Affichage des articles dont le libellé est Tati (J). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Tati (J). Afficher tous les articles

lundi 7 mars 2022

Le salon des Arts Ménagers : l'histoire

Marie-Eve Bouillon, Sandrine Bula, Plateau volant, moto laveur, purée minute. Au.salon des arts ménagers. 1923-1983, Paris 2022, Archives Nationales, CNRS Editions, 2022, 205 p.

Voici une histoire, celle d'un salon qui pendant une cinquantaine d'années a fait rêver une partie des français et françaises. Le CNRS en gère l'héritage confié aux Archives nationales en 1985. 

D'abord, il s'agit d'une fête populaire pour près de un million et demi de personnes (1962) qui fréquentent le salon et viennent y découvrir de nouveaux produits : caoutchouc synthétique, béton armé, acier inoxydable, matière plastique... et les nouveaux outils : réfrigérateurs, machines à laver, appareils de chauffage, de cuisson, aspirateurs...

On y célèbre d'abord la ménagère, et les enfants, mais aussi, nolens volens, la "liberté de l'avortement et de la contraception" (MLAC, 1975) ; depuis la loi de 1965, les femmes peuvent ouvrir un compte en banque sans l'autorisation d'un mari (donc avant 1968 et avant la loi Weil). "La française doit voter", demande-t-on aussi avec Louise Weiss, en 1936. Les revendications féminines s'adressent aux femmes et, par leur intermédiaire, à la société française dans son ensemble. Le salon est politique.

Les arts ménagers correspondent à la modernisation des styles de vie ; c'est désormais l'époque du baby boom. Le salon est aussi une grande machine médiatique, il a sa revue (L'Art ménager, la revue créée en 1927 qui devient Arts ménagers en 1950 qui survivra jusqu'en 1974,  associé à Madame Express et Cuisine Magazine) tout comme il a ses vedettes qui passent et en célèbrent les innovations. Présidents de la République mais aussi le comique des familles, Fernand Reynaud ! On est toutefois encore loin de Mon oncle, le film de Jacques Tati... Et le salon fait l'éloge du plastique que chante alors, aussi, avec humour, Léo Ferré, "Le temps du plastique"...

Que sont les "arts ménagers" ? L'expression remplace et déborde - et ennoblit - celle des "appareils ménagers" du salon de 1926, elle a une vocation plus large et désigne "l'art de savoir faire tout ce qui permet et protège le bien-être de la maison" (Larousse ménager, 1955), les outils de la nouvelle révolution industrielle, les objets techniques de la sphère domestique, y compris l'habitat. Mais ce sont d'abord les outils de la ménagère, puis bientôt de tous ceux et celles qui sont et font le ménage chez eux, qui nettoient, font la cuisine... Le salon est une nouvelle forme d'encyclopédie.

Le livre présente le salon et ses visiteurs. Mais sans sociologie. Qui sont les visiteurs de ce salon, comment leur composition a-t-elle évolué au cours de la soixantaine d'années de vie du salon ? Comment sont reprises, par le très grand public, les innovations présentées au salon, qui se veut première étape de leur diffusion ? Le livre ne donne pas non plus une description complète des objets et techniques montrées au salon. C'est dommage car c'est dans et par l'univers domestique et ses divisions que s'accomplit le travail de reproduction socio-économique (les jouets sont présents, par exemple, etc.) ? Et puis, enfin, pourquoi le salon s'arrête-t-il ? Les problèmes qui l'ont fait naître n'ont fait que s'amplifier alors que les femmes ne travaillaient plus seulement au foyer. Sociologues et historiens ont encore du travail.


lundi 29 juillet 2019

Quand des philosophes imaginent les villes


Michel Eltchaninoff, La ville rêvée des philosophes, Paris, Philosophie Magazine EDITEUR, Paris, 191 p., 25 €.

Michel Eltchaninoff est homme de média et philosophe ; il co-dirige la rédaction de Philosophie Magazine (diffusion totale payée, selon l'ACPM-OJD, 36 482 exemplaires en décembre 2018).

L'ouvrage, issu de la rencontre de La Fabrique de la Cité (un think tank) et de philosophes professionnels est composé de six chapitres, chacun d'entre eux cumulant quatre parties :
  • la partie première, "perspective", donne le ton, 
  • la seconde partie fait dialoguer un spécialiste de la ville (urbaniste) et un philosophe professionnel (qui enseigne)
  • cela précède un ensemble de citations (de Platon à Claude Lévi-Strauss), plus ou moins longues, consacrées à la cité par des philosophes connus, plus ou moins modernes
  • et le chapitre se termine par un chapitre (trop) court (2 pages) concernant une oeuvre cinématographique (Jacques Tati, Fritz Lang, Jim Jarmush, Byron Howar et Rich Moore, Ridley Scott, et Jia Zhankhe.)
Le philosophe a voulu regrouper dans ce volume des idées de la ville propres "à embrasser la complexité", telles que les voyaient et les voient, les philosophes d'hier, er d'aujourd'hui encore. Ce livre est une collection d'idées, de pensées, de remarques venant de philosophes les plus anciens et les plus récents centrées autour de débats sur "l'extension du domaine de la ville", sur la notion de "smart city", sur le vivant, l'espace et le vide, sur le despotisme moderne (à propos de Singapour)...
Des philosophes commentent la ville : "la piétonisation des voies sur berges", le réaménagement de la place de la République (Paris), les aménagements de la ville de Lisbonne, le quartier  Hammarby (Stockholm), les coulées vertes (New York, Paris, Séoul) : mondes de "l'homo citadinus".
Jean-Jacuqes Rousseau ne voyait dans les grandes villes que des occasions pour les humains de s'y perdre : "l"homme est de tous les animaux celui qui peut vivre le moins en troupeaux", dira-t-il. Mais pourtant, l'homme vit dans les villes. Mais où commence et où finit une ville ? Ne faut-il pas laisser la ville se développer à sa manière, improbable et incertaine, plutôt Aristote que Platon ? Villes intelligentes ? Pas si sûr, calculables peut-être, mais "la capacité de bordel de l'espèce humaine outrepasse très largement les possibilités de calculabilité", observe Antoine Picon !
Ce livre est comme un flânerie incertaine dans les villes, villes de tous les temps, de tous les moments, villes de tous les films ("Playtime", de Jacques Tati ou "Metropolis" de Fritz Lang, ou encore la ville chinoise de Jia Zhankhe...).

Comment bâtir un discours sur la jungle urbaine d'aujourd'hui, jungle que construisent l'ingénieur et l'architecte guidés par des élus et des urbanistes ? "Plutôt mettre les idées en chantier que bâtir des châteaux en Espagne", met en garde Michel Elchaninoff qui vante dans la ville "l'indiscipline de ses habitants" ! Ce livre est un débat, un vaste mélange, organisé, de rencontres de spécialistes, d'expériences, de villes donc : il faudra le remettre en chantier chaque année pour entendre les nouvelles idées, les nouvelles menaces et voir naître et mourir de nouvelles villes.
Voici en tout cas un livre utile, à parcourir régulièrement pour entendre un philosophe ou un urbaniste dire ce qu'il voient des villes, comment ils les voient et ce qu'elles deviennent... puisqu'il est certain que l'on ne comprend pas comment vivent les villes, comment elles naissent et meurent.