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mercredi 10 décembre 2014

La télévision française, images d'autrefois


Patrick Mahé, La télévision autrefois, Paris, Editions Hoëbeke, 2006-2014, 168 p., 12,9 €

Ceci n'est pas une histoire de la télévision. C'est, à l'aide d'images, une évocation de la télévision française depuis ses débuts, vers 1950, jusqu'aux années 1980. Période que domine presque exclusivement une télévision de secteur public et, dit-on, de service public. L'ouvrage commence après les années de collaboration avec les nazis et arrête son évocation un peu avant le lancement de chaînes privées commerciales en France : Canal Plus en 1984, TV6 en 1986 et la privatisation de TF1 en 1987.
Ce siècle avait 50 ans. On repère le virage des années 1960 : la télé passe à la couleur (1967), la publicité débarque en 1968 ("Du pain, du vin et du Boursin"), le magazine Télé 60 devient Télé 7 Jours. Plutôt qu'un livre d'histoire, c'est plutôt un livre de beaux souvenirs comme s'il avait été composé pour ou par des téléspectateurs nostalgiques. En huit chapitres, des photos, quelques anecdotes, on parcourt ce qui reste de la mémoire de la télévision. On en a chassé tout le négatif, la censure, le monopole, le contrôle de l'Etat, etc.

D'abord les emblêmes : les speakerines, potiches que le féminisme aurait pu dénoncer, le téléviseur qui rassemble la famille au salon ou à la cuisine, la pendule qui ne tourne pas rond, le petit train et son rébus, en attendant, les habillages d'antenne... Ensuite, on traite l'information, le 20 heures et ses hommes troncs, JT qui paraît dès juin 1949 et ne dure alors qu'un quart d'heure, à 21 heures ; le merveilleux "Téléchat" raillera gentiment le rituel d'infos qui, d'année en année, s'est installé. "Cinq colonnes à la une" et puis les élections, les candidats ; parmi eux, De Gaulle, acteur formidable du théâtre politique. Pour le rire et les jeux, l'ouvrage évoque le cirque avec "La Piste aux étoiles", "Les Shadocks" (mai 1968) ; pour les variétés, l'Eurovision, le Petit Conservatoire de Mireille, Discorama, Jean-Christophe Averty... Les émissions de jeunesse pour "Bonne nuit les petits", "Le manège enchanté", Thierry la Fronde, "Les chevaliers du ciel", Goldorak et Dorothée. "Laissez-les regarder la télé", dira-t-on !
La "culture" a-t-elle sa place à la télé ? Peut-être, avec "Lectures pour tous" ou "Apostrophes", avec "Au théâtre ce soir", ou "Les Perses" d'Eschyle, si fameux. Un chapitre sur les séries, la plupart américaines, déjà, mais il y a toutefois "Maigret", "Belphégor", "Les saintes chéries", "Vidocq"... Un chapitre sur le sport pour finir : le Tour de France d'abord qui se terminait depuis 1948 par l'entrée triomphale au Parc des Princes, alors temple des sports populaires, le football avec les Verts et le stade Reims, les JO de Grenoble, le catch...

Toutes ces émissions avaient deux vies : une vie en direct, sur rendez-vous, puis une vie sociale, ensuite ; sans Facebook ni Twitter, ces émissions meublaient les conversations, les imaginaires, les jeux des enfants, les rêves aussi. Etoffe des vies quotidiennes.
Le livre donne l'image, peut-être fantasmatique, d'une France unie par sa télé qui fédère la majorité de la population en de nombreux grands spectacles. Télévision pour tous qui n'a pas l'obsession publicitaire du ciblage qui sépare et trie ; cette télévision inculque à tous sa grille, son emploi du temps, l'heure des repas, du coucher... Pas plus qu'aujourd'hui, elle ne faisait pas l'élection mais elle donnait à tous un contenu de référence, de quoi débattre à table, au bistro, à l'usine ou au bureau.
Télé dénoncée dès ses débuts, mal-aimée par les enseignants, les "intellectuels" (elle "tend vers le bas"), les politiques (surtout lorsqu'ils perdent les élections). Télé que l'on aime détester. Quelques voix discordantes ; lucide, Louis Porcher vante "l'école parallèle" (1973).

Durant cette période, qui semble pré-histoire, des formats télévision se mettent en place, souvent hérités de la radio, des genres télévisuels, des cadrages, des personnages, des rôles (le présentateur, l'animatrice, le journaliste sportif ou météo, l'artiste de variétés, le reporter), des rhétoriques aussi ; beaucoup de ces codes et métiers ne passeront pas le siècle et seront balayés par l'abondance télévisuelle, puis par le numérique, par YouTube ou Facebook. Queques uns subsistent, inchangés... Ce livre d'images raconte une première rupture télévisuelle, la deuxième rupture est en cours...


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samedi 22 février 2014

Une histoire américaine du Web


"We live in public", A film by Ondi Timoner, dogwoof dvd, 90 mins. Présenté et primé au Sundance Film Festival, 11,69 €

Ce documentaire de Ondi Timoner raconte une histoire du Web à ses débuts. Le fil rouge en est une approche biographique de la vie d'un des premiers héros de l'Internet, Josh Harris (créateur de Jupiter Communications, de Pseudo.com), aujourd'hui oublié tout comme MySpace, Mosaic, Delphi, Compuserve, Netscape (sic transit...). C'est une histoire de la WebTV, du chat d'avant le haut débit et le Wi-Fi et de la bulle Internet de l'an 2000. Période euphorique et visionnaire.
C'est aussi, de facto, une histoire des débuts de la télé-réalité avant qu'elle ne soit domestiquée par la télévision commerciale (cf. "Loft Story" sur M6, avril 2001).
C'est enfin un début de réflexion, en acte, sur la vie privée et son érosion avec le Web. On y conclut, un peu vite peut-être, que tel est le monde que nous prépare Facebook, si l'on s'y laisse aller.

Le coeur de l'histoire évoque une période de six mois durant laquelle Josh Harris vécut avec sa compagne sous l'œil de caméras de surveillance, dans un appartement new-yorkais. Plus aucune intimité : les caméras sont partout, allumées tout le temps. En même temps que le site diffuse les images de cette vie qui passe, des web-spectateurs curieux et voyeurs, en commentent les exhibitions.
Rien ne résiste à une telle expérience éthologique, infernale : car l'enfer, c'est bien les autres, réels ou virtuels. Enfer totalitaire qui indique que l'intimité, le secret, c'est la résistance, la liberté : pour vivre heureux, aujourd'hui, ne faut-il pas vivre caché, à l'abri des réseaux sociaux ? Question à laquelle chacun est désormais confronté. Big Brother, c'est nous aussi, pas seulement les autres (cela dit pour qui se lance sur "les traces de Big Brother").
La réalisatrice a monté des extraits de cette expérience avec des interviews de contemporains, et de Josh Harris, qui, après cette expérience, partira cultiver son verger avant d'aller vivre en Ethiopie.

Ondi Timoner est actuellement associée à un projet d'histoire contemporaine du Web diffusée sur le Web, histoire d'innovation, de ses entrepreneurs, de ses échecs et de ses succès : "ATD. A Total Disruption. Smarter, faster together". Cela semble plus un travail de documentaire et de journalisme que d'historien, faisant une large place au people et au culte des personnalités du Web qui s'y prêtent avec délice. Que peut-on attendre du Web pour l'histoire du temps présent et son historiographie ?