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lundi 12 octobre 2020

La mémoire retrouvée des camps de la mort

Yishaï Sarid, Le monstre de la mémoire, roman traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz, Actes Sud,  2020, 158 p., 18,5 €

Il s'agit d'un roman. Peut-être. En tout cas, l'éditeur le déclare. Un roman historique puisque le héros, un israélien, guide les visiteurs, d'abord des lycéens et lycéennes, dans les camps de concentration allemands en Pologne : Chelmno, Treblinka, Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Belzec, Majdanek...

Cet ouvrage est en fait une très longue lettre au président de Yad Vashem, "le représentant officiel de la mémoire" (Yad Vashem est en Israël le lieu du souvenir des victimes juives du nazisme). L'auteur, lui, raconte ce qui l'a conduit à son métier de guide dans les camps d'extermination nazis et comment il a fait son métier. 

D'abord, il apprend l'allemand puis rédige sa thèse de doctorat qui compare "les méthodes d'extermination mises en oeuvre dans les camps de la mort allemands". On le suit donc dans ses visites, et l'on apprend les moindre détails. Les lycéens se drapent du drapeau d'Israël, kippas sur la tête et chantent l'hymne israëlien, Ha Tikva ("L'espérance"). Mais aussi le curieux sentiment qui s'empare des auditeurs : "Et un dernier point qui s'est lentement imposé à moi au fil des années : l'admiration secrète qu'éveille le meurtre perpétré avec une telle détermination, avec un brio conjugué à l'audace exigée pour mener à bien cet acte - si précisément défini - de cruauté ultime après quoi il n'y a que le silence". 

La thèse pour le doctorat sera soutenue et publiée avec des illustrations photographiques. L'auteur mentionne des faits, à l'occasion ; ainsi rappelle-t-il les faibles effectifs qui constituaient l'encadrement de chaque camp (30 Allemands à Treblinka plus 150 Ukrainiens et 600 Juifs). Le héros, modestement rémunéré, participe aussi à la mise en scène d'un jeu vidéo sur Auschwitz, comme conseiller ; il accompagne des officiels aussi, des militaires, des diplomates, un cinéaste... La vie passe, son fils grandit...

L'ouvrage raconte ainsi, dans les détails, l'histoire des camps d'extermination, et la vie de guide régulier dans les camps... Mais la vie du narrateur est rongée par ces faits historiques qu'il a appris et récités si précisément aux visiteurs...

L'ouvrage, le roman, est excellent, bien écrit (très bien traduit donc). Beau travail d'historien aussi. L'auteur rend présentes la vie et la mort dans les camps, sobrement. Et les réactions d'un israélien à cette histoire.

samedi 25 avril 2020

Kafka : Prague, ville source


Harald Salfellner, Franz Kafka und Prag. Ein literarischer Wegweiser, 120 Seiten, 9,9 €

Marek Nekula, Franz Kafka and his Prague contexts : Studies in Languages and Literature, translated from Czech, Karolinum Press, 242 p., Index,  2016.

Deux livres achetés lors d'un bref séjour, à Prague, dans le quartier des synagogues. Prague où l'on ne parle plus guère l'allemand. Et pourtant Prague, reste toujours un peu la ville de Kafka, la ville où il est né le 3 juillet 1883. Deux ouvrages peuvent guider les touristes quelque peu curieux.

Le premier livre est un guide littéraire ("ein literarischer Wegweiser") dans la Prague de Kafka. Très utile biographie de la ville de Kafka puisque, comme il le disait, nous vivons encore dans "la vielle ville juive malsaine" ("die ungesunde alte Judenstadt") qui est "en nous beaucoup plus réelle que la nouvelle ville hygiénique autour de nous". Le livre raconte d'abord l'installation multiple de la famille Kafka à Prague, ses déménagements successifs, et le travail (la famille est "sans cesse dans les affaires", "immerfort im Geschäft"), sans compter les six naissances (Franz est l'aîné). 
A Prague, Franz Kafka va à l'école primaire, puis au lycée et à l'université où il s'inscrit en droit. A la fin de ses études, il sera déclaré Docteur en droit, en juin 1906.
Le livre nous promène ensuite dans les différents quartiers de Prague : où l'on visite les cafés, le marché, les synagogues, les rues, le tribunal où Kafka fera ses classes et qui inspirera sans doute les décors du Procès. Puis les assurances, et l'entreprise où il travaillera durant l'essentiel de sa vie professionnelle et où il fera carrière ("Arbeiter Unfall Versicherungs Anstalt"). Enfin, au cimetière, la tombe de Franz Kafka et de ses parents (les trois soeurs cadettes seront assassinées en camp de concentration, à Auschwitz).

L'ouvrage de Marek Nekula est un ouvrage académique, sérieux et très rigoureux. L'auteur se livre à un exercice méticuleux, abondamment annoté : il lui faut prouver son point de vue, contre une histoire malfaisante, stalinienne. La défense de Kafka contre la censure soviétique est finalement simple : "For us in Czechoslovakia he means more. He was born in Prague; his entire life and his entire oeuvre are bound up with our capital city and our land... Memories and stories of  Kafka in which truth and fiction are intertwined circulate amongst the simple people of Prague's old town. His work contains the imprint of our worries". Kafka, c'est donc Prague. Et il faut le localiser. Bien sûr, cette localisation est en partie le contexte religieux.
Mais, la localisation, ce sont aussi les langues qui lui étaient familières et qui le délocalisent sur place. Marek Nekula en dresse un inventaire précis : latin et grec durant huit années à raison de cinq à huit heures par semaine au lycée, français (quatre années, deux heures par semaine). Kafka lit le français couramment. L'italien il l'a appris pour son travail, comme l'anglais et l'espagnol. Kafka connaît aussi l'hébreu qu'il pouvait lire et écrire, il connaît bien sûr le yiddish qu'il possédait parfaitement. Enfin, Kafka parle l'allemand et le tchèque, langues apprises toutes deux à l'école et qu'il parle en famille, langues maternelles en quelque sorte. Au total, c'est une dizaine de langues, plus ou moins bien maîtrisées, qui vont constituer son capital linguistique, dont il tire profit, à différents moments de sa vie, professionnelle et personnelle.

L'allemand est sa langue maternelle, la langue de la famille. Le verbe mauscheln (magouiller, traficoter) fera d'ailleurs dans le livre de l'objet de Marek Nekula d'un chapitre entier ; car, pour les anti-sémites, le verbe servait à dénigrer la manière de parler allemand des Juifs.
La formation tchèque de Kafka est étudiée en détails, de l'école qu'il a fréquentée à ses lectures multiples, à son contexte littéraire.
Et enfin, on retrouve Kafka dans Prague la ville qu'il lit couramment. Beau travail, enquêtes bien conduites. On sent que l'auteur veut réhabiliter Kafka dans sa ville, sérieusement.

Cet ouvrage remet Kafka, enfant de Prague, dans son unique contexte. Enfant de Prague d'abord, de ses rues et de ses monuments, qu'il connaît comme le dos de sa main, jusque par en-dessous les ponts de la ville où il dériva en barque. L'auteur est convaincant, le livre est précis. Voici un beau livre pour la biographie intellectuelle de Kafka. On lira mieux Kafka après l'avoir refermé, prêt à chercher à mieux comprendre Kafka, "sa tendresse presque incroyable et sa sophistication intellectuelle presque macabre et sans compromis" (Milena Jesenská).

lundi 23 septembre 2019

Retour dans les "camps" de la mort



Ginette Kolinka (avec Marion Ruggieri), Retour à Birkenau, Paris, Grasset, 100 p.

L'ouvrage est modeste mais fier et ferme. L'auteur se souvient de son expérience de Birkenau, Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt, camps de déportation et de concentration, et d'extermination. Célèbres.
Elle est alors une jeune fille. Elle raconte ce qu'elle a vécu, perçu : les coups, la faim, le froid. La haine aussi, et quelques rares solidarités. A sa sortie, elle pèse vingt kilos.
Comment survivre à une telle expérience ?
Elle y retourne pourtant, bien des années après. Elle n'aime pas ce qu'elle voit d'Auschwitz, musée trop bien organisé maintenant. Elle n'aime pas non plus Birkenau ("maintenant, c'est un décor") ; elle n'y voit plus qu'un "faux lieu". Elle, elle peut imaginer encore l'odeur, la saleté... alors que le Birkenau qu'elle retrouve est "bien propre" : "je ne ressens rien", dit Ginette Kolinka.

Evoquer son expérience pour des lycéens ? "Je ne vais pas dans les musées, peu au cinéma, encore moins au théâtre... Je n'ai pas de conversation...". Alors, non... Mais, finalement, elle y va et fait le travail.
Le livre dit les camps d'abord, sa vie dans les camps, et s'achève avec le retour dans sa famille, son mariage et, sur le tard, l'accompagnement de voyages de lycéens qui visitent les camps avec leur classe. C'est bref, bien écrit, clair et simple. Sans fioritures, direct. Pas de bavardages.
Edifiant.
Mais les camps que l'on visite aujourd'hui ne sont plus ce qu'ils ont été ; et c'est tant mieux ! Quel sens alors ont les visites ? Comment leur faire dire leur histoire, notre histoire, l'Histoire ?  Les modalités du tourisme ordinaire sont vaines, au mieux. Il faut d'autres outils pour que l'horreur parle et fasse peur, et, peut-être, nous guérisse... Mais quels outils ? Des films, mais alors quel montage ?
Il faut les inventer, et c'est urgent.