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dimanche 15 mai 2022

Descartes et la fabrication d'un canon philosophique

 Delphine Antoine-Mahut, L'autorité d'un canon philosophique. Le cas Descartes, Paris, Vrin, 2021

Quel est le véritable Descartes, celui que l'on peut isoler aujourd'hui, par delà quatre siècles d'histoire de la philosophie ? Comment se constitue la canonisation d'un nom ? "On ne façonne et on ne rectifie son autoportrait qu'en interaction et par démarcations permanentes avec celles et ceux qui s'y emploient, y contraignent voire tentent de le faire à la place de l'intéressé. De têtes de Turcs en caricatures plus ou moins bienveillantes, on construit, on affine et on affirme sa figure". Ensuite, viennent, bien sûr, les diverses et successives réceptions de l'oeuvre, les biographies, les éditions et traductions, les interventions des proches et des héritiers, voire des disciples, etc. Tout ceci contribue à la constitution d'un canon.

Delphine Antoine-Mahut, normalienne, Professeur, qui enseigne la philosophie à l'ENS (Lyon), étudie minutieusement dans cet ouvrage l'histoire de Descartes et de la propagation des idées qui lui sont attribuées, depuis ses contemporains (Claude Clairselier) jusqu'à Charles Renouvier, en passant par Louis de La Forge, Nicolas Malebranche, Destutt de Tracy et Victor Cousin. Ainsi s'achève la statue de Descartes et la genèse du canon Descartes. L'histoir ne s'arrête pas là toutefois : quid de Descartes aujourd'hui ? Pour les lycéens qui l'apprennent en classe (mais en reste-t-il ?) ?

mardi 25 mai 2021

Flaubert : le plus fort de la famille littéraire

 Album Gustave Flaubert, par Yvan Leclerc, Paris, 2021, Editions Gallimard, 256 p., Index

Il n'était certainement pas "l'idiot de la famille", comme Jean-Paul Sartre intitula sa biographie ; cette vie de Gustave Flaubert le démontre amplement. Cette vie est racontée en beaucoup d'images, vie illustrée dans le nouvel "album" Flaubert. Flaubert meurt le 8 mai 1880, il y a 141 ans. "Toute illustration en général m'exaspère", écrivit Flaubert. Et il s'explique : "Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L'idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu'une femme écrite fait rêver à mille femmes". Pas de biographie donc, comme pour Homère ou Shakespeare. Mais pourtant, 4500 lettres et tous ses manuscrits conservés disent Flaubert aussi, un autre Flaubert ?

On apprend beaucoup de Flaubert dans ce petit livre. De son Don Quichotte qu'il traita comme lecture fondamentale, par exemple, tout au long de sa vie. Flaubert ignorera la dessin que son entourage maîtrisait, il a fait manifestement "le choix des mots contre toutes les autres formes de représentation, considérées comme inférieures" mais il dira, néanmoins, dans le Dictionnaire des idées reçues, qu' "il y a des romans écrits avec la pointe d'un scalpel". Flaubert fait une scolarité correcte : bon latiniste et bon angliciste, il lit Spinoza dans le texte et Shakespeare aussi. Il admire Néron en histoire et Byron en littérature. "Comme on admirait Hugo!", écrit-il, et les héros du siècle, Werther et René, les auteurs à la mode aussi : Walter Scott, Balzac, Rabelais et Montaigne. S'il commence des études de droit à Paris, c'est de littérature que rêve Flaubert. C'est alors qu'il prend conscience de ses crises d'épilepsie et aussi qu'il fait connaissance de Louise Colet, sa maîtresse, féministe engagée, plus âgée que lui.

Ensuite, c'est le voyage en Egypte, tourisme sexuel et tourisme historique. Il s'en suit une infection vénérienne... Maxime du Camp, qui l'accompagna dans son voyage, le traitera d'"anti-voyageur". Flaubert est assis dix heures par jour à son bureau où il y a 1700 livres et des peaux de bêtes. Enfin, c'est Madame Bovary qui paraît en feuilleton dans le Revue de Paris, en octobre 1856. Procès : Flaubert est acquitté en février 1857. Mais le bovarysme est né que Jules de Gaultier définira, en 1892, "comme la faculté départie à l'homme de se concevoir comme autrement qu'il n'est". Mais ce sera, dit Maupassant "une révolution dans les lettres" : Isabelle Huppert interprétera Emma au cinéma, après que Jean Renoir en 1934 ait mis en scène Madame Bovary (1934). Et Jean-Paul Sartre se demande, en trois gros volumes, comment "l'idiot de la famille" devient l'auteur de Madame Bovary. 

Ensuite, ce sera Salambô, qui meurt, elle aussi. Flaubert voulait "rendre la vie intérieure des Carthaginois". "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar" : ainsi commence Salambô qui sera un succès public immédiat. Désormais, Flaubert a son jour, le dimanche. Il y reçoit Tourguéniev, Renan, Taine, les Goncourt et Georges Sand. Ensuite, ce sera L'éducation sentimentale. Il est décoré de la légion d'honneur ("les honneurs déshonorent", dira-t-il plus tard, pourtant). Et puis, ce sera Bouvard et Pécuchet encore avec le Dictionnaire des idées reçues : "Du défaut de méthode dans les sciences" ou, comme dit Yvan Leclerc, "une critique des images de masse, reproduites dans un but didactique".

Concluons. Flaubert écrit à Georges Sand : "Car j'écris (je parle d'un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d'aujourd'hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra". Yvan Leclerc a réussi un merveilleux livre, modeste dans le ton et précis, clair et complet. Cet album est un outil pour des débutants et un outil aussi pour les spécialistes de littérature, et pour les fans de Flaubert. 


lundi 26 octobre 2020

Jean-Paul Sartre, quand il se désengageait

 François Noudelmann, Un tout autre Sartre, Paris, Gallimard, 207 p.


Encore un ouvrage sur Sartre, certes mais l'idée principale en est que Jean-Paul Sartre qui s'est tant confié, expliqué, raconté, a quand même oublié de dire beaucoup de choses sur lui-même, sur sa vie. Oublié ? Pas si sûr ! Le "réenroulement rétrospectif" de la vie de Sartre omet des moments importants et sa psychanalyse existentielle est pleine de trous. Normal pour chacun(e) d'entre nous puisque nous ne visons pas la transparence totale, mais pour Jean-Paul Sartre, qui y prétendait, nous sommes tentés d'y percevoir des oublis révélateurs, voire calcuFrançois Noudelmann. 
Pour comprendre Sartre, François Noudelmann a privilégié plusieurs points de vue : on y voit un sympathisant communiste qui se rend en URSS, puis à Cuba, puis en Chine ; il regarde quelque peu ébahi les grands défilés militaires, et retourne en URSS encore, même après la Hongrie. Mais c'est qu'il y a, en URSS, une traductrice dont il est très amoureux. Voilà Sartre, qui raconte n'importe quoi pour les beaux yeux de son amoureuse : on pourrait penser à Louis Aragon, son rival politique d'alors, qui visite aussi l'Union soviétique, en amoureux !

Pour écrire, Sartre se drogue. Pour écrire la Critique de la raison dialectique, mais aussi pour d'autres écrits politiques, mineurs, conjoncturels. Il souffre d'écrire sans plaisir... 
Vladimir Jankélévitch voyait dans la culpabilité de Sartre le prix qu'il payait pour sa bien faible résistance au nazisme pendant la guerre. "L'homme a voulu coller à son époque, par culpabilité d'avoir été trop léger", conclut François Noudelmann qui ajoute, quelque peu espiègle : "S'appliquant la théorie hégeliano-marxiste de l'Histoire, il a, par volontarisme moral, cherché à incarner son temps et à lui imprimer une courbure. Cependant, à côté de la ligne officielle, il a souvent pris des tangentes". Car Sartre, c'est aussi, les tangentes ; par exemple, le dégoût de la politique : "Vivement la littérature dégagée !", s'exclame-t-il en 1952. Les tangentes, ce sont aussi de nombreuses femmes, à côté de Simone de Beauvoir, l'officielle, qui règne, en apparence : à côté, il y a eu Michelle Vian, et Lena Zonina, sa traductrice russe, et d'autres, mais surtout Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive.
François Noudelmann est convaincu que le vrai Sartre n'existe pas : il y a le Sartre politique, que l'on connaît bien, et l'autre Sartre, plutôt touriste que l'on ne soupçonne guère. A la fin de ses études, Jean-Paul Sartre aurait voulu enseigner à Kyoto, au Japon, mais cela n'a pas marché. Il a aimé son voyage aux Etats-Unis, et les reportages qu'il y fit, après guerre. Il a aimé l'Italie, beaucoup : avec Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive, juive algérienne, ils y tournent des films en Super 8 sur leurs voyages. "Fabrique de nostalgie" ? Mais on ne connaît guère ce Sartre là. Et c'est l'intérêt de ce livre que de le faire imaginer et de nous rappeler que l'on ne connaît de Sartre que ce qu'il a bien voulu rendre public.
L'auteur entraîne ses lecteurs du côté de "l'affinité" (élective ?) qui associe Jean-Paul Sartre et Arlette Elkaïm ; celle-ci, qui l'adoptera aussi, comme il l'adopta, intervient dans de nombreuses activités de Sartre dont, par exemple, le "Scénario Freud" (avec John Huston) ou dans le Tribunal Russel. Mais ce n'est pas là l'essentiel.
Le livre s'achève par la relation régulière de Jean-Paul Sartre et de sa fille à la musique classique, au jazz ("musique de l'avenir") et à la chanson. Une centaine d'heures d'enregistrement ; souvent il accompagne et elle chante.

Cet ouvrage est donc un ensemble de réflexions sur la biographie : on ne connaît pas Jean-Paul Sartre. Un Sartre qui joue à être Sartre, multipliant les moi, multiples, divisés ou flottants. Ce n'est donc pas seulement un "tout autre Sartre", sûrement pas, mais un portrait plus nuancé que nous propose François Noudelmann et qui vise "à sauver Sartre du sartrisme", à montrer un Sartre inactuel... et plus sympathique que le compagnon de route des communistes de la fin du XXème siècle.

François Noudelmann enseigne la philosophie à New York (NYU).

mardi 8 octobre 2019

Pour oublier l'oubli qui viendra


Alexis Sukrieh, L'apparition de l'oubli, Paris, L'Astre Bleu, Paris, 2019, 174 p.

"C'est logiquement dans le petit cimetière du village que mon père a été enterré, juste à côté de l'église".
L'idée de ce livre est simple, banale même, courante. Il s'agit du décès d'un proche, très proche, le décès du père. Le roman est inattendu et tellement attendu ; mais, d'ailleurs, est-ce bien un roman ? On ne s'attend à rien, et rien ne nous étonne. La relation au père est une relation complexe, familière et courante, familiale mais, pour chacun, chacune, tout à fait originale. Et l'auteur rend compte clairement de cette courante originalité, comme si elle s'accrochait à lui, lui qui ne l'a pas vu advenir. De scènes familiales en réflexions sur sa propre vie, Alexis Sukrieh raconte la mort de son père.

Ici, le père est médecin. Immigré, il a quitté sa Syrie natale et a épousé une normande, médecin aussi. Ils vivent près de Caen. Tout le reste est banal mais spécial ; car aucun père n'est banal, chacun est tellement spécial.
Comment quitter son père puisqu'il le faut, puisqu'il nous a quitté ? Telle est la question que pose ce livre. Comment l'oublier sans le perdre ? Comment en garder les mots, les idées, les réflexions qu'il a faites en passant, au petit déjeûner ou en conduisant ? Tout cela de tous les jours d'une vie qui s'en va et qui reste ; et qui reviendra aussi, parfois ? Le livre raconte tout : les dialogues avec le père, des souvenirs d'enfant, souvenirs d'école, de jeux dans le jardin, de vacances ; son père tondant la pelouse, achetant à son fils un costume, conduisant sa BMW un peu vieille mais tellement pleine de souvenirs... Le père est bilingue et il parle arabe, régulièrement. "L'ancien enfant" (Paul Eluard) se souvient aussi de vacances syriennes, des "miettes" de vacances, de Palmyre visité... Le père est multiple ; et les fils, la mère ne sont-ils pas multiples aussi ? Sans doute...

Les lecteurs seront étonnés par ce livre, simple d'apparence et complexe en réalité. L'auteur a su raconter le désastre, inévitable, du décès de son père. Car tous les pères sont mortels. L'auteur n'a rien vu venir, il n'a rien compris. Mais que peut-on comprendre de la mort d'un proche ? La devine-t-on ? Non, pas vraiment, semble avouer l'auteur qui raconte simplement sa surprise. Après ? "Il est déjà top tard, le temps des dialogues est révolu".
Le livre fait alterner les moments heureux et les moments qui entourent le décès ; la prise de conscience n'est pas savante mais humble, et ignorante. Le livre, à force d'être banal, fait voir l'extraordinaire qui se dégage. "Je n'ai plus aucun repère car je n'ai plus de père" (p. 136). A lire. Un beau livre. Parce que cela est bien conduit, et si simplement ; l'auteur met ses lecteurs au courant, tout simplement, et il poursuivra sa vie avec et, aussi, sans son père. Bien sûr. Dans le portrait de cette famille, on a parfois l'impression de manquer la mère, de l'oublier peut-être un peu, elle que l'on sent présente, forte, active pour ne pas perdre le moral, elle dont la vie pourtant est un peu partie aussi... Mais ceci est une autre histoire, encore.
Le lecteur referme le livre, étonné par cette histoire courante, attendue, et tellement inattendue. L'auteur a du talent : on attendra un autre livre.

dimanche 18 août 2019

Racine, jour après jour, son oeuvre


Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 942p., 2006, Bibliographie sommaire, index

Voici une immense biographie. Mille pages... et le lecteur ne s'ennuie jamais. La vie de Racine nous est contée par le menu, du moins au début, pour les années de formation de Jean Racine jusqu' à Andromaque, au moins.
Georges Forestier est un spécialiste reconnu du théâtre classique : on lui doit des travaux sur Molière, sur Corneille mais surtout un immense travail sur Racine dont cet ouvrage est un élément majeur, après l'édition de ses oeuvres théâtrales (Racine, Oeuvres complètes. Théâtre - Poésie, 1999, Bibliothèque de la Pléiade, 1801 p.).

L'ouvrage commence par regretter l'absence des manuscrits de l'époque : "une fois le texte imprimé, l'autographe partait au feu". Et puis, Jean Racine n'est pas non plus marqué par ses héros : il n'est ni Phèdre, ni Roxane, ni Bérénice, ni Hermione. Le biographe de Racine se trouve donc confronté à une difficulté majeure : Jean Racine n'est l'auteur que d'une douzaine de pièces de théâtre, et sa carrière d'historiographe de Louis XIV est restée fortement méconnue, suite à un incendie. Une douzaine de pièces seulement, mais quels succès !
Georges Forestier cite le duc de Saint-Simon qui a célébré Jean Racine : "rien du poète dans son commerce, et tout de l'honnête homme, de l'homme modeste, et sur la fin, de l'homme de bien". Et notre biographe de souligner que Racine, en 1699, à la fin de sa vie, reste un "homme de bien" et meurt sans n'avoir rien à regretter.
Notons encore que cette biographie revient sur l'échec des Plaideurs ou de Britannicus remettant en question les idées qui avaient dominé jusque récemment. D'une manière générale, le livre revient sur de nombreuses erreurs commises auparavant par les biographes de Jean Racine, erreurs qu'il rectifie, preuves à l'appui, modestement.

21 décembre 1639, naissance de Jean Racine dont la mère meurt l'année suivante ; lui, décédera soixante plus tard, presque jour pour jour. On ne saurait résumer un tel ouvrage : tout y est de la vie de Racine écrivain devenant bientôt, après à peine une douzaine d'années de carrière théâtrale, historiographe du roi pour finir "Gentilhomme Ordinaire de la Maison du Roi", mais restant toujours, plus ou moins, lié à Port-Royal des Champs.
L'ouvrage est d'une incroyable richesse redressant à chaque moment le cours de la vie connue. Il n'en rajoute pas, se fait presque toujours modeste dans ses affirmations. Quand il ne sait pas, quand il ne peut savoir, il le dit sans ambages, avoue ses hypothèses, mais s'en tient aux hypothèses. L'ouvrage est clair, précis ; Georges Forestier cite toujours les critiques, leur donne la parole longuement. Et surtout, il fait valoir l'évolution des attentes des spectateurs : trente ans séparent Le Cid et Bérénice, les goûts ont changé, les femmes sont plus nombreuses dans le public...

L'ouvrage est magistral, bien documenté (100 pages de notes et d'index). Le lecteur vit avec Racine, avec le Roi aussi. La question reste pourtant posée de l'intérêt matériel prochain de ce livre : des lecteurs du XXIème siècle sont en droit d'attendre des outils plus appropriés, facilitant les recherches. Les oeuvres de Jean Racine, l'oeuvre même, attend des outils plus efficaces. En ligne, cela est désormais possible. Il faut que les auteurs inventent de nouvelles manières d'exposer les oeuvres, de les faire parler.
Il n'empêche : ce Jean Racine est un grand et bel ouvrage.


lundi 25 mars 2019

Feuilleter les rues de Paris avec Modiano : archéologie littéraire


Gilles Schlesser, Paris dans les pas de Patrick Modiano, 2019, Editions Parigramme, 158 p., 18,9€

Les romans de Patrick Modiano ont Paris pour décor. Mais Paris y est souvent plus qu'un décor, c'est plutôt un choeur qui participe à l'histoire des personnages, comme une basse continue.
Gilles Schlesser réussit une étrange biographie, une archéologie dont tous les moments ramènent à Paris. C'est remarquablement bien fait : le montage combine habilement texte et photos, les légendes explicatives, les anecdotes, et une documentation précise, concise.

Que retient d'une ville, l'oeuvre d'un romancier ? Les rues, le décor urbain, les façades, le mobilier, les transports publics mais aussi les personnages, anonymes ou célèbres, les affichages publicitaires, les vitrines, des objets publics, les plaques d'information. Autant qu'on les habite ou les a habitées, on est toujours habité par une ou plusieurs villes. Cadre de référence tacite, implicite, un "palimpseste", dit Modiano. Le livre mêle plusieurs époques au XXème siècle. Nostalgie puisque, et Charles Baudelaire s'en attriste, "la forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel". Patrick Modiano le dit à sa manière : "La topographie d'une ville, c'est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives, comme si vous pouviez déchiffrer les écritures superposées d'un palimpseste". Patrick Modiano est habité par Paris.

Géographie et histoire de Paris, par petites touches, bien choisies sont réunies dans l'ouvrage de Gilles Schlesser ; sélection des énoncés à propos des objets qui encadrent l'époque et permettent de la date : le pneu (télégramme pneumatique), le chocolat Pupier, les autobus à plateforme, la rue des Saussaies où siégeait la Gestapo, le PILI (plan indicateur lumineux d'itinéraire de la RATP), le Bus Palladium, la salle des Pas perdus de la Gare Saint-Lazare, Françoise Hardy ("Etonnez-moi, Benoît"), la publicité Dubo-Dubon-Dubonnet, les clous délimitant des passages pour piétons, le cabaret du Néant, une salle de classe du Lycée Henri IV, les indicatifs téléphoniques, des squares, des bistrots, des hôtels, le Vélosolex, les porteurs dans les gares, les chevaux que l'on mène à l'abattoir, rue Brancion, la Petite Ceinture, le Vél' d'Hiv', le Champo où se vendait le Libération de Sartre à la criée, Shakespeare et Company, et j'en passe. Revoir Paris avec Modiano.

Voici un livre pour le plaisir, plus intéressant qu'un"beau livre" ("coffee table book") et que l'on ne referme pas de si tôt, emporté par le voyage. Avec le livre de Gilles Schlesser, le lecteur revisite Paris, tout en parcourant les livres de Patrick Modiano et l'histoire du siècle passé, de sa jeunesse peut-être. Invitation à se promener dans Paris, à pied. Le Paris de Modiano est une ville de piéton ; quand on marche, on peut regarder, lire les murs de la ville, s'arrêter, flâner, attendre. Cet ouvrage précis et tendre relie entre eux les romans de Patrick Modiano, pour construire un véritable réseau dont les noeuds sont des adresses et les arêtes sont des rues ; il donnera envie de lire ces romans et même de les relire dans une nouvelle perspective, avant de faire un tour dans Paris retouver vos souvenirs.
"Paris change ! Mais rien dans ma mélancolie n'a bougé !" Baudelaire encore.

Références
Apollinaire, citadin et piéton de Paris
Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

lundi 1 octobre 2018

Le film d'une année de la vie d'un cinéaste : Ingmar Bergman

Document promotionnel par Carlottavod

BERGMAN. A Year in a Life, film de Jane Magnusson, 2018, 116 minutes

Résumer 365 jour en 2 heures, comment rendre compte d'une vie de cinéaste en un film ? Un film sur des films, sans montrer les films. Média sur un média, c'est un film biographique (biopic) pour tenter de saisir le personnage du réalisateur suédois, à partir de l'une de ses années les plus fécondes, l'année 1957 : "cette année là", comme l'on dit dans les chansons, il achève deux films (Le Septième Sceau et Les Fraises Sauvages), il met en scène quatre pièces de théâtre (dont Le Misanthrope de Molière et une adaptation de Peer Gynt de Henrik Ibsen), et il réalise un téléfilm pour la télévision suédoise naissante. Sont convoqués, pour témoigner de cette activité, des acteurs, des parents, des amis, des collaborateurs, photographes, etcJane Magnusson, qui a déjà réalisé un film consacré à Ingmar Bergman ("Trespassing Bergman", 2013), y a conjugué extraits de films, photos de tournages, archives et des moments tirés d'une cinquantaine d'interviews ; son angle, sa thèse est que les films d'Ingmar Bergman ne racontent que sa vie ("cruellement autobiographique", disait François Truffaut), qu'ils explorent ses propres difficultés existentielles et ses angoisses tout en les masquant et les incorporant dans divers personnages. Montage habile de nombreux moments qui donne au film un rythme convaincant, car on ne s'ennuie jamais. S'il part de l'année 1957 comme poste d'observation d'une vie, le film déborde largement les limites de cette année et nous offre plutôt la carrière de Bergman, au sens où Raymond Picard a pu écrire "La carrière de Jean Racine" et y situer l'année 1677 comme une année pivot.

Famille de pasteur (cf. la maison du pasteur), enfance qui n'en finit pas de ne pas passer, de ne pas être digérée, sympathies nazies du jeune homme (pendant dix ans, désavouées plus tard), vie sentimentale et conjugale mouvementée et complexe, vie familiale désertée, enfants délaissés, amis oubliés ou trahis au profit de la gloire, jalousie, santé chancelante... Comment interagissent vie privée et création, souci artistique et carrière ? Lancinantes questions pour des biographes.
Si l'on aime le cinéma, on s'accorde à reconnaître que les films d'Ingmar Bergman constituent un moment important de l'histoire de cet art. Ce documentaire donne un éclairage historique précieux sur les tournages (à noter la lourdeur et la lente maniabilité des appareils de l'époque), sur la direction d'acteurs, sur les costumes, le montage. On en aurait aimé davantage... sur la différence d'esthétique dezs images entre couleur et noir & blanc, sur la bande-son, le bruitage. "Pour moi," écrit François Truffaut, "la leçon que nous donne Bergman tient en trois points : libération du dialogue, nettoyage radical de l'image, primauté absolue accordée au visage humain" (dans Les films de ma vie). Ce documentaire confirme amplement ce jugement.
Documentaire à voir pour mieux connaître, sans doute, et aimer peut-être l'œuvre d'Ingmar Bergman et pour avoir envie de (re)voir ses films, même si l'on n'est pas un cinéphile averti, même si certains aspects du personnage peuvent énerver ou décevoir... Telle fut l'histoire. Au spectateur de concilier, s'il le peut, l'admiration pour le talent et l'œuvre et des moments peu brillants. Le génie peut-il tout excuser ? Pas plus que pour son valet de chambre, il n'est de grand homme pour son biographe !



Références 
François Truffaut, Le films de ma vie, Paris, Flammarion, 1975, 2007
Raymond Picard, La carrière de Racine, Paris, Gallimard, 1956, cf. Troisième partie, chapitre 1

mardi 11 septembre 2018

Les multiples cavernes d'Alibaba (阿里巴巴)


Duncan Clark, Alibaba. The House that Jack Ma Built, ECCO, 2016, 304 p., 16,32 $ (kindle)

Bien sûr, c'est un conte que cette biographie du fondateur de l'une des très importantes entreprises chinoises. Les rois avaient leur historiographe attitré ; aujourd'hui, les chefs d'entreprise aussi. Mais tout le monde n'a pas le talent de Voltaire, de Chateaubriand ou, bien sûr, de Sima Qian (司馬遷>司马迁), le "grand historien" chinois (太史公). Les biographes des princes d'aujourd'hui sont souvent des journalistes et le résultat est parfois désolant. Ces "grands" patrons, que les présidents flattent et reçoivent comme des rois, le journalisme les célèbre et en fait des people.
Duncan Clark, lui, connaît bien l'économie de la Chine où il a vécu ; c'est un spécialiste des entreprises chinoises ; président et fondateur de la société de conseil, BDA, implantée à Beijing, il a conseillé Jack Ma.
La vie de Jack Ma (马云, Ma Yun) ne ressemble en rien à celle des classiques chefs d'entreprise numériques : pas très bon en maths, diplômé d'une université chinoise sans prestige, il revient de loin, du peuple. Prof d'anglais, qu'il a appris seul, sur le tas, il se jette à l'eau (xia hai,下海) pour fonder une entreprise de traduction suivant la nouvelle direction économique donnée par Deng Xiaoping. Ensuite, découvrant Internet dès ses débuts (1994), et décidé, toujours selon une fameuse formule de l'époque, à "devenir riche et glorieux"(致富光荣), il crée Alibaba en 1999. Vingt ans après, Alibaba est l'une des plus imposantes entreprises chinoises et mondiales.
En septembre 2018, Jack Ma, lors de son 54ème anniversaire, passe la main et organise sa succession. Le voilà disponible et riche, prêt pour de nouvelles aventures : investissements et philanthropie, écologie, éducation, politique peut-être... En elles-mêmes, la préparation et l'organisation de sa succession constituent une leçon de gestion.

La Une du South China Morning Post
annonçant le départ de Jack Ma (appli)
Jack Ma est d'abord le héros improbable d'une histoire ancrée profondément dans le développement de la puissance économique chinoise et dans la construction d'une économie numérique de consommation dans un pays dirigé par un Parti Communiste qui ne plaisante pas du tout avec l'indépendance nationale. La relation de Jack Ma et d'Alibaba avec les Etats-Unis est donc un angle d'observation et d'analyse pertinent. Depuis septembre 2014, Alibaba est cotée à New York (NYSE). Tout en restant attaché à la culture chinoise dont il est issu, Jack Ma admire les Etats-Unis.
Duncan Clark réussit à naviguer entre l'histoire personnelle (anecdotes) et professionnelle, d'une part, et l'histoire plus générale de la construction de l'entreprise avec ses multiples cavernes, d'autre part. Il donne à comprendre l'émerveillement d'un peuple qui a réalisé une longue marche vers une société de consommation et d'abondance numérique. L'auteur présente un Jack Ma, assurément sympathique, dont le charisme populaire rompt avec les mises en scène d'Apple ou Facebook. Mais il faut insister sur l'aspect construction, sur la cumulation des expériences, des échecs et des succès qui fondent Alibaba : le sous-titre du livre, qui évoque cette lente et diverse cumulation, est à prendre au sérieux : n'oublions pas que "The House that Jack Built" est le titre d'une chanson (nursery rhyme) que tout enfant anglophone connaît (inspirée d'une chanson traditionnelle juive, "Chad Gadya").

Alibaba, c'est le e-commerce, bien sûr : Taobao ("chasse au trésor", en chinois), Juhuasuan  et Tmall sont des plateformes où des commerçants peuvent référencer leurs produits. Le référencement est gratuit et le service client est assuré et contrôlé par des milliers de médiateurs (xiaoers,"小二, nom désignant autrefois les serviteurs). Les cavernes d'Alibaba, ce sont aussi Alipay (450 millions d'utilisateurs pour cette appli de paiement), AliCloud (cloud computing), le divertissement avec Youku Tudou, les données marketing avec Alimama ; évoquons encore UCWeb (navigateur), Ele.me (饿了么, livraisons, alimentation), Cainiao (logistique), HEMA, des supermarchés alimentaires de l’ultra-frais... Alibaba s'intéresse aux médias : participation minoritaire dans Focus Media (分众传媒, réseau de publicité extérieure, DOOH, 2018), acquisition du quotidien international de Hong Kong, South China Morning Post (2015), tout comme Amazon avec le Washington Post.
Alibaba est un concept original quand de nombreuses entreprises de l'Internet chinois ont commencé par imiter des entreprises américaines. Jack Ma se déclare un apôtre du petit commerce, mais Alibaba ne possède pas les infrastructures ("asset-light strategy"). La plupart de ses salariés travaillent dans le commerce.
Jack Ma est chinois, il a été formé en Chine, il connaît la Chine profonde (B2C = back to China), compte sur le bon sens local ("localness") et ne s'appuie pas aveuglément sur des experts. Même le design des sites est en phase avec la culture chinoise (le bazar, désordre organisé) et n'épouse pas l'universalisme épuré ("uncluttered") d'Amazon ou de Google. L'épopée d'Alibaba évoque celle de la Longue Marche et le pragmatisme de Deng Xiaoping : qu'importe la couleur du chat, pourvu qu'il attrape les souris  (不管白猫, 黑猫, 逮住老鼠就是好猫). Jack Ma est de ceux qui attrapent les souris. Notons quelques uns de ses célèbres aphorismes :
  • "Clients d'abord, employés ensuite et actionnaires après" (ceci traduisant son désaccord avec des actionnaires pour qui les employés sont interchangeables)
  • "I did not get an education from Harvard... I went to Harvard to educate them"
  • “The political and legal system of the future is inseparable from the internet, inseparable from big data”, opinion confiée à une Commission du Parti Communiste Chinois)
Au-delà de la biographie, le livre de Duncan Clark analyse le contexte historique et politique du développement d'Internet en Chine, la rencontre avec Yahoo! (Jerry Yang, 1997), début d'une relation complexe et difficile, la victoire sur eBay, les relations non moins complexes avec SoftBank (qui détient 29% de Alibaba) ainsi qu'avec les rivaux chinois : Tencent (jeux video), Baidu (search), JD qui ressemble à Amazon, NetEase, Sina, Sohu...
L'entrée en bourse d'Alibaba (NYSE, 25 milliards de $), fracassante, était fondée sur trois arguments :  d'abord l'expansion du cloud computing et de l'exploitation des données (ce sera Uni Marketing), pour passer de l'information technology à la data technology ("from IT to DT"), ensuite, la conquête de la Chine rurale, et, enfin, la mondialisation. "Go rural" et "Go global" sont liés : conquête de la Russie et du Brésil, contacts avec l'Afrique.... L'internationalisation n'est pas soumission aux GAFAM ou aux Etats-Unis ; à la différence de l'Europe, la Chine est sourcilleuse et prudente,  "China is not a borderless Internet" et la souveraineté "Internet sovereignty"n'est pas un vain mot ("Great Firewall of China") : "In China it is better to be a merchant than a missionary".

Bertold Brecht dans un poème fameux se moquait des historiens qui attribuaient les événements importants à un chef unique ("Fragen eines lesenden Arbeiters", 1935). Traduction (FM) des premières vers : "Le jeune Alexandre a conquis l'Inde. // Lui seul ?/ Cesar a battu les Gaulois. N'avait-il pas au moins un cuisinier avec lui ?"...
Cette biographie rompt avec les biographies flagorneuses et réductrices, même si l'historiographe ne cache pas son admiration pour son sujet ; l'auteur y souligne sans cesse la part des employés, des cadres, de l'administration chinoise, des concurrents aussi, dans l'histoire d'Alibaba.
Plus qu'une biographie, cet ouvrage peut constituer une excellente introduction à l'économie numérique chinoise.

MàJ: on a appris en décembre 2018, que Jack Ma est membre du Parti Communiste Chinois depuis ses années étudiantes.

jeudi 28 janvier 2016

Une autre manière de philosopher Nietzsche


Paolo d'Iorio, Le voyage de Nietzsche à Sorrente. Genèse de la philosophie de l'esprit libre, Paris, CNRS éditions, 2012, 2015 pour Biblis en édition de poche, 244 p. Bibliogr.

En 1876, Nietzsche, malade, est invité par son amie Malwida von Meysenburg à passer quelque temps avec des amis dans le Sud de l'Italie. C'est ce séjour qui est conté par Paolo d'Iorio. L'auteur tisse habilement éléments biographiques, anecdotes du voyage et mûrissement des idées de Nietzsche. Passeport d'apatride, train de nuit, Gêne, Pise et ses chameaux, Capri, Naples... La philosophie s'épanouit au Sud, proclame Nietzsche : théorie des climats appliquée à la pensée ?

L'auteur saisit la philosophie en train de se tisser tout en montrant un Nietzsche vivant, sympathique. Excursions, lectures, discussions, musique, au-delà des distractions cultivées, le voyage à Sorrente constitue un tournant dans la vie de Nietzsche.
A Sorrente, Nietzsche se dé-wagnerise. Il n'a pas apprécié le premier festival de Bayreuth. Il remet en question son ouvrage sur La naissance de la tragédie dédié à Wagner, il doute même de sa vocation de professeur de philologie, prêt à abandonner le chaire prestigieuse qu'il occupe à Bâle. Il se rapproche d'une philosophie matérialiste (Démocrite) sous l'influence positiviste de son ami Paul Ree. Wagner et Cosima, qui ont pris pension dans le voisinage, détestent cette évolution ; leur antisémitisme s'épanouit à cette occasion. De leur côté, Nietzsche et ses amis imaginent les plans d'une école des éducateurs (en 1872, Nietzsche avait donné à Bâle, quelques années auparavant, une série de conférences sur l'avenir des établissements de formation - "Bildungsanstalten").

Ce livre constitue une rupture dans la manière de lire et comprendre Nietzsche. Il représente un tournant en matière d'analyse et d'histoire de la philosophie. Un éclairage bien construit.
La qualité et la valeur démonstrative du mode d'exposition surprennent heureusement. L'ouvrage commence comme un modeste guide touristique où sont inclues des photographies des lieux évoqués, des portraits des personnages. Puis viennent des reproductions de documents de toutes sortes, mobilisés à l'appui des raisonnements : correspondance, dédicaces, carnets, annotations de livres, manuscrits, épreuves corrigées. Les lecteurs peuvent voir se mettre en place "la philosophie de l'esprit libre", sa "genèse". L'auteur a soin d'apporter la preuve de la réalité et de la validité des arguments qu'il avance. Beau travail que cette analyse philosophique argumentée et illustrée - mise en lumière - à l'aide de documents. On échappe aux élucubrations, aux divagations fumeuses qui encombrent la lecture de Nietzsche, au profit d'une démonstration, preuves à l'appui. Erudition calculée, démystifiante. L'auteur corrige au passage quelques lourdes erreurs de traduction. Finalement, on y voit plus clair. La philosophie comme "science rigoureuse" commence par les textes dans leur matérialité. Nietzsche a tout à gagner à cette approche "selon l'ordre des raisons" (selon l'expresson de Martial Guéroult, lecteur de Descartes).

Et l'on se prend à rêver de ce qu'une édition d'un tel ouvrage pourrait donner, si elle exploitait tous les ressorts du numérique (ebook). Paolo d'Iorio dirige l'Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM) : il ne peut pas ne pas en avoir rêvé. Cet ouvrage est l'ultime étape, pour l'histoire de la philosophie, du livre de papier.

lundi 28 décembre 2015

Des goûts et des couleurs que l'on perçoit


Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, Editions du Seuil, 2010, en collection de poche, Points, 2015, 269 p.  Bibliogr., Index.

De gustibus et coloribus non est disputandum. On l'a ânonné en latin, mais Michel Pastoureau ne l'entend pas de cette oreille : il ne cesse de disputer et discuter des couleurs. Son ouvrage est une autobiographie dont chaque événement se rapporte à une expérience personnelle des couleurs. C'est aussi une sorte un roman agréable à lire qui invite à voir les couleurs du monde, et nous en fait voir de toutes les couleurs.
L'auteur, chartiste de formation, latiniste, passionné d'héraldique (blasons, armoiries), a consacré sa vie de chercheur et de Professeur aux couleurs (histoire sociale des couleurs). Il a écrit de nombreux ouvrages sur l'histoire et la symbolique des couleurs et notamment sur le bleu et le noir.

D'anecdote en anecdote, loin de Newton et de Goethe, de la physique et de la chimie, Michel Pastoureau passe en revue les couleurs de sa vie. Ainsi du Tour de France et des couleurs des maillots "souillés d'inscriptions publiciaires" loin des couleurs franches et unies des débuts, ou des couleurs des drapeaux nationaux (plier les couleurs). Il pose toutes sortes de questions : pourquoi le rouge du petit chaperon, pourquoi le chat noir est-il associé aux sorcières et au diable, pourquoi la crainte du vert, pourquoi le vert est-il plus apprécié en Allemagne qu'en France, pourquoi a-t-il une aussi mauvaise réputation ? Et le violet, couleur traitre ? Pourquoi le bleu est-il partout la couleur préférée, dans tous les pays, dans toutes les classes d'âge, pour les femmes comme pour les hommes ? Et les couleurs des chevaux à la terminologie si particulière...
"Parler des mots sans les montrer", Michel Pastoureau y réussit puisque son livre est sans aucune illustration, les mots y suffisent : "les couleurs sont d'abord des concepts, des idées, des catégories intellectuelles", affirme-t-il, évoquant l'arrivée des couleurs et d'un vocabulaire flou dans les catalogues (années 1950).

Pour de nombreux médias, le passage du noir et blanc à la couleur fut une étape importante sinon un tournant de leur évolution, qu'il s'agisse du cinéma, de la photo, des livres et de la presse ou de la télévision. En quoi cette étape fut-elle si importante ? Que change-t-elle à l'expérience des médias ? Nous n'avons pas de réponse à cette question : on considère que la couleur est un progrès, que cela va de soi, ce que contestent certains photographes et cinéastes, ou auteurs de BD. Mais ce n'est pas le propos de Michel Pastoureau, il ne fait que l'effleurer, pourtant il aurait sans doute beaucoup à nous dire sur le sujet (prochain ouvrage ?).

Voir aussi : sur un livre de Frédérique Toudoire-Surlapierre, Colorado, Littérature et médias : anthropologie des couleurs.

dimanche 8 novembre 2015

Aragon, toutes ses vies


Philippe Forest, Aragon, Paris, Gallimard, 2015, 889 p., Index, 29 €.

La vie de Louis Aragon est comme un roman. On dirait du Balzac. Aragon lui-même y taillera des chapitres pour ses romans. D'où naîtront des difficultés majeures pour le biographe : que lui faut-il croire de ce qu'écrit Aragon, lui qui s'est voulu spécialiste du "mentir-vrai", cet art romanesque où se mêle la vie vécue à la fiction ?

L'auteur de cette biographie est romancier, Professeur de littérature et journaliste littéraire. Soucieux d'exhaustivité, il explore la vie et l'œuvre d'Aragon avec prudence, suspendant ses jugements et s'en tenant aux faits quand on les connaît, au doute quand il ne sait pas ; son travail est servi par une documentation impressionnante. Attitude salutaire et agréable au lecteur, ainsi respecté. Car, par exemple, que savons-nous de ce que savait / croyait savoir Aragon du stalinisme, que savons-nous de ses vies amoureuses ? Que croyait-il lui-même de sa famille, comment l'a-t-il vécue, cette famille impensable ? Que savons-nous du couple Louis Aragon / Elsa Kazan ? Entreprise redoutable que de raconter Aragon : heureusement, le biographe ne tente pas, au nom d'une thèse quelconque, de concilier, en une vue unique et artificielle, les différents moments d'une vie, ses constantes contradictions, en proie au "vertige du moderne". Pas de psychologie d'Aragon, pas de "carrière" d'Aragon...

Louis Aragon au cours de sa longue vie (1897-1982) a beaucoup changé de fidélités, il les a parfois cumulées. Surréaliste, intime d'André Breton, proche quelque temps de Dada, il fut sans cesse révolté. Il y a du Guy Debord chez le jeune Aragon, célébrant les déambulations dans Paris, pestant contre "l'idole du travail", insultant le bourgeois et les puissances du moment, y compris "Moscou la gâteuse". Communiste, par calcul, peut-être, mais fidèle jusqu'à la fin ; son image sert le parti... dont il avale et fait avaler les couleuvres staliniennes mais il soutient et aide Rostropovitch, déchu de sa citoyenneté soviétique.
Résistant par la plume... mais pas par le fusil, resté en France alors que beaucoup d'intellectuels se sont réfugiés aux Etats-Unis. Soutenant les Républicains espagnols que la France du Front populaire délaissa quand Hitler bombardait Guernica. Ce pacifiste fut mobilisé dans les deux guerres dont il revint chaque fois glorieusement décoré. Médecin au front, il y a fréquenté de tout près l'horreur, la douleur, les souffrances.

Poète de l'amour courtois pour Elsa, Louis Aragon, féministe, déclare prendre le "parti des midinettes". Ses modèles féminins empruntent à la fois au personnage d'Aliénor d'Aquitaine et à celui de Clara Zetkin, communiste allemande.
Germaniste, germanophile, il doit participer à l'occupation de l'Allemagne. Polyglotte, il traduit, à l'occasion, de l'allemand, de l'anglais, du russe, de l'espagnol : Bertold Brecht, Lewis Carrol, Maïakowski, Rafael Alberti. Il se veut d'abord du parti des poètes, des troubadours à Hölderlin.

Professionnellement, Louis Aragon fut d'abord un homme de presse. C'est avec la presse qu'il gagnera sa vie, qu'il accumulera du pouvoir, du capital social.
Toute sa vie, il fut journaliste, directeur de journaux et de revues, de la presse quotidienne, Ce Soir (1937-1939), à la presse littéraire, les Lettres françaises (1941-1972). Il écrit dans L'Humanité où il commence par couvrir des faits divers, des grèves, des accidents avant de donner des éditos politiques. Louis Aragon ne crachera jamais dans la soupe des médias et il revendiquera même cette dure école : « La plupart des écrivains considèrent le journalisme comme un obstacle à leur art, ses obligations comme desséchantes pour leur génie. Moi, je dois tout à ce stage aux travaux forcés. À la pauvreté d'alors. À l'absence de complaisance des gens. A leur cruauté même. Merci. ». André Breton, en revanche, dénonçait le journalisme mais s'abonnait quand même à l'Argus pour collecter les coupures de presse le concernant.
Tout au long du livre, l'auteur effectue une description peu ragoûtante du champ littéraire français, description que Paul Nizan, avec qui il travailla dans la presse, n'aurait pas reniée. La littérature aussi a ses "chiens de garde" : mesquineries, méchancetés, coups bas, jalousies... "Hypocrisie" y est reine, là aussi. En observateur lucide, Louis Aragon, du cœur du champ littéraire, anticipe dans Clarté, dès 1926, la formation d'un "prolétariat de l'esprit" et "l'inféodation de l'esprit au capital".

Sur la vie d'Aragon, le biographe n'a pas de thèse à défendre, il raconte, sans prendre parti, sans donner de leçon.
Désormais ouvrage de référence, son gros livre suscitera diverses lectures : lectures de sociologues et d'historiens de la littérature et des médias, lecture de science politique, mais aussi, tout simplement, lecture d'un vaste roman à la manière des œuvres d'Aragon. On peut le lire comme un feuilleton, d'épisode en épisode, ou dans le désordre, comme un manuel universitaire, comme une anthologie... Toujours avec profit, toujours avec plaisir.


Sur Louis Aragon :

jeudi 9 juillet 2015

Comprendre la Californie ? Poésie et vérités



Jean-Michel Maulpoix, L'Amérique n'existe pas, e-book disponible sur amazon (kindle), sur iTunes (Books), etc. 5 €

En 1994, à 42 ans, Jean-Michel Maulpoix est invité aux Etats-Unis par une université californienne. Il prend note de son dépaysement et le raconte. Le paysage quotidien américain, la vie quotidienne aux Etats-Unis lui sont une occasion de se connaître Européen. Ce carnet de notes de voyage est publié d'emblée, exclusivement, en livre numérique, avec photos prises par l'auteur. Nouvelle écriture autobiographique.

Il y a loin des collines de la Franche-Comté aux plages de Californie, de Montbeliard, où est né Jean-Michel Maulpoix, à Los Angeles. Dès son arrivée, le voyageur ressent "une différence culturelle qui stimule en la déconcertant la cervelle d'un français formé à la vielle école des humanités". Poésie et vérités, le récit de voyage est une tradition littéraire : Montaigne, Goethe, Stendhal... Professeur de littérature à l'université, Jean-Michel Maulpoix est connu pour une œuvre de critique littéraire mais, surtout, pour sa merveilleuse "prose poètique". Lisez Une histoire de bleu (cf. infra), par exemple, vous verrez.

S'agit-il de la découverte de l'Amérique ou de la découverte de la Califormie ? Aurait-on le même livre, la même expérience si l'auteur, invité par Middlebury College (Vermont), avait atterri à Boston ? Ce bleu, les couleurs pastel des photos, ce n'est pas le Vermont, pas le Wisconsin...
On pourrait penser qu'il s'agit d'un livre à lire en écoutant les Beach Boys et Brian Wilson. Oui et non. Certes, l'auteur ne semble pas avoir été séduit, à première vue, par les Californiennes, leurs formes, leur bronzage : "I wish they all could be California girls", disaient les Beach Boys, lui non ? Sa Chevrolet, il est vrai, n'était qu'une Nova, pas une "409".
Le séjour californien de Jean-Michel Maulpoix fut toutefois, selon sa formule astucieuse, "Le songe d'une vie d'été" : l'auteur semble avoir habité un tableau de Hockney. Il a été touché par tant de bleus, de lumière : les bords du Pacifique... Ce que traduisent ses photos. Mais par le surf, non ; peu de "good vibrations", pas de "Fun, fun, fun" ?

"J'ai cru comprendre l'Amérique... Je me trompe sûrement", confesse Jean-Michel Maulpoix, lucide, plus que Tocqueville. Sûrement ! Si les observations brutes sont convaincantes, les premières interprétations ont des airs de clichés. L'auteur l'admet : "on est à chaque instant tenté par des formules expéditives, telles que : ici la vie humaine a commencé à se débarrasser des livres". Trop de prévention, trop de précipitation, peut-être, ou pas assez ? La Californie, et encore moins l'Amérique, ne tiennent pas en quelques propositions, mais ces propositions annoncent une direction qu'il faudra rectifier, redessiner, de voyage en voyage... La simplicité de l'Amérique est une apparence provisoire à laquelle se laissent prendre les touristes européens, fussent-ils universitaires. Aux Etats-Unis, plus on y reste, plus le complexe, le compliqué nous étreignent. Et l'on finit par comprendre que, comme l'auteur le concède à la fin du voyage, l'on n'a peut-être pas compris grand chose. En fait, "l'Amérique n'existe pas", pourtant Jean-Michel Maulpoix convient qu'il l'a finalement rencontrée, lors d'un "coup de blues", de retour à Montparnasse (c'est le dernier chapitre : se dépayser du dépaysement). Car l'Amérique est plus qu'un pays, c'est un état d'esprit, une disposition : "California state of mind". "Ce n'est pas un pays mais un espace, un mode de coexistence pacifique, un processus consommatoire : elle se jette sur ce qui pourrait être".

L'auteur note que les modes de vie américains envahissent l'Europe. Mais n'est-ce pas plutôt l'Europe qui s'intoxique de bon cœur et révoque ses racines ? L'Amérique n'existe pas est une expérience et un livre de 1994. Apple perçait sous IBM, Google sous Microsoft. On était encore loin de la superbe de la Silicon Valley et de la "Californication" évoquée dans la série sur L.A. (Showtime). Cette Californie est-elle notre notre destin, celui de l'Europe, le point de départ d'une re-création ?

"Destruction leads to a very rough road
But it also breeds creation [...]
And tidal waves could'nt save the world
From Californication"

Red Hot Chili Peppers chantait ainsi "Dream of Californication" en 2000, empruntant à l'économie numérique une image de la destruction créatrice.
Ce que la romancière et journaliste Joan Didion, californienne, dit de sa Californie, vaut peut-être pour l'Amérique en général, donnant raison, finalement à Jean-Michel Maulpoix  : “California is a place in which a boom mentality and a sense of Chekhovian loss meet in uneasy suspension; in which the mind is troubled by some buried but ineradicable suspicion that things better work here, because here, beneath the immense bleached sky, is where we run out of continent". In "Notes from a Native Daughter," in Slouching Towards Bethlehem. 
Jean-Michel Maulpoix a perçu le côté tchékovien de la Californie, et le traduit à sa manière : "Je ne me suis à vrai dire jamais guéri de l'Amérique. Car il n'est pas de pays où l'on se trouve plus contingent et plus mortel qu'en celui-là." Californie, terre du numérique universel, là où l'Européen déraciné apprend qu'il n'a plus de racines, referme ses bouquins sur le nom de Heidegger et, guérissant de ses collines, se laisse aller à la technique, à l'intelligence artificielle, et à une "histoire de bleu"... "California dreaming"... la vie en bleu ?

jeudi 18 décembre 2014

Annie Ernaux : réflexions faites sur l'écriture


Annie Ernaux, Le vrai lieu. Entretiens avec Michelle Porte, Paris, éditions Gallimard, 2014, 113 p., 12,9 €

L'écrivain revient toujours sur les lieux de ses livres. Michelle Porte est la réalisatrice d'un documentaire, "Des mots comme des pierres", consacré à Annie Ernaux, diffusé sur France 3 en 2013. La situation d'interview télévisée obligeait Annie Ernaux à parler devant / à une caméra. Cette sommation muette faite à l'écrivain, "la sorte d'urgence qu'elle (la caméra) impose de répondre", l'a amenée à effectuer un retour sur son œuvre. Il s'en suit une biographie conduite par ses lieux : sa maison en banlieue parisienne (Cergy), la maison de son enfance, le café-épicerie d'Yvetot dans le Pays de Caux.

"La mise en mots", selon une expression d'Elsa Triolet, s'effectue dans ce cadre. Si Annie Ernaux, comme Jean-Paul Sartre (Les mots), a passé toute sa vie dans les livres, ce ne sont pas les mêmes livres. Elle évoque le rôle du dictionnaire Larousse, du Tour de la France par deux enfants (Augustine Fouillée, 1877), manuel de lecture qu'avait utilisé son père, les magazines féminins de sa mère (Confidences, Les veillées des Chaumières, Le Petit Echo de la Mode). L'auteur évoque la place et le rôle des photos dans son travail, qui lui permettent de retrouver le passé et fonctionnent pour l'écriture comme stimuli de la mémoire : statut "passé / présent" des photos de famille, des photos sans prétention esthétique, représentant des personnes (cf. Les années, et surtout Retour à Yvetot ou L'Usage de la photo). Photos de ce qui a eu lieu.

Dans cette auto-analyse littéraire, chemine partout une réflexion continue sur l'appartenance de classe, appartenance qu'il faudait effacer ou dissimuler, trahir, pour réussir dans la vie : ainsi du refoulement des "mots normands" de la langue populaire, par exemple, au profit de la langue légitime de l'école et de la littérature. Là se lit l'importance de l'enfance, des parents, qui, jamais, par construction, ne peuvent savoir ce qu'ils font.
Annie Ernaux rend compte de "la violence feutrée de la domination culturelle" mais aussi de la violence dure, sérieuse, faite aux femmes, violence qui est le point de départ de son premier roman, Les armoires vides (1974) puis de L'événement (2000). Double détermination, double domination.
Est-on condamné - à et par - ses classes sociales d'appartenance et de référence ? Le rêve imposé de mobilité sociale, et spatiale, serait-il la dernière ruse de la domination, la dernière illusion de liberté ? Annie Ernaux se perçoit en "transfuge de classe", en "parvenue" : cette conscience de classe est-elle une dimension, ultime, de la domination ? Annie Ernaux, comme Pierre Bourdieu, a "l'insoumission comme héritage". Au-delà de tout, au-dessus des classes se trouverait l'écriture comme "vrai lieu", comme utopie...

Livre de réflexion sur les livres, "le vrai lieu" approfondit l'analyse de la "production littéraire" en général et de celle d'Annie Ernaux, en particulier. On ne suivra donc pas ce fonctionnaire d'ambassade que cite Annie Ernaux et qui aurait déclaré : "elle ne sait pas du tout parler de ses livres". Il semble qu'elle en parle très bien, au contraire. Et donne envie de les lire, de les relire mieux.


A noter : une émission de France Inter, "L'écrivaine Annie Ernaux". Quant au film, hélas, il est encore introuvable... La disponibilité des œuvres télévisuelles partout, tout le temps reste un vœu pieux. Alors, France 3, service public ! Il ne suffit pas de concevoir et faire réaliser des émissions, encore faut-il les rendre disponibles, tout le temps, sur tout support.

lundi 9 décembre 2013

L'Institut Pasteur, naissance d'un modèle économique pour la recherche scientifique

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Annick Perrot, Maxime Schwartz, Pasteur et ses lieutenants. Roux, Yersin et les autres, Paris, Odile Jacob, 2013, 270 p.

Formé et bâti au XIXème siècle pour abriter et développer les travaux de Pasteur et de son équipe (Duclaux, Roux, Calmette...), l'Institut Pasteur invente alors un type d'organisation scientifique que le Web a retrouvé et étendu, plus tard, dans d'autres pays, pour d'autres domaines de recherche.
Besoin de liberté, de flexibilité, d'agilité, la raison d'être première de l'Institut fut d'échapper à la lourdeur de sa tutelle administrative, à la bureaucratie de la recherche et de l'enseignement : déjà, le "mammouth" prenait du poids.

Carrefour de la recherche dans plusieurs domaines, l'Institut accueille dès le début des chercheurs étrangers (dont Ilyia Metchnikoff, le premier, futur prix Nobel, spécialiste de l'immunité) et traite des malades venant du monde entier. Lieu de recherche théorique avec ses labos, ses publications (Annales), il est aussi un lieu d'enseignement de haut niveau. Bien vite, l'Institut ouvre des "filiales" indépendantes en province (Lille), à l'étranger, dans les colonies (Tunis, Saigon), en Perse, en Grèce. Logique d'incubation, d'accélération. Le Réseau compte aujourd'hui 32 instituts.
Son modèle économique s'est mis progressivement en place selon un principe clair : les soins (la vaccination) sont gratuits, les produits (vaccins) sont vendus. D'abord philanthrope et idéaliste, l'Institut a fini par organiser une souscription (crowd funding), déposer des brevets. Une entreprise de bio-technologie était née.

De la rage vaincue au BCG, du ver à soie à la diphtéryie, les auteurs nous font partager comme un roman l'histoire des vaccins, les débuts de la microbiologie, de l'immunologie. Livre d'histoire des sciences, l'ouvrage met l'accent sur la biographie des personnages essentiels mais traite le sujet de manière trop journalistique. Après avoir refermé le livre, on se prend à regretter que soient seulement effleurées des questions comme l'organisation du travail scientifique collectif ("l'union des travailleurs de la preuve", comme disait Gaston Bachelard) avec ses rivalités, ses erreurs rectifiées ou encore l'invention du modèle économique d'une institution de recherche généreuse et rigoureuse que le numérique n'a pas encore réussi à imiter.
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vendredi 19 avril 2013

Karl Marx, profession : journaliste

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Jonathan Sperber, Karl Marx. A Ninteeenth-Century Life, Liveright, 672 p., digital edition, 16,99 $ (20,59 $ hardcover).

A suivre la biographie de Marx proposée par Jonathan Sperber, le lecteur échappe à nombre de clichés colportés par les épigones soviétiques et les doxosophes de la philosophe française courante. Marx est de son temps et de ses illusions : comment ne pas l'être ? La biographie montre un Marx romantique et amoureux, un Marx fauché et mal soigné, se débattant dans les problèmes de santé (de ses enfants, de son épouse, de lui-même) et dans des difficultés financières chroniques (payer les médecins, payer l'épicerie, payer l'éducation des enfants, rembourser les créanciers...). Marx mêlera tout au long de sa vie des préoccupations terriblement quotidiennes à la théorie économique et à la tactique politique.
Cette biographie rafraîchit notre vision de Marx, la ré-humanise. Elle pose aussi la question de ce que peut être une biographie, de la pondération, nécessairement intuitive, que doit effectuer le biographe entre les effets de la situation personnelle et la logique de l'oeuvre.


La biographie de Jonathan Sperber remet au premier plan l'activité journalistique de Marx. Celle-ci est généralement sous-estimée quand elle n'est pas tout simplement ignorée par les spécialistes de science politique et de philosophie, qui s'en tiennent à quelques ouvrages canoniques (dont beaucoup sont posthumes et agrègent des articles). 
Journaliste sera le seul métier de Marx. Il écrit, fonde et gère des journaux (lève des fonds, etc.). Il n'enquête pas ; son terrain d'investigation est la presse, la documentation économique et historique, les débats parlementaires : journalisme de la chaire (Kathederjournalismus !), journalisme de données politiques et économiques déjà (moulinées à la main, en bibliothèque). C'est d'abord un polémiste ("contre" : Freuerbach, Stirner, Proudhon, etc.). Son bagage conceptuel est d'abord philosophique ; Marx est imprégné comme tous ses contemporains, de la philosophie de Hegel et des néo-hégeliens. Il lui faudra beaucoup d'énergie pour s'en libérer, la remettre sur ses pieds , "en défaire la gaine mystique pour en découvrir le noyau rationnel"), moyennant quoi elle constituera un bon viatique contre les positivismes.

A la différence de nombreux révolutionnaires de l'époque, Marx a reçu une formation classique : sa thèse de doctorat porte sur le l'atomisme grec, Démocrite et Epicure (il lira les classiques grecs, dans le texte, tout au long de sa vie). A l'université, il a suivi une formation juridique. Son premier article (1842) est symptomatique ; il porte sur la liberté de la presse en Prusse, commence en latin par une citation de Virgile et s'achève par une de Tacite !
Son univers intellectuel quotidien est celui de la presse (lectures plurilingues : allemand, français, anglais, italien, espagnol, etc.) et de la littérature classique : dans la famille, en pique-nique, on récite Shakespeare et Goethe. Il aime Dante, Cervantès et Balzac (et pas Eugêne Sue).
La presse est son gagne-pain de chaque jour ; pendant longtemps, ses seuls revenus réguliers lui viennent du New York Tribune, le principal journal américain, dont il est le correspondant européen (il rédige en anglais). Il collabore à plusieurs journaux (pigiste parfois pour six journaux à la fois, journaux publiés aux Etats-Unis, en Autriche, en Prusse, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud...).

A côté du journalisme, l'oeuvre de Marx est une oeuvre constituée d'échanges épistolaires (Briefwechsel : 35 volumes de l'édition MEGA en cours). Des volumes de courrier, depuis les lettres de l'époque des fiançailles jusqu'à la correspondance politique (Marx sera un immigré apatride toute sa vie). Dans cette société déjà mondialisée, mais sans téléphone, on rédige sans cesse de longues lettres manuscrites (Marx a une écriture indéchiffrable). Marx passe ses journées dans les bibliothèques, prend des notes méticuleusement, longuement (Cf. les "cahiers de lecture"). Il écume la presse, notamment la presse étrangère et la documentation économique disponible à Londres.

Au cours de cette biographie, le lecteur ressent l'importance décisive, pour le travail intellectuel, des outils d'une époque : outils de documentation, de collecte et de traitement des données, d'écriture, de communication, de stockage, de paiement... Marx est dans le papier jusqu'au cou : journaux, livres, manuscrits, notes, lettres, etc. Nous ne le sommes plus guère. Marx est polyglotte : nous ne le sommes pas, lisant tout dans un anglais pasteurisé. Marx cherche, fouille, discute, interroge ; nous nous laissons aller à des moteurs de recherche configurés d'abord pour vendre des contacts publicitaires.
On ne réfléchit jamais assez aux conséquences du mode de production intellectuelle d'une époque sur les productions intellectuelles de cette époque (idées, etc.). Qu'est-ce que c'est, penser ?

N.B.
  • Au plan bibliographique, rappelons la thèse d'Auguste Cornu sur la "jeunesse de Marx" (1934) ; cette thèse est reprise dans l'ouvrage en 4 tomes publié aux Presses Universitaires de France en 1955 qui commence de manière prudente par une révérence à Lénine ! A. Cornu est alors professeur à l'Université Humbold, à Berlin-Est (zone d'occupation soviétique). L'ouvrage, extrêmement détaillé, est consacré à la période de formation du jeune Marx (1818-1844). Signalons encore la réédition de l'ouvrage de Marcel Ollivier consacré à Marx et Engels, poètes romantiques (Paris, Edition Spartacus, 1933 / 2014, 143 p.) et le film de Raoul Peck, "Le jeune Karl Marx" (2016, cf. la bande annonce).
  • Désoviétiser Marx et Engels ? Une nouvelle édition des oeuvres complètes, en langues originales, délivrée de la vision soviéto-centriste, est en cours (Marx Engels Gesamt Ausgabe, MEGA), avec une triple ambition : "Entpolitisierung, Internationalisierung und Akademisierung" (dépolitiser, internationaliser, universitariser). L'ensemble comptera 114 volumes et s'achèvera, espère-t-on, vers 2025 (59 volumes ont déjà été publiés). Plusieurs volumes sont accessibles en version numérique dont les tomes 1 et 2 de Das Kapital (MEGAdigital).

vendredi 8 février 2013

Les mémoires de son père

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Zysla Belliat-Morgensztern, La Photographie. Pithiviers 1941. La mémoire de mon père, Paris, L'Harmattan, 137 p., 2012, 14,5 €

Zysla est une figure du travail publicitaire en France. Clients annonceurs, chercheurs, collègues connaissent sa présence courtoise et cordiale aux avant-postes du marché. Matheuse incorrigible, elle voudrait que toute action publicitaire s'appuie sur une "science rigoureuse".
Armand. Tout le monde connaît Armand. Figure tutélaire du médiaplanning en France, on lui doit le fameux bêta de mémorisation, qui porte son nom. Pédagogue lumineux, décourageant de simplicité, nous sommes nombreux à lui avoir demandé de l'aide pour un problème difficile dont il se saisit alors avec une gourmandise espiègle.

Dans ce livre inattendu en forme de biographie, Zysla évoque l'enfance d'Armand, son père. C'est aussi un essai sur la mémoire, sur l'oubli, sur la perception des événements du monde par les enfants, sur la difficulté de rendre compte, de témoigner.
Le point de départ du livre est une photo, et une photo dans la photo. A partir de là, commence l'histoire de quelques années d'une enfance mutilée par l'absence omniprésente des parents, déportés, assassinés. Biographie, roman, mosaïque de faits, de dates et d'émotions. Une histoire d'enfants, de quignons de pain, de clandestinité, de copains, de peurs, de Justes aussi.
Cette histoire singulière raconte l'Histoire universelle vécue par un enfant. Il y est question de gestes qui n'ont l'air de rien quand la petite bureaucratie tranquille de l'inhumanité s'active, si bien dressée : arrestation, fichage, rafle, déportation, tout cela a tellement l'air acceptable. Acceptabilité normale, redoutablement efficace de normalité. Des gestes s'enchaînent qui, sans en avoir l'air, funestement trompeurs, conduisent des gens, des enfants, du camp de Drancy aux crêmatoires d'Auschwitz, "camp d'extermination" : la police française obéit comme obéissent les soldats allemands de l'armée d'occupation... La désobéissance de quelques uns a sauvé Armand, l'acceptation leur avait paru inacceptable. N'obéissez jamais ! 

Par delà beaucoup de tendresse retenue, le livre de Zysla Belliat-Morgensztern énonce simplement, raconte sans exclamations et se garde bien d'être édifiante ("Qu'aurais-je fait..."). Pas de manichéisme. Justesse et justice, son ouvrage tisse les mots de son père, qu'elle rapporte méticuleusement, et sa propre expérience d'enfant. Ce "récit à deux voix" sonne toujours juste et l'émotion retentit longtemps encore après la lecture.


N.B. Sur l'histoire et la notion de témoignage, le livre d'Annette Wieviorka, L'ère du témoin, Paris, 2013, Fayard Pluriel, 190 p.
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samedi 9 juin 2012

Les mots-clés de la vie d'une femme

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Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008, 242 p. folio, 6,95 €, 253 p. texte inclus dans le volume intitulé Ecrire la vie. Cf. D'Annie Ernaux à Aurélie Filippetti. Romans.

Voici un livre difficile à classer, tant s’y enchevêtrent de techniques que tant de talent conjugue et dissimule. Sociologie, ethnographie, biographie, histoire contemporaine. Il y a de tout cela dans ce roman sans fiction, sans intrigue, sans les fils prétextes qui d’habitude cousent de fil blanc des vies illustres. Reste le quotidien dans un petit bout d’Europe ordinaire : les hypers, les repas de fête, Alzheimer, les vacances, les enfants, le RER, le boulot, le cancer, le collège, les images et les mots plutôt que les choses. "Mots" plus populaires que ce ceux de l'enfance bourgeoise de Sartre. Mots de femme, aussi.
Couverture de l'édition en Livre de Poche
avec une 2CV Citroën en arrière plan

Le thème conducteur de cette vie racontée par Annie Ernaux, sa vie, ce sont les images et surtout les mots. Annie Ernaux les épingle comme des étiquettes aux moments de la vie, mots clés, « tags » collés à des situations, metadata. Saussure évoquait le « trésor mental de la langue que chacun a en lui » : Annie Ernaux livre le sien, riche des « milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens, les actes et les sentiments, ordonné le monde … » (p. 15). Surtout, elle décrit, non pas « le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit » (p. 19), achevé, mais sa genèse dynamique continuée au cours des années « palimpsestes », chacune grattant la précédente pour y inscrire ses propres mots, ses faits, ses gestes, et s’y confondre.

Ce dictionnaire virtuel dont l’auteur, en philologue, dévoile l’acquisition, s’emplit simultanément de marques commerciales, de citations, d’exemples de grammaire, de mots savants, de mots d’école, de paroles de chansons, de slogans publicitaires, d’histoires « drôles »… Titres de films, récits familiaux, récitations, cantiques… Mots hérités de la famille, de la mère, du père, des enfants aussi avec qui l’on fait « provision de mots » nouveaux et de leur mode d’emploi (p. 190). Langue propre aux classements, involontaire. Entr’aperçue par les sociolinguistes (W. Labov, B. Bernstein), cette génèse de la langue échappe pour l'instant à l’enquête savante, aux moteurs de recherche, à l'intelligence artificielle, pas à l’écrivain. "Paroles transmises de génération en génération, absentes des journaux et des livres, ignorées de l'école..." (Journal du dehors, p. 529).

Le temps qui passe, rêves et désenchantements, est rendu en mots et en images par les médias, la publicité, les slogans, les emballages. « Ambiant advertising », fond invisible, omniprésent où se forment les idées. Décors pluri-média des cycles de vie intérieure, de la mémoire, chansons, émissions de radio, de télévision, magazines, films, affiches. Et l’auteur, observatrice impitoyable et tendre, se demande comment tout cela s’entretisse avec les trames de la vie, de sa vie. Ainsi s’esquisse une introuvable sociologie de la réception des médias, alors que toute notre connaissance s’épuise dans l’analyse interminable de ce qui est émis ou dans une statistique fumeuse des contacts. Médias vécus, incorporés, inculqués, mot à mot. Affinités, profils. On l’aura noté, la littérature rend souvent mieux compte d'une époque que les journalistes ou les sciences de l'homme.
Mais c’est un roman, du plaisir donc ! La vie, l’amour et les mots d’une femme, de la petite fille à la grand-mère. Un singulier tressé d’universel.


N.B. A rapprocher de l'œuvre d'Elisabeth Hardwick et, notamment, de Sleepless Nights (1979) que les médias structurent toutefois moins clairement. Cf. Le remarquable compte-rendu, par Joan Didion, de Sleepless Nights dans The New York Times, "Meditation on a Life", April 29, 1979.
Pour Annie Ernaux comme pour Elisabeth Hardwick, vaut la phrase programmatique de Chateaubriand que cite Lévi-Strauss au début de Tristes Tropiques : "Chaque homme porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt et semble habiter un monde étranger".
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dimanche 26 septembre 2010

La Chine mot à mot

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"La Chine en dix mots" (Actes Sud, 332 pages), ouvrage traduit du chinois (et non de l'anglais, comme il arrive souvent !) par Angel Pino et Isabelle Rabut. Les traducteurs ont ajouté 21 pages de notes que l'on souhaiterait souvent encore plus développées tellement rien ne va sans dire pour un lecteur occidental.

C'est un essai de Yu Hua (余华), romancier chinois né au début de la Révolution culturelle et devenu célèbre dans la Chine du capitalisme libéral. Yu Hua est connu comme l'auteur de "Brothers"(兄弟, 2008) et de "Vivre" ((活着, 1994, cf. le film de Zhang Yi-Mou). L'ouvrage suit l'histoire de dix mots clés au cours des quarante années passées, d'une Chine qui voulut tout révolutionner - jusqu'à la vie quotidienne - à celle de l'argent roi : "de la passion politique à la passion du gain". Ces mots sont expliqués, contés de manière auto-biographique, à travers les souvenirs d'enfance et d'adolescence de l'auteur : en quelques années, les mots changent de connotations, de fréquence d'utilisation, se démodent...

Par exemple, le mot "peuple" (人民) ; omniprésent dans les discours ("servir le peuple", etc.) de la Révolution, il a presque disparu aujourd'hui, émietté en mots nouveaux : "internautes, boursicoteurs, acheteurs de fonds, fans d'idoles, ouvriers au chômage, paysans migrants". Le mot "leader" (领袖), qui désignait Mao Zedong, s'est lui aussi délité en innombrables acceptions : leaders de la mode, de l'élégance, de la beauté puis de l'innovation, des médias, des ascenseurs... "Aujourd'hui, il y a tellement de leaders en Chine que la tête vous en tourne".

Le mot lecture (阅读) conduit le romancier à raconter son enfance sans livres, hormis les Oeuvres choisies (dont l'omniprésent petit livre des Citations de Mao) et les livres de médecine de ses parents. Des "oeuvres choises", le jeune Yin Hua ne lit que les notes de bas de page, riches en personnages et événements ; quant aux livres de médecine, il en parcourt avec ses copains les planches anatomiques. Le premier roman étranger qu'il peut lire est La Dame aux camélias, recopié pieusement, lu avidement. Pour la lecture publique, il y a les dazibaos, journaux écrits en grands caractères (大字报), épigraphie moderne (dont le droit sera inscrit dans la Constitution) qui à l'origine s'apparentait au crowd sourcing. Le gamin les scrute pour y trouver des allusions sexuelles. Un jour, enfin, les livres neufs arrivent, encore rares, à la bibliothèque et c'est la bataille pour Anna Karénine ou Le Père Goriot... "De la pénurie absolue à la surabondance" : où se bat-on aujourd'hui pour lire Le Père Goriot ?


Après un chapitre sur l'écriture, vient un chapitre sur Lu Xun (鲁 迅), célèbre écrivain contestataire (1881-1936) dont le nom rabâché pendant la Révolution culturelle, alors qu'il n'était guère lu, finit par connoter le conformsime ; il ne retrouvera sa fraîcheur iconoclaste que plus tard, lorque notre romancier le lira sans préjugé : "Lu Xun avait enfin cessé d'être un mot pour redevenir un écrivain".

Et Yu Hua enchaîne avec d'autres mots clés de la Révolution culturelle, usés par le discours politique tels "disparités", "révolution", "gens de peu". Le chapitre sur l'évolution sémantique du mot "copie / faux" ("shanzhai", 山寨) est étonnant : connotatant d'abord le hors-la-loi, il désigne désormais "la contrefaçon, le bidouillage et le canular", caractérisant des comportements touchant à toutes sortes d'aspects de la vie sociale. Le mot "embrouille " (huyou 忽悠) a connu lui aussi une étrange évolution, signifiant d'abord "se balancer", il en est venu à désigner des comportements trompeurs : embobiner, bluffer, entourlouper, pièger, rouler, feinter, etc. Du grain à moudre pour les travaux linguistiques et lexicologiques.

Ce livre permet de découvrir une histoire vécue de la Révolution culturelle chinoise souvent mal saisie par les historiens, histoire écrite à la première personne, sans manichéisme aucun. Surtout, il s'agit d'une histoire socio-linguistique : celle de l'empire des mots au travers desquels cette histoire a été perçue, comprise, incomprise aussi. La théorie n'est jamais loin derrière l'anecdote, l'analyse politique naïve et parfois tendre est souvent profonde, subtile. Ce que ne dit pas Yu Hua c'est comment les mots éteints par la politique peuvent se rallumer, retrouver un sens tout neuf.
Toute histoire est ausi histoire de mots. Les euphémisations des sociétés occidentales mériteraient un même travail socio-linguistique ou littéraire : débusquer systématiquement la langue de bois, le "langage totalitaire" qui interdit aux dominés jusqu'au dire de leur domination, de leur souffrance. Le rôle des médias dans cet écrasement est évidemment tu et dissimulé par les médias dont le rôle majeur de porte-parole est de "prendre" la parole pour empêcher de dire. Parler sans cesse pour que rien ne soit dit...
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