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mardi 29 décembre 2015

xkcd, humour scientifique et informatique


Randall Munroe, xkcd, volume 0, breadpig, San Francisco, 2009, 111001 p. $15,77

J'ai trouvé ce webcomic sous le sapin. Sympa, le Père Noël !
L'auteur de cette BD, diplômé de physique, a travaillé à la NASA. Son public de prédilection est celui des scientifiques et des informaticiens ; leurs références culturelles transparaissent à chaque page, complicité : mathématiques, informatique, jeu vidéo, technologie, Web, langage, et "relationship" aussi. xkcd est sous-titré "a webcomic of romance, sarcasm, math and language". Le tout est souvent présenté sous forme graphique : histogrammes, courbes, diagrammes, très peu de texte. Connivence de champ.

xkcd est une référence tri-hebdomadaire de la culture des étudiant-e-s scientifiques américain-e-s et au-delà, à la périphérie. Dans cet idiolecte, où l'on parle Python et Linux couramment, il y a des allusions aux matrices de rotation, au SQL, aux problèmes NP complets, à xorg.conf...  (cf. ci-dessous, l'avertissment (Warning) qui vaut, dans son ironie, comme un positionnement revendiqué). Mais on y évoque aussi Harry Potter, James Bond, Matrix, le marketing, Mario Kart... Grand écart culturel ? Constitution d'un espace culturel distinctif (champ) centré sur les mathématiques et l'informatique, culture des ingénieurs et chercheurs des entreprises du numérique (sur ce point, voir "ethnologie de la startup"?).

xkcd manie le sarcasme et l'humour ; le webcomic aime aussi à se moquer et plaisanter : de l'iPhone (cf. The xkcd phone), de Wikipedia, de Linux, des commentaires YouTube... Auto-dérision, distinction ?

Tout y est conçu pour le plaisir des geeks (ou nerds ?) : pagination en skew binary, énigmes codées à déchiffrer (pas faciles du tout)...

Parodie d'avertissement aux lecteurs du site.

Outre cet ouvrage, Randall Munroe est également l'auteur de deux livres :
  • What If?: Serious Scientific Answers to Absurd Hypothetical Questions (2014)
  • Things explainer (2015)
xkcd 0, p. 110120

dimanche 20 janvier 2013

Notions surfaites ou branchées : de quoi parlons-nous ?

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Hans von Trotha, Das Lexikon der überschätzten Dinge, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt, 2012, 220 Seiten

Ce livre n'est qu'une liste de mots ; tous ces mots ont en commun, selon l'auteur, de désigner des notions, des objets, des marques, des pratiques qui sont surestimées, glorifiées, idéalisées (overrated), mises en avant sans raison, dont on exagère l'importance (du verbe "überschätzen"). Ce sont des mots à la mode dans l'Europe germanophone (entre autres). Ils constituent une partie du sol commun de la communication en allemand, des "petites mythologies" (Roland Barthes, 1957).
L'exagération est un travers peu perçu de notre style de communication, de notre conversation, de notre bavardage : volonté de briller avec le vocabulaire, de se faire voir, de revendiquer une appartenance, de convaincre aussi (enseigner, n'est-ce pas toujours exagérer).

Le numérique contribue largement à cette liste hétéroclite de mots (dont beaucoup viennent de l'anglais) : par exemple, les emoticons, les call center et le cloud computing, les algorithmes perçus comme la magie du XXIème siècle, etc. La créativité lexicale du virtuel s'exprime en images : chat room, cyber sex, digital natives, Wikipedia. Elle s'exprime aussi dans la multiplication des abréviations (exemple : LG pour Liebe Grüsse omniprésent dans les courriers) et des mots-valise (Kofferworte) sur le modèle de Dokudrama, Dokusoap, Bollywood, Denglish, etc. Surfaits : les émissions culinaires, les points bonus des statégies de fidélisation, les romans historiques, la communication d'Ikea, le vocabulaire de Facebook ("Gefällt mir", "Mag-ich", etc.). L'auteur ironise sur Powerpoint, qui standardise les raisonnements simplifiés en Bullet Points ; il ironise à propos de l'iPhone aussi, objet fétiche, article de mode, et son prix.

Chacune des contributions, d'une page en environ, est caustique et provoquante toujours, allusive souvent, drôle parfois. Mais l'effet principal - qui peut-être n'est pas recherché par l'auteur - naît de la liste, de la succession alphabétique, qui produit des juxtapositions et des collisions inattendues. Par delà cet effet de liste, il y a un effet global qui, progressivement, fait ressentir le ridicule de nos manières de parler, de nos exagérations satisfaites. Ce texte oblige le lecteur à prêter une attention renouvelée aux mots qu'il entend, à ceux qu'il prononce pour ne pas les laisser parler à sa place (séduction du signifiant), à ne pas se laisser aller aux clichés convenus et à leurs connotations non maîtrisées.
Ces textes sont plus ou moins intraduisibles dans une autre langue : car chaque langue a ses mots enflés de fierté et de puissance dont espère profiter celui qui les prononce (acte perlocutionnaire). Ces mots sont produits dans des contextes sociaux et culturels spécifiques, discours autorisés (électoraux par exemple), marketing et publicité (branding), émissions de télévision grand public, grande distribution, etc. La culture de masse depuis qu'elle numérise ses médias, cherche à donner aux clients l'illusion que chacun d'eux est traité comme une personne à part ("Signalisiert wird dem Kunden das Gefühl, etwas Besonderes zu sein", à propos de Ikea, p. 93).

L'auteur a lu et utilise Victor Klemperer et son LTI ; on pressent l'émergence inquiétante d'un langage totalitaire déjà à l'oeuvre derrière les usages qu'il épingle : exagération qui marche et enrôle. Passé le plaisir d'un humour omniprésent, la lecture nous met mal à l'aise, ridiculisant notre communication et son côté Bouvart et Pécuchet : eux aussi étaient avides de mots à la mode.
Cet ouvrage, qui jamais ne jargonne, illustre l'idée d'une sémiologie au sens où l'entend Saussure : "science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale". Sauf que l'on ne sait pas qui emploie ces mots, quelle est leur fréquence d'emploi, leur contexte d'emploi.


Version chinoise
Véronique Michel, La Chine branchée, Editions Sépia, Paris, 2012, 109 pages, biblio., 12 €

Véronique Michel illustre les évolutions de la société chinoise à partir des expressions nouvelles qu'elles installent dans la communication. Elle a repéré et décortiqué des expressions chinoises courantes, plus ou moins à la mode. Sans aucune prétention d'analyse, l'auteur réussit à épingler des jeux de mots révélateurs du changement social en cours. Les typologies que produisent à foison les études sont révélatrices : les tribus (族) ont des noms drôles : "insectes d'entreprise" (ceux qui restent au bureau faute de vie personnelle), les "zéro Pascal" (pas de stress), les "étudiants d'outre-mer" (tortues de mer), la tribu du pouce (les damnés du texto, 拇指族), etc. Cette créativité lexicale est favorisée par les jeux sur les prononciations du chinois (changements de tons). Le livre ne manque pas d'humour et plaira à ceux qui aiment le chinois.

dimanche 5 juin 2011

Bibliothèque numérique du Figaro

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Cela n'a pas fait beaucoup de bruit, c'est bien dommage.
Voici une application gratuite (iPhone, iPad), bien faite, qui propose des ouvrages repris de la collection publiée en 2008 par Le Figaro et les Editions Garnier. Bibliothèque d'ouvrages classiques que l'on étudie, ou étudiait ou devrait étudier dans les classes. La présentation est claire, la lisibilité excellente, l'ergonomie essentielle évidente. Reste à augmenter le nombre d'oeuvres proposées.
Copie d'écran d'Ipad. Sommaire pour une oeuvre.

Accompagnant chaque texte intégral, l'éditeur fournit quelques outils complémentaires : résumé, indications biographiques, situation de l'oeuvre, sélection de passages clés, dont l'un est lu à haute voix.
Un dictionnaire intégré manque toutefois terriblement. Cela permettrait -d'autres applis le font (iBook, Kindle)- d'un simple click, d'accéder à la définition plus ou moins détaillée d'un mot. Indispensable pour lire des oeuvres anciennes.

Les forts en thème trouveront à redire : la documentation est restreinte, les fonctionnalités limités, etc. Certes. L'ambition de cette bibliothèque n'est pas, à ce stade, de constituer des outils scolaires mais de disposer de ces textes sur un support mobile, tablette ou smartphone,  pour le plaisir de lire.

Finalement, la presse renoue avec son histoire, lorsque, au 19e siècle, elle publiait en feuilleton certains de ces grands textes quand leurs auteurs étaient vivants : Balzac, Baudelaire, Gauthier...
Pour une prochaine mise à jour, on aimerait un dictionnaire, un moteur de recherche plus riche, des signets plus commodes.

N.B. A propos de "Un coup de dés" : pourquoi n'avoir pas profité des possibilités du numérique pour restituer une édition adaptée aux exigences mallarméennes de mise en page, au lieu de réduire ce poème à une désolante et linéaire uniformité ?
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mercredi 4 mai 2011

Le livre, à la manière des tablettes : Point Deux (.2)

Affichage sur MediaKiosk



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Les tablettes s'emparent du livre. Le livre se moque des tablettes, et s'en inspire. C'est Point 2 (.2).

Conçu par l'éditeur néerlandais Jongblet, repris, en France, par les éditions La Martinière (Seuil, 11 €), il s'agit un mini format dit "ultra-poche" (8x12 cm, 123 g) tenant compte de l'évolution des attentes provoquées par la fréquentation des smartphones et surtout des tablettes, l'iPad étant la référence. Il s'agit de modifier l'ergonomie des livres pour en maximiser la maniabilité (dont la portabilité) : reliure "vol-au-vent", lecture en mode paysage, parallèle à la reliure avec des lignes plus longues, papier opacifié, marque-page, etc.

Maniable, ce livre l'est puisqu'il tient dans la main, ne se referme pas trop quand on l'a ouvert. Retenons de ce nouveau format que l'on peut encore apporter des améliorations au livre traditionnel, que le papier mérite encore des innovations, des startups, des investissements technologiques. Le numérique force les médias traditionnels à évoluer, il ne les condamne pas. Ce qui les condamne, c'est un passage conformiste, sans réflexion, au numérique, une abdication technologique. Regardez la présentation vidéo par le site de l'éditeur qui compare les Point Deux aux tablettes, elle ne manque pas d'humour.

Parmi les premiers ouvrages publiés (35 titres au catalogue la première année), j'ai lu les "Chroniques de la haine ordinaire" de Pierre Desproges, qui reprennent le texte de ses émissions sur France Inter, en 1986. Puisque l'on parle de médias, je vous recommande le chapitre "Sur la grève" (de l'audio-visuel public) du 16 mai 1986 (p. 147 ; d'ailleurs, vous observerez à cette occasion que, si l'éditeur a changé le sens des pages, il a toutefois laissé la pagination à son ancienne place...). Et Pierre Desproges, vingt cinq ans après, est toujours d'actualité, tandis que les noms de ceux qui dirigeaient les médias à l'époque sont bien oubliés.

dimanche 9 janvier 2011

Le Chat nous prend pour qui ?

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Nouvel album BD du Chat (Philippe Geluck) : "Le Chat, acte XVI", Paris, Editions Casterman, 48 p.

Aphorisme sur l'appli iPhone (copie d'écran). 
N'a-t-on pas dit déjà des publicitaires qu'ils
étaient "Mirror Makers" (Stephen Fox, 1990) !

Le Chat ne peut résister aux médias, ou, plutôt, comme il regarde notre société, armé d'humour et d'un espiègle bon sens, il ne peut manquer les médias. Cet album, comme la plupart des précédents compte de nombreuses notations sur la publicité et les médias. Et ses aphorismes, ses sophismes ironiques en quelques bulles, sa trop subtile logique tombent tellement juste. On dirait parfois du Wittgenstein.
Et comme Phillippe Geluck est né dans les médias (RTBF, Le Soir, TV5, France Inter, Europe 1, France 2, Télérama), comme le Chat, à ses heures, fait de la pub aussi (MMA, Volkswagen), ils savent de quoi ils parlent.

Exemple. Dès le haut de la première page, la Chat demande aux lecteurs d'éteindre leur portable, comme on le fait désormais avant le début d'un concert ou d'une représentation théâtrale : "les acteurs du théâtre et les chanteurs d'opéra valent-ils mieux que nous ?" A la fin de la BD, on est invité à rallumer son portable ! Ainsi, en quelques vignettes, est posée la question de l'interaction des médias, de la hiérarchie des usages, etc. Lequel interrompt l'autre ? Mieux que quelques slides sur le multi-tâche !

Le Chat a désormais son appli iPhone. Pour 1,59 €, elle donne accès à un dessin inédit chaque jour, entre autres. Un peu d'humour et de décrassage dès le matin, cela ne saurait nuire. Nouvelle manière de lire les BD : une vignette à la fois. Si l'on considère que 300 vignettes (environ) sont vendues 10 € dans un album, tandis que 300 vignettes par an sont vendues 1,59 € avec une appli, alors, le Chat numérique, c'est vraiment pas cher !
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dimanche 14 novembre 2010

La fin du walkman à cassette

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Belle et brêve émission de France Musique : "Le Mot du jour", de Pierre Charvet (dispo en podcast). Celle du 8 novembre 2010 portait sur la fin du walkman, lancé par Sony en 1979. Tellement populaire, le nom propre est devenu nom commun. Antonomase : qui prend la place du nom. Succès pour le produit générique, pas toujours pour la marque. Le nom s'efface, comme se sont effacés les mots gramophone, théâtrophone, électrophone... L'iPod ne va pas très bien non plus menacé par le smatphone multi-usage. Obsolescence programmable ?

Et de rappeler la scène irrésistible de "La Boum" (1980) où Sophie Marceau succombe à la bulle de tendresse qu'apporte le walkman dans le vacarme de la sono. Quelle réalité n'aurait-on échangée contre ce slow de rêve... "Dreams are my reality".
Et déjà, des médias s'en remettaient à la psychiatrie pour dénoncer l'isolement provoqué par le walkman. Mieux aurait valu s'interroger sur les raisons de s'isoler. Sans doute plus compliqué, moins démagogique !
En fin d'émission, un peu de la Neuvième dirigée par Karl Böhm. Merci, Monsieur Charvet.

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lundi 16 août 2010

Générations médias

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Michael Jäcker, "Was unterscheidet Mediengenerationen. Theoretische und methodische Herausforderungen der Medienentwicklung", Media Perspektiven, Heft 5 - 2010, pp. 247-257.

La revue de langue allemande, Media Perspektiven est une revue de la régie publicitaire de ARD, la première chaîne allemande du secteur public de radio-télévision (ARD-Werbung Sales and Services). Elle couvre l'activité de recherche média et publicité en Allemagne.

"Qu'est ce qui différencie les générations médias ?" Que les technologies marquent ou définissent des époques est une chose. Que les technologies de communication distinguent les générations en est une autre. On va souvent vite en besogne lorsque l'on s'en tient au groupe d'âge comme variable d'homogénéisation et que l'on omet ce qui disperse ce groupe d'âge, hétérogène quant à l'assimilation des technologie : la capital culturel et scolaire légitime, la situation économique, l'habitat, etc. Toutes variables héritées de la famille ("ein Defizit, das den Kindern quasi durch die Eltern vererbt wird", p. 250).
Au prix de quelle cécité met-on l'accent sur la génération, pourquoi privilégier cette notion ? Ainsi, parler de "digital natives" n'a pas de pertinence sociologique mais constitue un de ces fameux discours d'accompagnement des intérêts économiques d'une époque : il faut bien encourager la consommation des technologies "modernes" et démoder les anciennes ; ces notions font partie de la panoplie d'incitation et promotion de la modernité. Il est plus vraisemblable que toute nouvelle technologie disperse un groupe d'âge selon ces variables, que la technologie numérique n'est pas "une" et qu'une population s'en approprie plus ou moins certains de ces traits. Et que, pour une familiarité ou des usages donnés d'une technologie émergente, les proximités sont plus le fait de la situation économique et du capital culturel que de la génération. Toute technologie crée des classes d'usagers, classes qui recrutent dans toutes les générations. Aussi, parler de "génération iPhone", c'est user d'une terminologie maladroite pour parler de l'époque de l'iPhone.

L'article de Michael Jäcker est consacré aux enjeux méthodologiques et théoriques de la recherche média. Dans sa première partie, l'auteur reprend et passe au crible des notions courantes, qui (de notre point de vue) font obstacle épistémologique à une approche rigoureuse des médias (obstacles verbaux, selon Bachelard) : la notion de génération et de catégories d'âge elles-mêmes ("Kritischer Umgang mit Alterskategorien erforderlich") et l'hypothèse d'homogénéité de culture et de comportements qui l'accompagne ("Homogenitätsannahme"), la notion d'ère de d'information ("in einem Informationszeitalter zu leben"), la notion de "digital divide", le primat donné à l'inter-générationnel sur l'intra-générationnel, etc. Equipé de ce doute que l'on souhaiterait plus systématique, hyperbolique, dans la recherche média, l'auteur reprend les études qui traitent des générations média. Exposé et critique salutaire.

D'une manière générale, on observe une réticence, une résistance des travaux sur les médias à prendre en compte des variables scolaires (réussite, échec, filière), des variables de modes de vie pour s'en tenir plutôt à des notions courantes, commodes et peu distinctives (sexe, âge, équipement, niveau de vie, etc.). Tout se passe comme si tout était fait pour écarter les différences. On veut à tout prix trouver dans les médias une culture uniformisante, la classe d'âge transcendant les classes économiques et culturelles. Pourtant, tout indique le contraire : le prix d'un téléphone varie de 1 à 10, les factures de téléphone également, l'accès à Internet varie considérablement selon les équipements, les types d'abonnements : s'en tenir au fait de disposer d'un téléphone portable pour parler de génération numérique, variable dichotomisée, simplifie tout. De même, pour faire "masse", prendre comme critère le fait d'"utiliser Internet au moins une fois par semaine" (voire "une fois par mois" !)... Toutes ces statistiques simplificatrices aplatissent les différences ("nivelliert diese Differenzierung") et contribuent à l'illusion pacifiste d'un monde irénique, unifié et débarrassé des "luttes des classes" par et dans la technologie. Sociologies euphorisantes !

Ce travail de synthèse donne un éclairage critique indispensable sur l'épistémologie d'une recherche média empêtrée dans des méthodologies inappropriées (l'analyse d'une recherche américaine sur des étudiants et Internet), stérilisantes, conçues pour des pratiques d'habitude, suivant la règle des trois unités : "Qu'en un jour, en un lieu, un seul fait accompli // Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli", le média analogique suivait encore Boileau ! La déclaration était facile et crédible. A vouloir aujourd'hui traiter les médias numériques avec les méthodologies conçues pour des médias analogiques, le travail de recherche est relégué dans la sphère des études de célébration et d'accompagnements (cf. travers détecté par Sandrine Médioni dans sa thèse).
La première urgence dans les études média est d'inventer des méthodes de recherche propres à l'univers numérique, d'en établir les cadrages indispensables. Et, surtout, de définir cet univers dans sa relation aux pratiques plus anciennes et qui subsistent : non seulement la télévision et la presse, mais aussi, ce que l'on "perçoit moins" comme médias, l'écriture manuscrite, la conversation face à face, la réunion, la présentation, la carte de visite, le marketing direct, le cinéma en salles, la montre, la carte postale, etc. Quel est le statut de ces pratiques, comment se mélangent-elles à celles nées des technologies numériques ?
Enfin, la notion de génération, comme d'autres catégories de massification, doit sans doute beaucoup à la difficulté d'accès des chercheurs aux "autres" : autres générations, autres milieux sociaux dont témoignent le nombre de travaux faisant appel aux échantillons d'étudiants, aux "inactifs", aux classes moyennes... gibiers faciles des enquêtes..
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mardi 3 août 2010

L'iPhone et l'amour du musée

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L'iPhone investit le musée. L'appli iPhone de l'exposition prend la place du guide de l'exposition, invitant à une visite linéarisée où l'on enchaîne les "tableaux d'une exposition" comme dans une visite guidée.

Dans le musée : invitation à télécharger et utiliser l'appli 
Pour l'exposition "Edvard Munch ou l'Anti-Cri" à la Pinacothèque de Paris : l'appli est vendue 3,99 €, chaque tableau (numéroté) est commenté.
Remarquable outil qui complète et enrichit la visite, au même titre que le le catalogue (qui n'est pas encore disponible en livre électronique). Grâce à cette appli, la visite peut être préparée, sauvegardée, approfondie, assurant plus aisément "la présence, dans [notre] vie, de ce qui devrait appartenir à la mort" (Malraux). Le numérique réinvente le "musée imaginaire"

D'autres fonctionnalités issues des transformations numériques se dessinent, concernant la gestion et l'organisation du musée "réel" et de ses publics :
Copie d'écran d'iPhone

  • Connaître les audiences, les déplacements, le temps d'arrêt dans chaque pièce, devant chaque tableau, gérer les files d'attente : tout cela que peut apporter le numérique au musée (Majority Report). Dans un musée, on observe comme dans tout espace social,  une trajectographie des visites, une économie de l'attention, une notion de durée (répétition, revisites), etc. L'optimisation de l'espace et du temps muséaux permet d'améliorer le confort de la visite et de rendre compte de l'attention portée aux partenaires de l'exposition (ici : FNAC, Media Transports, Paris Match, La Tribune, LCI, France Info).
Mais, ce que ne changera pas le numérique, ou à peine, c'est "l'amour de l'art". L'école, l'université et la famille en détiennent les clefs, seules capables de rompre la "reproduction" et l'exclusion de "l'amour de l'art". L'effet de la distance géographique, si discriminante dans les pratiques culturelles, peut être atténué par le numérique mis à portée de tous, plus que ne pouvait le réaliser le livre d'art. 

Références
Pierre Bourdieu, Alain Darbel, Dominique Schnapper, L'amour de l'art. Les musées d'art européen et leur public, Paris, Minuit
André Malraux, Le Musée imaginaire, Paris, Gallimard
Chloé Tavan, "Les pratiques culturelles. Le rôle des habitudes prises dans l'enfance", INSEE Première, N°883, février 2003.
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dimanche 27 juin 2010

Ecriture et polyphonie numériques

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Evoquons d'abord l'oeuvre majeure du romancier américain John Dos Passos, USA Trilogy : The 42th Second Parallel, NineTeen NineTeenThe Big Money (1930-1932-1936)Cette trilogie romanesque sur les Etats-Unis entremêle quatre modes narratifs :
  • des récits au style indirect de la vie de douze Américains
  • Newsreels, collages d'extraits de la presse de l'époque (Chicago TribuneNew York World), titres, articles, messages publicitaires, paroles de chansons
  • The Camera Eye qui laisse parler les "états de conscience" ("stream of consciousness"), une "sous-conversation" du narrateur 
  • des biographies de personnages "historiques" (Henri Ford, Thomas Edison, etc.). 
Jean-Paul Sartre célébra Dos Passos (texte repris dans Situation, I, que vient de rééditer Gallimard) et signala cette polyphonie dans laquelle il retrouvait "le point de vue du choeur, de l'opinion publique".

Second exemple. Dans ses Essais de Théodycée, Leibniz imagine des livres munis de liens hypertextes renvoyant à des images de la réalité (zooms). Ce que la déesse Pallas montre à Théodore dans un appartement monde, "le livre des destinées" : "Mettez le doigt sur la ligne qu'il vous plaira [...], et vous verrez représenté effectivement dans tout son détail ce que la ligne marque en gros" [...] "On allait en d'autres chambres, on voyait toujours de nouvelles scènes" (o.c. p. 361). Nous sommes en présence d'une sorte d'iPad avec une interface qui deviendra classique recourant à des métaphores spatiales (appartement, chambre, etc.). Sorte de réalité virtuelle (VR).

Ces deux textes illustrent le besoin, manifeste depuis longtemps, d'un mode de narration polyphonique, plurimédia, mulidimensionnel que rendent aujourd'hui possibles Internet et les tablettes. Aujourd'hui, la trilogie de Dos Passos combinerait interviews audio, liens vers des journaux, vidéo, messages publicitaires, textes, photos, etc. Les biographies qu'imagine Leibniz aussi.
Une nouvelle "écriture" peut naître des nouveaux suppports numériques. Un livre numérique n'est pas le support nouveau de livres anciens conçus pour le papier, selon des normes éditoriales établies il y a quatre siècles ou plus, et numérisés à l'identique. Pour John Dos Passos, écrit Jean-Paul Sartre, "Raconter, c'est faire une addition" (o.c.). Addition multimédia aujourd'hui.
  • Le livre électronique désigne une oeuvre écrite par un auteur numérique (tentons cette expression) pour des supports numériques (eBooks). C'est la possibilité et la promesse d'une nouvelle écriture (et le fondement d'un droit d'auteur). Tel quel, ce livre n'existe guère (ou pas encore). Son droit d'auteur, lorsqu'il se mettra en place, devra-t-il s'inspirer de celui du cinéma (l'oeuvre cinématographique est convergence et synergie de métiers) ?
  • Ce n'est pas seulement un support matériel ("opus mechanicum", "ein körperliches Kunstprodukt", dans les termes de Kant), ce qui regrouperait aujourd'hui un ou plusieurs fichiers lisibles sur un support électronique quelconque (kindle, iPad, PC, iPhone, etc.). 
  • Ne pas commettre l'erreur de confondre en un seul mot les deux notions ("und nun besteht der Irrtum darin, dass beides miteinander verwechselt sind", Kant, o.c.).
  • La notion d'auteur revient à l'ordre du jour, retrouvant des situations connues autrefois par les oeuvres pour le papier (cf. l'illustration par Roger Chartier dans Cardenio entre Cervantès et Shakespeare. Histoire d'une pièce perdue).
Note bibliographique
Kant (Immanuel), "Was ist ein Buch", in Die Metaphysik der Sitten, 1797, (je ne trouve pas de traduction française en librairie !).  En allemand et en gothique
Benoit (Jocelyn), "Qu'est-ce qu'un livre", Textes de Kant et Fichte, PUF Quadrige, 1995
Foucault (Michel), "Qu'est qu'un auteur", 1969, Dits et écrits 1, Gallimard Quarto, pp. 817-849
Leibniz (Gottfried, Whilelm), Essais de Théodycée, 1710, Editions GF-Fammarion, 1969
Chartier (Roger), "Qu'est-ce qu'un livre ?", Les Cahiers de la Librairie, N°7, janvier 2009
Chartier (Roger), Cardenio entre Cervantès et Shakespeare. Histoire d'une pièce perdue, Gallimard, 2011
Macherey (Pierre), "Qu'est-ce qu'un livre", Université de Lille, novembre 2003

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jeudi 4 mars 2010

Lettres croisées de Jérôme et Augustin

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Voici les lettres croisées de deux éminents théologiens chrétiens, Pères et Docteurs de l'Eglise, échangées à la fin du quatrième siècle de notre ère (394-419). Edition bilingue (latin / français), traduction et annotation par Carole Fry.
Bien sûr, il ne s'agit pas ici de commenter les débats théologiques qui constituent le coeur de ces échanges épistolaires, mais d'observer, guidé par l'introduction de Carole Fry, ce que cette longue et lente correspondance révèle du courrier, de sa culture et de son histoire. La lettre est l'un des médias majeurs de cette époque romaine ; le décalage historique, en dépaysant, fait voir les transformations subies par ce média depuis une quinzaine de siècles, transformations invisibles lorsque l'on s'en tient à de brèves périodes d'observation. Pour situer l'écart à la norme de la correspondance des deux célèbres théologiens, l'auteur publie en annexes quelques pages consacrées aux usages épistolaires extraites d'un manuel de rhétorique de l'époque, rédigé par Caius Iulius Victor. Par bien des aspects, sauf la longueur des missives, cette correspondance suit les usages courants de l'époque.



  • Les lettres sont dictées, dites d'abord. Par conséquent, l'écriture, l'invention, la rhétorique suivent d'abord une logique orale ; elles ne sont pas manuscrites par l'auteur (olographes) mais par un secrétaire. L'auteur, au mieux, ajoute quelques mots de sa main à la fin de la lettre en la signant pour l'authentifier. La dictée et la lecture à voix haute par un tiers sont la règle, surtout pour des auteurs âgés qui ont mauvaise vue. 
    • Voilà qui renvoie aux applications et logiciels permettant de dicter sur un ordinateur ou un téléphone, de faire lire des textes à voix haute sur un ebook...
  • Le latin de cette époque, et de ces deux auteurs, est une langue de distinction, presque ésotérique, volontairement non populaire : "si les textes latins sont difficiles à comprendre, c'est qu'ils ont été conçus pour l'être", souligne Carole Fry. 
    • Quel est l'équivalent de ce latin, aujourd'hui ? Qu'est-ce qui assure, dans l'univers numérisé, cette fonction langagière de distinction, de séparation socio-linguistique ?
  • La lettre est souvent lue en chemin par des lecteurs imprévus, indiscrets parfois, qui s'intercalent entre l'auteur et son destinataire au cours des différentes étapes de l'acheminement. L'intimité du courrier n'est pas assurée, auteurs et destinataires le savent et en tiennent compte. La lettre peut être non seulement lue mais aussi copiée et recopiée, et ceci d'autant plus que la lettre est longue et peut être assimilée à un traité (libellus). Le sachant, l'auteur écrit aussi pour ces destinataires clandestins, au-delà de la cible à qui la lettre est adressée (exemplaria). La notion de correspondance privée est relative : quand le destinataire reçoit sa lettre beaucoup l'ont déjà lue avant lui, ont créé du buzz, parfois souhaité et bienvenu, parfois hostile. 
    • De la même manière, Internet est un lieu de correspondance publique souvent asymétrique (blogs, commentaires, mur de Facebook, etc.) où se redessine la notion de communication privée.
  • La mise en page (colométrie) joue un rôle dans la lecture des lettres manuscrites. La lettre est mise en page par le secrétaire, selon des standards précis formateurs d'habitudes de lectures. 
    • Les travaux de eyetracking et d'ergonomie visuelle dans le e-mailing commercial cherchent à repérer les stratégies de lecture.
  • Le temps épistolaire de cette époque n'est pas le nôtre. Le transport de la lettre est approximatif, assuré par des messagers parfois peu scrupuleux, dans des conditions difficiles (naufrages, vols) ; aussi, le temps séparant l'envoi d'un courrier de sa réception peut être très long. En cours de route, les lettres peuvent être perdues, modifiées (falsifiées), détournées pour un temps de leur destination. Ainsi, la lettre N°102 mettra deux ans pour atteindre Augustin à Hippone, port romain en pays Berbère, (aujourd'hui Annaba, Algérie), transportée par mer, depuis Béthléem, au sud de Jérusalem, où habite Jérôme. Cette incertitude du courrier oblige les auteurs à renvoyer certaines lettres qui, heureusement, ont été recopiées et archivées avant envoi (cf. pp. 108-109). 
    • Notre conscience du temps est formée par le rythme de la communication. Le rythme des médias électroniques se rapproche de la conversation face à face, la correspondance Augustin-Jérôme de celle des livres. Les courriers égarés n'ont pas disparu avec le courrier électronique (dans la boîte à spam, mauvais libellés, changements d'adresse, modifications sur les serveurs, etc.) et l'exigence pénible d'archivage. Rien n'est jamais sûr.
  • Tout ceci explique la difficulté d'établir aujourd'hui le texte authentique (ecdotique) de cette correspondance : il y a tant de variantes, de commentaires intégrés au texte original, de mises à jour plus ou moins justes, d'accrétions diverses. Comment faire la part de "l'incurie des copistes", des messagers et celle d'une oralité parfois débraillée dictant dans l'urgence ("la fougue de celui qui dicte", dit Jérôme) ? 
    • Qu'est-ce qu'un texte authentique, faut-il en séparer les commentaires, exclure les "copiés collés" ? Qu'est-ce qu'un auteur ?
  • Carole Fry conclut son introduction en évoquant la traduction : éloge du renoncement, de l'humilité du traducteur (p. LXIV) qui ne peut se sortir d'une telle épreuve qu'avec une traduction littérale, enrichie de notes explicatives.
L'histoire de la correspondance remet en perspective notre sensibilité au temps ; rien de plus historique, de plus cultivé que notre sensibilité "spontanée". L'authenticité d'un texte, la vie publique d'un texte privé, le rapport au temps dans la communication et ses effets sur l'écriture, sur la pensée, la confidentialité, la discrétion, autant de notions "naturelles" et évidentes que ce livre invite à considérer. D'autant qu'avec Internet, la communication électronique (blog, copie, faire suivre, etc.) retrouve certaines des propriétés anciennes du courrier que les XIX et XXièmes siècles ont refoulées.
Ce livre constitue un point de repère précieux pour la compréhension et l'analyse des médias numériques. La connaissance des médias se lit où parfois on ne l'attend pas.
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