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mardi 18 mars 2025

Les mains de Rome : superbe anthropologie historique

Sarah Rey, Manus. Une autre histoire de Rome, Paris, Albin Michel , 391 p.

"Donner un coup de main", "mettre sa main au feu", "pris la main dans le sac" : la main est présente dans tant de discours contemporains. 
Qu'en était-il à Rome ? L'historienne Sarah Rey en propose un inventaire historique, à partir du mot latin "manus" (main) et de ses usages dans la vie quotidienne. 

L'originalité de ce travail tient à son approche complète, totale de la société romaine ; l'importance de la main est "manifeste" (le latin manus, ici encore, pour l'étymologie) pour toutes les catégories sociales de la vie (mais les esclaves ?) et toutes les époques de l'histoire romaine. Il s'agit, déclare la préface de John Scheid, Professeur au Collège de France, d'une anthropologie historique dont le but est "de mettre en évidence le rôle central dévolu à la main dans ses composantes corporelles, mais aussi symboliques." 
Les travaux de Sarah Rey s'inspirent notamment de ceux de Marcel Mauss ("Les techniques du corps", 1934) et du durkheimien Robert Herz (polarité gauche - droite, "La prééminence de la main droite") dont le sous-titre était "Etude sur la religieuse", 1909. Elle souligne d'emblée, dans son prologue que "le corps est bien moins physique que social, et qu'il appelle de grands angles". 

Le livre commence par une histoire, un exemple, celui de Gaius Mucius Scaevola,"héros de la main" (appelé ensuite le "gaucher") qui mit sa main droite au feu pour témoigner de sa bonne foi. De là, on passe au droit, de la "manus iniectio", une main lancée sur un coupable, à la "mancipatio", prise en main d'une propriété. Et l'on suivra Sarah Rey dans des lieux dissemblables,"le forum, les tribunaux, les temples, les palais impériaux, les champs, les ateliers" à la recherche des mains dont il faudra interpréter la présence et le rôle. 
"Mains sans qualités" (allusion à Robert Musil, "ohne Eigenschaften" ?) : le dernier chapitre est consacré aux "mains modestes", mains calleuses, mains des pauvres, des plus humbles (humiliores) aux mains de femmes, aux mains d'enfants. Mais, "encore et toujours, le lieu commun règne en maître", et ce ne sont souvent que des caricatures qui évoquent ces mains serviles (mains d'obstétriciennes, d'agricultrices). Ces corps sont surtout "porteurs d'un danger social" : "les différencier nettement, c'est aussi raffermir les hiérarchies que les élites romaines ne veulent pas voir se modifier". 
Le droit et la vie religieuse connaissent de nombreuses passerelles que l'auteur met en évidence. Toute une "chorégraphie sociale" est analysée qui en pointe tous les gestes et les interprète. Car, à Rome, dit-elle, "la manus est placée sous le regard des dieux", les gestes de la main trahissent une pensée, une intention. "A Rome, la main dit l'homme tout entier", conclut-elle.
"La main est, à Rome, une institution. Sous ses meilleurs aspects, elle protège, console et vient en aide. Elle écarte les périls. Elle sauve. Elle accomplit les rites qui plaisent aux dieux. La main, c'est la morale même." Ainsi Sarah Rey achève-t-elle son travail. Les notes (explications, références) sont très nombreuses (pp. 245-381) mais rejetées en fin d'ouvrage (sûrement une idée économique de l'éditeur !) et à faire le va-et-vient du texte aux notes, on se prend à rêver de notes de bas de pages qui faciliteraient et enrichiraient la lecture. Heureusement, on peut aussi lire ces notes à part et elles s'avèrent très utiles (cf. la documentation ethnologique) et souvent passionnantes. 
Enfin, le livre se lit avec grand plaisir, on y apprend beaucoup et l'on finit par y revenir (un ou deux index y aideraient tant les références sont diverses et bienvenues). Il s'agit d'abord d'un superbe travail, et d'un excellent outil aussi qui se fera une place classique (pour les classes) dans les bibliothèques des anthropologues et des latinistes, des linguistes, des antiquisant-e-s et des épistémologues, puisque ce livre efface quelque peu les distinctions traditionnelles et suggère des recompositions des disciplines universitaires et scientifiques.

On retrouvera Sarah Rey, très didactique, sur Youtube, et excellente Professeure: Sarah Rey, Manus. Une autre histoire de Rome


lundi 23 décembre 2019

Philosophie chinoise pratique : se passer de la volonté pour mieux agir


Romain Graziani, L'usage du vide. Essai sur l'intelligence de l'action, de l'Europe à la Chine, Paris, Editions Gallimard, 2019, 269 p.

C'est un ouvrage écrit par l'un des très bons connaisseurs de la Chine ancienne. Normalien, ancien de Harvard, l'auteur enseigne les études chinoises aujourd'hui à l'Ecole Normale Supérieure (Lyon). Il est aussi le rédacteur en chef de la revue Extrême-Orient Extrême-Occident. Ses recherches portent essentiellement sur l’histoire sociale et intellectuelle de la Chine ancienne.
Le plus désirable, c'est ce que l'on ne cherche pas, parce que si on le cherche, alors on ne l'obtient pas. Paradoxe de l'action volontaire ? L'action efficace n'est pas voulue, au contraire. Alors, que faire ?

Le livre porte sur les "méfaits de la volonté" car "tout se passe en fait comme si l'excès de conscience réflexive et le surcroît de volonté nous éloignaient irrémédiablement de la fin convoitée. Vouloir et pouvoir semblent se situer dans une relation directement antagoniste" : voilà, le problème est posé des états optimaux et réfractaires, qu'il s'agisse de vouloir s'endormir, d'effectuer des gestes sportifs (l'auteur évoque souvent le tennis), de se rappeler un nom, ou plus vain encore, la volonté de séduire ou de convaincre d'une idée voire d'une politique : "le seul fait de les intentionner les rend hors d'atteinte"... Romain Graziani s'appuie surtout sur la pensée chinoise et notamment sur le Zhuangzi (Tchouang-tseu), fameux texte chinois du troisième siècle avant notre ère ; mais aussi, il fait appel entre autres, à l'écrivain autrichien Robert Musil, à William James, Maître Eckhart, Alexis de Toqueville mais aussi à des mathématiciens tels Henri Poincaré (L'invention mathématique, mai-juin 1908) ou Alexandre Grothendieck, ou encore à Ovide, poète latin, et au penseur norvégien contemporain Jon Elster. Donc, il faut vouloir le non-vouloir. L'auteur n'hésite pas dans ce livre à "subvertir quelques oppositions bien établies entre le vouloir et le non-vouloir, la vigilance et la distraction, l'attention et la confusion, l'action et le non-agir".

"Vouloir, c'est ne pas pouvoir" car la volonté d'accomplir tel ou tel acte en empêche sa réalisation : l'auteur multiplie les exemples, empruntant à la philosophie classique autant qu'à l'histoire de la psychologie pour donner des conseils : déjouer l'emprise de l'intentionnalité dans chacun de nos gestes, aller vers le non-vouloir, le non-agir, formes souveraines de la volonté libre (ou libérée).
Belle démonstration de Romain Graziani mais nous restons malgré tout dans l'expectative : il fallait s'y attendre, et d'ailleurs, il nous a mis en garde. Que faire alors ? Rien ? Le non-vouloir, la rééducation de soi sont des solutions que suggère l'auteur. Mais ce n'est pas très certain ; l'analyse, la description des problèmes sont plus claires que les solutions, évidemment. En tout cas, voici un très beau livre qui donnera aux études chinoises classiques des perspectives nouvelles (appliquées) et actuelles.


jeudi 27 août 2015

Egon Erwin Kisch : reportages engagés


Egon Erwin Kisch, Der rasende Reporter, aufbau taschenbuch, Berlin, 1924 - 2008, 361 p. (en français, "Le reporter enragé").

Egon Erwin Kisch, Der rasende Reporter. Eine Biographie in Bildern, aufbau, Berlin, 1998, 303 p. Index.

Voici deux ouvrages de Egon Erwin Kisch, figure légendaire du journalisme politique de langue allemande au XXème siècle (1885 - 1948). Journaliste praguois il a été surnommé "der rasende Reporter" -  l'adjectif allemand "rasend" signifiant à la fois "fou" et "qui fonce" -, d'où le titre de son livre publié en 1924, rassemblant une cinquantaine de ses reportages (eine feuilleton Sammlung) : Robert Musil y saluera le grand livre du moment, "une nécessité' ("diese Art Reportage ist eine Zeitnotwendigkeit"). Le second ouvrage évoqué ici est une "une biographie en images" ; il est efficacement illustré de photographies et de dessins rendant compte des conditions historiques de production de l'œuvre de Egon Erwin Kisch et de ses rencontres intellectuelles. On croise ainsi Robert Musil, Franz Werfel, Maxime Gorki, Anna Seghers, Kurt Tucholsky, Upton Sinclair, Charlie Chaplin, Erwin Piscator, Joseph Roth... Cet environnement intellectuel vaut positionnement (noscitur a sociis !).

A l'intersection du journalisme et de la littérature, le reportage constitue un genre qu'ont pu illustrer F. Scott Fitzgerald, Henri Calet, Joan Didion, Emile Zola, George Orwell, Jack London... "Kunstform und Kampfform", art et combat, définissent bien le genre reportage dans le cas de Kisch qui fut, sa vie durant, un militant antifasciste, internationaliste, un aventurier permanent de la politique. Ses livres ont été interdits et brûlés par les nazis, il a été expulsé après l'incendie du Reichstag, il a rejoint les Brigades Internationales pendant le guerre d'Espagne... L'écriture n'est qu'une partie du reportage selon Egon Erwin Kisch : le reportage n'est rien sans les voyages, les investigations, les prises de parti. Pré-textes. Là se situe la spécificité du genre, sa différence avec la fiction : le reportage est une observation neutre mais construite de la réalité. Journalisme vécu que l'on rapprochera de la nouvelle objectivité des années 1930 (Neue Sachlichkeit) : "Il n'y a rien de plus sensationnel au monde que le monde dans lequel on vit", déclare Egon Erwin Kisch dans sa préface programme du 1er octobre 1924 où il revendique l'exotisme du quotidien et de la simple vérité. Le reportage s'acommpagne d'une exigence d'objectivité : "Le reporter n'est d'aucune tendance, il n'a rien à justifier et il n'a pas de point de vue [...] ce n'est pas un artiste, ce n'est pas un politicien, ce n'est pas un savant, c'est un homme ordinaire (platte Mensch)". Le reporter observe et vit (erleben) : "ne rien écrire sans vivre" ("nicht schreiben, ohne zu erleben"). Cette préface est un manifeste qui reste d'actualité pour caractériser le métier de reporter.

Les reportages de Egon Erwin Kisch exploitent ses nombreux voyages, ce sont des témoignages qu'il rapporte : Union soviétique, Etats-Unis, Afrique du Nord, Chine, Japon, Australie, Espagne, France, Pays-Bas, Grande-Bretagne. Pendant la guerre, il émigre au Mexique avant de revenir à Prague en 1948. Egon Erwin Kisch fit également des reportages pour la radio allemande. Observateur à tout prix, il s'engagea comme matelot pour payer son voyage de Baltimore à Los Angeles en passant par Cuba, Haiti et le canal de Panama. Il se déguisa en clochard pour observer et raconter la vie des sans abris : journalisme infiltré déjà, observation participante des enquêtes.
Outre des recueils d'articles (Paradies Amerika, Geschichten aus sieben Ghettos, Entdeckung in Mexico, Landung in Australia, Die drei Kühe. Eine Bauerngeschichte zwischen Tirol und Spanien, Marktplatz der Sensationen, etc.), on doit à Egon Erwin Kisch une anthologie des chefs d'œuvre du journalisme (Klassische Journalismus. Die Meisterwerke der Journalismus, 1923) que Kurt Tucholsky disait vouloir offrir à tous les journalistes comme cadeau de Noël.
Aujourd'hui, l'œuvre de Kisch sera un cadeau utile à tous ceux qui s'intéressent au journalisme et à son histoire. Hélas, pour l'instant les traductions en français sont encore peu nombreuses.

vendredi 10 mai 2013

Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

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Catalogue de l'exposition, 223 p., Index, blbliogr.
Guy Debord, 'Un art de la guerre", Exposition à la BNF (Paris, jusqu'au 13 juillet 2013).

Tout prétexte est bon pour (re)lire Guy Debord (1931-1994). Lecture nécessaire lorsque l'on travaille dans (avec) les médias et la publicité : en est-il de plus féroce critique, de moins compromise ? Mesure d'hygiène, pour se décaper de l'esprit de sérieux quotidien, qui s'attrape lorsque l'on se prend au jeu du spectacle. Il faut s'efforcer, de temps en temps au moins, de regarder le monde avec les yeux de Guy Debord.

Homme de média et de spectacle lui-même, Guy Debord écrit des livres, des articles, fonde des revues, monte des événements, réalise des films, détourne des affiches, des BD, des photos publicitaires... Il connaît assurément la musique des médias.
Voilà que Guy Debord, devenu "trésor national", entre à la Bibliothèque Nationale, avec affiche et relations publiques, catalogue et recensions dans la presse petite-bourgeoise. L'exposition est sobre, inattendue. On circule dans la vie de Guy Debord, d'abord avec perplexité, puis on s'oriente dans un demi-siècle d'histoire et l'on s'y retrouve, peu à peu.
Nous voici donc dans sa vie intellectuelle et militante, avec ses fiches de lecture par centaines, avec ses films, ses slogans et ses provocations. Mais qui provoquait qui ? La vie de Guy Debord devenue spectacle à son tour ? Récupéré celui qui disait "Est récupéré qui veut bien" ? Cela a le mérite de confirmer sa thèse essentielle : la toute-puissance infernale du spectacle.

L'exposition met en scène quelques traits majeurs de la personnalité et des oeuvres de Guy Debord, et du mouvement situationniste.
  • L'intérêt pour la stratégie comme jeu, comme pensée. Dans sa bibliothèque, l'histoire militaire occupe une place primordiale : Machiavel, von Clausewitz, le Cardinal de Retz et les acteurs de la Fronde, de l'histoire de Florence, etc. Il aime le Kriegspiel et conçoit un jeu de stratégie (le Jeu de la guerre) dont il dépose les règles ; il collectionne aussi les soldats de plomb... 
    Fiche de lecture" (Exposition)
  • La "raison graphique" à l'oeuvre dans toute son oeuvre. Elle se traduit dans le détournement de documents imprimés et dans l'omniprésence de l'écriture manuscrite : cartes et notes de lecture, cahiers à spirale, plans de montage de films, abondante correspondance, listes, cartes postales ; copier, découper, coller, monter.... Son mode de travail est traditionnel, c'est celui de la cuisine intellectuelle depuis déjà plus d'un siècle, inchangé, et que fait peut-être exploser aujourd'hui l'outillage numérique (Guy Debord refusait de taper à la machine, sa femme ne refusait pas ...). Notons un effet inattendu de l'exposition : faire voir ce que l'oeuvre finie, publique, ignore : son mode de production (la présentation des fiches, par exemple, qui l'illustre, est bien trouvée).
  • La critique de la "société du spectacle" et de sa domesticité (les "médiatiques") ; son oeuvre majeure, "La société du spectacle" (suivie de Commentaires sur la société du Spectacle, 1988) est un classique. L'idée centrale ? "Le spectacle est le discours ininterrompu que l'ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux" (La Société du spectacle, §23, 1967). Le monde est au spectacle du monde. Tout le monde se donne en spectacle, se donne au spectacle. Le spectacle est même une forme essentielle de la socialisation : les décors, les costumes, les rôles, les réparties, les gestes, les idiomes... De ce spectacle qui contamine le divertissement comme la politique, les villes comme les vies, nous sommes plutôt spectateurs qu'acteurs. 
  • Contre la parcellisation des connaissances qu'organisait l'université à coup de disciplines, de "spécialités" ; il dénonçait avec Michel Henry la dépendance aveugle et mystifiée que la société manifestait déjà pour les sciences et les innovations techniques (cf. La barbarie, Paris, 1987, PUF). 
    • Son amour des villes : il déteste l'urbanisme des "Trente glorieuses", qui a délabré Paris, abandonné les villes à l'automobiliste, aux "grands ensembles", aux axes routiers, aux hypermarchés, aux banlieues (retourner chaque jour dormir au loin). A cette vision technocratique et bureaucratique, Guy Debord oppose la ville traditionnelle où l'on peut flâner, "dériver" à pied, au gré d'une "psychogéographie" choisie. Sa nostalgie alimente une sociologie vécue de la ville. L'héritage surréaliste n'est pas loin. 
    Photographié à l'Exposition.
    • Sa contribution au mouvement situationniste dont l'un des aboutissements fut une revue, "L'internationale Situationniste", mais aussi une contribution "enragée" à "Mai 1968", événement quelque temps incontrôlable.
    Guy Debord a lu Hegel et Marx, auteurs qui affleurent à l'occasion de divers détournements mais aussi dans sa rhétorique. La première phrase de La société du spectacle paraphrase la première phrase du Capital : "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation". En exergue, Guy Debord cite Feuerbach (L'essence du chritianisme), comme un salut au jeune Marx.
      On a souligné combien Guy Debord admirait la langue des classiques, celle du Cardinal de Retz, de Saint-Amant, de La Rochefoucauld. Il lit Gracian, La Boétie, Nietzsche, André Breton, Bossuet, François Villon, Robert Musil... Aristocrates. Dérives dans les livres, de citations en paraphrases ("détournements", collages) : Guy Debord aurait voulu "faire honte" à notre époque dit Philippe Sollers, à sa langue avilie et stéréotypée par les médias.

      Quelle héritage - sans testament - laisse Guy Debord ?
      Son humour impitoyable et désespéré, son hostilité radicale aux spectacles des pouvoirs, à leur bureaucratie l'éloignaient des divers gauches et gauchismes de son époque. De la Révolution, de l'action politique aussi, il attendait une fête, pas un spectacle. Un slogan comme "Ne travaillez jamais" sent toujours le soufre, et quelques privilèges aussi, car, alors, de quoi vit-on ? Sa vision désenchantée de notre monde mis à vif, une fois déspectacularisé, de ses continuelles abdications : "aujourd'hui l'heure nazie est devenue l'heure de toute l'Europe" ("Guy Debord, son art et son temps", moyen-métrage, 1994). Sa résistance cynique au marketing : "quelle que soit l'époque, rien d'important ne s'est communiqué en ménagant un public" ("In girum imus nocte et consumimur igni", long-métrage, 1978).

      Avec le XXIe siècle, la "société spectaculaire marchande", atteint de tels sommets que les analyses et les aphorismes de Guy Debord prennent aujourd'hui un air d'évidence triste, presque conservatrice. Facebook, YouTube : spectacle pour tous, par tous ? N'y-a-t-il pas davantage d'acteurs qu'autrefois, chacun attendant son fameux quart d'heure de gloire ("15 minutes of fame") : les réseaux sociaux, virtuels, ne bouleversent-t-ils pas le rapport au spectacle en multipliant les scènes ?
      Guy Debord ne passa jamais à la télé, il ne donna pas d'interview aux journalistes. Il participa à la préparation d'une émission pour Canal Plus : elle sera diffusée en janvier 1995, mais il s'était suicidé fin novembre 1994. "On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés, quand elle leur fait une place dans son spectacle" ("In Girum...", o.c.).

      Reproduit à l'exposition
      Pour mieux percevoir Guy Debord et son temps,
      • le film de Philippe Sollers et Emmanuel Descombes, "Guy Debord, une étrange guerre", France 3, 2000.
      • une biographie par Christophe Bourrseiller, Vie et mort de Guy Debord (1931-1994), 2012, Pascal Galodé Editions, 485 p.
      • les Oeuvres de Guy Debord, Paris, Gallimard, 2006, 1996 p.