vendredi 12 avril 2024

La Révolution française : ce qu'apporte la notion de régénération

 Lucien Jaume, Le religieux et le  politique dans la révolution française. L'idée de régénération, PUF, 2015, Index des noms, 163 p., 26 €

Qui s'intéresse encore, aujourd'hui, en 2024 à la Révolution française, à cette période qui va de 1789 à Napoléon Bonaparte (inclus ?), soit un quart de siècle ? On peut penser qu'il n'y a plus que quelques "damnés de la thèse" à défricher un bout de ce terrain ; pourtant, des travaux retournent encore telle ou telle question pour rendre compte d'une idée, d'un concept révolutionnaire. Ainsi Lucien Jaume avec "l'idée de régénération".

L'histoire de la révolution française est complexe, indiscutablement : alors, par où la prendre ?  L'aborder par ses politiques religieuses peut constituer, semble-t-il, une approche intéressante et féconde. Que peut nous apporter dans ce cas la notion de régénération ? Elle peut remettre en questions la tradition, les héritages divers, "même le calendrier, même le langage (la langue française) ne doivent plus être des héritages et des usages antérieurs au sujet-citoyen qui parle, pense et juge toute chose" (pp. 3-4). Ce que l'auteur, normalien et philosophe (CNRS, CEVIPOF), évoque en citant Gaston Bachelard : "Rien n'est donné, tout est construit". 

La régénération est une idée que l'auteur a choisi d'interroger pour mieux comprendre la Révolution ; pour cela il oppose "deux modèles de l'idéologie de la régénération", l'un qui penche vers le constitutionnalisme (Le Chapelier en 1791) l'autre vers la Terreur (Billaud-Varenne en 1792-1793). Et la comparaison des deux visions de la régénération constitue l'essentiel de l'ouvrage. Comparaison fort savante et menée avec talent par l'auteur qui multiplie les références et les utilisations de cette notion, malgré tout, fort ambigüe. Au coeur du débat, bien sûr, Robespierre.

Contre le projet éducatif de Le Pelletier (1793) qui privilégiait les vertus révolutionnaires, plus importantes que le savoir et comptait sur "les fêtes décadaires, les fêtes nationales et locales, les banquets civiques et les théâtres" en fait, sur l'enthousiasme : ce que critique Condorcet qui revendique plutôt un enseignement pour lequel "il n'y a pas de vérités toutes faites, seulement des vérités vérifiées et corrigées dans les progrès de la connaissance". Ce débat est fondamental et on ne cessera de le retrouvera dans les périodes révolutionnaires un tel débat ainsi, par exemple, lors de la Révolution culturelle chinoise.

Batailles de mots ? Sans doute car les révolutionnaires parlaient beaucoup mais bataille fondamentale dont l'enjeu sera décisif pour la suite. Mirabeau, Babeuf, Boissy d'Anglas, Robespierre, Champion de Circé, Sylvain Maréchal ... Combien de définitions du droit naturel sont mobilisées, jusqu'à quel point la morale a-t-elle "envahi le droit et la politique" ? Le livre de Lucien Jaume se termine avec la référence à Ferdinand Buisson, républicain de l'époque de Jules Ferry : il faut, dit-il, que la religion et la politique se séparent. 


samedi 6 avril 2024

Baudelaire, observateur et poète parisien

Jean-Michel Maulpoix, Charles Baudelaire, l'homme des foules, 2024, Pocket Agora, 330 p., 9,7 €

Charles Baudelaire, encore ? Oui, et c'est bien, car Jean-Michel Maulpoix a réalisé un travail intéressant en escortant Baudelaire dans Paris. Chemin faisant, il nous fait lire ou relire les oeuvres de Charles Baudelaire avec un point de vue quelque peu nouveau. Le titre d'abord : "l'homme des foules" qui reprend le titre d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe, 'The Man of the Crowd", publiée en 1840, la première des Mysteries, et traduite en français par Charles Baudelaire. Ce titre donne toute la tonalité de l'approche de Jean-Michel Maulpoix, qui va nous faire suivre Baudelaire dans les différents moments de sa vie, dans la très grande ville en reconstruction qu'est le Paris de la seconde moitié du XIXème siècle. Baudelaire est comme l'homme des foules, il "nage avec délices dans l'océan humain"(Etudes sur Poe).

Baudelaire aimait Paris "le paysage des grandes villes, c'est à dire la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d'une puissante agglomération d'hommes et de monuments, le charme profond et compliqué d'une capitale âgée et vieillie dans les gloires et les tribulations de la vie" (Salon de 1859). Dans ce Paris, Baudelaire sait l'art de "prendre un bain de multitude", il "entre dans la foule comme dans un immense réservoir d'électricité" (Le peintre de la vie moderne). C'est ce mouvement perpétuel du poète dans la vie de la ville que décrit Jean-Michel Maulpoix. Ses héros sont le "chiffonnier au travail", "le vieux saltimbanque", "l'étranger", les "pauvres", "les lesbiennes", " le mauvais vitrier", "les petites vieilles"... tous ceux et celles qui peuplent le Paris où il déambule, observateur et passant.

Baudelaire est "un poète de l'intelligence" : Jean-Michel Maulpoix conclut que ce poète "nous éclaire sur nous-mêmes autant qu'il nous contraint à voir". Jean-Michel Maulpoix aime Baudelaire, homme des foules, homme des mondes modernes. "Non ! peu d'hommes sont doués de la faculté de voir ; il y en a moins encore qui possèdent la puissance d'exprimer", dit Baudelaire dans "Le Peintre de la vie moderne". Fidèle à Baudelaire, l'auteur de ce livre sait lire et il a la puissance d'exprimer ce qu'il voit, la modernité. Cela donne un grand livre sur Baudelaire, à lire puis à relire tout en feuilletant Baudelaire, décidément moderne.