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mercredi 4 janvier 2017

Smart City ? Rome, ville intelligible



Ida Ostenberg, Simon Malmberg, Jonas Bjornebye et al., The Moving City. Processions, Passages and Promenades in Ancient Rome, Bloomsbury Academic, London, 2x015-2016, 361 p. , Bibliogr., Index, 35 €

Que peuvent apporter les travaux d'historiens de Rome aux réflexions des urbanistes contemporains ? L'ambiguité du titre "moving city", ville qui bouge, ville émouvante est tout un programme ?
Comment les habitants de Rome vivaient-ils leur ville ? Comment Rome était-elle parcourue ? Comment se lit une ville ? Quelle sémiologie peut rendre compte de la mobilité urbaine ? Des spécialistes de Rome, latinistes, archéologues, historien-nes de l'antiquité ont collaboré à cet ouvrage qui réunit 18 contributions consacrées aux déplacements à Rome, déplacements observés de différents points de vue par différentes disciplines.

La première partie évoque les déplacements des élites sociales et politiques dans la capitale, l'impératrice (Livia), les ambassades, délégations, dignitaires étrangers, les chefs militaires ; tous ces mouvements remarquables, rituels, sont mis en scène précisément ; ils sont effectués pour être remarqués, exhibant leurs escortes de licteurs et leurs costumes. Représentations des pouvoirs (pompae), ces déplacements gèrent la visibilité sociale, la société du spectacle politique.

La seconde partie examine les déplacements tels que les ont traités la littérature et la langue latines : Horace (Satires), Virgile, Properce, Ovide, Catulle...  Diana Spencer analyse le traité de Marcus Terentius Varro sur la langue latine (De lingua latina), auteur dont elle est spécialiste. Varro (116-27 avant notre ère) accordait une grande importance aux étymologies et étiologies des termes topographiques (murus, oppidum, moenia, urbs, porta, via, vicus, forum, pinnae, etc.) et à la relation entre les termes (connotations, corrélations). On n'est pas si loin des hypothèses présidant au clustering (Natural Language Processing, NLP). Ces proto-clusters, tout comme les déclinaisons, structures invisibles aux locuteurs, situent la géographie vécue par les Romains, ils l'inculquent aussi : pensons à la rythmanalyse, notion empruntée à Henri Lefebvre et à sa poétique de la ville.

La troisième partie traite de processions et de défilés : processions religieuses chrétiennes, triomphes militaires et politiques (celui d'Auguste, ceux des généraux vainqueurs). Les itinéraires des processions s'imposent à la ville, la ponctuent d'églises et d'autels, construisant le plan du cheminement de pélerinages futurs.

Le dernier chapitre est consacré aux transformations de l'urbanisme, comment les habitants incorporent la géographie de leur ville et la redisent pas à pas dans leur déplacements ; capital structuré et structurant, la ville constitue un capital informationnel que mobilisent ses habitants, ses visiteurs dans leur vie quotidienne.

L'objectif global des différents chapitres de l'ouvrage est de mieux comprendre les déplacements en les analysant comme des interactions entre population et monuments (cityscape). La ville détermine les déplacements par sa topographie et ses constructions. Les déplacements de la population relient les quartiers et les monuments. La ville se donne à lire. Cette approche par l'espace se substitue à l'approche traditionnelle qui mettait l'accent sur l'architecture et la topographie. Les déplacements sont à comprendre comme une communication : affirmation de pouvoirs, de hiérarchies, de concurrence, statuts. Par exemple, l'inaction, la lenteur se lisent comme signes de puissance, la vitesse trahissant souvent la faiblesse.

Malgré les apparences, l'actualité de ce travail multi-disciplinaire est indéniable ; il s'agit de rendre la grande ville, la capitale, intelligible.
On peut penser à la narration de Federico Fellini pour son film Roma (1972), ou aux déambulations de Louis Aragon dans son roman Le Paysan de Paris (1926), toutes reconstructions d'espace vécu (Armand Frémont, 1976).
Quelles idées fécondes de telles études qualitatives peuvent-elles suggérer aux travaux sur la ville intelligente (smart city) mis en œuvre à partir de la data et de l'Internet des choses (data driven) ?

Voici un grand livre, qui dépayse et dépoussière la réflexion sur la ville, assurément.

vendredi 6 mai 2016

Eichmann, retour sur l'événement médiatisé à Jérusalem


Sylvie Lindeperg, Annette Wieviorka, Le moment Eichmann, Paris, Albin Michel, 302 p. 2016, 20 €.

Dirigé par deux universitaires, cet ouvrage collectif regroupe 12 contributions issues pour partie d'un colloque qui s'est tenu à Paris en juin 2011. Son objet est précisément délimité : "la médiatisation du procès et sa postérité, notamment cinématographique".
L'ensemble constitue une réflexion très riche où s'entremêlent et se conjuguent des éléments de philosophie juridique et morale, politique aussi.

La médiatisation est tout d'abord le fait de la radio publique en Israël-même (Kol Israël, la "voix d'Israël") ; pour le public israélien, la radio fut en effet le principal média du procès, c'est elle qui en fit un événement médiatique de masse, grâce aux diffusions en direct.

Aux Etats-Unis comme en Allemagne, l'événementielisation fut le fait de la télévision.
Un chapitre est consacré à la manière dont la télévision américaine couvrit le procès. La retransmission du procès a été conçue aux Etats-Unis selon les codes narratifs d'une série télévisée, transfigurant en personnages les acteurs du procès (les témoins, le public, les interprètes, l'accusé).
Le livre consacre aussi un chapitre à la retransmission du procès en Allemagne fédérale : 36 émissions de télévision d'une demi-heure ("Eine Epoche vor Gericht", "une époque en procès"). Le procès et la représentation de la Shoah en URSS sont également étudiés.
Enfin, Marie-Hélène Brudny apporte un retour critique sur le travail de Hannah Arendt qui donna lieu d'abord à des articles dans le magazine américain The New Yorker puis à un livre au sous-titre devenu fameux sur la "banalité du mal" (Eichmann in Jerusalem. A Report on the Banality of Evil, 1963-1964). L'auteur étudie d'abord les notes de travail de Hannah Arendt, avant d'analyser la réception du texte ("conditions de préparation, d'écriture puis de publication"). Le travail de Hannah Arendt doit beaucoup à la presse internationale dont elle ne manque pas de souligner la qualité journalistique et documentaire, de niveau très supérieur à la façon prétentieuse dont, selon elle, le procès a été traité dans livres et revues (par des auteurs universitaires ?).

L'ouvrage analyse le procès comme la construction d'un événement médiatique mondial. La presse internationale est présente. Le procès qui se déroule en allemand et en hébreu est traduit en anglais. Comme à cette époque, Israël n'a pas de télévision, le procès est filmé intégralement sous la direction de Leo Hurwitz par une équipe de Capital Cities, groupe de télévision américain (qui sera racheté par ABC puis Disney). Cf. The Eichmann Trial, sur YouTube). Ce seront les uniques images de référence du procès (utilisées entre autres dans le film de Margarethe von Trotta, "Hannah Arendt", 2012).
Le livre mentionne méticuleusement les contraintes techniques de la couverture internationale du procès (standards vidéo incompatibles, emplacement des caméras, angles de prises de vue, mouvement des caméras, montage à la volée, éclairage) ; on évoque aussi les dimensions linguistiques de la couverture (traduction séquentielle et non simultanée, doublage, choix des voix, etc.). Cela vaut-il distanciation ?

Les quatre derniers chapitres sont consacrés à l'analyse du traitement du "moment" Eichmann par le cinéma. On pourrra y ajouter un film récent, "Der Staat gegen Fritz Bauer" (l'Etat contre Fritz Bauer, titré en français "Fritz Bauer, un héros allemand") ; ce film de Lars Kraume (2015) raconte la recherche obstinée que mènera un juge allemand pour retrouver Adolf Eichmann, l'un des responsables pour l'administration allemande de la Shoah. Entravé par la justice allemande qui protège encore les nazis, le juge Fritz Bauer fait appel au Mossad, services secrets israéliens, à qui il révèle où trouver Eichmann : le Mossad capturera Eichmann en Argentine, où il se cache, et le ramènera en Israël où il est jugé, de mai à septembre 1960.

Les auteurs se réfèrent fréquemment au procès de Nuremberg (1945) comme exemple canonique de procès de crimes contre l'humanité. Plus récemment, on peut évoquer le "procès d'Auschwitz" à Lüneburg en 2015 (cf. infra : Die letzten Zeugen. Eine Dokumentation). Mais il faut aussi évoquer "Die Vermittlung", la pèce de Peter Weiss ("L'instruction", sur le procès d'Auschwitz à Francfort, 1963-1965).

Berlin, Reklam Verlag, 2015, 277 p. 12,95 €
Le procès de Eichmann est "le Nuremberg du peuple juif", dira David Ben Gourion. Adolf Eichman est présenté par le procureur Gideon Hausner comme un "criminel de bureau", assassin bureaucrate avec 6 millions de victimes, "tuant par des mots, des signatures, des coups de téléphone" ; le procureur évoque aussi "le silence du monde". Complice ?

Hannah Arendt aura une remarque ironique : "la personne qui lit l'acte d'accusation voit forcément en Eichmann un surhomme" ; elle, au contraire, ne voit en Eichmann qu'un homme ordinaire, un fonctionnaire insignifiant. Hannah Arendt a eu communication de l'article de Hans Zeisel dans Saturday Review : "Ce crime a été si grand qu'il n'a pu avoir lieu sans que nous n'ayons tous été impliqués, non en y prenant part, mais en gardant le silence, en l'encourageant directement ou en regardant ailleurs". Car enfin, Eichmann n'aurait pu se charger de tant de crimes s'il n'avait bénéficié de tant de complicités, de silences, des personnes et des nations...

Le procès d'Adolf Eichmann renvoie aux questions de Bertold Brecht (cf. infra) : ne pourrait-on dire, à sa manière : Eichman assassina des millions de personnes. Lui tout seul ?
Formidable coupable qui en disculpe tant d'autres.
Devenu événement par le truchement des médias, le "moment Eichmann" n'est-il pas aussi celui d'une vaste déculpabilisation ? En grossissant le personnage d'Eichmann, les médias détournent l'attention de dizaines de millions de coupables. Catharsis médiatique de la "banalité du mal" ? Le spectacle médiatique comme déresponsabilisation, dépolitisation faute de dénazification (Entnazifizierung) ?
Quinze ans après la défaite du nazisme, tous les "petits" coupables, les sans-grade et petits profiteurs de la collaboration européenne de tous les jours avec le nazisme, citoyens obéissants, étaient encore en poste, parfois "infiltrés" à des postes très élevés (comme Hans Globke en RFA, René Bousquet en France, ou le SS Wernher von Braun, qui fit construire des V1 / V2 dans les camps de concentration de Dora-Mittelbau / Buchenwald avant de diriger, aux Etats-Unis, le programme spacial de la NASA). Médaillé, félicité, honoré, le SS von Braun ne sera jamais jugé...

Au pied de la statue de Bertold Brecht, devant le théâtre Berliner Ensemble (Berlin). 
Extrait de "Fragen eines lesenden Arbeiters", 1935
Traduction des deux premières lignes : "Le jeune Alexandre a conquis l'Inde. // Lui seul ?" Photo FjM.

mardi 26 août 2014

Expo télé à Paris


Catalogue de l'exposition. L'appli iPad.
"Culture TV. Saga de la télévision française" Exposition jusqu'au 8 mars 2015,
Musée des arts et métiers / CNAM, 60 rue Réaumur, 5,5 €

Exposition consacrée à l'histoire de la télévision française. Histoire des techniques d'abord, de la télévision mécanique à la numérique : transmission, réception, production. On peut, par exemple suivre l'évolution des appareils domestiques (réception) .
Histoire événementielle et politicienne ensuite : les grandes dates de 80 années de la télévision épousent celles du spectacle politique. Télévision performative parfois : débats électoraux, petites phrases d'élus et de candidats, etc. De Gaulle, Marchais, quels talents télévisuels !
Histoire people : la robe de mariage de Diana ! Histoire du spectacle sportif que la télévision achète, amplifie et construit. Peut-on imaginer Zidane sans la télé ?
Télévision miroir, cette anthologie télévisuelle réunit beaucoup d'extraits d'émissions choisis pour leur notoriété. Ces émissions représentent des terrains, de véritables traces pour les ethnologues, elles font voir combien ont changé les manières de se tenir, de se présenter, de parler, de se vêtir.
Télévision nostalgie (voir le Hors Série de télé 7 Jours sur le Petit Nicolas) : les anciens enfants téléspectateurs retrouvent le petit train des charades d'Interlude, Pimprenelle, Dorothée, les speakerines...
L'exposition a des ambitions didactiques et s'accompagne de conférences, de visites guidées, d'ateliers pédagogiques pour des publics scolaires ou familiaux, de documents.

Une exposition ne pouvait pas tout dire, tout montrer, d'autant que tout n'est pas spectacle. Il fallait donc assumer des renoncements ; certains de ceux-ci étonnent pourtant : on ne trouve pas trace dans l'exposition de l'économie de la télévision, rien sur la publicité et les régies des chaînes, très peu sur l'audience. Qui paie la télé ? On parle de l'influence politique, mais quid de des influences économiques ? Pour l'essentiel, l'exposition met l'accent sur une télévision de journalistes et d'animateurs, pas celle des gestionnaires, le hors champ de la télévision. La télévision a un coût très élevé, emploie des milliers de personnes et cela n'apparaît pas. Rien non plus sur la presse magazine (Télé 7jours), pilier majeur du multitasking télévisuel, plus que le smartphone ou la tablette, mais que l'on omet, faute de savoir l' évaluer.

Toutefois, beaucoup de ces lacunes apparentes sont comblées par une application gratuite accessible sur l'App Store. Les principales thématiques sont reprises en "chapitres" dans l'appli, illustrées de documents photos et vidéo, accompagnées des texte de synthèse, clairs et justes (notamment Géraldine Poels, Antonio Grogolini, Agnès Chauveau, Valérie Sacriste, Isabelle Veyrat-Masson sur les Publics).

Plus qu'un catalogue, l'appli s'avère désormais un complément indispensable à toute exposition physique. L'appli "Culture TV" constitue un outil propédeutique, agréable et commode, pour celles et ceux qui doivent approfondir l'histoire de la télévision française avant d'étudier les techniques, les modèles économiques, le financement de la télévision.


Sur l'histoire de la télévision française :

Service public TV. François Mauriac téléspectateur


Début de la frise chronologique placée au début de l'exposition qui - c'est rare - n'omet pas la période nazie

jeudi 26 juin 2014

Théâtre et politique à Athènes. Spectateurs de paroles, auditeurs d'actions


Noémie Villacèque, Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l'époque classique, Presses Universitaires de Rennes, 2014, Index, 432 p., Bibliographie, Plans et illustrations (dont plusieurs clichés de l'auteur)

Le titre de l'ouvrage est emprunté à une phrase de Thucydide citant Cléon, homme politique athénien. Celui-ci s'adresse ainsi à ses concitoyens : "spectateurs de paroles et auditeurs d'actions, qui voyez les faits à venir d'après les beaux parleurs qui les donnent pour possibles et les actions déjà passées d'après les critiques brillamment formulées, attachant ainsi plus de crédit au récit qu'à l'événement vu de vos propres yeux" (II, XXXVIII, 4). Promesses irréalistes, discours éloignés des faits, mensonges habiles : politique politicienne, démagogie, fake news.

Noémie Villacèque a consacré sa thèse à une recherche sur la mise en scène théâtrale du débat démocratique ; elle est amenée à s'interroger sur la réalité de ce "topos" à propos de la démocratie athénienne qui était une démocratie directe se donnant à voir comme au théâtre.
Politique et spectacle, mise en scène du politique : cette proximité des genres ayant pris avec la télévision des proportions formidables, cet ouvrage d'historienne pourrait être lu en contrepoint de la "société du spectacle" de Guy Debord qui disait : "On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés, quand elle leur fait une place dans son spectacle" (cf. "Guy Debord rattrapé par la société du spectacle"). Guy Debord qui se faisait représenter par un magnétophone dans les débats...

L'ouvrage est propice à une lecture savante d'helléniste ou, simplement curieuse, de science politique, d'histoire de la communication. Le travail Noémie Villacèque repose sur l'étude d'un corpus de textes grecs : Aristophane, Lysias, Thucydide, Hypéride, Platon, Xénophon, Aristote, etc. Recourant à tous les moyens à sa disposition, ethnologiques, linguistiques, politiques, histoiriques, elle examine aussi, documents à l'appui, la topographie des lieux des assemblées démocratiques et l'aménagement des espaces judiciaires : le théâtre de Dionysos Eleuthéreus, les tribunaux et la colline de la Pnyx (3 000 à 10 000 places) où se réunissait l'Ekklésia, l'assemblée des citoyens.

Pourquoi Cléon compare-t-il l'assemblée politique, démocratique, avec le théâtre, demande Noémie Villacèque ? Peut-être parce que, au théâtre, le public participe vivement, parce que le peuple y est agité, plein de cris, de bruit, de tapage (θόρυβος: quel est le "degré d'historicité de l'analogie", interroge-t-elle ?
La dernière partie de l'ouvrage est consacrée à l'analyse des critiques de la démocratie, examinant "le théâtre de la démocratie" (espace public ?). Dans le débat politique, les ennemis de la démocratie - et les philosophes - préfèrent au chahut populaire des délibérations plus feutrées, canalisables : domestication de l'opposition par les rituels, les genres, par les règles du jeu politique, de la représentativité (cf. Jean-Jacques Rousseau), politique trop polie pour être honnête. S'accorder sur l'expression du désaccord, n'est-ce pas déjà renoncer à l'essentiel du désaccord  ? ("élections, piège à cons", disait Jean-Paul Sartre en janvier 1973).

"Méthodologie des écarts", selon l'expression de Florence Dupont : pour qui étudie les médias et la communication politique, un tel travail, précis, méticuleux, invite à considérer, sous un angle comparatiste, décapant, la question de la politique spectacle (ne parle-t-on pas parfois de "cirque" ?). Pour l'emporter, l'homme ou la femme politique doivent-ils se faire acteurs, stars, comme déjà le signalait Cicéron ? La peoplisation est-elle une extension obligée de cette théâtralisation ?

Lecture féconde que cet ouvrage pour qui travaille sur les relations entre politique et médias audio-visuels (vidéo) mais aussi sur le spectacle vivant tel que le capture la vidéo (campagne électorale, débat organisé et réglé minutieuement par la télévision, mises en scène calculées à la seconde près). Dans le spectacle politique moderne, tout est fait pour éloigner le peuple dont on craint, aujourd'hui encore, le tapage, le chahut et les cris, tellement vulgaires voire dangereux. Les médias contribuent-ils à la police de l'expression politique démocratique ? Que change la généralisation de la vidéo au débat politique ("Un président sur YouTube", etc.) ? "The Revolution Will not be Televised" prévenait Gil Scot-Heron (1970) : une révolution politique ne doit-elle pas échapper d'abord à la mise en scène médiatique ?

mardi 20 août 2013

La ville comme mass-medium. Philosophie du conditionnement urbain

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Bruce Bégout, Suburbia. Autour des villes, Paris, éditions inculte, 357 p.

Ouvrage sur la ville par un philosophe de la vie dans les villes. Bruce Bégout, spécialiste de Edmund Husserl, décrit la société urbaine en phénoménologue. Il fait de la ville un problème philosophique : "celui de l'institution sociale du sens à partir de la configuration de la vie quotidienne".

La banlieue, ce qui dans l'espace d'une lieue autour de la ville vivait sous sa juridiction, a débordé la ville. Bruce Bégout y lit le négatif de la ville, là où malgré tout, s'inventent d'autres manières de vivre, de penser, pour le pire et le meilleur. Suburbia, territoire de l'innovation : consommation, commerce, loisirs... Que l'on pense aux hypermarchés, aux multiplexes, aux centres commerciaux (villes miniatures), aux grands ensembles, aux quartiers pavillonaires, tout cela organisé et quadrillé pour un univers automobile de stations service, parkings, autoroutes, affichage grand formats, panneaux de signalisation. Non loin, la ville-centre est mise en scène pour le pouvoir (les administrations) et pour l'économie touristique, musées, commerces de gadgets souvenirs, bus et bateau-mouche...

La population suburbaine est motorisée : "l'errant suburbain se retrouve dans sa voiture dans la position même du spectateur face à l'écran, avec ce minime avantage que c'est lui qui décide du contenu du film et de sa vitesse de déroulement". Bruce Bégout s'essaie par maximes juxtaposées à une définition originale de la suburbia. Exemples : "Nous sommes dans la suburbia si un centre commercial représente un pôle d'attraction hebdomadaire, voire quotidien", "Nous sommes dans la suburbia lorsque le temps passé devant la télévision excède celui passé au travail et dans les transports", etc. (p. 24). La suburbia est au coeur du marketing et des médias.

Après avoir relevé les apports des travaux de Walter Benjamin : Paris à déchiffrer comme la salle de lecture d'une grande bibliothèque, avec son alphabet de rues, de passages, d'affiches, Bruce Bégout évoque les situationnistes et Guy Debord, qui aimaient la ville où l'on peut dériver et détestait l'urbanisme fascisant à la Le Corbusier (sympatisant nazi).
Ensuite, l'auteur évoque plusieurs villes : Bordeaux, Paris, Las Végas, et surtout Los Angeles, extrême occident. Los Angeles est perçue et étudiée davantage comme un laboratoire social que comme une ville particulière, "comme la ville en soi, l'archetypus suburbain", "l'exemple d'une exploitation totale des possibilités quasi infinies de la technique et du spectacle, du travail et de l'entertainment". Helldorado !

La ville et l'architecture conditionnent la perception et la conception des habitants, ce qui les apparente aux médias ; aussi, la construction des bâtiments exprime-t-elle "une sorte de condensation concrète des multiples habitus visuels nés de la fréquentation urbaine". Le livre fourmille de notations originales sur le mode de vie américain, sur Emerson et Thoreau, sur le spectacle urbain, l'affichage, l'automobile, le mall, la signalisation. Le livre fait penser les médias.

vendredi 10 mai 2013

Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

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Catalogue de l'exposition, 223 p., Index, blbliogr.
Guy Debord, 'Un art de la guerre", Exposition à la BNF (Paris, jusqu'au 13 juillet 2013).

Tout prétexte est bon pour (re)lire Guy Debord (1931-1994). Lecture nécessaire lorsque l'on travaille dans (avec) les médias et la publicité : en est-il de plus féroce critique, de moins compromise ? Mesure d'hygiène, pour se décaper de l'esprit de sérieux quotidien, qui s'attrape lorsque l'on se prend au jeu du spectacle. Il faut s'efforcer, de temps en temps au moins, de regarder le monde avec les yeux de Guy Debord.

Homme de média et de spectacle lui-même, Guy Debord écrit des livres, des articles, fonde des revues, monte des événements, réalise des films, détourne des affiches, des BD, des photos publicitaires... Il connaît assurément la musique des médias.
Voilà que Guy Debord, devenu "trésor national", entre à la Bibliothèque Nationale, avec affiche et relations publiques, catalogue et recensions dans la presse petite-bourgeoise. L'exposition est sobre, inattendue. On circule dans la vie de Guy Debord, d'abord avec perplexité, puis on s'oriente dans un demi-siècle d'histoire et l'on s'y retrouve, peu à peu.
Nous voici donc dans sa vie intellectuelle et militante, avec ses fiches de lecture par centaines, avec ses films, ses slogans et ses provocations. Mais qui provoquait qui ? La vie de Guy Debord devenue spectacle à son tour ? Récupéré celui qui disait "Est récupéré qui veut bien" ? Cela a le mérite de confirmer sa thèse essentielle : la toute-puissance infernale du spectacle.

L'exposition met en scène quelques traits majeurs de la personnalité et des oeuvres de Guy Debord, et du mouvement situationniste.
  • L'intérêt pour la stratégie comme jeu, comme pensée. Dans sa bibliothèque, l'histoire militaire occupe une place primordiale : Machiavel, von Clausewitz, le Cardinal de Retz et les acteurs de la Fronde, de l'histoire de Florence, etc. Il aime le Kriegspiel et conçoit un jeu de stratégie (le Jeu de la guerre) dont il dépose les règles ; il collectionne aussi les soldats de plomb... 
    Fiche de lecture" (Exposition)
  • La "raison graphique" à l'oeuvre dans toute son oeuvre. Elle se traduit dans le détournement de documents imprimés et dans l'omniprésence de l'écriture manuscrite : cartes et notes de lecture, cahiers à spirale, plans de montage de films, abondante correspondance, listes, cartes postales ; copier, découper, coller, monter.... Son mode de travail est traditionnel, c'est celui de la cuisine intellectuelle depuis déjà plus d'un siècle, inchangé, et que fait peut-être exploser aujourd'hui l'outillage numérique (Guy Debord refusait de taper à la machine, sa femme ne refusait pas ...). Notons un effet inattendu de l'exposition : faire voir ce que l'oeuvre finie, publique, ignore : son mode de production (la présentation des fiches, par exemple, qui l'illustre, est bien trouvée).
  • La critique de la "société du spectacle" et de sa domesticité (les "médiatiques") ; son oeuvre majeure, "La société du spectacle" (suivie de Commentaires sur la société du Spectacle, 1988) est un classique. L'idée centrale ? "Le spectacle est le discours ininterrompu que l'ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux" (La Société du spectacle, §23, 1967). Le monde est au spectacle du monde. Tout le monde se donne en spectacle, se donne au spectacle. Le spectacle est même une forme essentielle de la socialisation : les décors, les costumes, les rôles, les réparties, les gestes, les idiomes... De ce spectacle qui contamine le divertissement comme la politique, les villes comme les vies, nous sommes plutôt spectateurs qu'acteurs. 
  • Contre la parcellisation des connaissances qu'organisait l'université à coup de disciplines, de "spécialités" ; il dénonçait avec Michel Henry la dépendance aveugle et mystifiée que la société manifestait déjà pour les sciences et les innovations techniques (cf. La barbarie, Paris, 1987, PUF). 
    • Son amour des villes : il déteste l'urbanisme des "Trente glorieuses", qui a délabré Paris, abandonné les villes à l'automobiliste, aux "grands ensembles", aux axes routiers, aux hypermarchés, aux banlieues (retourner chaque jour dormir au loin). A cette vision technocratique et bureaucratique, Guy Debord oppose la ville traditionnelle où l'on peut flâner, "dériver" à pied, au gré d'une "psychogéographie" choisie. Sa nostalgie alimente une sociologie vécue de la ville. L'héritage surréaliste n'est pas loin. 
    Photographié à l'Exposition.
    • Sa contribution au mouvement situationniste dont l'un des aboutissements fut une revue, "L'internationale Situationniste", mais aussi une contribution "enragée" à "Mai 1968", événement quelque temps incontrôlable.
    Guy Debord a lu Hegel et Marx, auteurs qui affleurent à l'occasion de divers détournements mais aussi dans sa rhétorique. La première phrase de La société du spectacle paraphrase la première phrase du Capital : "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation". En exergue, Guy Debord cite Feuerbach (L'essence du chritianisme), comme un salut au jeune Marx.
      On a souligné combien Guy Debord admirait la langue des classiques, celle du Cardinal de Retz, de Saint-Amant, de La Rochefoucauld. Il lit Gracian, La Boétie, Nietzsche, André Breton, Bossuet, François Villon, Robert Musil... Aristocrates. Dérives dans les livres, de citations en paraphrases ("détournements", collages) : Guy Debord aurait voulu "faire honte" à notre époque dit Philippe Sollers, à sa langue avilie et stéréotypée par les médias.

      Quelle héritage - sans testament - laisse Guy Debord ?
      Son humour impitoyable et désespéré, son hostilité radicale aux spectacles des pouvoirs, à leur bureaucratie l'éloignaient des divers gauches et gauchismes de son époque. De la Révolution, de l'action politique aussi, il attendait une fête, pas un spectacle. Un slogan comme "Ne travaillez jamais" sent toujours le soufre, et quelques privilèges aussi, car, alors, de quoi vit-on ? Sa vision désenchantée de notre monde mis à vif, une fois déspectacularisé, de ses continuelles abdications : "aujourd'hui l'heure nazie est devenue l'heure de toute l'Europe" ("Guy Debord, son art et son temps", moyen-métrage, 1994). Sa résistance cynique au marketing : "quelle que soit l'époque, rien d'important ne s'est communiqué en ménagant un public" ("In girum imus nocte et consumimur igni", long-métrage, 1978).

      Avec le XXIe siècle, la "société spectaculaire marchande", atteint de tels sommets que les analyses et les aphorismes de Guy Debord prennent aujourd'hui un air d'évidence triste, presque conservatrice. Facebook, YouTube : spectacle pour tous, par tous ? N'y-a-t-il pas davantage d'acteurs qu'autrefois, chacun attendant son fameux quart d'heure de gloire ("15 minutes of fame") : les réseaux sociaux, virtuels, ne bouleversent-t-ils pas le rapport au spectacle en multipliant les scènes ?
      Guy Debord ne passa jamais à la télé, il ne donna pas d'interview aux journalistes. Il participa à la préparation d'une émission pour Canal Plus : elle sera diffusée en janvier 1995, mais il s'était suicidé fin novembre 1994. "On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés, quand elle leur fait une place dans son spectacle" ("In Girum...", o.c.).

      Reproduit à l'exposition
      Pour mieux percevoir Guy Debord et son temps,
      • le film de Philippe Sollers et Emmanuel Descombes, "Guy Debord, une étrange guerre", France 3, 2000.
      • une biographie par Christophe Bourrseiller, Vie et mort de Guy Debord (1931-1994), 2012, Pascal Galodé Editions, 485 p.
      • les Oeuvres de Guy Debord, Paris, Gallimard, 2006, 1996 p.

      samedi 14 mai 2011

      Sociologie des sociétés des spectacles

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      "Société des spectacles", c'est le titre aguicheur du numéro double, 186-187 (mars 2011) de la revue ACTES de la recherche en sciences sociales (Paris, Seuil, 20 €), coordonné par Christophe Charle.

      Christophe Charle, dans l'introduction, situe l'angle qui préside à la sélection des articles publiés : les effets de la théâtralisation étudiés dans diverses situations, différentes époques, différentes cultures. Quelle est la fonction sociale du spectacle dans les époques de crise politique ? Christophe Charle évoque le rôle des représentations théâtrales dans la confection de références communes, la résistance populaire au polissage des publics : il y a un habitus de spectateur qui énonce, à toute époque, en même temps qu'une norme, la distance à laquelle on tient le public populaire du spectacle cultivé (cf. l'ambiance compassée des concerts classiques, les attitudes au musée, etc.).
      Sommaire de la revue : http://www.arss.fr/.

      La revue des interventions du public dans les spectacles inclut un genre télévisuel, le talk show dont les animateurs reprennent des techniques traditionnelles de gestion des publics (chauffeurs de salle / festaiolo, rires en boîte, etc.). L'article d'Eric Darras, "Les causes du peuple. La gestion du cens social dans les émissions-forums" (pp. 95-111), compare ces émissions aux Etats-Unis et en France. Difficile, méthodologiquement, de confronter la logique d'une émission de FR3 ("C'est mon choix" distribuée par FR3, chaîne d'Etat à financement partiellement publicitaire) avec "Oprah", émission de la syndication nationale américaine, qui n'est pas une chaîne et est financée à 100% par le troc publicitaire (barter syndication).
      De cette comparaison émergent de nombreuses notions fécondes, novatrices : l'opposition journaliste / animateur,  les modalités de sélection des publics, l'analyse de l'exploitation du "culot social", le rôle de l'émotionnel dans le discours revendicatif, l'enrichissement de l'expression politique par les émissions, mais aussi la dépolitisation des thèmes abordés par le genre "talk show". Et, au travers de toutes ces notions, court celle plus générale, de "cens social".
      Les outils d'analyse du sociologue restent toutefois limités surtout pour les talk-shows de la télévision américaine et, notamment, le plus populaire d'entre eux, animé par Oprah Winfrey. La publicité n'est pas prise au sérieux, trop brièvement évoquée, alors que l'étude de son volume, de la répartition des écrans, des secteurs et des anonceurs présents (pige) apporterait à l'analyse une information riche sur l'économie générale des talk shows. Il en va de même pour les effets de la syndication, que met en évidence le passage à une autre logique économique avec la création d'une chaîne thématique par Oprah, (OWN), ou encore pour l'importance du rôle des émissions dans la programmation globale (lead-in / lead-out). 
      L'analyse d'Eric Darras, convaincante à propos de la logique sociale des talk shows, doit s'ancrer dans la logique commerciale de ces émissions pour aller plus loin. Ce travail et ses limites illustrent les difficultés de la sociologie, y compris celle de Pierre Bourdieu, à rendre compte des médias audiovisuels de masse. Plus généralement, ce travail pose une question épistémologique, rarement abordée, sans doute gênante : à quel point le sociologue comme l'épistémologue doivent-ils disposer de la maîtrise opérationnelle (professionnelle) du domaine et des pratiques qu'ils analysent ? 

      Par son approche multiple, dans l'espace et le temps, de la société des spectacles, ce numéro d'ACTES invite à repenser la situation contemporaine des spectacles et notamment de la télévision qui les orchestre et les met en scène, secondée et multipliée au mieux par Internet (cf. le mariage de Kate et William fin avril 2011). Lire ce numéro pour penser la télévision ? Oui, à condition de ne pas perdre de vue ce que la télévision ajoute au spectacle théâtral : une "reproductibilité" numérique ("Reproduzierbarkeit", cf. infra) qui en étend les effets à des centaines de millions de personnes, sur de multiples supports. La caisse de résonance des spectacles, comme l'avaient perçu Walter Benjamin ("technische[n] Reprudizierbarkeit", 1936) puis Marshall McLuhan (War and Peace in the Global Village, 1968) est désormais plus ou moins mondialisée. Il faudra aussi à cette occasion, comme le demande l'oeuvre de Guy Debord, soumettre à la  critique sociologique sa notion de "société du spectacle" (1967) et revenir à l'un de ses énoncés liminaires : "Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation" (o.c. §1).



      lundi 17 novembre 2008

      Jeanne d'Arc et ses mythographes


      Colette Beaune, Jeanne d'Arc. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2008, 240 p.

      Sur le bandeau de promotion du livre, blanc sur fond rouge : "Pour en finir avec ceux qui racontent n'importe quoi". Vaste programme !
      Il s'agit de Jeanne d'Arc, d'un livre d'une historienne (Jeanne d'Arc. Vérités et légendes) aux prises avec les mythographes, raconteurs d'histoires fabuleuses. Quel rapport avec les médias ?
      Colette Beaune explique en introduction comment un sujet d'histoire devint un sujet people, par la magie de la télévision, comment la vulgarisation l'emporta sur l'érudition, comment l'histoire historienne devint "l'affaire Jeanne d'Arc" (titre d'un livre de journalistes, Marcel Gay, Roger Senzig, Livre de Poche, 6,5 €). Ces quelques pages disent le fonctionnement du média, le principe démagogique toujours associé au principe pédagogique.  "Vraie Jeanne, Fausse Jeanne" est un documentaire de Martin Meissonier, diffusé le 7 avril 2008 sur ARTE (publié en DVD : "Jeanne d'Arc, la contre-enquête", chez Gaumont Columbia Tristar).

      Que retenir de ce "cas" ? Comment rendre compte de la complexité, de l'incertitude, du doute à la télévision... Comment faire penser avec la télévision. Cela vaut pour l'histoire, bien sûr, mais aussi pour le sport et la politique, l'économie et la musique. On considère (on : ceux qui font la télé, du réalisateur au cadreur, du scénariste au directeur d'antenne) qu'il faut spectaculariser, peopeliser les sujets. Rituellement, à ce propos, il est bon d'incriminer la publicité. Car si l'on vulgarise, c'est bien sûr pour flatter l'audience, se soumettre à la dictature de l'audimètre et donc de l'annonceur. Mais il s'agit d'ARTE, télévision sans publicité : il faut donc bien en venir à envisager des explications plus solides.

      Est-ce la télévision qui est en cause, son langage, son format ? Ce que peut un livre (avec ses notes, ses illustrations, ses longues explications), ce que peut leWeb  (avec ses hyperliens, ses illustrations multiformes), la télévision ne le peut guère, même pour un documentaire, fût-il didactique.
      Suivons l'auteur lorsqu'elle pointe, une à une, les simplifications, les erreurs, les imprécisions de l'émission. Punctus contra punctum. Et de dénoncer le journaliste qui joue les mythographes contre les historiens professionnels, la vie et la politique de Jeanne d'Arc traitées à la "Da Vinci Code"... Convaincante, mais qu'aurait-on pu en faire à la télévision ?
      Sancta Simplicitas ! "Le simple est toujours le simplifié", prévenait Gaston Bachelard. Un film (et l'on en connaît déjà une bonne quinzaine consacrés à Jeanne d'Arc), jamais, ne rendra compte de l'enchevêtrement des circonstances, des enjeux politiques, religieux, militaires que noue et dénoue avec dextérité et prudence Colette Beaune, historienne spécialiste de cette période.

      Des solutions ?

      Couverture du magazine (N°2)
      Concevoir d'emblée l'émission documentaire ou d'information dans ses dimensions multi-plateforme, enrichir le programme télévisé de documents divers (cf. le DVD du "Procès de Jeanne d'Arc", film de Robert Bresson, 1962, édité et publié par mk2, avec une interview du médiéviste Georges Duby, le discours d'André Malraux à Orléans, etc.). Désormais, une émission peut recourir à divers documents en ligne pour compléter, tempérer, faire entendre toutes les voix. Montage pluri-média, juxtaposition que peut éventuellement réaliser lui-même le consommateur, d'où peuvent émerger des pensées ("le montage est conflit", disait Eisenstein). Pour en finir avec l'alternative infructueuse de l'ennuyeux et de l'intéressant, du compliqué et du simplifié, romancé ...

      Afin de tendre à l'objectivité, l'information documentaire et historique peut non seulement donner à entendre les divers points de vues mais aussi mobiliser toutes les capacités des médias en ligne. Le Web donne l'occasion de concevoir et monter l'information télévisée d'une autre manière, ouverte, questionnante.
      Dans le même temps, les médias compliquent la tâche de l'historien en multipliant et vulgarisant les attentes des publics : ainsi, en 2012, le groupe Hommell publie un magazine trimestriel, Jeanne d'Arc et la guerre de Cent Ans (9,9 €) associé à la "construction" sociale de "lieux johanniques" (tourisme, mémoire) qu'accompagnent divers événements et une Association des villes johanniques. Toute cette réactualisation contribue à façonner un horizon d'attente qui représente l'actualité de Jeanne d'Arc et sa réception.
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