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lundi 28 août 2017

L'enrichissement : renouvellement conceptuel de la marchandise


Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 29 €, 2017, 663 p. , Bibliogr., Index des notions et des noms.
En annexe : "Esquisse de formalisation des structures de la marchandise", par Guillaume Couffignal, pp. 503-558. (à partir de la théorie mathématique des catégories).


Cet ouvrage constitue un outil fondamental, indispensable, pour la réforme de l'entendement médiatique et publicitaire. Luc Boltanski est un auteur clef des sciences sociales ; depuis La découverte de la maladie (1968), Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie (1965) et Les cadres : formation d'un groupe social (1982), Luc Boltanski renouvelle sans cesse son approche du monde socio-économique et des outils pour l'analyser : Le Nouvel Esprit du capitalisme (1999), La Condition fœtale. Une sociologie de l'avortement et de l'engendrement (2004), De la critique. Précis de sociologie de l'émancipation (2009) et puis, Enigmes et complots : une enquête à propos d'enquêtes (2012) constituent des composantes essentielles de son œuvre. Son plus récent ouvrage, avec Bruno Esquerre, vise le cœur de l'actualité sociale, politique, culturelle qu'il permet de saisir avec rigueur.

"L'âge de l'économie de l'enrichissement", correspond à celui de la désindustrialisation des pays occidentaux. Destruction créatrice ? Pour compenser cette désindustrialisation, tout se passe comme si se mettait en oeuvre une marchandisation de biens jusqu'à présent hors du commerce, sans prix. Pour comprendre la société française contemporaine et ses tensions, les auteurs rapprochent dans leur travail plusieurs manifestations récentes de la marchandise, des domaines généralement séparés : celui des arts et de la culture, celui des musées et des galeries, des objets anciens (antiquités, brocante), du luxe, du tourisme, des collections (grandes et petites). Ces secteurs, notons le, repésentent une partie non négligeable des investissements publicitaires et médiatiques (sites web, magazines, éditions, émissions de télévision, événements, fêtes, commémorations). Leur point commun est "de reposer sur l'exploitation d'un gisement qui n'est autre que le passé", et la production d'un "métaprix". Les interactions entre ces domaines sont nombreuses et cohérentes : les auteurs proposent une systématisation sous la forme de groupes de transformation liant puissance marchande et présentations (analytique ou narrative). Tel est le point de départ d'une "économie de l'enrichissement".

Marché du passé et
de la nostalgie, août 2017
Cet enrichissement est à comprendre comme l'enrichissement de choses déjà là, trouvées donc ; des économistes classiques y verraient sans doute des externalités positives, des aménités, des effets d'agglomération. Ce sont des choses exploitées "surtout en les associant à des récits", d'où le rôle des médias et de la publicité ; il faut aussi y voir des sources supplémentaires d'enrichissement pour les riches qui en font commerce. "Par le terme de marchandise, nous désignons toute chose à laquelle échoit un prix quand elle change de propriétaire". Revenons à Marx (dont la terminologie et l'influence sont sans cesse présentes dans cet ouvrage). L'énorme accumulation (collection : die Sammlung ?) de marchandises (Das Kapital  : "eine ungeheure Warensammlung") que Karl Marx évoque pour caractériser la richesse des sociétés où règne le capitalisme ("der Reichtum der Gesellschaften") s'accroît de l'enrichissement que montre l'analyse de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre.
La patrimonalisation est une dimension essentielle de cet enrichissement, peut-être donne-t-elle naissance à une "classse partimoniale" (cf. Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, Vers l'extrême. Extension des domaines de la droite, 2014, Editions dehors). La presse et la publicité représentent à la fois un vecteur et un observatoire du développement de cette économie à laquelle elles contribuent par un storytelling (narration) généralisé et renouvelé : presse du tourisme, du terroir, du patrimoine local et régional, des collections de toutes sortes (voir, par exemple, l'important travail de publication du quotidien régional Ouest France). Presse empreinte d'enthousiames, de fierté, de célébration et de nostalgie, guide du savoir vivre (lifestyle), savoir acheter, voyager, presse emplie d'argus et de conseils, voire de trucs.

Bourgogne Magazine,
hors série, juin 2017.
Collection, terroir,
monuments, tourisme...
L'approche des auteurs est à la fois descriptive (analyse de la "dextérité commerciale des acteurs", dextérité inégalement répartie mais indispensable) et historique : la marchandisation se généralise alors que les profits tirés de l'industrie ont tendance à diminuer. Ce livre constitue une réflexion économique hétérodoxe dans son refus de séparer économie, sociologie, histoire sociale et anthropologie (comme le veut la division actuelle du travail universitaire, que les outils numériques pourraient commencer à bousculer). "Structuralisme pragmatique", disent-ils, qui inclut une analyse historique des compétences cognitives. Approche pragmatique, artisanale même, du travail d'enquête, méthodologie rebelle par construction à tout dogmatisme. Révision de la notion de valeur et de mise en valeur. Etudes de cas, démonstrations : examen détaillé de la "forme collection", de la "forme tendance" (qui se caractérise par une probabilité de dévalorisation), illustration convaincante à l'aide d'un travail approfondi sur Laguiole et ses couteaux.

L'ouvrage se compose de 14 chapitres  répartis en quatre grandes parties : la destruction et la création de richesses, prix et formes de mise en valeur, les structures de la marchandise, et enfin, "à qui profite le passé". Pourrait-on ajouter le paysage, la nature (cf. les parcs naturels régionaux) ?

On ne résume pas un tel livre, tellement riche, ne dissimulant pas la complexité de son approche mais nous croyons pouvoir affirmer qu'il apporte beaucoup à l'analyse du fonctionnnement des médias et de la publicité : il permet en effet de relier, "unifier" des catégories et domaines / notions tels que la célébrité, la marque, la collection, le tourisme, le terroir, le patrimoine, le pays, les racines, le luxe, l'événement, le centre d'intérêt. "Le terroir c'est la France", titre le trimestriel Grand seigneur (Technikart) en été 2017. Toutes ces catégories floues sont courantes et évidentes pour les pratiques professionnelles du marketing et de la publicité. Peut-être, les auteurs gagneraient-il à prendre en compte davantage, à un niveau plus élémentaire, concrêt, le travail publicitaire et le rôle des médias, dans l'enrichissement des marchandises, les effets de marque et leur construction (capital de marque, branding), le rôle des people ("influenceurs"). Et, par conséquent, les métiers concernés, leur savoir-faire. La communication, notamment celle des collectivités locales et des régions, semble un facteur essentiel de l'enrichissement (par exemple, le magazine aquitain, le festin, toute la nouvelle aquitaine en revue). Comment prendre en compte cette contribution des médias (journalisme, native advertising) et de la publicité à l'économie, contribution savamment ignorée des calculs économétriques actuels) ?

Hors-série du Bulletin d'Espalion, juin 2017 :
patrimoine et art de vivre
Cet ouvrage éclaire et charpente des phénomènes dont on a professionnellement l'intuition pratique (sur la presse, par exemple), il permet de forger des concepts pour analyser et comprendre l'activité publicitaire et médiatique.
Il faudrait sans doute ajouter à cette description de l'enrichissemment sa dimension plus modeste qui mobilise les loisirs créatifs, le bricolage (récup, vide greniers, Do It Yourself, rénovation) que favorisent des entreprises comme leboncoinEtsyA Little Market, EBay. De même, pourrions-nous attribuer à cet enrichissement la prolifération de magazines (et leurs hors série) consacrés à l'histoire et au rôle du passé car, observent les auteurs, "le présent est toujours commandé par le passé" et les différentes et inégales capacités d'hériter et, notamment, à sa dimension locale (à rapprocher du tourisme, des collections, du patrimoine, du terroir, de la généalogie). Cf. Magazines français : toute une histoire. Analyser aussi le positionnement et l'échec de la chaîne de télévision Campagnes TV (2013 - 2017) qui se voulait "la chaîne où les ruraux et les urbains se retrouvent" : "Campagnes TV. Gardons les pieds sur terre !".

Ajoutons trois remarques (qui ne sont pas des objections, plutôt des questions) :
  • La célébration du terroir, des racines, du patrimoine, des traditions ne va peut-être pas sans risque culturel. "A la découverte du plus beau pays du monde", sous-titre le magazine Partir en France qui souligne d'ailleurs qu'il s'agit d'"un ici qui appartient à tous"Enrichissement idéologique, "Disneylandisation" ? comme dit l'anthropologue Philippe Descola (Cultures).
  • L'information des auteurs, par nécessité, est souvent de seconde main. C'est le drame lancinant de la sociologie de ne pouvoir parler et généraliser qu'à partir de données déjà construites, commodes, accessibles. Faute de données brutes (data ?), il faut toujours se contenter, non sans risques épistémologiques, d'analyses secondaires, de narrations.
  • L'univers des marques, l'observation des tendances (leur prédictibilité) se transforment avec la mise en œuvre des données et du machine learning (classifications, etc.). S'agit-il d'une nouvelle "forme de mise en valeur" ? Faudra-il bientôt parler d'une "forme data", forme incluant la connaissance pratique des prix pratiqués, de la clientèle, des consommateurs et usagers (visites, usages langagiers, etc.) ? Actuellement, cette connaissance (data science) échoue pour l'essentiel dans l'outillage des réseaux sociaux, des moteurs de recherche... autres lieux d'enrichissement (GAFAM).
  • Reste la chanson de George Brassens sur les "imbéciles heureux qui ont nés quelque part"...


C'est une lecture indispensable.


jeudi 16 juin 2016

Soft Power, euphémiser la domination et l'influence


Mingiang Li (edited by), Soft Power. China's Emerging Strategy in International Politics,  2009.  $13,05 (articles de Mingjiang Li, Gang Chen, Jianfeng Chen, Xiaohe Cheng Xiaogang Deng, Yong Deng, Joshua Kurlantzick, Zhongying Pang, Ignatius Wibowo, Lening Zhang, Yongjin Zhang, Suisheng Zhao, Zhiqun Zhu)

Cet ouvrage reprend, en l'appliquant à la politique culturelle chinoise, la notion de "soft power" (软实力). La notion a été élaborée par Joseph F. Nye dans son ouvrage Bound to Lead. The changing nature of American Power, publié en 1990.

Cette notion de science politique (international affairs) est confuse, voisinant avec un fourre-tout conceptuel mêlant des notions qui empruntent à l'idéologie (appareils idéologiques d'Etat, superstructure, légitimation), à l'impérialisme culturel, au colonialisme. En réalité, le soft power est une idée ancienne, classique, ânonnée depuis longtemps par des générations de jeunes latinistes : Horace déjà avait perçu le rôle de la culture dans les relations internationales quand il évoquait la Grèce, qui, vaincue militairement, brutalement, a finalement vaincu Rome par la culture et les armes, douces, de la langue, de l'éducation... ("Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti latio"Epitres, Livre 2). Par certains de ses aspects, la doctrine du soft power évoque celle du général russe Valery Gerasimov : “nonmilitary means of achieving military and strategic goals has grown and, in many cases, exceeded the power of weapons in their effectiveness".

Le soft power s'apparente à une sorte de "violence symbolique", peu perceptible voire invisible, tandis que le hard power est une violence brute, armée, évidente. A l'un, la séduction, le charme, la persuasion, l'attraction, l'admiration même ; à l'autre, la menace, l'intimidation, la force. Toutefois, la séparation des deux formes de pouvoir reste délicate. Un pouvoir doux peut se retourner : la puissance de certaines marques américaines et de leur marketing (branding) a déjà été dénoncée comme symptôme de domination économique (McDonald's, Coca Cola, Disney, Barbie, etc.).
L'esthétique chinoise (architecture, parfums, mode, cuisine, gastronomie, luxe. Cf. l'ouvrage dirigé par Danielle Elisseeff, Esthétiques du quotidien en Chine, IFM, 2016 ) peut s'apparenter au soft power...

En général, le soft power succède au hard power de l'économie. C'est une arme diplomatique. De ce fait, la participation aux organisations internationales relève aussi du soft power.

Quelles sont les armes du soft power chinois ?
La langue chinoise appartient aussi au soft power, tout comme l'éducation : mise en place du système de romanisation pinyin (拼音), implantation d'Instituts Confucius dans les universités, échanges internationaux d'étudiants. Les technologies linguistiques et les industries de la langue : la traduction automatique est essentielle dans cette perspective (le travail de Baidu, etc.), le but étant d'effacer les barrières linguistiques et d'étendre son marché.

L'ouvrage dirigé par Mingiang Li compte 13 chapitres. Les premiers étudient les discours et les documents officiels chinois sur le soft power et la stratégie qui s'en déduit (c'est aussi un outil de politique intérieure : voir le "Chinese dream", de Xi Jinping ). Dix chapitres traitent des forces et faiblesses du soft power chinois sous l'angle de la politique étrangère (notamment en Asie et en Afrique), de l'économie, de la culture et de l'éducation.
Rappelons que Xi Jinping, Président de la République chinoise, dans son livre The Governance of China (2015) consacre une partie intitulée "Enhance China's Cultural Soft Power" (Discours du 30 décembe 2013 devant le Bureau politique du PCC) ; il y évoque "le charme unique et éternel de la culture chinoise" et invite à réveiller l'héritage culturel de la Chine.

Trois questions ne sont pas abordées, et c'est dommage :
  • Le statut du discours multiculturel, tellement omni-présent : nous pensons notamment aux réflexions de François Jullien sur ce thème. Le discours sur le multiculturalisme (interculturel), et l'humanisme universaliste dont il se revendique, pourraient-ils n'être qu'un paravent du "soft power", une douce illusion ?
  • Où placer les pouvoirs du numérique qui semblent relever à la fois du pouvoir doux et du pouvoir dur, de même que la culture scientifique. Du point de vue chinois actuel, la culture traditionnelle, classique (confucianisme, taoïsme, etc.), relève également du soft power, ainsi que le sport et le divertissement (cinéma, jeux vidéo). La Chine met l'accent sur ces domaines (cfCinéma américain : Wanda, bras droit du Soft Power chinois) et sur les médias ainsi que sur le sport (en juin 2016, le distributeur chinois Suning prend une participation de 70% dans l'Inter de Milan, club de football professionnel). Les gouvernants chinois déclarent que la Chine est encore faible face à l'hégémonie culturelle américaine, qu'il s'agisse de programmes de télévision, de cinéma ou d'information (le rachat du South China Morning Post par Alibaba s'inscrit-il dans cette optique). Xi Jinping, dans l'un de ses discours (27 février 2014), déclare qu'il est nécessaire de faire de la Chine un pouvoir numérique (cyberpower, cyber innovation). C'est sans doute dans cette perspective qu'il faut comprendre la résistance aux armes nouvelles du soft power américain que sont Apple, Facebook ou Google (Netflix ?). L'Europe, en revanche, semble avoir choisi de ne pas résister...
  • Les réflexions théoriques chinoises questionnant la relation entre hard power et soft power ne concernent pas que les Etats-Unis et la Chine (on se souviendra des accords Blum-Byrnes de 1948, ouvrant le marché français au cinéma américain en paiement des dettes de guerre françaises). Le soft power apparaît comme une euphémisation des pouvoirs économique et militaire. La conversion de la domination militaire en domination économique puis en domination culturelle pourrait être analysée comme une conversion de formes de capital (cf. Pierre Bourdieu, sur la conversion de capital économique en capital culturel). La domination culturelle est meilleur marché que la domination militaire, plus acceptable, plus présentable aussi. Revoir à cette lumière l'histoire coloniale et, par exemple, l'histoire des relations américano-japonaises après 1945 (cf. Ruth Benedict, The Chrisanthemum and the Sword, 1946). Revoir aussi le rôle joué par l'ethnologie dans ces politiques.

dimanche 23 septembre 2012

Les médias et les bruits du silence

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George Prochnik, In Pursuit of Silence. Listening for Meaning in a World of Noise, New York, Doubleday, 2010, $ 11,99 (eBook), 352 p.

Un livre sur le silence ne peut ignorer les médias : s'il y a des médias silencieux (la presse, l'affiche en papier), il en est des bruyants (radio, télévision, jeux vidéo, téléphone, cinéma). Notre société vit dans un monde bruyant : bruits des médias, bruit de la ville, de la rue et des moteurs, bruit dans les magasins, les restaurants, les bistrots, bruits de la foule, de la cour de récré, du lieu de travail...
Ce que nous appelons silence est l'absence de tout bruit perçu.  Les partitions indiquent le silence, sa durée. Fait silence celui qui cesse de parler, de chanter, de jouer, le temps d'un soupir ou d'un demi-soupir. Est-ce là un degré zéro des médias sonores ou simplement un bruit que l'on n'entend plus, à force de l'avoir entendu, un bruit auquel on s'attend, auquel on s'est habitué. Le silence serait un bruit qui dérangerait si l'on ne l'entendait plus. "Il y a toujours quelque chose à voir, quelque chose à entendre" ("There is always something to see, something to hear"), affirme le musicien John Cage (Silence, 1961) qui, pour faire entendre ce bruit ambiant, composa "4'33''", opus où l'on n'a cru entendre que du silence (John Cage avait même envisagé de vendre du silence à Muzak !).

L'environnement sonore, "Soundscape", est force formatrice d'habitudes perceptives, certes. Que sait-on de l'habitus sonore acquis dans le bruit environnant, que toute une population partage plus ou moins ? "Tuning of the world" selon le titre d'un ouvrage canonique sur le sujet (de R. Murray Schafer, 1977). Bande-son de nos sociétés....
Pour comprendre le silence, l'auteur a mené une enquête quelque peu journalistique, allant dans toutes les directions recuillir des expériences du silence et du bruit. Des anecdotes, des travaux scientifiques, des entretiens avec toutes sortes de professionnels : astronaute, soldat, médecin, policier, psychologue, moine, acousticien, ingénieur, enseignant... Mais cette accumulation ne vient pas au bout de la question. Le plus intéressant, pour nous, dans ce livre, est ce qui touche à l'urbanisme, au marketing dans les points de vente et aux différentes formes de lutte contre le bruit : toutes ces dimensions du bruit nécessitant des mesures donc des objectivations.

Pourquoi tant de bruit ? 
Au point que tant de personnes en deviennent sourdes (hearing loss). Certaines populations africaines vivant loin du bruit ont, à 70 ans, une meilleure ouïe que des new-yorkais de 20 ans. Effet pathogène des appareils audio (iPod, etc.), effet des machines, des véhicules, bruit assourdissant des clubs, des concerts de musique populaire (rock, etc.), des salles de cinéma, des stades dont l'architecture est conçue justement pour créer et accentuer la sensation de bruit, de foule, pour euphoriser (on a gagné ! ). La célébration chez le "futuriste" Filippo Marinetti (Manifeste publié le 20 février 1909 à la une du Figaro) de la vitesse et du bruit, culminant dans le culte de l'automobile et des machines était prémonitoire.
"Acoustic stimulation": plus le rythme de la musique diffusée dans un restaurant est rapide, plus les clients mangent vite. Plus la musique est forte dans un bar, plus les consommateurs consomment. Le fond sonore des points de vente s'est emparé de la musique pour accroître les ventes ; muzak (créé en 1934), dmx (qui mobilise Pandora), Mood Media revendiquent une  "multi-sensory branding". Conditionnement musical pour travailler plus, dépenser plus...
Parfois, la musique s'est emparée des bruits : "Voulez-vous ouïr les bruits de Paris" (Clément Janequin, sur les cris des marchands), "Pacific 231" (Arthur Honegger, sur une locomotive à vapeur)...



"The right not to listen" : le droit de ne pas écouter
L'auteur rappelle que, en 1950, les passagers de la gare Grand Central Station, à New York, ont dû se mobiliser pour que cesse la diffusion de musique de fond sandwichée de messages publicitaires (fond sonore fourni par Muzak, en l'occurence). La gare avait vendu ses clients. Crainte de ces clients que bientôt les trains eux-même diffusent cette musique commerciale. Craignant pour la réputation de leur profession, les publicitaires se rallièrent aux manifestants.

Cet ouvrage invite à quelques interrogations
  • Il évoque peu l'exposition au bruit sur le lieu de travail. L'auteur est sans doute plus à l'aise avec les moines qu'avec les ouvriers du bâtiment !
  • Les expériences évoquées sont essentiellement américaines. On voudrait en savoir plus sur le silence dans d'autres cultures.
  • Faut-il étendre au "silence" la notion de "bien public", lui donner le statut d'un bien (commun ?) qu'il ne faut pas gaspiller ? La pollution sonore est si peu combattue... Le droit de ne pas écouter, de ne pas entendre est un droit de l'Homme. Question lourde d'implications : droit de refuser la publicité (opt-in), valeur de la publicité choisie, de l'engagement volontaire. On rencontre des questions soulevées par la publicité sur le Web.
  • Pourquoi ne pas reprendre et approfondir le concept de "schizophonie" (R. Murray Schafer) : les sons que l'on écoute séparés de leur contexte original (musique vivante enregistrée et amplifiée, paroles sans visage qui ne s'adressent à aucun visage, etc.). 
"Ôte toi de mon silence"
Combien de fois a-t-on envie de dire aux bruyants qui nous accablent de leurs médias : "Touche pas à ma tranquilité", "Baisse le son", "Ne téléphonez pas dans des lieux publics"... George Prochnic suggère que plutôt que s'opposer au bruit, il faut faire valoir l'importance du silence. Qui peut entendre cela ?
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A l'entrée de la Cathédrale Saint-Nicolas à Fribourg (Suisse)