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mardi 22 août 2023

Etudié bien longtemps après, portrait de Hitler avant Mein Kampf

Anne Quinchon-Caudal, Avant Mein Kampf. Les années de formation d'Adolf Hitler, Paris, CNRS Editions, 386 p., Bibliogr., Index.

Ce livre est indispensable pour tenter de comprendre et d'expliquer l'ascension au pouvoir d'Adolf Hitler. Il s'agit des années d'immédiate avant et après guerre, de 1908 à 1924. Il s'achève par un petit texte de Dietrich Eckart, sensé rapporter une conversation avec Adolf Hitler (Der Bolschewismus von Moses bis Lenin. Zwiegespräch zwischen Adolf Hitler und mir, pp. 245-357). Ceci est révélateur, sans doute, des idées par lesquelles est passé Hitler dix ans avant sa prise de pouvoir.
L'ouvrage de Anne Quinchon-Caudal, Professeur à Dauphine, est prudent, très prudent. Elle doute de la validité des témoignages venant des amis de Hitler ; ils la laissent "perplexe". Elle confronte les affirmations citées par Mein Kampf avec les courriers de Hitler et elle peut affirmer qu'il n'était pas antisémite avant 1919. D'une manière générale, l'auteur est très prudente - j'insiste - et, du coup, elle convainc ses lecteurs et lectrices. Mais les éléments pouvant servir de preuve sont bien rares.
D'abord, de 1908 à 1918, l'auteur s'interroge et interroge tous les témoignages possibles : Hitler n'était manifestement pas antisémite alors. Ensuite vient  "l'entrée en politique" de Hitler qui ne commence d'ailleurs pas par l'antisémitisme. Ce n'est que sous l'influence de Dietrich Eckart, celui dont elle dit qu'il aurait été "l'accoucheur" et le formateur de Hitler, que ce dernier devient antisémite. Dietrich Eckart était d'une vingtaine d'années l'aîné de Hitler ; il échoua à ses études de médecine, sans doute à cause de sa consommation d'opium, et devint un auteur de théâtre assez médiocre qui a toutefois connu un certain succès avec sa traduction de Peer Gynt (Henrik Ibsen). Dietrich Eckart écrit pour la presse nationaliste et antisémite, se rapproche du parti nazi (le NSDAP) et d'Adolf Hitler qui se met alors à dénoncer "l'enjuivement" de l'âme allemande. 
En 1922, Hitler commence à être publiquement appelé le Führer ; il abandonne Dietrich Eckart qui décèdera bientôt. C'est alors le chapitre 3, "La constitution d'une idéologie ferme et cohérente sous l'influence de Dietrich Eckart (1920-1923)". En conclusion, quelque peu risquée, Anne Quinchon-Caudal considère que la force de l'idée nazie est celle d'une religion politique qui s'est incarnée "dans le petit messie monstrueux modelé par Dietrich Eckart". Logiquement donc, c'est l'ouvrage de celui-ci dont elle présente et effectue la traduction annotée ensuite. Anne Quinchon-Caudal est germaniste de formation, ce qui la préserve des conclusions hâtives ; il est d'ailleurs dommage que le livre ne donne pas la version originale à côté de la traduction. 

Voici donc un travail solide sur l'origine de Hitler et de l'hitlérisme. On peut regretter que son auteur ne puisse véritablement conclure ce travail mais c'est la force même de son analyse qui rend toute conclusion difficile et improbable. Est-ce que cela tient au personnage de Hitler, tellement dissimulé à partir de Mein Kampf, ou bien à la faiblesse de l'outillage intellectuel dont nous disposons encore actuellement pour les analyses historiques ? En tout cas, grâce à l'ouvrage de Anne Quinchon-Caudal, on a incontestablement progressé dans l'analyse de la formation du nazisme et de la "généalogie intellectuelle" de la pensée de Hitler, ce "symptôme", comme l'énonce prudemment aussi Nicolas Patin, autre éminent spécialiste, dans son introduction à Avant Mein Kampf. Pas de conclusion, telle est donc la conclusion de ce livre très bien mené.

mercredi 9 novembre 2022

Une école privée juive et républicaine en proche banlieue parisienne

 Joseph Voignac, Juive et républicaine. L'école MaImonide, 219 p. Bibliogr.

En octobre 1935, alors que l'Allemagne se laisse aller, avec ferveur, à l'antisémitisme, la France crée et ouvre une école s'adressant à la population juive. En juin 1939, cette école commémore le cent-cinquantième anniversaire de la Révolution française, mais elle doit disperser professeurs et élèves quelques mois plus tard, en septembre 1939, pour ne rouvrir qu'en septembre 1945. Elie Wiesel y sera élève, quelques semaines. Le premier lycée juif est créé : ce sera le collège Maïmonide, bientôt situé au 11 rue des Abondances, à Boulogne-Billancourt. On y entre après un examen d'entrée, comme en tout établissement secondaire de l'époque. Aujourd'hui, l'école Maïmonide est sous contrat d'association avec l'Etat ; ses enseignants, ceux qui enseignent les matières laïques, sont payés par l'Etat et ils/elles ne sont pas tou-te-s juifs.

Dans l'histoire de cette école, il y a ensuite l'arrivée en France des Juifs d'Afrique du Nord, entre 1950 et 1970, plus de 200 000 immigrés qui, pour beaucoup, cherchent une école pour leurs enfants, et une école avec internat : choc des cultures entre deux traditions, l'une, ashkénaze, venant d'Europe de l'Est et l'autre, séfarade, venant du Maghreb. Et puis, il y a aussi la solidarité avec Israël, célébrée lors de la guerre des Six Jours. Mais la résistance aux risques d'attentats antisémites transformera aussi l'école, protégée par des soldats.

David Messas prend la direction de l'école en 1968 avant de devenir grand rabbin de Paris. Maïmonide ouvre enfin une école maternelle ; dès lors, la formation est complète, de la maternelle au baccalauréat. Les locaux sont modernes et "Maïmo" recrute désormais des enfants dont certains parents sont eux-mêmes des anciens élèves.

Le livre raconte l'histoire de cette école qui s'est fortement professionnalisée et compte environ 1500 élèves. Elle est solidaire de l'histoire de la France juive. Son architecture a bien changé, modernisée. Mais elle est restée républicaine et quelque peu bourgeoise, conciliant pourtant parfaitement le judaïsme et la république. Elle ne vise pas uniquement à former des rabbins mais surtout des cadres pour la république. Comment, dans une époque marquée par des attentats antisémites, concilier cet espoir d'ouverture avec la prudence que réclament parents et enfants ? 

lundi 4 janvier 2021

Nietzsche, ramené enfin à l'essentiel


Marc de Launay, Nietzsche et la race, La librairie du XXIème siècle, Editions du Seuil, Paris, 2020, 178 p.

Ce livre ne passera pas inaperçu aux lecteurs déjà habitués de Friedrich Nietzsche. De ceux qui franchiront le titre, si peu avenant, et, à mon avis, plutôt maladroit, ou tellement adroit que beaucoup de lecteurs risquent de s'y perdre voire de ne pas commencer de lire ce livre pourtant indispensable à la compréhension de Nietzsche. 
Marc de Launay est l'un des meilleurs spécialistes français de Nietzsche, et il dirige l'édition des oeuvres de Nietzsche en Pléiade.

Tout d'abord, ce livre était indispensable pour mettre fin, clairement, et sans discussion, à l'idée d'un Nietzsche hitlérien et sympathisant des idées nazies. Cette idée d'origine antisémite et nazie, est née des initiatives de la soeur de Nietzsche, elle-même antisémite intéressée et épouse d'un antisémite notoire à l'époque. 

Dans cet ouvrage, Marc de Launay analyse quelques unes des idées nazies, celle de race (et de lutte des races) associées à Nietzsche, d'homme aussi et il recadre les principales idées de Nietzsche sur le surhomme. Mais, surtout, il démontre que le nazisme n'a en aucune manière affecté la philosophie de Nietzsche. 
Cette philosophie n'est pas facilement accessibles et l'auteur cite la phrase d'Ovide chère à Descartes :"Bene vixit qui bene latuit" ("Vivre caché c'est vivre heureux"). 
"Etre allemand comme il faut, c'est se dégermaniser" ("Gut deutsch sein, heisst sich entdeutschen") proclame Nietzsche. Cette proposition est à lier à celle qui voudrait "exclure du pays les braillards antisémites" et l'Europe est à penser comme le contraire du cosmopolitisme, mais comme "celle de l'affrontement aiguisé des esprits libres issus de chacune de ses composantes culturelles".
Nietzsche n'était pas antisémite, même s'il a connu quelques maladresses dans ses débuts : les Juifs sont "le peuple le plus fatal de l'humanité" ou encore "Ce que l'Europe doit aux Juifs ? Beaucoup de choses, bonnes et mauvaises, et surtout ceci qui appartient au meilleur et au pire : le grand style dans la morale, l'horreur et la majesté des exigences infinies, [...] tout le romantisme sublime des problèmes moraux". 
Nietzsche ne supportait pas la "bêtise antisémite" et ce livre formidablement intelligent, intéressant, le rappelle à chaque page. Pas toujours facile à lire mais passionnant. L'auteur est fin lecteur, il ramène Nietzsche à l'essentiel.