dimanche 8 août 2021

Un été avec Machiavel ?

Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel, Paris, Equateurs / parallèles, France Inter, 2017, 148 p. L'ouvrage se termine par "Lire Machiavel", une bibliographie de 7 pages.

Ce sera bientôt le cinquième été de ce petit livre original sur Machiavel. "Passer "un été avec Machiavel". Une petite partie de l'été, au moins, pourquoi pas ?

Dans son Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert notait : "Machiavel. Ne pas l'avoir lu, mais le regarder comme un scélérat". Cela n'a guère changé ! Il n'a pas très bonne réputation, mais on ne sait pas vraiment pourquoi et on l'a rarement lu. Alors, lisons ce petit livre de Patrick Boucheron pour en savoir un peu plus long sur ce personnage qui écrira : "J'ai décidé d'emprunter un chemin qui, n'ayant encore été parcouru par personne, me vaudra certainement peine et difficulté". Ce livre est l'histoire de sa vie.

Machiavel est né en 1469. Son père, Bernardo, est amateur éclairé de bons livres (par exemple, l'Histoire de Rome de Tite-Live) mais Machiavel n'apprendra pas le grec. On le lui reprochera toute sa vie. En revanche, il sait le latin ; il recopie Lucrèce (De Natura Rerum). Enfin, beaucoup plus tard, sa mise à l'écart lui donne le temps de rédiger Le Prince, ouvrage politique. Son talent et son savoir proviennent "d'une longue expérience des choses modernes et d'une continuelle lecture des antiques". Le Prince est un livre dont on ne sait souvent que penser : Diderot y verra un exposé de "l'art de tyranniser" tandis que Rousseau pensera que "Cet homme n'apprend rien aux tyrans, ils ne savent que trop bien ce qu'ils ont à faire, mais il instruit les peuples de ce qu'ils ont à redouter". Le livre est dédié à Laurent de Médicis qui, mort jeune, ne s'en inspirera pas.

"Machiavel, ce maître désenchanteur" écrit donc, selon Patrick Boucheron, une typologie qui devrait plutôt s'appeler "De principatibus" que "Il Principe", titre simple et accrocheur que lui donna finalement son éditeur romain. La Mandragore, cette pièce de théâtre comique que rédige également Machiavelest le complément indispensable du Prince et du Discours sur la première Décade de Tite-Live. Mais il faut aussi mentionner son Histoire de Florence ou l'histoire des Ciompi, révoltés, quasi prolétaires ouvriers de la grande fabrique lainière. L'oeuvre de Machiavel a donc son unité par delà les diversités des genres. Il meurt en 1527.

"Les meilleures armées qui soient sont celles des populations armées" : on dirait du Mao Zedong mais pourtant c'est du Machiavel, que Patrick Boucheron caractérise comme le théoricien de la "guerre sale, une guerre de partisans, politique et brutale". Depuis sa mort, Machiavel est relu par divers théoriciens dont, en 1933, Antonio Gramsci. Qu'en ont-ils retenu ?

Ce petit livre est très bien fait, bien construit, il donne à penser Machiavel, il invite à le lire et à le relire. Pour ne pas s'ennuyer cet été ou plus tard. Et pour penser l'histoire autrement.

L'auteur est normalien et Professeur d'histoire au Collège de France (L'histoire des pouvoirs en Europe occidentale). On lui doit, entre autres, un ouvrage original sur Leonard et Machiavel (2008).