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vendredi 12 février 2021

Des maquisards contre Louis XIV en Franche-Comté

 Vincent Bousrez, Les loups des bois. Comtois, rends-toi..., Vesoul, FC culture & patrimoine, 250p. 18 €

Voici un livre dont l'action se situe à l'époque de Louis XIV, en Franche-Comté, du côté de la Saône et du Doubs, entre Gray et Vesoul, Dijon et Besançon, Luxeuil et Montbéliard, Dole et Langres. Guerre civile, guerre du peuple, guerre de libération ? Oui et non car les "loups des bois" ne constituent pas une armée véritable mais plutôt un petit groupe de guérilleros décidés. Mais décidés à quoi ? A libérer cette région ? La libérer des français, des troupes de Louis XIV ou de la présence espagnole ? Le roman va nous amener à suivre une petite troupe, d'hommes et de femmes, nobles et paysans, "les loups des bois", dans leur vie, une vraie "pôchouse" composée de poissons divers, de la Saône et du Doubs, comme on la baptisait alors, une petite troupe décidée, en tout cas. Les poissons du Doubs ont plus de goût que ceux de la Saône, disait-on pourtant encore à Verdun sur le Doubs, capitale de la pôchouse, au confluent de la Saône et du Doubs. Certains des interlocuteurs commencent leur phrase par des "mon !" tournure typique pour marquer l'étonnement dans la région.

Le roman se lit aisément, et se relit avec autant de plaisir. L'auteur, un peu historien, donne quelques notes en bas de page ou en incipit pour que l'on s'y retrouve, et l'on y retrouve même Victor Hugo à propos de Besançon. Et peut-être, même, quelque lecteur stendhalien y retrouverait-t-il les traces de Julien Sorel rôdant dans Verrières, au bord du Doubs, entre Besançon et Dôle (cf. Le rouge et le noir).

Vincent Bousrez a du talent ; il connaît son métier et l'histoire y est rondement menée, les batailles s'enchaînent, quelques amours aussi. Mais, peut-être, là n'est pas l'essentiel. Plus que les événements comptent les modalités de ces événements, les attitudes des personnages, le décor des histoires plus que l'histoire même. On oublie facilement Louis XIV, roi-soleil, mais pas la cuisine. Dans le roman, les repas sont de bon goût, pris de bon appétit ; il y a de la cancoillotte que l'on mange en grandes tartines, de la terrine de lièvre, les vins des pays sont doux (vin de Vesoul, le Gradion de Chariez), on y déguste une omelette aux jaunottes - des girolles - et au lard, des fromages (comté, vachelin, bleu de Saint-Claude, Morbier), des "têtes de nègre", des cèpes... On évoque aussi des galettes de gaudes à la farine de maïs. Et l'on y cueille des mousserons ou tricholomes de la Saint-Georges que l'on mangera avec un brochet de l'Ognon, un affluent de la Saône, né dans les Vosges. Et l'on y boit une infusion de baie d'églantiers, ces "gratte-culs"...

A coup sûr, l'auteur connaît l'art de la "racontotte", selon ce mot utilisé en Franche-Comté, pour décrire les veillées et qu'il utilise dans son livre. En conclusion, voici un livre qui va retenir l'attention des lecteurs et lectrices francs-comtois mais, surtout, aussi, bien au-delà. La fabrication matérielle du livre est de très bonne qualité ; on peut avoir parfois l'impression qu'il y manque une carte géographique en annexe - prochaine édition ? - pour repérer et suivre les déplacement des héros, à moins que l'on préfère l'imaginer et la rêver, pour mieux se perdre dans ce livre original qui est à la fois d'une autre époque et pourtant si près de nous, d'où que l'on soit. Très beau travail qui mêle en un roman, l'ethnologie et l'histoire, mal connues, d'une région.


dimanche 18 août 2019

Racine, jour après jour, son oeuvre


Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 942p., 2006, Bibliographie sommaire, index

Voici une immense biographie. Mille pages... et le lecteur ne s'ennuie jamais. La vie de Racine nous est contée par le menu, du moins au début, pour les années de formation de Jean Racine jusqu' à Andromaque, au moins.
Georges Forestier est un spécialiste reconnu du théâtre classique : on lui doit des travaux sur Molière, sur Corneille mais surtout un immense travail sur Racine dont cet ouvrage est un élément majeur, après l'édition de ses oeuvres théâtrales (Racine, Oeuvres complètes. Théâtre - Poésie, 1999, Bibliothèque de la Pléiade, 1801 p.).

L'ouvrage commence par regretter l'absence des manuscrits de l'époque : "une fois le texte imprimé, l'autographe partait au feu". Et puis, Jean Racine n'est pas non plus marqué par ses héros : il n'est ni Phèdre, ni Roxane, ni Bérénice, ni Hermione. Le biographe de Racine se trouve donc confronté à une difficulté majeure : Jean Racine n'est l'auteur que d'une douzaine de pièces de théâtre, et sa carrière d'historiographe de Louis XIV est restée fortement méconnue, suite à un incendie. Une douzaine de pièces seulement, mais quels succès !
Georges Forestier cite le duc de Saint-Simon qui a célébré Jean Racine : "rien du poète dans son commerce, et tout de l'honnête homme, de l'homme modeste, et sur la fin, de l'homme de bien". Et notre biographe de souligner que Racine, en 1699, à la fin de sa vie, reste un "homme de bien" et meurt sans n'avoir rien à regretter.
Notons encore que cette biographie revient sur l'échec des Plaideurs ou de Britannicus remettant en question les idées qui avaient dominé jusque récemment. D'une manière générale, le livre revient sur de nombreuses erreurs commises auparavant par les biographes de Jean Racine, erreurs qu'il rectifie, preuves à l'appui, modestement.

21 décembre 1639, naissance de Jean Racine dont la mère meurt l'année suivante ; lui, décédera soixante plus tard, presque jour pour jour. On ne saurait résumer un tel ouvrage : tout y est de la vie de Racine écrivain devenant bientôt, après à peine une douzaine d'années de carrière théâtrale, historiographe du roi pour finir "Gentilhomme Ordinaire de la Maison du Roi", mais restant toujours, plus ou moins, lié à Port-Royal des Champs.
L'ouvrage est d'une incroyable richesse redressant à chaque moment le cours de la vie connue. Il n'en rajoute pas, se fait presque toujours modeste dans ses affirmations. Quand il ne sait pas, quand il ne peut savoir, il le dit sans ambages, avoue ses hypothèses, mais s'en tient aux hypothèses. L'ouvrage est clair, précis ; Georges Forestier cite toujours les critiques, leur donne la parole longuement. Et surtout, il fait valoir l'évolution des attentes des spectateurs : trente ans séparent Le Cid et Bérénice, les goûts ont changé, les femmes sont plus nombreuses dans le public...

L'ouvrage est magistral, bien documenté (100 pages de notes et d'index). Le lecteur vit avec Racine, avec le Roi aussi. La question reste pourtant posée de l'intérêt matériel prochain de ce livre : des lecteurs du XXIème siècle sont en droit d'attendre des outils plus appropriés, facilitant les recherches. Les oeuvres de Jean Racine, l'oeuvre même, attend des outils plus efficaces. En ligne, cela est désormais possible. Il faut que les auteurs inventent de nouvelles manières d'exposer les oeuvres, de les faire parler.
Il n'empêche : ce Jean Racine est un grand et bel ouvrage.