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lundi 25 juin 2018

Repenser la vie dans des villes intelligentes



Villes. La nouvelle donne, JCDecaux, Paris, 2018, 115 p.

JCDecaux publie un élégant "cahier de tendances" consacré à la ville et à ses évolutions possibles, probables. Le livre, car c'est un livre, et même un beau livre, luxueux, multiplie les idées innovatrices mais surtout illustre ces idées d'exemples, ce qui éloigne un peu les utopies démagogiques. Ville partagée, ville versatile, ville de la multitude des initiatives : il s'agit de dépasser les idées générales, et généreuses, avec des exemples réalistes, puisque réalisés : l'Open Closet de Séoul pour faciliter la recherche d'un emploi (p. 51), les vergers urbains (Paris, p. 58), les cyclistes encouragés et salués par Copenhague (p. 75), la "ceinture aliment-terre" de Liège (p. 44), le privilège accordé au commerce local (la monnaie locale à Bristol, p. 45), entre autres. Le cahier aborde aussi de front les sujets qui peuvent fâcher : la dramatique asphyxie de la ville par l'automobile (inutilisée pour 96% de son temps, les parkings occupant 20% de l'espace urbain, sans compter les trottoirs, p. 37). Une page de synthèse rappelle ce qui, dans la vie urbaine, est "en voie de disparition" (p. 82).

JCDecaux est parfaitement placé pour évoquer la ville : c'est le seul groupe média français de taille et d'expérience internationales. Actif dans la plupart des grandes villes du monde, il en recueille une connaissance pratique enviable et rare. De plus, la ville se vit comme un support de communication extérieure et de publicité ("espace public"), celle-ci contribuant au financement indirect des mobiliers urbains, des transports : c'est le cœur de métier de JCDecaux.

Plusieurs facteurs se conjuguent pour imposer une conception nouvelle de la ville : d'une part, la montée des périls liés à la pollution atmosphérique et sonore à laquelle un siècle de fascination automobile ont donné une ampleur dangereuse ; d'autre part, l'importance des données numériques disponibles en temps réel sur la vie dans la ville. La collecte et l'exploitation de données numériques d'observation - au moyen de multiples capteurs - des déplacements, de la pollution, du marché immobilier, du marché scolaire (les deux sont liés), des événements permettront-elles de rendre les villes, sinon intelligentes, du moins intelligibles et d'en améliorer la gestion quotidienne.
Les auteurs invités par ce "cahier" pour détecter les tendances viennent d'horizons culturels divers, casting rafraichissant et souvent inattendu ; iconoclastes, ils mettent l'accent sur  "l'humain au cœur du projet urbain" : rendre le piéton roi avec la "piétonisation" des rues et des quartiers, promouvoir et généraliser les pistes cyclables, privilégier la proximité dans l'urbanisme commercial, assurer le retour des arbres, de l'eau dépolluée, du bois de construction, des animaux non domestiques... La transition énergétique remet en question la place et le pouvoir de l'automobile et de ses puissants lobbies, elle conduit inéluctablement vers davantage de transports publics de qualité : ce travail indique de nouvelles voies.

Le livre donne à rêver pour mieux oser penser la vie en ville, c'est son objectif et il est atteint. Pourtant, rien de tout cela n'échappera au calcul économique et social, aux questions de financement et d'endettement. Le calcul du coût de certaines manifestations ne devrait-il pas seulement être évalué en dépenses (payées par les impôts des contribuables) mais aussi en pollution, en inconfort pour les habitants. Les données numériques permettront une synthèse plus clairvoyante laissant moins de place à la démagogie électorale.
Quid du tourisme : en calcule-t-on lucidement les bénéfices et les nuisances ? Quels choix ? Faut-il entasser des touristes sur des bateaux-mouches ou dans des bus pour visiter une ville au lieu d'en faciliter la visite à pied ou à bicyclette ? Dans certaines grandes villes, comme Genève, les hôtels donnent à leurs clients des tickets gratuits pour les transports publics... Quid des compétitions sportives à grand spectacle, ces vaches sacrées ? Sont-elles un bien pour les villes ?
Quid des effets sur l'urbanisme de la livraison à domicile généralisée et gratuite ? Que peut-on espérer, mais surtout craindre, de "géants" numériques tels que Amazon, Airb&b, eBay, Waze (Google), Uber, Lyft, etc. ? Cette question renvoie d'abord à la fiscalité locale (cf. la récente décision de la Cour Suprême américaine quant à l'imposition locale du e-commerce).
Le problème politique du pouvoir urbain est éludé, ce n'est pas le sujet, mais les lecteurs devront y penser. Qui décide, qui gouverne les villes ? Des administration, des élus. Où s'arrête la ville, a-t-elle des frontières ? Quelle est sa place dans une économie-monde ? Comment cohabitent pouvoirs local, régional et national ?
Enfin, le cahier se tient délibérément loin des aspects techniques, des réseaux de l'internet des choses  et des questions de données : qui doit détenir les données numériques de la ville, ses habitants, ses administrations, ses commerçants ? Ne devraient-elles pas être open source ? Quelle place accorder aux écrans dans la ville (DOOH), quelles dimensions, quelles créations ?
Nouvelle donne, nouvelles données. On attend un prochain tome, plus technique.
Albert Asséraf, Directeur Général Stratégie, Data et Nouveaux Usages de JCDecaux conclut ce cahier en soulignant la nécessité de rompre heureusement avec le conservatisme endémique pour imaginer sans cesse des solutions meilleures pour vivre en ville, "meilleures parce que collectives et tournées vers le bien commun". Indiscutable, à discuter. Merci à JCDecaux d'engager cette discussion. A "smart city", "smart advertising" ?

jeudi 6 mars 2014

Le marché, un bien public


Laurence Fontaine, Le marché. Histoire et usages d'une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2014, Index., Bibliogr. et sources Internet, 442 pages, 22,9 €.

L'ouvrage est dense et d'une richesse complexe, foisonnante tant il convoque de domaines pour rendre compte de l'histoire du marché (et non des marchés) : histoire religieuse, histoire sociale et politique, exemples et étude de cas issus de différentes périodes et de cultures éloignées. Au cœur de la réflexion de Laurence Fontaine, armant son argumentation, se trouve l'œuvre d'Adam Smith, décidément moderne. Au passage, elle égratigne la théorie braudélienne des "économies-monde" contre laquelle elle rétablit le rôle des réseaux marchands informels, avec les foires, les vendeurs de rue, les marchands ambulants, les colporteurs. Ces réseaux fluides sont des facteurs de mobilité sociale.

L'auteur s'applique à réhabiliter l'économie vivante, informelle, "à hauteur d'homme", qui représente une contestation tacite de l'économétrie théorique qui s'en tient aux anticipations rationnelles d'acteurs abstraits et aux grands agrégats.
Hors du plaisir intellectuel, que peut-on faire de ce travail ? A la lumière du travail de Laurence Fontaine, il serait certainement fécond d'analyser les transformations qu'Internet apporte à l'organisation du marché. Pensons aux marchés de seconde main, à la modernisation et à l'élargissement des vide-greniers, des garage sales, à la revente des cadeaux : que changent des entreprises comme eBay, leboncoin, Troc.com, Mercarietc ? Quel sens donner à l'automatisation de l'échange, de la fixation des prix aux enchères sur les places de marché ? Quel sens donner à l'économie des start-ups, au crowdfunding, au group buying ? Il faudrait revisiter ces techniques de marché avec les outils et la sensibilité de Laurence Fontaine. Le Web est-il bon pour le marché, contribue-t-il à en faire un bien public ?
Si le Web modernise le marché et les places de marché, améliorant apparemment la transparence et l'information (moteurs de recherche, publicité, comparateurs de prix), il ne protège pas, hélas, du lobbying et des monopoles, pour ne citer que les deux plus grands dangers qui menacent sans cesse le marché et l'économie du Web : il suffit de voir, pour s'inquièter, les moyens que les plus puissantes des entreprises du Web consacrent au lobbying, à Bruxelles et à Washington, notamment ?

Le marché est un bien public, rappelle l'auteur dans sa conclusion. Proposition qui prend tout son sens à être rapprochée des Droits de l'homme, associée à l'espace public et à la place centrale des consommateurs. La conquête du marché, c'est l'objet de la démonstration qui court dans ce livre, est une conquête sociale contre les "sociétés à statut" ; celles-ci font obstacle au développement du marché, empêchant les plus démunis d'y accéder, restreignant le droit d'accès au prêt à intérêt (accusation d'usure). Le marché suppose l'égalité (cf. le marchandage qui se fait sur un pied d'égalité entre vendeur et acheteur, méprisé par les aristocrates, absent du commerce éléectronique et presque toujours de la grande distribution) ; il favorise le développement de la ville, "marché permanent" des biens, des idées, des services.

Livre inattendu, subtile et agréable à lire et à relire, iconoclaste. Rafraichissement conceptuel assuré, l'économie revenant sur terre, avec le marketing quotidien et les techniques triviales du marché (politique des prix) et ses acteurs oubliés, femmes, pauvres... Cette historienne restaure le marché et l'échange dans leur diginité sociale : le commerce n'est-il pas un réseau social ? Lecture indispensable pour les économistes, indispensable aussi pour ceux qui veulent comprendre le Web.

N.B. De Laurence Fontaine avec Florence Weber (dir.), signalons un ouvrage collectif remarquable : Les paradoxes de l'économie informelle. A qui profitent les règles ?, Paris, Editions Karthala, 2011, 276 p.

mardi 4 janvier 2011

Internet en Chine

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Redwired. China's Internet Revolution, Sherman SO, J. Christopher Westland, Marshall Cavendish Business, 246 p. Index.

La Chine domine Internet et le Web par le nombre de pratiquants. Elle y contribue avec des acteurs majeurs, de taille et d'emprise mondiale. La littérature sur le sujet est rare dans les langues occidentales : en Occident, faute de connaître le chinois, la Chine reste une "nation parlée" par les autres. Cet ouvrage est dans cette lignée. Ces limites entendues, il apporte des données et des informations indispensables pour aborder le web chinois. Notons que sa trame est celle d'un dialogue Chine / Etats-Unis : l'absence de l'Europe, de ses universités, de ses chercheurs, de ses entreprises est criante. L'Europe semble hors-jeu de cet ouvrage consacré à l'économie de l'innovation numérique. Il y a là un involontaire avertissement.

Evoquons d'abord les statistiques. Ce sont d'abord quelques pages en fin de volume, issues du CNNIC, d'Analysys International et de IDC. N'étant pas accompagnées d'un mode d'emploi élémentaire (production, limites de fiabilité, benchmarks, etc.), elles sont difficiles à interpréter. Les autres données citées sont celles que publient les sociétés étudiées. Beaucoup de ces données sont déjà trop anciennes, donnant à ce livre une tonalité historique, néanmoins utile. On observe des coups déjà joués, des parties achevées.
Le livre passe en revue l'itinéraire des grandes entreprises du numérique chinois et compare leur modèle d'affaires avec celui de leurs équivalents américains : les confrontations des couples Sina / Yahoo!, Baidu / Google, Ctrip / Expedia, Taobao / eBay, PayPal / Alipay, Amazon / Dangdang, Tencent-QQ / ICQ, Youku / Youtube sont éclairantes. Cette approche comparatiste est féconde et illustre les différences entre les modalités de la réussite aux Etats-Unis et en Chine.
N.B. Une mise à jour sur le Web et un glossaire chinois / anglais compléteraient utilement ce travail.

Au-delà de la description minutieuse des grandes entreprises du numérique chinois, que retenons-nous ?
  • L'importance des Etats-Unis dans le développement du numérique chinois. 
    • Financements (seed money, NASDAQ, à l'exception notoire de QQ/Tencent financé par un groupe sud-africain )
    • Formation des cadres et innovateurs par les universités (Stanford, Georgia Tech, Concordia College, SUNY Buffalo, MIT, Carnegie Mellon, etc.) et les grandes entreprises (Yahoo!, Oracle, Sybase, Merrill Lynch, Microsoft, General Electric, etc. ).  
    • Les expatriés retour d'Outre-Mer (海归) rapportent en Chine des savoir faire, des idées et l'envie de réussir. 



  • Les auteurs font percevoir les avantages d'être chinois (la langue, le soutient de l'Etat, la connaissance des rouages administratifs et économiques, implicites et tacites) et les erreurs commises par les étrangers : 
    • Ancrage et insertion locaux insuffisants (cf. les échecs de eBay, de Google).
    • Sous-estimation des différences : voir la Chine avec des préjugés occidentaux
L'adaptation à la situation chinoise d'un modèle américain ne va pas de soi. L'imitation pure et simple échoue. En fait, plus qu'apprendre les manières américaines aux Chinois, il faudrait apprendre les manières chinoises aux sièges américains, qui voient la Chine de loin, en ignorent les langues et les cultures (cf. la leçon ancienne et si actuelle de Matteo Ricci). Les erreurs de jugements des VC américains ou, pire, américanisés, relèvent d'abord d'un superbre ethnocentrisme. Ce que dit tacitement cet ouvrage, c'est que le temps la condescendance est révolu.
Le XXI ème siècle sera chinois et numérique.
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