lundi 23 mai 2022

Kafka au quotidien

Stéphane Pesnel, Album Kafka, Editions Gallimard, 2022, 250 p., Index nominum

C'est un bel ouvrage, conduit de main de maître, par un brillant normalien, germaniste (entre autres, spécialiste et traducteur de Joseph Roth) ; on lui doit notamment une contribution à la traduction d'oeuvres de Kafka dans le premier volume publié en Pléiade. L'album permet de mieux comprendre les écrits et la vie de Kafka ; les images font voir la ville de Prague, le célèbre pont Charles, l'horloge astronomique de l'hôtel de ville, le ghetto juif...

Le livre accorde une place importante aux reproductions de manuscrits de Kafka (dont la première page de sa Lettre au père, celle aussi du Procès, celle de La Métamorphose), de lettres (à Milena, etc.). Nous sommes confrontés aux couvertures de premières éditions, à des illustrations, à des pages de carnets de notes de vocabulaire hébreu (Kafka sera militant de la cause juive et avait envisagé d'aller vivre en Israël). Il y a des cartes postales de voyages (Lucerne, Paris, du Nord de l'Italie aussi) et des lettres. Il ya des photos de sa famille, père et mère, et de ses trois soeurs notamment qui vont mourir assassinées en camp de concentration nazi, de son ami Max Brod, des femmes qu'il a aimées et qui l'ont aimé, etc.

Le livre donne à voir un Kafka souvent mal connu, qui apprend l'hébreu, qui aimait nager, qui dessinait habilement (cf. deux pages de reproduction, pp.188-189), qui travaillait sérieusement, comme juriste, pour un société d'assurances (Kafka était titulaire d'un doctorat en droit). C'est donc à un Kafka bien peu imaginé par les non spécialistes que cet album nous confronte. Kafka dans Prague, sa ville, Kafka au travail, Kafka touriste, Kafka hébraïsant, Kafka romancier. Avec cet album, on lira mieux Kafka.


dimanche 15 mai 2022

Descartes et la fabrication d'un canon philosophique

 Delphine Antoine-Mahut, L'autorité d'un canon philosophique. Le cas Descartes, Paris, Vrin, 2021

Quel est le véritable Descartes, celui que l'on peut isoler aujourd'hui, par delà quatre siècles d'histoire de la philosophie ? Comment se constitue la canonisation d'un nom ? "On ne façonne et on ne rectifie son autoportrait qu'en interaction et par démarcations permanentes avec celles et ceux qui s'y emploient, y contraignent voire tentent de le faire à la place de l'intéressé. De têtes de Turcs en caricatures plus ou moins bienveillantes, on construit, on affine et on affirme sa figure". Ensuite, viennent bien sûr les diverses et successives réceptions de l'oeuvre, les biographies, les éditions et traductions, les interventions des proches et des héritiers, voire des disciples, etc. Tout ceci contribue à la constitution d'un canon.

Delphine Antoine-Mahut, normalienne, Professeur, qui enseigne la philosophie à l'ENS (Lyon), étudie minutieusement dans cet ouvrage l'histoire de Descartes et de la propagation des idées qui lui sont attribuées, depuis ses contemporains (Claude Clairselier) jusqu'à Charles Renouvier, en passant par Louis de La Forge, Nicolas Malebranche, Destutt de Tracy et Victor Cousin. Ainsi s'achève la statue de Descartes et la genèse du canon Descartes. L'histoir ne s'arrête pas là toutefois : quid de Descartes aujourd'hui ? Pour les lycéens qui l'apprennent en classe ?

Guerre, et paix par temps de guerre : Céline

 Louis-Ferdinand Céline, Guerre, Gallimard, 185 p. En annexe : Répertoire des personnages récurrents, et  Lexique de la langue populaire, argotique, médicale et militaire

Voici le dernier roman de Céline publié par Gallimard. Un "premier jet". Soixante ans après, le manuscrit qui avait été volé dans l'appartement de Céline à la Libération, est retrouvé et publié. 

Donc c'est la guerre et le maréchal des logis Louis Destouches vient d'être gravement blessé puis décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre. Mais cet événement n'est rien que le début de ce récit qui s'achèvera par le départ pour Londres. La suite du roman se poursuivra par la publication ultérieure de Londres, des compléments à Casse-pipe puis La volonté du roi Krogold. Donc on n'a pas tout lu encore.

Le livre, c'est du Céline, mais pas corrigé, ou à peine. Un peu de sexe, un peu de mésaventures, des personnages plutôt drôles. Tout cela dans une ambiance militaire et cela se termine plutôt bien. Ce n'est pas Appolinaire bien sûr, ni Aragon ("tu n'en reviendras pas..."). Céline, lui, aurait "attrapé la guerre dans la tête".  Et c'est cette guerre qu'il nous raconte.

Nous retrouvons ainsi le Céline classique, celui de Mort à crédit et de Voyage au bout de la nuit, mais pas tout à fait.