dimanche 25 juillet 2021

La Chine est encore trop loin

 Joël Thoraval, Ecrits sur la Chine, textes rassemblés et présentés par Sébastien BIllioud et Laure Zhang-Thoraval. Postface de Maurice Godelier, Bibiogr., CNRS Editions, 2021, Paris, 570 p., Bibliogr, Index, Glossaire

Voici un livre sur les cultures chinoises. C'est le livre d'un anthropologue, normalien, historien, philosophe aussi et quelque peu ethnologue. Les Ecrits sur la Chine regroupent quelques-unes des contributions de Joël Thoraval à l'évolution intellectuelle et culturelle de la Chine contemporaine. 

D'abord, l'ouvrage donne des études comme "Le concept chinois de nation est-il obscur ? A propos du débat sur la notion de minzu dans les années 1980" sur ou " L'usage de la notion d'ethnicité appliquée à l'univers culturel chinois" (on compte en Chine 56 groupes ethniques, 民族).

Le chapitre 4 interroge la notion de religion en Chine et, par conséquent, en occident : "Pourquoi les religions chinoises ne peuvent-elles apparaître dans les statistiques occidentales?". L'imposition, plus ou moins violente, au sein de cultures orientales de catégories culturelles européennes renvoie à une rupture "sous-estimée" : réflexion autocritique qui en apprendra beaucoup sur nous-mêmes, conclut Joël Thoraval.

"Passage entre les mondes visible et invisible. Perspectives sur la mort en Chine" est une réflexion sur la grammaire de la mort, à partir d'un texte de l'anthropologue et helléniste, Jean-Pierre Vernant. Toujours dans l'ordre de la comparaison entre la Chine et l'occident, Joël Thoraval tente de répondre à la question "Existe-t-il une philosophie chinoise ?" Le philosophe est bien placé pour répondre à une telle question mais, pour ce faire, il devient sociologue, interrogeant les Annuaires de philosophie chinoise publiés en Chine, ce qui le conduit, encore, à "percevoir, avec un relief nouveau, les limites, les arbitraires, les taches aveugles de notre propre tradition réflexive." 

Le livre est très riche : on y trouve aussi "De Königsbserg à Paris, de Tokyo à Pékin. Langues nationales et traditions philosophiques dans la première réception de la pensée de Kant en Chine", où l'auteur tente de montrer les limites du rapprochement effectué entre Kant et le bouddhisme. 

On a l'impression, en lisant Joël Thoraval, d'approches socratiques de diverses problèmes qui échouent dans de sortes de monologue aporétique, qui ne peuvent aboutir à une réponse. La dernière partie est consacrée au confucianisme et notamment à Mou Zongsan ("Idéal du sage. Stratégie du philosophe. Introduction à la pensée de Mou Zongsan. 1909-1995"). Enfin, signalons le chapitre XV, "La tradition rêvée. Réflexions sur L'Elégie du fleuve, de Su Xiaokang" : des apories, encore, à propos de cette série documentaire en six parties, de la télévision publique chinoise (1988-89), 河殇, ("He Shang")... série dont la célébrité en Chine fut extraordinaire, et qui pose les problèmes lancinants de la tradition et de la modernité.

La conclusion de Maurice Godelier en vient clairement, pour la fin de l'ouvrage, aux questions-clefs de la Chine aujourd'hui : s'agit-il de modernisation et / ou d'occidentalisation ?