer le traité des Passions de l'âme (1647) de Descartes, qui s'attaquait alors aux mêmes problèmes, avec les outils anatomiques et mécaniques de son époque. Mais aussi, plus près de nous, évoquer les ouvrages philosophiques de Henri Bergson sur les "données immédiates de la conscience", la mémoire, le rire ou encore les ouvrages de Jean-Paul Sartre sur l'émotion, l'imaginaire, l'imagination qui relevaient et relèvent encore en France du programme des cours de philosophie. L'espoir de comprendre la cognition, la pensée et sa relation au corps, est ancien (Aristote, Περὶ Ψυχῆς, De anima). L'âme a fait place aux neurones. Quelle sera l'étape suivante de cette histoire des sciences "psychologiques" ?

C'est pourquoi nous mentionnons un manuel universitaire qui met l'accent sur l'intelligence artificielle dans ses relations à la cognition : Artificial Cognitive systems. David Vernon part des sciences cognitives pour en dégager les paradigmes et le système (perception, apprentissage, anticipation, action, adaptation). Au terme de cette analyse, l'auteur passe à l'architecture cognitive puis à l'autonomie, notion clef pour la robotique. Avec la cognition artificielle, celle des machines qui apprennent, David Vernon examine ensuite l'articulation des concepts classiques, l'intention et l'attention (shared intentionsjoint attention) ou encore la mémoire et la prospective, la connaissance et la représentation. L'ouvrage se conclut par l'approche de la cognition sociale.

La confrontation de ces deux manuels permet de mieux situer l'ambition des sciences cognitives et ce qu'y apportent l'intelligence artificielle et les machines. Le lien des sciences cognitives avec l'intelligence artificielle est évident : données (capteurs), réseaux neuronaux, algorithmes, apprentissage, robots, etc.
D'Aristote à ces manuels, les sciences de la cognition ont changé de technique, allant de la philosophie générale à l'informatique en passant par les mathématiques (réseaux neuronaux, machine learning). Néanmoins, la question première de Descartes, celle de la relation de la liberté et de la volonté, reste omniprésente.
L'avenir des études et de la recherche publicitaires passe sans aucun doute par les sciences de la cognition. Ces deux manuels constituent un bon point de départ mais le détour par les textes philosophiques anciens donnera aux lecteurs une perspective féconde et prudente, circonspecte. 


Références
Aristote De l'âme, Paris, Les Belles Lettres, bilingue grec / français, index de quelques termes philosophiques grecs, 35 €
Aristote De l'âme, Paris, édition en poche GF Flammarion, traduction, présentation et annotations par Richard Bodéüs, 1993, 9 €
René Descartes, Les Passions de l'âme, prenez l'édition en poche GF Flammarion, présentée et annotée par Pascale d'Arcy, 1996.
et le commentaire par Denis Kambouchner, L'homme des passions. Commentaires sur Descartes, Editions Albin Michel, Paris, 1995, 2 tomes.

vendredi 8 septembre 2017

Au début était la première phrase


Laurent Nunez, L'énigme des premières phrases, Paris,  2017, Bernard Grasset, 198 p.

On entre dans les livres comme dans les œuvres musicales par la première phrase, après la couverture et divers paratextes qui précèdent et entourent le texte (effet de linéarité). On n'y entre pas comme dans un moulin. Et ces phrases premières ont de l'importance. Ce dont Laurent Nunez veut convaincre ses lecteurs.

L'énigme des premières phrases est consacré aux incipit, aux commencements. Ecrivain, journaliste, spécialiste de littérature, Laurent Nunez, décortique patiemment, mot après mot, les premières phrases de romans (Proust, Zola, Queneau, Perrochon, Flaubert), de poèmes (Aragon, Baudelaire, Apollinaire, Mallarmé), de pièces de théâtre (Racine, Molière). Le résultat est inattendu, brillant ; souvent même, le texte de Laurent Nunez ajoute à l'interprétation courante de l'œuvre avec des informations inattendues, des remarques irrespectueuses, malicieusement cuistres qui réveillent, révèlent le texte analysé.
Laurent Nunez décode, reconstruisant tout l'édifice de l'œuvre à partir des premières pierres. Parfois, on croit percevoir une ironie à peine retenue, comme s'il se moquait de ses lecteurs, de ses anciens professeurs peut-être, des commentateurs autorisés, de lui même, sans doute. "Comment (re)lire les classiques" proclame le bandeau. Pour mettre un peu d'ambiance, Laurent Nunez met en exergue des références plus ou moins subtiles à la chanson populaire : part exemple à propos des deux premiers vers d'Andromaque, "Requiem pour un con", dit l'épigraphe à la Gainsbourg. Francis Cabrel est évoqué par "Petite Marie" à propos de la servante évoquée par Baudelaire (l'épouse de Cabrel s'appelle Mariette, comme la fameuse servante) ; pour L'Etranger d'Albert Camus ("Aujourd'hui, maman est morte", Laurent Nunez cite "Allo maman Bobo" d'Alain Souchon ; puis Dalida ("Parole parole") pour Les faux-monnayeurs de Gide. A propos de Germinal de Zola, romancier naturaliste, on entend : "Y a le printemps qui chante", Claude François). "Besoin de personne" par Véronique Sanson) pour les Confessions de Rousseau, "Bienvenue sur mon boulevard" de Jean-Jacques Goldman (pour Bouvard et Pécuchet de Flaubert)... A vous de jouer, de deviner, de fredonner ; les juxtapositions peuvent être fertiles et heureuses qui tranchent avec les développements savants de l'auteur. Contact sympathique entre la culture légitime et l'illégitime.

"On lit toujours trop vite", telle est la leçon première de ces exercices de style. Nietzsche, qui se voulait "professeur de la lecture lente", l'a dit et redit : il faut ruminer... Voici des petits textes à lire lentement, en savourant chacune des phrases, épicées exactement. Ne lisons donc pas trop vite le livre de Laurent Nunez.
D'autant que c'est un plaisir, et que c'est plus sérieux, plus profond qu'il n'y paraît. C'est un livre sur le commencement, tout commencement, l'entrée en matière, l'origine, le premier moteur. C'est un livre bourré d'allusions de toutes sortes, triviales ou savantes, on peut jouer à les démasquer, les approfondir, les suivre.
La première phrase fonctionnerait comme l'armature de clef (les altérations) dans une partition, pour déterminer la tonalité du morceau, d'un texte... Lisant un roman, un poème nous n'y sommes pas assez attentifs. Il faut penser au Faust de Goethe, qui, traduisant le grec en allemand, hésitait : "Considère bien la première ligne, que ta plume ne se précipite pas" ("Bedenke wohl die erste Zeile, // Dass deine Feder sich nicht übereile !") ; il s'agissait de commencement, justement : Ἐν ἀρχῇ  ἦν  ὁ λόγος, "au début était... " (première phrase de l'Evangile de Jean). 

Parfois les premières phrases en disent long : voyons la première phrase du Manifeste, "Ein Gespenst geht um in Europa – das Gespenst des Kommunismus" ("Un fantôme rôde en Europe - le fantôme du communisme") ou encore Descartes qui commence son Discours de la méthode en posant : "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée".... Connaît-on les premières phrases ? Laurent Nunez donne envie d'aller en consulter d'autres : de Spinoza, L'Ethique : "Per causam sui intelligo id, cujus essentia involvit existentiam" ("Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l'existence". Ou de Guy Debord, La société du spectacle qui renvoie à la première phrase du Capital: "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles". Ou encore celle du Tractatus de Wittgenstein, "Die Welt ist alles was der Fall ist" ("le monde est tout ce qui arrive", traduit Pierre Klossowski)... A vous de chercher vos premières phrases préférées... Et il y aurait beaucoup à faire avec les traductions...
Pourquoi pas les dernières phrases ? Car, enfin, on ne commence pas toujours par le commencement. Parfois, il n'y a pas de commencement : quelle serait la première phrase des Pensées de Pascal ? Et les premières phrases des films ?
A propos, rappelons la première phrase du livre de Laurent Nunez : "Vers quel visage avez-vous souri pour la première fois ?"

Références
Louis Hay et al., Genèses du roman contemporain. Incipit en entrée en écriture, Paris, CNRS éditions, 2003.

lundi 16 novembre 2015

L'intelligence artificielle des passions de l'âme



Rosalind W. Picard, Affective Computing, Cambridge, The MIT Press, 292 p. 2000, Bibliogr, Index

Descartes voyait dans les émotions des "passions de l'âme" (1649), les effets de l'action du corps sur l'âme. Avec l'analyse des émotions et le "calcul affectif" (affective computing), l'analyse des expressions du visage est devenue une discipline scientifique recourant à l'intelligence artificielle pour déterminer l'humeur, les sentiments d'une personne.
Une telle connaissance, si elle est rigoureuse, peut donner lieu à de nombreuses exploitations commerciales, médicales, éducatives. L'humeur, bonne ou mauvaise, est-elle une variable discriminante du comportement du consommateur, de l'élève, des décideurs, des politiciens ? Que révèle-t-elle de la santé d'une personne, des risques de maladie, de son intention d'acheter ?

Pour celui qui s'émeut, l'émotion, disait Jean-Paul Sartre, est une "transformation du monde" (Esquisse d'une théorie de l'émotion, 1938) : en effet, dans l'émotion tout se mêle et se confond, la pensée (cognition), le corps et la conscience ; aussi l'émotion fait-elle l'objet d'une approche nécessairement interdisciplinaire, combinant à l'anthropologie les sciences cognitives, la robotique, le machine learning, l'oculométrie (eye-tracking ou gaze-tracking) et, bien sûr, la psycho-physiologie, où Jean-Paul Sartre situait le "sérieux de l'émotion" (observation des états physiologiques).
L'analyse de l'émotion fait l'objet d'un projet du MediaLab au MIT (Cambridge) au point de départ duquel se trouvent les recherches de Rosalind Picard, où elle est Professeur. Son ouvrage fondateur, Affective Computing, déclare un objectif que l'on peut résumer en quelques mots : pour les rendre plus intelligents, doter les ordinateurs des moyens de comprendre les émotions pour qu'ils puissent "avoir le sentiment de", voire même, "faire du sentiment". "Computers that recognize and express affect". Avec quels types de données faut-il les alimenter ? Quel rôle peut jouer l'internet des choses que l'on porte sur soi (capteurs, affective wearables) dans cette perspective ?

L'intelligence artificielle peut permettre d'approfondir la compréhension des émotions et des sentiments (feelings). Rosalind Picard met en avant de son travail la déclaration de Marvin Minsky (comme elle, Professeur au MIT auteur de The Emotion Machine et de The society of Mind) : il ne s'agit pas de savoir si une machine intelligente peut avoir des émotions mais si une machine peut être intelligente sans avoir d'émotions. On devine sa réponse.

L'ouvrage commence par l'étude du cadre intellectuel général de l'"affective computing", la description des émotions ; il débouche en seconde partie sur l'ingénierie propre à son développement, aux conditions de la reconnaissance automatique des émotions par un ordinateur.
L'analyse des visages et des émotions exprimées ("emotion recognition") repose sur quelques opérations essentielles à partir d'une base de données de visages, détection des visages, codage des expressions faciales ("facial coding"), catégorisation des émotions de base. Notons que cette catégorisation est sans cesse reprise depuis Descartes qui en distinguait, intuitivement, "six simples et primitives" (art. 69 du Traité des passions : admiration, amour, haine, désir, joie, tristesse), les autres émotions n'en étant que des compositions ou des espèces. L'affective computing devrait rendre possible une analyse plus objective, passive des émotions. Quid de la détection des sarcasmes ?
Le diagnostic final, l'identification d'une émotion, d'une humeur (mood) combine l'analyse de la voix et de celle des expressions du visage.
Science fiction ? On pense au film Ex Machina dont le personnage est un robot, alimenté par toutes données du Web, dont les photos des réseaux sociaux (micro-expressions mémorisées), capable de décoder les émotions humaines. Comprendre des émotions est une étape clé sur le chemin du test de Turing.

Les applications sont nombreuses et des entreprises vendent l'exploitation de l'analyse des émotions. Citons, par exemple, pour le marketing :
  • RealEyes qui se veut "the Google of emotions". Recourant à la reconnaissance faciale, il s'agit d'observer l'effet de stimuli marketing dans les points de vente : produits, agencement des linéaires, PLV. Utilisé par Ipsos.
  • Affectiva (dans laquelle a investi WPP) propose, en temps réel, des emotion analytics issus des travaux du MediaLab (MIT)
  • Innerscope Research (racheté par Nielsen) se réclame de la consumer neuroscience
  • Emotient quantifie l'émotion, l'attention, l'engagement pour prédire le succès d'un message publicitaire, d'une émission. Racheté par Apple en Juin 2016.
  • Virool analyse les émotions des utilisateurs de vidéo sur le Web (eIQ platform)
  • A titre d'exemple, signalons le projet européen de recherche SEMEOTICONS qui vise l'auto-surveillance à l'aide d'un miroir intelligent (wize mirror ou affective mirror) pour l'auto-diagnostic
  • Signalons encore l'analyse des émotions politiques lors des débats électoraux (cf. par exemple, au Canada en septembre 2015 avec le FaceReader du Tech3Lab de Montréal
  • La BBC étudie l'impact émotionnel de la publicité dite "native" avec CrowdEmotion.
  • Vyking recourt à la reconnaissance faciale pour cibler les consommateurs selon les émotions que manifestent les visages.
  • FacioMetrics (née en 2014 de Carnegie Mellon University) a été rachetée en novembre 2016 par Facebook.
L'ouvrage de Rosalind Picard a peu vieilli dans ses principales problématiques. L'hypothèse de l'universalité des émotions de base (cf. les travaux, discutables, de Paul Ekman) qui, pour partie préside à la catégorisation, reste à démontrer. Des travaux d'ethnologie devraient y pourvoir, mais aussi des travaux d'historiens (cf. l'ouvrage de Damien Boquet et Piroska Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l'Occident médiéval, 2015, Paris, Seuil, 475 p., Bibiogr., Index) ou celui, plus gloabal, de Jean-Jacques Courtine, Claudine Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions (XVIe - début XIXe siècle, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1988, 2007, 287 p.
Enfin, l'analyse de l'émotion doit être rapprochée de l'analyse de sentiments qui compte sur l'étude des expressions langagières pour déceler la tonalité positive ou négative d'un texte, d'un énoncé. 

mercredi 15 octobre 2014

La gestion selon Amazon, "the Unstore"


John Rossman, The Amazon Way. 14 Leadership Principles behind the World 's Most Disruptive Company, 2014, publié par Amazon, 10,09 $ (kindle)

John Rossman est un ancien cadre de Amazon et, assurément, un fan de son président et fondateur. De son expérience chez Amazon, il a retenu quelques principes de gestion qu'il expose dans ce livre : 14 principes soit 14 chapitres qui constituent le credo quotidien, le vade-mecum des employés et des cadres d'Amazon, voire, au-delà, peut-être un discours de la méthode, des règles pour la direction de l'entreprise numérique (ces 14 principes font allusion aux 14 "Points for Management" de Edward Demings, énoncés dans Out of the Crisis, 1986).
En annexes de l'ouvrage, certains aspects de ces principes sont détaillés et approfondis.

Le principe primordial pour Amazon se traduit par l'obsession du consommateur, du client, ce qui aboutit à l'importance du self-service conçu et préparé pour le client, aux interfaces client, et donc à l'innovation et à la simplification.
La culture de gestion d'Amazon accorde beaucoup d'importances aux décisions instinctives (gut) plutôt que calculées et pesées trop longuement ("bias for action"). Il faut y voir la crainte chez Amazon de la bureaucratie, de la hiérarchie, de la paralysie par l'analyse.
En termes d'intéressement et de motivation, cette culture Amazon favorise la participation (ownership principle), donc des stock options qui sont gages de longue durée plutôt que des primes et augmentations de salaire.

Amazon, comme la plupart des très grandes entreprises issues du numérique, a le culte des métriques, des analytics et du benchmarking, du suivi automatisé et quantifié des actions, des décisions : data et audit en continu, "accountability" d'abord, suivant le slogan fameux de Edwards Deming : "In God We Trust, All Others Must Bring Data". L'auteur parle de direction par les nombres ("leadership-by-the-numbers").
Parmi les grands principes, retenons encore la frugalité, l'auto-critique publique, la modestie en cas de réussite, l'insistance sur l'invention mais aussi l'obligation de discuter et tenir bon en cas de désaccord (challenge).
Soulignons encore l'importance accordée aux détails ("deep dive into the details") conjuguée à l'ambition presque démesurée ("Thing Big"). Chaque principe d'action semble ainsi contrebalancé, rééquilibré par un autre, opposé.

A noter, dans le chapitre 4, un développement sur le style de travail en entreprise. L'auteur y évoque notamment les textes préparant aux décisions chez Amazon ; ces textes doivent être rédigés complètement, avec phrases et paragraphes (narratives) pour pouvoir être lus en silence, en début de réunion, par chacun des participants. Donc pas de listes (bullet points) présentées selon un modèle PowerPoint. Pour réfléchir et se préparer à décider, pour expliquer, justifier et convaincre, rien ne vaut l'écrit. PowerPoint, dit Jeff Bezos, dont l'auteur cite souvent les maximes ("jeffisms"), stérilise la discussion : "reliance on PowerPoint presentations dumbs down the conversation".

Ces 14 principes forment ensemble un ouvrage clair, concis, qui suscite la réflexion : plus que de sciences de gestion, il s'agit de techniques, de pratiques, de recettes même, parfois. Beaucoup de bon sens dans ces principes illustrés d'anecdotes et d'exemples. Peu de théorie générale.
Un point essentiel n'est pas abordé toutefois : comment, pour Amazon, concilier "l'obsession du client" et le souci des salariés (cf. les conditions de travail sur les plateformes de logistique) ; comment concilier la qualité du service rendu aux clients et la qualité de vie de celles et ceux qui y travaillent ?

Pour compléter cet ouvrage, on se reportera avec profit à la biographie de Jeff Bezos, écrite par un journaliste, Brad Stone : The Eveything store. Jeff Bezos and the Age of Amazon, 361 p., Little Brown. and Company, 2013, 9,99 $ (kindle).
Après les bios du patron d'Apple et le film sur le fondateur de Facebook, le culte de la personnalité n'épargne décidément pas les chefs d'entreprise du numérique. Cette bio approfondit sur de nombreux points le fonctionnement de l'entreprise et illustre la minutie de sa gestion des clients.
En annexe, les livres préférés de Jeff Bezos ("Jeff's Reading List") parmi lesquels se trouve en bonne place la bio de Sam Walton, le fondateur de Walmart qui met l'accent sur le frugalité et l'importance de l'action (essais et erreurs).
Signalons encore la critique du livre ("customer review") publiée par MacKenzie Bezos (l'épouse de Jeff Bezos, témoin privilégié) ; elle évoque les risques narrratifs (narrative fallacy) de l'écriture de "non-fiction" (donc de l'écriture journalistique) et ses limites scientifiques. Son commentaire mérite de figurer dans les manuels !

jeudi 11 septembre 2014

La vie électrique : l'avenir au passé


Albert Robida, Le Vingtième Siècle. La Vie électrique, Paris, 1890, texte et dessins de l'auteur, La Librairie Illustrée, 264 p.avec gravures, disponible gratuitement sur le site de la BnF Gallica

Roman de science-fiction, qui décrit la vie en 1955 telle qu'on l'imaginait en 1890. A la fin du XIXème siècle, la technologie qui change le monde est alors l'électricité, nouveau paradigme. On lui attribue de futures prouesses technologiques dans les domaines des communications, des armes, des transports, de la culture, de la médecine... La célébration de la "fée électricité" sera reprise plus tard, de manière plus optimiste (tableau de Raoul Dufy, 1937,  "Texte sur l'électricité" de Francis Ponge, 1954).

Le héros du livre est un ingénieur auto-entrepreneur. A sa sortie de l'école (X), il lève beaucoup d'argent grâce à une "émission d'actions pour la mise en exploitation de 10 années d'idées" (ses idées). C'est sa vie, consacrée à l'électricité, et celle de ses proches qui constituent la trame du roman. En lisant cet ouvrage, on ne peut s'empêcher d'effectuer un parallèle avec la situation actuelle qui voit se rêver tant de miracles numériques.

«L'Électricité, c'est la Grande Esclave. Respiration de l'univers, fluide courant à travers les valves de la Terre, errant dans les espaces en fulgurants zigzags, rayant les immensités dé l'éther, l'Electricité a été saisie, enchaînée et domptée » déclare l'auteur.
Discours prophétique et promotionnel que l'on entendra, plus tard, à propos de l'électronique, du Web, des données massives (Big data)... Aristote déjà envisageait le remplacement de la main d'œuvre humaine par des machines (Politique, Livre 1, IV3 : "si les navettes tissaient toutes seules et les plectres jouaient de la cithare") ; Descartes voyaient les hommes se faisant "maîtres et possesseurs de la nature" (Discours de la méthode). La science-fiction ressasse ces intuitions.

Suppression des distances et présence virtuelle. « L'Électricité porte instantanément la voix d'un bout du monde à l'autre, elle supprime les limites de la vision". Le téléphonoscope (le "télé"), on dirait Skype, est partout ; il y des cours par téléphonoscope, on peut consulter les catalogue (télé-achat), les théâtres proposent des abonnements téléphonoscopiques, il y a des "photo-peintres". Il y a des "plaques" (écrans) partout.

Stockage et distribution du savoir et de l'information. La phonoclichothèque d'audio-livres ("phono-livres") réunit des éditions des grands auteurs, un dictionnaire mécano-phonographique, des manuels scolaires (y compris pour préparer le bac)... Les salles de spectacle vivant se vident puisque le spectacle vient à domicile, commercialisé sous forme de musique mécanisée : "on reçoit par les fils sa provision musicale" enregistrée (phonogrammes), que l'on peut écouter au lit sur un "musicophone de chevet".
Devant son siège, le journal a placé un grand téléphonoscope, vaste écran où il montre "l'événement à sensation" du jour ; il y a des Télés dans les magasins (DOOH). Les machines dicutent entre elles, les voix se répondant et argumentant comme si l'on avait passé le test de Turing. C'est le début de la domotique, de l'automation (taxis, "aérocabs"), de la commande vocale ("phono-calendrier"). Le Téléjournal apporte les nouvelles à domicile ("Gazette phonographique du soir et du matin"). Description à rapprocher de "La Journée d'un journaliste américain en 2889", nouvelle publiée par Jules Verne en 1889, exactement contemporaine de "La Vie électrique" et qui est sans doute inspirée des ouvrages d'Albert Robida.

L'auteur décrit les changements sociaux qui accompagnent la rupture technologique provoquée par l'électricité. Le principal changement concerne l'égalité des femmes et des hommes, "progrès immense", obtenu grâce à l'éducation ; des femmes participent à tous les pouvoirs, scientifiques, techniques, politiques, financiers...
Deuxième dimension du changement : la santé obligatoire grâce au "grand Médicament national" géré par un ministère de la santé publique.
D'où une troisième innovation sociale, les vacances. A cette fin, une région, la Bretagne, a été épargnée par le progrès technique : le Parc national d'Armorique est devenu un musée naturel de la vie d'autrefois, rurale et simple, avec la poste et le facteur, les fêtes et "la douceur du village", l'agiculture artisanale... Le présent (1890) apparaîtra donc dans l'avenir (1955) comme un paradis perdu où viennent se requinquer les "énervés" et les surmenés, "citadins lamentables"...

Tout n'est pas formidable dans cette utopie avec ses "serfs des enfers industriels rivés aux plus dures besognes", avec les villes privées d'arbres, polluées, embrouillées de câbles et de fils électriques ; la cuisine familiale remplacée par une alimentation livrée à domicile par tubes et tuyaux, "les ignorants   contraints d'évoluer dans une civilisation extrêmement compliquée, qui exige de tous une telle somme de connaissances, vont perpétuellement de la stupéfaction à la frayeur" (p. 35). Déjà, l'on voit poindre la crainte de la surveillance, les menaces sur la vie privée, la difficulté de gérer le temps, le stress, la fatigue chronique, les enjeux de l'intelligence artificielle...

Toujours de lecture agréable, ce roman du XIXème siècle illustre souvent avec finesse et humour, et non sans naïveté, les risques que font courir aux sociétés les progrès scientifiques et techniques. Ainsi, le Parc national d'Armorique, lieu idyllique des vacances,  estentretenu pour guérir des maux de la civilisation électrique, "barré à l'industrie, il est interdit aux innovations de la science". Le progrès mal encadré ravive une nostalgie rousseauiste (Premier discours). La société française du XXIème siècle n'est pas à l'abri de cette nostalgie...

Notons que l'ambition d'imaginer la vie à venir reste présente : ainsi en 2014, Géo Ado (cf. supra) publie un hors série sur "Ta vie en 2050" où sont évoqués les robots, les voyages, les sports... Lecteurs et lectrices de ce numéro auront 50 ans en 2050.

dimanche 24 août 2014

Service public TV. François Mauriac téléspectateur




François Mauriac, On n'est jamais sûr de rien avec la télévision. Chroniques 1959-1964, Edition établie par Jean Touzot avec la collaboration de Merryl Moneghetti, 2008, Paris, éditions Bertillat, 653 p. Index

Mauriac, prix Nobel de littérature (1952), a tenu une chronique TV, sorte de blog hebdomadaire, dans L'Express puis dans Le Figaro Littéraire. Toutes ces chroniques viennent d'être réunies en un volume, elles commencent avec la Cinquième République (1959) et s'achèvent fin novembre 1964 ; cet "enfant de la télé", consciencieux et enthousiaste, a 80 ans.
L'ouvrage séduit par la fraicheur des points de vue, la lisibilité : pas de langue de bois, de clichés ; pas de soumission aux modes intellectuelles, pas de complaisance pour les pouvoirs. Discrètement iconoclaste. La télé couverte par les "téléchroniques" est celle des débuts : noir et blanc, une chaîne (la seconde est inaugurée en avril 1964, six mois avant la dernière chronique). Peu de foyers possèdent alors un "poste" : 10% en 1959, 40% en 1964. En 1959, cette télévision diffuse 52 heures de programmes chaque semaine, dont une moitié en directe. 1959, c'est l'année de naissance de Télérama et de Télé 7 jours. Un média de masse s'invente et segmente.

Que retenir de ce que Mauriac retient de ces premières années télé, comment tirer profit de cette double mise à distance, celle du romancier, celle d'un demi siècle d'histoire télévisuelle ?
  • Télévision sans surprise. Déjà vu. Mauriac s'insurge quand la télévision piétine, ne faisant que redire ce qui a déjà été répété ailleurs ... notamment en matière d'information. Il souligne la rareté des "coups d'éclat" et la routinisation de l'offre de télévision : " Ce qu'on nous donne est honnête, du tout venant, sans surprise..." (p. 565, note de juillet 1964). Comment positionner un média dans un univers d'information continue ? Quel modèle économique pour échapper à la répétition, maîtresse d'opinion et d'indifférence : "Le pire danger de la TV, il faut le dire, c'est l'usure des meilleures émissions" (p. 265). Faut-il surprendre le téléspectateur ? Faut-il tant de télévision ? 
  • Que la télévision s'oublie, comme le reste. Vanité des vaniteux qui s'y bousculent, "people" qui bientôt ne seront  plus personne... "Ex-fan des sixties // Que sont devenues toutes tes idoles"... Et des politiciens qui courtisaient cette télé du pouvoir, à part De Gaulle, il ne reste rien. Des journalistes, rien. Des variétés, quelques uns, quelques unes ...
  • La télé, ce sont des visages, des regards. Comme Emmanuel Lévinas qui parlait d'épiphanie (cf. Totalité et infini, Section III, "Le visage et l'extériorité"), Mauriac souligne la transcendance des visages : ni la caméra ni la télévision ne l'altèrent. Que pensait Lévinas du visage télévisé, object technique, réifié, coupé d'Autrui, dés-interactivé donc ?
  • Que le média est parfois plus déterminant que le message, qu'il faut donc être à l'affût des modes d'usage, plutôt que des modes d'emploi. Que le téléspectateur est libre... McLuhanisme intuitif qui insiste sur les déterminismes techno-logiques souples (flous ?) du média (effet des horaires, des formats d'émissions, de la consommation familiale, etc.).
  • Si l'on n'y prend garde, la télévision "tend vers le bas"... A qui d'allumer des contre feux ? A l'école d'élever ? Comment faire passer des émissions difficiles aux grands publics : pas d'allusions, pas de connivences cultivées, recommande un Mauriac brechtien. Quelle didactique mettre en oeuvre (p.72) qui ne tue l'oeuvre ni ne rebute le téléspectateur ? La télévision publique a une mission culturelle : quels styles correspondent à cette mission ? A ces questions, des réponses manquent encore. 
  • De l'adaptation des oeuvres littéraires à l'écran télévisuel : réflexion sur l'écart pour un même contenu entre les médias, ce que l'on sous-estime toujours (Balzac ne passe guère l'écran, tellement appauvri). Mais s'agit-il des mêmes contenus ? La télé peut aussi raviver les classiques, leur donner une autre vie : Le Cid (Corneille), Les Perses (Eschyle), Musset, Ionesco, Marivaux en profitent. Mais il y faut beaucoup d'innovation. La télé appelle d'autres mises en scène, une autre manière de voir le théâtre (p. 346). "A quoi sert de téléviser des décors ?"
  • Que la relation de la télévision à la durée est incertaine. Risque de saupoudrage, de papillonnage quand il faudrait approfondir, insister. Mauriac dénonce le montage d'interviews en guise de réponse, facile et vide, à une question (p. 344), micro-sondages et micro-trottoirs qui alimentent l'opinion et ne pensent pas. Que le temps de la télévision n'est pas celui du roman ou du théâtre : quelle durée pour quel type de programme ? La question des formats est ouverte depuis cinquante ans ; Web et téléphonie mobile y pataugent à leur tour ...
  • De la difficulté de réunir la famille devant la télé, en une "écoute conjointe" (p. 206), que rassemblaient le spectacle de cirque ("La Piste aux étoiles"), certaines dramatiques, des films. Remarque qui rappelle que le problème de la structure des audiences ne naît pas de l'accroissement de l'offre mais de la logique sociale des consommations.
  • Certains genres sont insupportables à la télévision : "le propre de la télévision serait précisément de tordre le cou à la conférence" (p. 203), et pourtant, les conférenciers n'y manquent pas ! La télé grossit les grimaces des parleurs, et des interprètes (chanteurs, instrumentistes, etc.). Problème encore des visages et du gros plan. Nombreuses remarques de Mauriac sur la caméra qui accable, le maquillage qui enlaidit (problème aggravé par la HD), et les miracles télévisuels parfois. 
  • La télé se laisse aisément aller et flatte les pouvoirs. Exemple : Mauriac évoque une émission littéraire où Papon, alors préfet de police, dissertait de Descartes et de vie intérieure ! A l'époque, Papon, triomphant, n'a pas encore été condamné pour complicité de crimes contre l'humanité : il faudra attendre 1998. Le Canard Enchaîné sauva l'honneur des médias. Pour parler de Descartes, il y avait de grands professeurs, Alquié, Desanti, Guéroult, Lévinas... Dont certains furent aussi Résistants. 
Il y a 50 ans, les notations de Mauriac suscitaient des interrogations sur les principes de gestion propres à un service public de télévision. Quelle stratégie pour maintenir l'exigence d'innovation continue malgré la propension au remplissage, à la répétition, malgré le risque d'usure ? Quelle esthétique pour concilier audiences populaires et programmes de qualité ? Quelle organisation pour digérer les incessantes remises en chantier imposées par les innovations technologiques (taille et format des écrans, définition, interactivité, télécommande, etc.) ?

Dans le filigrane des chroniques, circule la question de l'évaluation des auditoires. Mauriac la pose dans les termes du critique, de l'écrivain. Traduisons la en termes techniques. Pour apprécier le service public, le contact / seconde paraît inapproprié.
Pourquoi ne pas recourir à une audience cumulée calculée sur une longue durée (un mois ?) et à partir du quart d'heure (au moins, au lieu de quelques fatidiques secondes).
Doit-on évaluer la télévision choisie comme la "télévision tapisserie", vue en passant, télévision involontaire ?

mardi 29 avril 2014

Tout sur le test de Turing


The Turing Test. Verbal behavior as the Hallmark of Intelligence, edited by Stuart Shiber, Bradford Books, 28,79 $ (kindle), 2004, 336 p., Bibliogr, Index

Voici une anthologie de textes centrés sur la question de l'intelligence des machines, la confrontation de l'intelligence humaine - naturelle - et de l'intelligence artificielle (IA). Les vingt textes réunis ont été écrits ou traduits en anglais.
Au début, se trouvent des textes français du XVII et XVIIIèmes siècles sur les "animaux machines" et les "automates" (René Descartes, le chapitre 5 du Discours de la méthode où l'idée du test de Turing est implicite) et "l'homme- machine" de La Mettrie. Descartes déjà pose que le langage et la raison distinguent les humains des automates et autres "machines mouvantes".

Ensuite vient le texte clef, publié par Alan M. Turing en 1950 dans la revue Mind : "Computing Machinery and Intelligence" où est proposé le célèbre "test de Turing"qui permet de distinguer un humain d'une machine. Puis viennent des textes de Turing lui-même sur le même thème.
Enfin sont proposés des textes de différents auteurs, de différentes disciplines, discutant le principe du test et ses conséquences philosophiques. Peut-on ou non construire une machine capable de passer ce test ? Débat mobilisant des linguistes (John R. Searle, Noam Chomsky), des logiciens, des psychologues (D. Dennett), des informaticiens, etc. Des questions philosophiques classiques sont abordées de manière rigoureuse, moins métaphysique que d'habitude, dont, par exemple, la canonique question : "Qu'est-ce que penser ?" à quoi font écho les questions de Turing ("Can a computer think?") ou de Daniel Dennett ("Can Machines think") ? On est loin du "Was heisst Denken ?" de Martin Heidegger.

Cet ouvrage copieux a le mérite de réunir en un seul volume toutes les pièces d'une discussion qui n'a pas cessé depuis la publication de Turing sur le test. Avec son index et son abondante bibliographie, l'ouvrage est commode et constitue un bon outil de travail et un manuel utile. Peut-être est-il temps de mettre ce débat à jour alors que l'intelligence artificielle s'installe au coeur des développements numériques actuels et de leurs limites : automatisation, machine learning, deep learning, personnalisation, recommandation, analyse sémantique, reconnaissance faciale ou vocale, traduction automatique, big dataetc. La question de Alan M. Turing - une machine peut-elle penser ? -  reste entière, même dans sa reformulation optimiste par Ray Kurzweil (The Singularity is Near, 2005).

dimanche 15 décembre 2013

Pasolini : langue de la télévision, langue de la région, langue de l'école

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Pier Paulo Pasolini, La langue vulgaire (Volgar' eloqio), 1976, 2013 pour l'édition française (traduction de Felicetti Ricci), Editions La Lenteur, Paris, 58 p. 8 €

Pasolini, cinéaste, se revendiquant marxiste, pourfend la télévision et l'école à l'occasion d'une réflexion sur le statut des langues régionales d'Italie. Pasolini n'y va pas par quatre chemins : il faut abolir la télévision et l'école secondaire.

Cet ouvrage, dont le titre fait penser à Dante Alighieri et à son De vulgari eloquentia (1305), est la transcription d'une discussion de Pasolini avec des enseignants et des élèves, sur le thème "Dialecte et école", le 21 octobre 1975, quinze jours avant son assassinat. Avec la question du dialecte (appelle-t-on dialecte tout ce qui n'est pas langue nationale, langue d'Etat ?), on touche à celle de la culture populaire : n'est-elle qu'une culture de classes dominées, subalternes ? La culture populaire est-elle devenue culture télévisuelle, culture des séries et du foot, du journal télévisé, des jeux et de la publicité, culture contre laquelle l'école est fatalement impuissante car à son idéal humaniste "s'oppose toute une vie, toute une existence, une famille, une télévision, un sport, le motocyclisme, le sport automobile" (p. 44). La question n'est-elle pas plutôt celle du risque de connivence entre culture scolaire et culture télévisuelle, là où il faudrait de la part de l'école une divergence critique délibérée, assumée ? L'école pour comprendre la télévision ou l'école comme antidote à la télévision ?

L'intérêt de ce bref ouvrage est d'abord dans la méthode de pensée socratique mise en oeuvre, une sorte de maïeutique pour aborder et rafraîchir une question usée et hypersensible, pour échapper à la langue de bois politicienne. Rupture presque épistémologique que permet le dialogue plus que l'exposé monologue. Comment s'évader des clichés que le discours politique accumule, accumulation qui fonctionne comme une censure ? Comment reconnaître l'impasse, au moins provisoire, d'une discussion aporétique, sans s'y décourager ?
Ensuite, l'intérêt du texte est dans sa violence rhétorique, décapante. Enonçant la centralisation culturelle et linguistique comme un fascisme, Pasolini dénonce dans la télévision et le consumerisme, les responsables d'un génocide culturel et linguistique en Italie : les citoyens, devenant consommateurs avant tout, abandonne leur langue régionale. Et qu'abandonnent-ils avec cette langue ?

Mais rien n'est simple, une fois le temps passé. L'école n'a-t-elle pas été "libératrice" avant que d'opprimer ? Comment dépasser, et vers quoi, "l'italien de la télévision", langue totalitaire ? Quelle place pour les langues régionales, à la télévision comme dans l'enseignement ? Jusqu'où retourner en arrière, que faut-il conserver ? Jusqu'où peut-on / faut-il être conservateur ? Peut-on changer les pratiques langagières par décret ?
Les problèmes ouverts par ce livre restent entiers quarante ans plus tard, d'autant que, au rapport langues régionales / langue nationale s'ajoute désormais (se substitue ?), homologue, un rapport langues nationales / langue internationale (la koiné que devient l'anglais). Voici à nouveau qu'il faut distinguer, comme le faisait le Descartes du Discours de la méthode, la langue des précepteurs et celle de son pays ("langue vulgaire").

Citons pour finir quelques vers du poème qui lance cette discussion (le troisième vers est une citation du poète suisse Giorgio Orelli) et installe, comme tonalité du dialogue, la proximité affective de la langue régionale, langue maternelle et langue-mère, langue de la nostalgie. Penser à La Rochefoucauld : "L'accent du pays où l'on est né demeure dans l'esprit et dans le cœur, comme dans le langage" (Maximes, 342)

"La langue vulgaire : aime-la.
Prête l'oreille, bienveillante et phonologique,
à la lalìa/ au murmure ("Che ur a in / Quelle heure est-il ?")
qui s'élève des profondeurs des midis,
entre les haies séchées,
dans les Marchés  -- qou les Foires aux bestiaux --
dans les Gares -- entre les Granges et les Eglises--"



Sur la langue et sa "pollution" :
Sur Dante : De l'éloquence en vulgaire. Traduction et commentaires sous la direction d'Irène Rosier-Catach, Paris, Fayard, 2011, 400 p. (texte latin et traduction)

jeudi 15 août 2013

L'article "Encyclopédie" : questions pour Wikipedia

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Denis Diderot, Encyclopédie, présenté et annoté par Jean-Marie Mandosio, éditions de l'éclat, Paris, 2013, 156 p., Index

Edition annotée de l'article "Encyclopédie" qui fut publié en 1755 dans le tome V de L'Encyclopédie. Diderot travaille à L'Encyclopédie depuis déjà dix ans quand il rédige ce long article qui est une réflexion critique et auto-critique sur ces années, sur la méthode mise en oeuvre et sur les limites du travail effectué : "Il y aura toujours des défauts dans un ouvrage de cette étendue" (p. 152).

L'originalité première de L'Encyclopédie est d'être une entreprise collective, par conséquent une formation de compromis. "Entreprise" est d'ailleurs à prendre au sens économique du terme avec ce qu'il implique de gestion, de finances, de stratégie, de marketing, de publicité, de ressources humaines... Diderot, qui est devenu de facto chef d'entreprise privée, souligne les contraintes de gestion qui pèsent sur la fabrication de L'Encyclopédie. Ainsi, il évoque la notion de durée, le respect si difficile du calendrier, des délais et le nécessaire "empressement économique", la longueur à attribuer à chacune des parties (L'Encyclopédie dépassera de beaucoup en longueur les prévisions annoncées), la vitesse d'obsolescence des savoirs, leur vulgarisation, les corrections et les changements qu'il faut anticiper pour de prochaines éditions... Et de reconnaître l'aspect pragmatique de la gestion de l'ouvrage : "On se tire de là comme on peut" (p. 145) et de saluer, pour finir, après le travail des auteurs, celui du typographe et de l'imprimeur.

Le mode d'exposition de L'Encyclopédie est mixte : alphabétique par commodité, encyclopédique pour "enchaîner" des connaissances, articulé par des renvois. Ce mode d'exposition est à lui seul un mode de penser des Lumières : critique, contradictoire, polémique (les renvois), provisoire (les savoirs s'accroissent, ils évoluent, la science comme l'opinion) ; Diderot mène tout au long de cet article une réflexion sur la méthode, sur le cheminement du savoir autant que son exposition : la notion d'enchaînement est centrale, le terme revient sans cesse (on pense aux "longues chaînes de raison" de la méthode cartésienne). La notion de "renvoi" (de choses, de mots), participe de la méthode, elle en constitue un outil essentiel, système nerveux de l'exposition dont l'objectif ultime et constant, rappelle Diderot, est "de changer la façon commune de penser" (p. 93). Les renvois forment l'architecture raisonnée d'un maillage qui multiplie et féconde, en les croisant, les informations et les idées associées.

Dans son introduction, Jean-Marie Mandosio invite ses lecteurs à confronter l'ambition de Diderot à celle de Wikipedia où il ne voit que "gigantesque poubelle en réseau" à laquelle manquent l'enchaînement et la méthode. Dommage qu'il n'approfondisse pas cette opinion.
Ainsi, la lecture de l'article "Encyclopédie" suscite-t-il une occasion de penser les conséquences des supports matériels et de leur ergonomie sur la pensée. Comment pense-t-on - et ne pense-ton plus - lorsque l'on pense et travaille avec Wikipedia ? Question que devraient aborder les enseignants avant de livrer leurs élèves tête et idées liées à Wikipedia.
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