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dimanche 25 février 2024

L'infographie, pour mieux comprendre l'empire de Napoléon 1er

Vincent Haegele, Frédéric Bey, Nicola Guillerat, Infographie de l'empire napoléonien, Paris, Passés / Composés, 158 p., 29 €

Pour mieux comprendre l'histoire du premier empire, et, surtout peut-être comprendre que l'on est loin de tout savoir, ce livre est essentiel. Il se compose de quatre parties : tout d'abord, "le pouvoir, l'Empire et les institutions", ensuite "la Grande Armée et la Marine impériale, puis "la guerre et les coalitions" et enfin "la chute".Son principe est le recours à une présentation infographique des données essentielles de l'Empire : les personnages, les armements, les batailles, les navires, les communications, les nourritures, tout est passé en revue et mis en forme simplifiée, schématique pour bien faire voir. Hélàs, il faut du temps au lecteur pour comprendre la légende des. schémas, mais sur de nombreux aspects, ce type de présentation donne à voir les particularités d'une époque.

Les chapitres techniques décrivent l'armement des troupes. Ainsi l'artillerie hérite d'une réforme lancée par Louis XVI et mise en oeuvre par Gribeauval (1765) : obusiers, mortiers et canons sont décrits précisément avec la portée des boulets et des boîtes à mitraille. Ensuite, l'ouvrage décrit les effets des tirs d'artillerie qui provoquent des blessures graves, directement ou par rebond

Le corps du génie est expliqué ainsi que son évolution ; il s'illustrera lorsque l'armée napoléonienne franchira les eaux glacées de la Bérézina durant la retraite de Russie. La Garde impériale, qui sera massacrée à Waterloo, était composée de troupes aguerries : les schémas la décrivent ainsi que son évolution durant l'Empire. Un chapitre est consacré au service de santé, qui soigne également les ennemis blessés ; ce service se compose de 5 000 médecins, pharmaciens et chirurgiens. C'est dans ce chapitre, uniquement, qu'il est fait allusion aux femmes de la Grande Armée  (p. 90) : les vivandières qui s'occupent de la nourriture et les blanchisseuses, mais on n'apprend presque rien d'elles et c'est dommage ! La marine impériale est décrite en détail, elle est inférieure en compétence et en moyens à la flotte britannique.

Un chapitre traite des chevaux ; dans ce domaine aussi, Napoléon est l'héritier de l'ancien régime avec les écoles de Lyon et d'Alfort. La campagne de Russie sera sur ce plan catastrophique : 157 000 chevaux franchissent le Niemen à l'aller mais seulement 5 000 au retour, il n'y a donc pas de transport des pièces d'artillerie, qui restent en Russie, dans la neige.  L'Espagne et la Russie seront les tombeaux de la Grande armée. Au total, on convient d'un calcul de 700 000 morts pour les 15 années napoléoniennes. L'ouvrage s'achève par le congrès de Vienne qui défait les gains de la Révolution et de l'Empire. 

Au total, voici un ouvrage intéressant qui traite de l'Empire avec une infographie de qualité. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit très facile à lire. Les lecteurs que passionne cette période apprendront beaucoup. J'ai retenu, par exemple, la part de l'héritage de la monarchie dans l'armement, le désastre militaire que représente les chevaux morts pendant la guerre de Russie, la lenteur des communications ; le télégraphe optique de Chappe, 1791, est encore limité dans ses utilisations : il faudra huit jours pour que soit connue à Paris la victoire de Napoléon à Austerlitz. Ce livre constitue assurément un outil original pour comprendre l'Empire et pour le rendre plus simple en défaisant les mythes. Napoléon ne fut pas l'esprit du monde à cheval comme l'avait vu Hegel à Iena ("diese Weltseele"), il fut moins que cela pour l'histoire de l'Europe et bien plus pour ses contemporains. Et les élèves de toutes les classes scolaires apprendront de nombreux aspects mal connus de l'Empire au moyen de ces schémas. Car la technique de présentation est souvent convaincante, mais le commentaire reste important pour que l'on perçoive bien ce qu'il faut voir, car il ne suffit pas de montrer. La démonstration est le produit des deux approches.

mercredi 20 novembre 2013

Les médias sociaux d'avant

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Tom Standage, Writing On The Wall. Social Media. The First 2,000 Years, 2013, New York, Bloomsbury, 288 p. Bibliogr.

Avant Facebook, avant Snapchat, avant Twitter et bien d'autres, l'information circulait, des réseaux se constituaient pour l'échange des informations empruntant des médias divers : graffiti sur les murs, lettres et poèmes manuscrits, pamphlets, rumeurs, etc. : l'auteur reprend l'histoire de la communication et la relit à la lumière des réseaux sociaux modernes, retrouvant l'équivalent des like, des courriers, des blogs, des commentaires, des posts... Regarder le passé pour comprendre l'avenir ("Learning from really old media") : méthodologie des écarts. L'auteur dresse un panorama historique des techniques mises successivement en œuvre pour la communication publique, plus ou moins privée. Après avoir résumé les travaux anthropologiques de Robin Dunbar, le livre développe plusieurs exemples historiques. Entre autres :
  • Les médias de l'époque romaine (acta diurna populi Romani, tablettes de cire, graffitimessagers, etc.), le réseau social de Ciceron. 
  • La propagation du christianisme et ses techniques de communication : l'exemple de Paul de Tarse et de ses lettres.
  • La diffusion de la Réforme aussi, de la viralité des 95 thèses de Luther affichées sur les portes du château de Wittenberg en 1517 à la diffusion des bibles imprimées en langue allemande. 
  • La communication sociale à la cour des Tudor avec les poèmes manuscrits comme des posts partagés et commentés par écrit (la circulation remarquable du Devonshire Manuscript, 1534-1539) ; le recours au manuscrit pour se distinguer de l'imprimé si commercial, presque vulgaire dans sa modernité. 
  • Le rôle des cafés à Londres (coffee houses), à Paris (Le Procope, 1686) cafés où lectures et discussions allaient bon train ; cafés thématiques, spécialisés : poésie, divertissement, finance, information, etc. Cafés lieux de culture (penny universities) et d'innovation où se tiennent des débats scientifiques. 
Ensuite, Tom Sandage couvre, de manière traditionnelle, l'histoire de la presse et de l'information, du journalisme aussi : gros plans sur l'indépendance des colonies américaines et le rôle de la presse et de l'imprimerie (cf. la stratégie de diffusion de Common Sense par son auteur, Thomas Paine), gros plan sur la révolution française où l'on voit la presse jouer un rôle ambigu, opprimant autant qu'elle libère. L'auteur accorde une place originale au rôle du télégraphe et des télégraphistes, "première communauté online" (cf. du même auteur, The Victorian Internet, 2009).
Les derniers chapitres, plus classiques, concernent l'histoire récente des médias, de la radio au Web pour en venir aux inévitables clichés sur les réseaux sociaux et l'illusoire émancipation politique (le "printemps arabe").

Au cours des 2000 années parcourues par l'ouvrage, des questions réapparaissent de manière lancinante : l'importance de la copie, d'abord encouragée, pour favoriser la disssémination, l'anonymat qui protège et fait avancer les libertés, le débat vie privée / vie publique, la force structurante des réseaux de personnes, la survie du manuscrit au-delà de l'imprimerie...
Des fonctions presque universelles des médias sociaux se dégagent : copier, partager, bavarder, répéter, afficher, accrocher des commentaires à un texte, etc. Ceci éclaire les médias sociaux actuels et fait voir à la fois leur originalité et leurs différences : par exemple, que sont devenus les cafés (Starbucks) ? On note aussi, jusqu'au milieu du XIXème siècle, l'absence de la publicité comme financement et parasite de la communication publique. La publicité, de plus en plus présente, caractérise manifestement la communication de l'époque moderne, communication qu'elle développe et entretient finissant par toucher la communication privée (réseaux sociaux).
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vendredi 18 mai 2012

Les haines de Zola

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On observera aussi , en couverture, des "amours"
de Zola (Balzac, qu'il salue, Michelet, Taine...)
Emile Zola, Mes haines. Causeries littéraires et artistiques, Paris, éditions G-F Flammarion, 2012, 329 p., bibliogr., chronologie. 7,9 €
Présentation par François-Marie Mourad

Pour ce volume, publié en 1866, Zola a réuni 21 textes publiés dans divers journaux et revues. Textes
critiques qui se veulent leçon de critique.
Dans ses articles, Zola saisit toujours l'occasion de traiter des médias. Il écrit alors que la presse connaît son décollage industriel et que le journalisme se détache de la littérature et que le roman prend son essor grâce à la presse : "nous en sommes à cet âge où les chemins de fer et le télégraphe électrique nous emportent, chair et esprit, à l'infini et à l'absolu" (p. 42). La presse d'information qui se développe est aussi celle du fait divers. Elle est le terrain de manoeuvre des futurs romanciers, il y apprennent à écrire et à décrire, et surtout, elle les aide à vivre.

La tonalité de "Je les hais" qui ponctue le premier texte-préface (celui qui donne son titre au recueil) apparaît comme une préfiguration du "J'accuse" publié dans L'Aurore pour l'Affaire Dreyfus (1898).
Critique, Zola traite de toutes sortes de livres, gymnastique et santé, géologie et histoire, morale, théâtre, et même poésie. Celle de Victor Hugo et on le voit tenter de mettre en oeuvre son idéal naturaliste : "l'observation, de la simple constatation du fait, en dehors de l'historique et l'analyse exacte des oeuvres" (p. 117). Ce pourrait être un manifeste du journalisme. La critique doit suivre le modèle démonstratif de la science, avancer avec des théorèmes (p. 119). Il admire Taine, "un mathématicien de la pensée" (p. 222). qui comme lui fait l'apologie des faits.
Contribution à l'histoire du journalisme littéraire. Les notes abondantes, la bibliographie et la chronologie permettent une lecture érudite et riche et de ne pas s'égarer. La présentation de François-Marie Mourad aide à s'orienter et à bien intégrer les enjeux de ces textes dans leur époque.

samedi 27 mars 2010

C'est beau une gare ?

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"A la recherche des pas perdus" de Stéphanie Sauget est "une histoire des gares parisiennes" de 1837 à 1914 (301 p., bibliogr.). 
Le livre analyse l'arrivée du chemin de fer dans Paris et le rôle central que les gares jouent progressivement dans l'organisation et la culture de la ville. Calquées d'abord sur les installations portuaires (le vocabulaire en témoigne : quai, embarcadères, voies, débarcadères), les gares participent des grands travaux de la seconde moitié du 19e siècle et de l'installation de la société industrielle.



Creuset social, la gare devient le lieu des migrations alternantes : dès les années 1880, les gares gèrent de plus en plus de trajets, de plus en plus courts ; pour cela, sont mis en place des politiques tarifaires adaptées (abonnements annuels), des "trains ouvriers", etc. Les gares créent la banlieue et aménagent le territoire péri-urbain. Elles favorisent l'uniformisation des comportements urbains et accentuent la centralisation autour de Paris. Elles contribuent aux transformations de l'organisation du travail : ouverture des emplois aux femmes (1875), systématisation de l'encadrement et du contrôle (recours aux chiffres, à la comptabilisation pointilleuse du temps de présence) et sa contrepartie, syndicalisation, grèves.

Les gares seront des matrices de la modernisation urbaine, des lieux publics, des points de vente aussi où s'apprivoise et se transmet l'innovation technologique.
L'électricité pénètre le décor et la vie des gares : grues hydrauliques, horloges synchronisées, signalisation, aiguillages, éclairage, panneaux lumineux, escaliers mécaniques, tapis roulants pour les bagages... Il s'en suit une évolution globale de la sensibilité : cette évolution touche le régime lumineux ("scopique") sous l'effet de l'éclairage électrique, du mouvement, etc. Elle affecte également la sensibilité olfactive, sonore, haptique (vibrations).
La gare propage la "religion de l'heure". Les horaires, qu'impose la gestion des gares et des transports ferroviaires, modifient le rapport au temps, à la précision, à la ponctualité ce dont témoignent l'adoption du mot anglais stress, la stigmatisation de l'attente, des retards (salles d'attente). Pour suivre les chemins de fer, villes et régions se mettent toutes au temps de Paris (uniformisation par signal électrique à partir de 1849). Transport ferroviaire et télégraphe feront triompher le temps universel le 9 mars 1911.

L'auteur évoque le rôle indirect des gares dans le développement des médias. La culture de masse sur support papier, se développe dans le sillage des chemins de fer et des gares. C'est cette culture, vieille de plus d'un siècle, que la communication numérique bouscule aujourd'hui.
  • Le premier média de la gare, c'est le guide des chemins de fer qui se développe à la fin des années 1840, et dont le plus connu sera celui de Chaix, un horaire mensuel (96 pages, qui imite le Bradshaw anglais). 
  • Les bibliothèques de gare de Louis Hachette, dès 1852, sur le modèle de celles de W.H Smith à Londres, seront à l'origine d'un débat national sur l'accès au livre et à la lecture (les romans de Stendhal seront interdits à la vente dans les gares). "Littérature de gares", pour attendre le train, romans pour tuer le temps du voyage. 
  • Apparition d'une presse professionnelle (1868, Journal des gares, revue mensuelle des chemins de fer) aux connotations syndicales, détestée du patronat des chemins de fer. 
  • Le réseau ferroviaire est à l'origine de la presse quotidienne nationale de masse dès la fin du XIXe siècle. Les chemins de fer sont de grands annonceurs (dans l'affichage, la presse), ils constituent aussi un grand média hors des foyers (affichage longue durée).
Ce livre sensibilise aux effets sur la vie quotidienne des changements dans la communication. L'histoire des gares aide à percevoir tout ce qui est artificiel dans ce que nous considérons aujourd'hui comme naturel et qui ne s'est pas mis en place sans résistance, sans contestation.
Ce livre laisse aussi entrevoir tout le travail d'analyse média qui n'est pas encore fait ou qui n'est pas encore intégré et qui permettrait de percevoir les conséquences des médias numériques récents sur les habitudes intellectuelles, sur les comportements, sur le rapport au temps (le temps du téléphone, des horloges digitales, des agendas électroniques), sur la perception (cf. le rôle de la couleur, puis de la HD, de la 3D). Les "pas perdus" dans les gares ne sont pas perdus, ils sont l'un des cheminements par où s'inculque la modernité. La gare du XXIe siècle qui se met à l'heure numérique (écrans plats pour la communication commerciale, panneaux d'information des voyageurs, télévision dans les voitures, bornes interactives... ) à son tour jouera son rôle dans l'inculcation de la culture numérique (cf. "DOOH: Screens at Grand Central. NY NY").

Les artistes ont montré la révolution sensorielle et sociale que représentent les gares. "C'est beau une gare" dira Zola, à propos de la série de tableaux de Monet (1877), Théophile Gauthier y verra de nouvelles "cathédrales de l'humanité" (1868). Honegger fera entendre la musique des locomotives ("Pacific 231") dans un film d'Abel Gance ("La Roue", 1923). Décidément "voyant", Guillaume Apollinaire évoquera, dans "Zone", les "pauvres émigrants" dans le hall de la gare Saint-Lazare (1912, Alcools) qui dérangent les voyageurs... Les artistes ne cesseront de faire voir des gares. Et de raconter les vies qui s'y font, s'y défont : "La Bête humaine" (1890, publié par Zola en feuilleton dans La Vie Populaire), "Les Soeurs Vatard" de Huysmans (1879), "Antoine Bloyé" (Paul Nizan, 1933)...


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