mardi 25 mai 2021

Flaubert : le plus fort de la famille littéraire

 Album Gustave Flaubert, par Yvan Leclerc, Paris, 2021, Editions Gallimard, 256 p., Index

Il n'était certainement pas "l'idiot de la famille", comme Jean-Paul Sartre intitula sa biographie ; cette vie de Gustave Flaubert le démontre amplement. Cette vie est racontée en beaucoup d'images, vie illustrée dans le nouvel "album" Flaubert. Flaubert meurt le 8 mai 1880, il y a 141 ans. "Toute illustration en général m'exaspère", écrivit Flaubert. Et il s'explique : "Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L'idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu'une femme écrite fait rêver à mille femmes". Pas de biographie donc, comme pour Homère ou Shakespeare. Mais pourtant, 4500 lettres et tous ses manuscrits conservés disent Flaubert aussi, un autre Flaubert ?

On apprend beaucoup de Flaubert dans ce petit livre. De son Don Quichotte qu'il traita comme lecture fondamentale, par exemple, tout au long de sa vie. Flaubert ignorera la dessin que son entourage maîtrisait, il a fait manifestement "le choix des mots contre toutes les autres formes de représentation, considérées comme inférieures" mais il dira, néanmoins, dans le Dictionnaire des idées reçues, qu' "il y a des romans écrits avec la pointe d'un scalpel". Flaubert fait une scolarité correcte : bon latiniste et bon angliciste, il lit Spinoza dans le texte et Shakespeare aussi. Il admire Néron en histoire et Byron en littérature. "Comme on admirait Hugo!", écrit-il, et les héros du siècle, Werther et René, les auteurs à la mode aussi : Walter Scott, Balzac, Rabelais et Montaigne. S'il commence des études de droit à Paris, c'est de littérature que rêve Flaubert. C'est alors qu'il prend conscience de ses crises d'épilepsie et aussi qu'il fait connaissance de Louise Colet, sa maîtresse, féministe engagée, plus âgée que lui.

Ensuite, c'est le voyage en Egypte, tourisme sexuel et tourisme historique. Il s'en suit une infection vénérienne... Maxime du Camp, qui l'accompagna dans son voyage, le traitera d'"anti-voyageur". Flaubert est assis dix heures par jour à son bureau où il y a 1700 livres et des peaux de bêtes. Enfin, c'est Madame Bovary qui paraît en feuilleton dans le Revue de Paris, en octobre 1856. Procès : Flaubert est acquitté en février 1857. Mais le bovarysme est né que Jules de Gaultier définira, en 1892, "comme la faculté départie à l'homme de se concevoir comme autrement qu'il n'est". Mais ce sera, dit Maupassant "une révolution dans les lettres" : Isabelle Huppert interprétera Emma au cinéma, après que Jean Renoir en 1934 ait mis en scène Madame Bovary (1934). Et Jean-Paul Sartre se demande, en trois gros volumes, comment "l'idiot de la famille" devient l'auteur de Madame Bovary. 

Ensuite, ce sera Salambô, qui meurt, elle aussi. Flaubert voulait "rendre la vie intérieure des Carthaginois". "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar" : ainsi commence Salambô qui sera un succès public immédiat. Désormais, Flaubert a son jour, le dimanche. Il y reçoit Tourguéniev, Renan, Taine, les Goncourt et Georges Sand. Ensuite, ce sera L'éducation sentimentale. Il est décoré de la légion d'honneur ("les honneurs déshonorent", dira-t-il plus tard, pourtant). Et puis, ce sera Bouvard et Pécuchet encore avec le Dictionnaire des idées reçues : "Du défaut de méthode dans les sciences" ou, comme dit Yvan Leclerc, "une critique des images de masse, reproduites dans un but didactique".

Concluons. Flaubert écrit à Georges Sand : "Car j'écris (je parle d'un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d'aujourd'hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra". Yvan Leclerc a réussi un merveilleux livre, modeste dans le ton et précis, clair et complet. Cet album est un outil pour des débutants et un outil aussi pour les spécialistes de littérature, et pour les fans de Flaubert. 


samedi 15 mai 2021

Née un jour quelque part

Michèle Halberstadt, Née quelque part, Paris, Albin Michel, 254 p.

Comment peut-on s'appeler Halberstadt ? Bonne question, que ne se posait pas alors le prof de médias, germaniste quand même, qui à, Sciences Po, faisant l'appel, prononça le nom comme il convenait. A l'allemande. "C'est bien la première fois depuis que je suis ici", nota l'étudiante, doucement impertinente. 

Des années plus tard, je retrouve Michèle Halberstadt à la vitrine des libraires. Et le livre qui reprend cette question : comment peut-on s'appeler Halberstadt ? Bonne question ! Et le livre tente d'y répondre. C'est un livre d'enquête et l'on suivra la narratrice en Allemagne, en Pologne, à Johannesbourg, à Varsovie...

Freud est du voyage, bien sûr. Avec sa famille. Avec Max Halberstadt, à Hambourg, qui fume des cigares trabucos, comme Freud, qu'il prend en photo. Et tout le livre se feuillette, comme cela, passant d'un personnage à un autre, de la vie de l'auteure à celle de ses rencontres, et de ses yeux, couleur de lassitude. Et l'on croise Heinele, petit-fils de Freud, et la tombe d'un très jeune enfant grâce à qui elle ne fume plus. "Tu es ma compagne de l'ombre". 

Et viennent encore des souvenirs de l'enfance, de Hanoukka, des parents aussi, d'un disque des Beatles acheté alors. "Come Together". Et les parents retrouvés sur le bateau ! Et puis, c'est le pèlerinage à Varsovie, un progrom, puis on arrive à Treblinka... Le livre s'achève bientôt. Halberstadt, "un nom pour échapper à l'oubli. Un nom pour dire : "Voilà d'où je viens." Le livre est merveilleusement écrit, on s'y perd et l'on s'y retrouve, sans cesse, pour que l'on se demande nous aussi, d'où l'on vient, et où l'on va. L'auteur a su mélanger ses souvenirs, son présent, l'histoire : le montage est excellent. Un excellent film, ou, mieux, une belle émission de radio.