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mardi 30 avril 2024

Walter Benjamin, sa vie

Jean Lacoste, Walter Benjamin. Enfance, passages, exil, Paris, Editions Bartillat, 2023, 290 p. Chronologie, Index

Ce sont quelques étapes, mais parmi les plus importantes et les plus révélatrices de la vie de Walter Benjamin explorées par un germaniste à partir de quelques uns de ses textes : celui sur son enfance à Berlin (Berliner Kindheit um Neunzehnhundert), sur Charles Baudelaire, sur les passages des rues de Paris (Das Passagen-Werk, en français, Paris, capitale du XIXe siècle), sur le Goethe de la Théorie des couleurs, de Poésie et vérité (Dichtung und Wahrheit) et de Wilhelm Meister, et, enfin, des articles concernant la période de l'exil de Walter Benjamin et sur sa relation à Ernest Bloch. 

L'ouvrage se termine par une chronologie de la vie de Walter Benjamin, de sa naissance à Berlin (le 15 juillet 1892) jusqu'à sa mort, par suicide, le 26 septembre1943 dans une chambre d'hôtel à la frontière franco-espagnole (Port-Bou). 

Voici donc bout à bout quelques travaux de Jean Lacoste, normalien, traducteur de Goethe, de Nietzsche et de Walter Benjamin. L'ensemble est en apparence disparate mais une unité apparaît bientôt dans l'oeuvre de Walter Benjamin, re-construite par les approches de Jean Lacoste qui sait habilement mêler les itinéraires de Walter Benjamin, les emmêler puis les démêler, ramener sans cesse à l'enfance berlinoise puis à certaines oeuvres de Goethe, puis aux "Passages" parisiens. Le travail qui montre ainsi l'unité de l'oeuvre est convaincant et la lecture est passionnante. Le livre de Jean Lacoste démontre méticuleusement les méthodes et les outils de Walter Benjamin.

lundi 28 janvier 2019

Molière : l'économie du spectacle vivant au siècle de Louis XIV


Georges Forestier, Molière, Gallimard, Paris, 2018, 541 p. Index, notes et illustrations, 24 €

Ce Molière est un grand ouvrage ; l'auteur fait plus que dépoussiérer l'image de Molière, il la redresse en expliquant le développement de l'oeuvre de Molière entre contraintes économiques et exigences royales. Sans y aller par quatre chemins, Georges Forestier distingue, clairement et distinctement, ce que l'on sait (les sources), les erreurs qui ont été commises (pourquoi, leurs sources) et comment elles se sont propagées (notamment celles que l'on doit à la biographie de Grimarest, sans cesse utilisée) et ce que l'on ignore et ignorera sans doute toujours (et pourquoi). Travail méticuleux qui donne à Molière toute sa dimension et rend la biographie passionnante. Un tel travail devrait susciter des remises en chantier des présentations scolaires de Molière, entre autres.

L'auteur n'en est pas à son premier coup : il a dirigé l'édition décapante de Molière en Pléiade publiée par Gallimard. Spécialiste du théâtre du "siècle de Louis XIV", il a aussi publié une immense biographie de Jean Racine (2006, 942 p. Paris, Gallimard), Racine dont il a également dirigé l'édition en Pléiade, Racine qui fut par bien des aspects, le concurrent de Molière. On doit aussi à Georges Forestier des ouvrages sur Corneille, sur la tragédie au XVIIème siècle. Spécialiste du Grand Siècle s'il en est.

Georges Forestier suit la vie et les oeuvres de Molière de manière chronologique, pièce après pièce.
Chaque fois qu'il est possible, il indique les éléments de gestion de la pièce : ce qu'elle a rapporté, combien ont encaissé les acteurs et Molière lui-même, quel fut le prix des places (qui varie selon les situations du marché, début de yield management !)... L'information économique et comptable est omniprésente sans jamais déranger, au contraire. De manière réaliste, Georges Forestier mentionne toujours les revenus de la troupe ; soirée par soirée, il indique le montant des charges multiples qui pèsent sur le théâtre : rémunération des acteurs, des musiciens, des danseurs, des techniciens, les achats de costumes (sur mesure), de la protection, le coût de fabrication des décors et de la machinerie (recyclables), les frais de déplacement, etc. Il mentionne également les revenus de Molière comme auteur qui s'ajoutent aux revenus de Molière acteur, doubles revenus qui lui permettent de vivre confortablement de son métier. On perçoit la concurrence entre les théâtres parisiens et le rôle qu'y jouent les acteurs et les actrices célèbres, leur rivalité (people !). On perçoit clairement la rivalité des auteurs aussi : Racine contre Molière, par exemple, comédie contre tragédie. Théâtre, visites et spectacles donnés chez les personnages importants, et riches, du royaume, subventions régulières et exceptionnelles du roi. Le modèle économique du théâtre de Molière, spectacle vivant, économie de prototypes, est exposé concrètement et discuté même s'il ne fait pas l'objet d'un chapitre spécifique, ce que l'on peut regretter ; sans doute, pourrait-on déjà observer ce que William Baumol et William Bowen appelleront plus tard, "the cost disease" dans le cas du spectacle vivant (Performing Arts. The Economic Dilemma, 1966), avant la reproduction mécanique (Walter Benjamin) puis numérique, de l'activité artistique.

Le théâtre de Molière, on l'oublie souvent, est déjà multimédia, Molière réalise une oeuvre d'art total (Gesamtkunstwerk, bien avant Richard Wagner) ; aux acteurs jouant une pièce, s'ajoutent la musique, les ballets, les décors avec leurs "superbes" machines", les costumes. L'inventivité de Molière s'inspire de diverses sources, la Commedia dell'Arte d'abord (ce qui rappelle l'importance à cette époque de la troupe des Italiens, avec qui celle de Molière partageait le théâtre) et les classiques latins (Plaute, Térence) et mais aussi le théâtre espagnol et portugais, tant d'auteurs aujourd'hui ignorés que Georges Forestier replace dans l'histoire littéraire et culturelle.
Avec cette biographie on ne perd jamais de vue le métier complexe de Molière, acteur formidable d'abord, réputé pour son jeu, auteur bien sûr, metteur en scène et directeur de théâtre (recrutement, gestion, prospection, etc.). La littérature ne donne du théâtre qu'une réduction livresque. L'enseignement devrait en tenir compte : lire Molière pour le jouer, pour le gérer, enseignement total...
Derrière "Molière le peintre" et son talent, il y a aussi un politique prudent qui saura gagner et garder l'estime et le soutien de Louis XIV ; et Molière se met entièrement au service de Louis XIV, écrivant et mettant en scène et jouant à la demande. L'histoire de Tartuffe, que l'église et les dévots condamnent et s'efforcent de faire interdire, témoigne de la patience de Molière qui ne renonça jamais à la faire jouer. L'analyse de Georges Forestier est magistrale, pour cette pièce comme pour les autres.

Le temps de Molière est décrit et expliqué par Georges Forestier ; indispensable car Molière est de son temps, des cultures de son temps, de l'éthique mondaine, des médecins et des bourgeois, le "goût galant" des salons, de la musique et des ballets de Lully...). Il est l'esprit de son temps. L'auteur évoque "le contrat de connivence, éthique et esthétique", qui liait Molière à son public. Moins connu, le lecteur découvrira un Molière traducteur, lisant dans les salons sa propre traduction du De Rerum Natura de Lucrèce, rédigée en "prosimètre", innovation qui mêle la prose et les vers. Matérialiste, Lucrèce, en disciple d'Epicure, dénonce les maux qu'entraînent les religions...

L'ouvrage de Georges Forestier désenchante tranquillement le culte littéraire des grands auteurs. Ainsi, il faut imaginer Racine, amant de l'actrice qui joue Hermione, plaçant en bourse à 5% les excellentes recettes d'Andromaque ! L'art pour l'art pour l'argent...
Toutes les explications minutieuses de cette copieuse et précise biographie ne diminuent en rien le charme et l'intérêt des pièces de Molière. Au contraire. Molière est aussi de notre temps. Pourquoi ? Comment pouvons-nous être du siècle de Molière sans être de celui de Louis XIV ? Comment se construit l'universalité d'oeuvres si particulières qui puisent dans les oeuvres du passé pour séduire le présent et s'en faire comprendre ?

lundi 15 janvier 2018

La France des pays et dépaysements : données de géomarketing


Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Paris, 2011, Editions du Seuil, 491 p.

"Le sujet de ce livre est la France. Le but est de comprendre ce que ce mot désigne aujourd'hui et s'il est juste qu'il désigne quelque chose qui par définition n'existerait pas ailleurs, du moins pas ainsi, pas de cette façon là". Ainsi, Jean-Christophe Bailly définit-il son ambition, projet qu'il mène à bien en voyageant, de pays en dépaysements, en racontant ce qu'il voit et ce qu'il pense à propos de ce qu'il voit. Ainsi, la France serait la somme de ses voyages, intégrale des paysages et des pensées.
Pour écrire ce livre, l'auteur a multiplié les lieux, se dépaysant partout. Dépaysement par accumulation de pays, de paysages, d'histoires aussi, drapée dans les plis de légendes locales, pays bousculés par les guerres, par les transports (les routes, les ponts, le chemin de fer, l'automobile et les camions), par l'agriculture, l'élevage, la constante et souvent consternante modernité... Au hasard de ses voyages, Jean-Christophe Bailly décrit ce qui, simultanément, lui tombe sous les yeux (éléments de paysage) et lui passe par la tête (références historiques ou littéraires), retrouvant des auteurs, entrepreneurs, peintres ou écrivains, Rimbaud à Charleville, Courbet à Ornans, Bonaparte à Beaucaire, Matisse à Bohain-en-Vernandois, Godin et le poêle en fonte à Guise... Les gares, les jardins ouvriers, les devantures, les usines, "ce matériel de rien dérivant hors de l'histoire" font aussi les pays, le risque de muséification n'étant toutefois jamais loin. A son tour, la lecture du livre est un voyage, agréable, stimulant ; touriste, on y croise aussi les "mémoires d'un touriste", Stendhal.

Au terme de cette variété de pays, de cette variation eidétique improvisée, peut-on dégager l'essence de l'idée de "pays" sans se laisser aller à la notion fallacieuse de racines qu'Emmanuel Lévinas épinglait affirmant que "la constitution d'une véritable société est un déracinement". Le dépaysement, racine de l'universel.
Un pays, on n'en prend conscience que lorsqu'on passe dans un autre pays : dépaysement minimum, unité distinctive minimale, comme on dit en phonétique. Le pays serait mélange de climat, de parler (accent, tournures, lexique), de gestes, de cuisine, de géographie, de paysage, de couleurs : patrimoine, lieux dits de mémoire, monuments (un château, une église, des remparts, des vignes, des arbres), équipements. Pensons à Diderot écrivant à Sophie Volland (11 aôut 1759), "pour moi, je suis de mon pays" ;  l'Encyclopédiste de Saint-Petersbourg ne pense pas à la France, il se pense langrois, ni champenois ni bourguignon, langrois. Caractère acquis, habitus (exemple : "il a le parler lent" comme les "habitants de ce pays").

Même si "le mot pays emboutit plusieurs échelles", comme le concède Jean-Christophe Bailly, pour le marketing comme pour le droit français actuel, le pays est une maille géographique de taille intermédiaire, entre région et commune. Que dit la loi à propos du pays ? Elle dit "cohésion" et "bassin de vie" ("le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants"). Les pays que rencontre Jean-Christophe Bailly recoupent ceux qu'a fixés la loi de 1995 pour "l'aménagement et le développement durable du territoire" (modifiée par celle du 25 juin 1999). Selon cette loi, un pays "présente une cohésion géographique, économique, culturelle, économique ou sociale, à l'échelle d'un bassin de vie ou d'emploi" (article 2). L'INSEE distingue en France près de 400 pays et plus de 1600 bassins de vie. Ainsi, aujourd'hui, par exemple, le "pays de Langres" appartient à la région Champagne-Ardenne et Langres est aussi un bassin de vie (cf. ligne 934 du fichier INSEE).
Le zonage en pays, en bassins de vie, peut-il constituer des éléments de géo-marketing ? Certainement. Car le maillage de ces unités, qui prend en compte les équipements et leur accessibilité, présente davantage de pertinence économique et socio-culturelle que la commune, le département ou la région INSEE (ne parlons pas de la région UDA). Les habitants d'un pays possèdent en commun des propriétés dont le livre de Jean-Christophe Bailly aide à prendre conscience ; seules ces données multiples peuvent en rendre compte sans s'empêtrer dans la notion de racines.
Quand le média planning, le géo-data-marketing parlent des lieux, ils s'en tiennent encore essentiellement et abstraitement à une distance aux commerces, à la longitude / latitude (GPS), à la proximité d'un point de vente, d'un point remarquable, d'un point d'intérêt ("Points of Interest", selon OpenStreetMap). L'ouvrage de Jean-Christophe Bailly invite à enrichir la localisation et ses données (location data) en empruntant davantage au pays (et à la notion d'inconscient optique -,"Optisch-Unbewußte" -, empruntée à Walter Bejamin). Quelles données utiliser pour cela ? Quel équipement vécu ? Comment l'exploiter puisque l'audience de tout média est d'abord constituée de pays ? Des médias peuvent bien se considérer régionaux, départementaux ou nationaux, leurs lecteurs, tel Diderot, sont de leur pays.

N.B. On regrettera l'absence d'index (au moins géographique) qui faciliterait la consultation (cf. les index du Pléiade de Stendhal, tellement clairs et commodes)


Références

Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, 2017. Cf. MediaMediorum, L'enrichissement : renouvellement conceptuel de la marchandise

Denis Diderot, Lettres à Sophie Volland 1759-1774, Paris, 2010, Non Lieu, 715 p., Index

Emmanuel Lévinas, Difficile liberté, 1963 et 1976

Jean-Robert Pitte, Géographie culturelle. Histoire du paysage français, Fayard, 2005

Stendhal, Voyages en France (Mémoires d'un touriste, Voyage en France, Voyage dans le Midi de la France), Paris, éditions, Gallimard, Pléiade, 1992, 1581 p. Index

Auroux, Sylvain, "La catégorie du parler et la linguistique", Romantisme, 1979

Walter Benjamin, "Petite histoire de la photographie", 1931 (Gesammelte Schriften, Band II.1)

mardi 21 mars 2017

Cloclo : la chanson populaire au temps du 45 tours, une forme moyenne



Philippe Chevallier, La chanson exactement. L'art difficile de Claude François, Paris, 2017, PUF, 286 p., Index, Bibiogr., 19 €.

Diplômé de philosophie qui a publié sur Michel Foucault et Søren Kierkegaard, Philippe Chevallier avait tout pour mépriser sans examen les chansons et le personnage de Claude François. Pourtant, par défi personnel, il a voulu comprendre la fascination populaire qu'exerçait le chanteur, et, les deux étant liées, l'hostilité ethnocentriste de critiques dont il épingle sans pitié les plaisanteries condescendantes et l'ignorance technique : suffisance et insuffisance conjointes, comme d'habitude....

Le livre est une enquête sur la production de la variété très grand public à l'époque de la "reproduction mécanique" (nous sommes en apparence sur la voie de Walter Benjamin, d'Adorno, ou de Marshall McLuhan). L'auteur effectue une analyse méticuleuse, exigeante, respectueuse (husserlienne : "revenir aux choses mêmes") du mode de production des chansons de Claude François, de la division du travail musical qui y préside, des différents métiers du son, de la géographie des studios d'enregistrement, etc. Investigation culturelle qui s'en tient à son objet et dégagée du côté célébrité (pourtant, il y a de quoi faire) : "Penser la musique populaire enregistrée" (chapitre 3), tel est l'objectif presque sans précédent que vise cet ouvrage dont la force et l'originalité théoriques ne doivent pas être masquées par le sujet, si peu légitime. Là où beaucoup dénoncent, Philippe Chevallier énonce : voir la démonstration détaillée à propos de "Alexandrie, Alexandra" (1978).

Le premier chapitre étudie une composante essentielle de la chanson populaire, la "volonté de la reprise : la forme moyenne ne se préoccupe pas de créer, elle recycle ce qui a fait ses preuves". D'où la récupération de chansons américaines (Claude François en avait conçu et organisé une veille systématique), puis leur adaptation au marché français. Répétition, "Rehash" (désagrégé / réagrégé ?), disait John Lennon de la chanson en général (et non "réchauffé" comme on le traduit, ce n'est pas la même cuisine !). Le plagiat serait donc la règle mais comment le définir noblement ? Remarquable analyse de Philippe Chevallier que cet "éloge de la forme moyenne".
En résumé : rigueur et exigence. "Tout chez Claude François sonne juste" ; perfectionniste, de formation classique, batteur de jazz, il a le culte du solfège et de la partition (formation de chant, violon, percussion, batterie, tumba) qui aboutissent à une "maîtrise totale" du produit final (chapitre 2). En fait, Claude François s'avère "créateur de formes" : "ça s'en va et ça revient / c'est fait de tout petits riens / ça se chante et ça se danse, et ça revient, ça se retient" : définition de la forme chanson populaire ? Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre le miracle industriel d'une chanson populaire à succès.
Octobre 2017

La chanson de Claude François est inséparable de l'industrie musicale : celle des microsillons 45 tours et du marketing qui les accompagne (cf. "SLC Salut les Copains", l'émission quotidienne, à 5 heures de l'après-midi sur la radio Europe 1 (1959-1969), puis le magazine mensuel du même nom (1962, qui vend 1 million d'exemplaires). Ce marketing de masse a laissé des traces : les fans de Claude François répondent toujours présents (tout comme ceux de Dalida) : Télé7Jours publie, en 2016-2017, 50 CD, "La collection officielle Salut Les Copains" (Polygram / Europe 1) et même un calendrier SLC (dont Claude François illustre le mois de décembre). Homme de média, Claude François racheta le magazine Podium en 1972...
People d'un côté, fans de l'autres. Marché rétro de la nostalgie : "Hier est près de moi" ("yesterday once more") avec "Every sha-la-la-la, every wo-o-wo-o".
Septembre 2017


Claude François sociologue ? Les textes des chansons sont plus sérieux qu'ils n'en ont l'air, à la première écoute ; ils en disent long : "Comme d'habitude" (devenu "My way" avec Frank Sinatra), dit la distance entre les petits matins quotidiens et les grands soirs du grand amour. "Misère du monde". Nous sommes en 1968 et Sheila chante le tube de l'été ("Petite fille de français moyen") tandis que Claude François chante "Le lundi au soleil" dans la grande ville ; rêve de "ne rien faire", nostalgie de la campagne (les foins, le raisin, "la ferme du bonheur"), moderne, actuel. "La chanson populaire pèche le plus souvent par excès de sérieux. Son tort est de toujours dire des choses de la vie", souligne Philippe Chevallier ;  "gravité dans le frivole", disait Baudelaire. Ce que retouve peut-être aujourd'hui la génération de ceux qui se sont fait alors "une certaine idée de la France" (1965) avec les succès de Stone et 2017Charden, Michel Sardou, Sheila...

Qu'en devient-il de ce mode de production et de distribution de la chanson à l'époque de la reproduction numérique, de YouTube, Spotify ou Apple Music ?
Le livre de Philippe Chevallier est un travail de philosophe. Rigoureux, volonté aboutie d'aller "aux choses mêmes" et de ne jamais abandonner "l'attitude d'absence radicale de préjugés" que réclamait Edmund Husserl.

Références
Juillet 2017


Adorno (T.W.), Einleitung in die Musik-sociologie, Zwölf theoretisch Vorlesungen, Frankfurt, Suhrkamp, 1962.
Benjamin (W), Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, Frankfurt, Suhrkamp, 1936.
Bourdieu (P) et alUn art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Editions de Minuit, 1965.
Grignon (C), Passeron (C), Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Le Seuil, 1989.
Hennion (A), Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, Paris, A-M Métaillié, 1981.
MediaMediorum, Pourquoi BobDylan est important
Hennion (A),Vignolle (J-P), L'économie du disque en France, Paris, Documentation Française, 1978.
Husserl (Edmund), Philosophie als strenge Wissenschaft, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1910 / 2009 (La philosophie comme science rigoureuse, PUF, 1989)
Kracauer (S), Jacques Offenbach und das Paris seiner Zeit, Frankfurt, Suhrkamp, 1937.

mardi 21 février 2017

Les écrans captivent, détournent l'attention: philosophies du cinéma


Mauro Carbone, Philosophie-écrans. Du cinéma à la révolution numérique, Paris, Vrin, 178 p., 2016, Index, 19 €

Qu'est-ce que la philosophie peut faire de la multiplication des écrans comme interfaces de connaissance, de communication, comme miroirs ?
Penser les écrans, l'histoire de la philosophie n'a pas brillé dans cette tâche. Si l'on omet, comme le fait bizarrement l'auteur, les films et les textes de Guy Debord, les écrans n'ont pas très bonne presse auprès des philosophes. La philosophie universitaire ne semble pas savoir penser le cinéma : dès l'origine, Henri Bergson comme Alain le condamnent... et de mobiliser le fameux mythe de la caverne (livre VII de la République, Platon), référence passe-partout de la réflexion philosophique sur le cinéma, œuvre d'illusion. Spectateurs enchaînés. Mais les spectateurs ne sont pas enchaînés !

Après Maurice Merleau-Ponty qui traite de psychologie générale du cinéma, Gilles Deleuze annonce une "philosophie-cinéma", une écriture de la philosophie par le cinéma, par les techniques cinématographiques, une invention de concepts par le cinéma (une vision du monde, dira Georges Simondon). Le cinéma est considéré comme le symptôme de la nouveauté d'une époque, d'une "génération", dira Jean-Luc Godard : il la fait voir, il faut "exprimer l'homme par son comportement visible", selon l'expression de Maurice Merleau-Ponty. On parlera plus tard, avec l'intelligence artificielle, de reconnaissance des images, des visages, d'analyse des émotions. Perception des formes qui, dans son principe, renvoie à la phénoménologie husserlienne : revenir aux choses mêmes.
Mauro Carbone s'attarde sur la réflexion de Maurice Merleau-Ponty sur le cinéma, l'image et la perception, le visible : cette réflexion est toujours d'abord rapportée à la peinture, modèle historique du voir et du penser le voir, art noble (pourtant la peinture est technique, économie, gestion ; cf les travaux de Michael Baxandall).

L'ouvrage de Mauro Carbone invite à penser le rôle ambivalent des écrans (voir l'étymologie du mot en français comme en anglais, en italien : protéger et dissimuler (comme escrime). La seconde partie du livre traite de la séduction des écrans, des selfies et de l'empire narcissique de la photographie de soi-même. Le chapitre conclusif évoque le monde bardé d'écrans dans lequel nous vivons, écrans qui forment une agora globale, nouvelle place publique virtuelle. Notons que partout la vidéo se substitue à la photo : on est loin du cinéma muet noir et blanc : tous les écrans ne se valent pas, le format, la définition comptent.
L'auteur semble avoir fait le pari explicatif de ne pas tenir compte de l'économie des écrans et des médias où la publicité occupe une place centrale qu'il s'agisse de télévision, de Web ou de réseaux sociaux. Peut-on ignorer cette dimension pour traiter de la philosophie du cinéma et de l'écriture par le cinéma ? Un peu de Marshall McLuhan et de Walter Benjamin ne nous semble pas suffire à combler ce manque pour comprendre le malaise de notre société d'écrans. Peut-on traiter de la révolution numérique sans embarquer Google, Snapchat, Facebook, Instagram, YouTube, Netflix, Pinterest ou le DOOH de JCDecaux Airport ?

Ouvrage difficile mais fécond ; au premier abord, on y trouve plus de psycho-philosophie que de cinéma et d'écrans. En reprenant la lecture, la thèse de l'auteur s'éclaire enfin et les défis intellectuels qu'il énonce incitent à penser les écrans, écrans qui d'ailleurs se mettent aussi à penser, artificiellement du moins.

lundi 25 avril 2016

De Kairos et Time-to-Market : à-propos, décision et occasion


Monique Trédé-Boulmer, Kairos. L'à-propos et l'occasion. Le mot et la notion d'Homère à la fin du IVe siècle avant J.C., Paris, Les Belles Lettres, Edition revue et complétée, 2015, 361 p., 45 €. Bibliogr., Index.
Préface de Jacqueline de Romilly

Kairos est un mot grec (καιρός) qui désigne une notion essentielle pour la publicité, le marketing ainsi que la création d'entreprise. Il désigne l'occasion (opportunity), le bon moment. On a l'a traduit aussi par "l'instant propice". Dans une certaine mesure, il connote la notion moderne de "time to market". Dans tous les cas, comme le note Jacqueline de Romilly, kairós "vise à des succès d'ordre pratique" et "la maîtrise de l'intelligence humaine sur les circonstances". Kairós, c'est plus l'intuition, le bon sens que le calcul, l'expérience que la science, l'intelligence humaine que l'intelligence artificielle.

L'ouvrage de Monique Trédé est issu d'une thèse de doctorat soutenue en 1987, sous la direction de Jacqueline de Romilly ; il comporte deux parties principales.
La première, philologique, est consacrée au mot lui-même, à son histoire et à ses différentes significations observables dans les textes : Hésiode, Euripide, Pindare, Thucydide, Eschyle, Sophocle, Hippocrate.
Kairos évoque d'abord la coupure, la jointure, là où une arme peut blesser et trancher ; du coup, le mot évoque aussi la décision et le jugement (qui tranchent), le mot qui touche juste (pour la rhétorique, la parole efficace, qui convainc, qui l'emporte sur l'adversaire). Kairos désigne l'heure critique, celle où tout est possible, celle de l'occasion à saisir, de l'événement décisif. Kairos, c'est aussi la juste mesure ("rien de trop", Μηδὲν ἄγαν), la convenance. Cette première partie constitue une étude remarquable des occurences du mot, de sa plasticité, de son champ sémantique, de la matrice métaphorique dont il relève (trancher, décider, scheiden...). Patiente méthodologie et féconde leçon qui peuvent inspirer les travaux actuels (NLP, etc.) sur l'étude des sens (évolution et variation sémantiques) pris par des mots utilisés pour le ciblage (clustering, etc.). Un mot n'a pas une signification stable, fixe ; il change, évolue sans cesse comme son contexte.

La seconde partie traite de l'idée de kairos telle que mobilisée par la médecine : diététique, notion de crise, de lieu du corps (Hippocrate), de régime, donc de maladie et de soin, tout succès médical est affaire de kairos. La médecine requiert des descriptions précises des signes pour décider de la juste dose, du moment de l'intervention... Pour la médecine hippocratique, il n'y a pas d'universel, il n'y a que des contextes particuliers, des moments ;  le kairos consiste à dégager et saisir des circonstances favorables. De tels développements devraient retenir l'attention des publicitaires pour la description méticuleuse, exhaustive des conditions de l'efficacité : le bon endroit, le bon moment, la juste quantité (cfMicromoments, microgenres, microlocations, microcibles, micro-ads).

L'auteur, ensuite, consacre son travail à l'étude de documents d'histoire, de stratégie militaire et politique (rhétorique),  à partir de textes d'Hérodote, de Thucydide, de Démosthène. Elle traite notamment du kairos des orateurs : comme le médecin soigne le corps, l'orateur soigne l'âme. Cette partie s'achève sur une analyse de textes classiques de Platon et d'Aristote mobilisant le kairos.

Sous des dehors techniques (étymologie, philologie) qui pourraient paraître dissuasifs, le travail de Monique Trédé-Boulmer se révèle d'une portée plus générale qui intéressera la réflexion publicitaire et économique. La notion parente de time to market constitue une dimension clé du calcul gestionnaire, pour le développement de nouvelles entreprises (startups), le lancement de nouveaux produits.
Parlera-t-on de mûrissement du marché ? Inadéquate métaphore, trop linéaire sans doute, simplificatrice, traitre.
Difficile, voir impossible à traduire, le mot kairos figure justement dans le "dictionnaire des intraduisibles" du Vocabulaire européen des philosophies, p. 814) où l’index le renvoie aux mots "événement" et "Jetztzeit" (moment révolutionnaire, selon Walter Benjamin). On pourrait encore mentionner la notion voisine de tipping point (cf. l'ouvrage de Malcom Gladwell publié en 2000) ou bien les réflexions de François Jullien, à propos de kairos, sur la notion taoiste de "potentiel de situation" (cf. Traité de l'efficacité, Paris, Editions Grasset, 1996, chapitre 5).

N.B. : Kairos est le nom donné à un outil de la plateforme publicitaire Networked Insights, visant à dégager des "strategic, actionnable insights".
  • Comment traduisez-vous "time to market" ?

mercredi 19 août 2015

Philosophie américaine des médias : Stanley Cavell et le cinéma



Sandra Laugier, Recommencer la philosophie. Stanley Cavell et la philosophie en Amérique, Paris, 1999-2014, éditions Vrin, 321 p., Bibliogr., Index, 19 €.

Sandra Laugier, Marc Cerisuelo (éditeurs), Stanley Cavell. Cinéma et philosophie, Paris, 2001, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 294 p. + cahier photographique

Sandra Laugier est Professeure de philosophie ; elle a traduit en français de nombreux ouvrages de Stanley Cavell. Lisons son travail comme une tentative de réponse à la question : existe-t-il une philosophie typiquement américaine, qui serait une philosophie de l'immigration, de migrants, philosophie strictement non-heideggerienne, "Song of the open road" (Walt Whitman) ?
A la question d'une philosophie américaine, les spécialistes universitaires apportent généralement deux réponses : les Etats-Unis ont importé, puis développé à leur manière, plutôt restrictive, la philosophie analytique d'origine européenne (Ludwig Wittgenstein, Moritz Schlick, Rudolph Carnap) mais, auparavant, ils ont produit une philosophie orginale avec Ralph Waldo Emerson (1803-1882), "père fondateur refoulé", dira Sandra Laugier, et surtout Henri David Thoreau (1817-1862).
Cette philosophie américaine apporta un certain nombre de concepts neufs et originaux, qui se sont propagés au-delà des Etats-Unis et au-delà de la philosophie : le droit et le devoir civiques de se révolter (civil disobedience), la confiance en soi, ne compter que sur soi-même, être capable de se débrouiller tout seul, auto-suffisance (self-reliance), le respect de la nature et de l'environnement, l'attention à l'expérience, à l'ordinaire... Ces concepts établissent les bases du transcendantalisme. Emerson revendiquait, pour la culture américaine, une philosophie populaire, simple, originale. "The literature of the poor, the feelings of the child,  the philosophy of the street, the meaning of the household life, are topics of the time" [...] I embrace the common, I explore and sit at the feet of the familiar, the low". (The American Scholar, 1837). A confronter, pour voir, avec la philosophie vécue, spontanée, des notations de Jean-Michel Maulpoix qui vit l'Amérique en poète.

Ainsi entendue, la philosophie américaine est "une philosophie qui sort de l'ordinaire", souligne Sandra Laugier en un beau jeu de mots. Une philosophie qui veut penser l'ordinaire, le quotidien ne peut que s'intéresser au cinéma hollywoodien, cinéma populaire, mass media par excellence.
Sandra Laugier expose méthodiquement l'œuvre de Stanley Cavell, héritier des deux composantes premières de la philosophie américaine. Longtemps Professeur à l'université de Harvard, on lui doit de nombreux travaux et réflexions sur la langue et la communication, sur l'ordinaire (In Quest of the Ordinary, recueil de conférences, 1988) et sur Thoreau, sévère objecteur de médias (The Senses of Walden, 1972-1981). Stanley Cavell a contribué à restaurer - ou instaurer - la place et l'importance des transcendantalistes dans la philosophie. Le domaine primordial d'application de ses idées est le cinéma.

L'approche du cinéma par Stanley Cavell se distingue radicalement de la critique et du travail universitaire à l'européenne, prétentieux et condescendants, bien souvent. Pour lui, il y a autant de réflexion philosophique dans un film de Frank Capra que dans les textes de Kant. Egales légitimités.
Stanley Cavell met l'accent sur l'expérience cinématographique populaire, le moviegoing. Pourquoi aime-t-on le cinéma ? Surtout,  quel souvenir les films laissent-ils en nous ? Pour répondre à ces questions, Stanley Cavell analyse minutieusement le cinéma hollywoodien.
Sandra Laugier explique que, dans l'optique de Stanley Cavell, "Le cinéma, en tant que culture ordinaire, a à voir avec l'autobiographie plus qu'avec l'esthétique". Ce n'est pas l'essence de l'art qui compte aux yeux de Stanley Cavell, c'est son importance personnelle. Le cinéma vit en nous comme les souvenirs d'enfance. D'où émerge une question sociologique fondamentale, souvent éludée avec désinvolture : "Comment le cinéma commercial a pu produire des films qui comptent autant pour nous ?" et, ajouterons-nous, si peu pour les milieux culturels autorisés. Problème de la hiérarchie des objets de recherche.

Le concept central des travaux de Stanley Cavell sur le cinéma est la notion de genre qu'il dégage d'une analyse des films : cf. l'ouvrage consacré à l'étude de sept films parlants des années 1930-40 (Pursuits of Happiness. The Hollywood Comedy of Remarriage, Harvard Film Studies, 1981). En va-t-il des genres cinématographiques comme il est des genres littéraires, journalistiques, télévisuels ? Le genre définit un principe générateur de production cinématographique fait de règles professionnelles et techniques transmissibles, incorporées dans les métiers du cinéma. Caractérisant une industrie qui suppose des investissements importants et risqués, le genre permet de rompre avec l'idée d'œuvres nées mystérieusement de l'inspiration ou de la vocation géniale d'un auteur (sur le genre cinématographique, voir le texte d'Emmanuel Bourdieu dans Cinéma et philosophie). Faut-il aujourd'hui rattacher à ces métiers le marketing du cinéma avec l'analyse de données massives (cf. Netflix) ? Le marketing, et son aversion au risque ne font pas bon ménage avec les mystères de l'intuition...

De ses analyses, Stanley Cavell dégage aussi la notion de star, acteur type, transcendant chacun des personnages qu'il interprète (cf. The World Viewed: Reflections on the Ontology of Film, 1971, traduction en français : La projection du monde, et l'analyse d'Emmanuel Bourdieu (o.c.). Les spectateurs ordinaires aiment les stars, les critiques aiment plutôt les réalisateurs qui eux comptent sur les stars pour atteindre les spectateurs (la star est une complice rassurante pour le marketing).

Jusqu'à quel point ce qui est dit du cinéma par Stanley Cavell peut-il être adapté aux séries télévisuelles et à l'art naissant du côté de YouTube (cf. "Zoella : de YouTube au roman") ? Sandra Laugier n'hésite pas à étendre ses analyses aux séries télévisées ("Buffy", "How I met your mother", etc. ).
La réédition "revue et augmentée" de l'ouvrage de Sandra Laugier par la Librairie Philosophique Vrin est bienvenue. Sa notoriété est encore trop faible dans le domaine des médias. Cet ouvrage, copieux et commode, sensibilise à l'importance de l'oeuvre de Stanley Cavell. Au même titre que celle de Walter Benjamin, cette œuvre fait partie des travaux fondateurs pour la compréhension des médias et de leurs publics. Sandra Laugier invite de manière convaincante à sa lecture.


mercredi 5 novembre 2014

Les graffitis dans l'histoire de l'art


Charlotte Guichard, Graffitis. Inscrire son nom à Rome au XVIe-XIXe siècle, Paris, 2014, Seuil, 20 €, 175 p. Index.

Les touristes plus ou moins distingués qui, du 16e au 19e siècle ont visité, à Rome, les palais et les églises y ont parfois laissé des traces inattendues. Si les murs de nos villes sont aujourd'hui couverts de graffitis, plus ou moins talentueux, plus ou moins provocateurs (détournements d'affiches, slogans), on ne s'attend certes pas à trouver des graffitis sur les œuvres les plus célèbres de la villa Adriana (Tivoli), de la villa Farnesina, de la Domus Aurea ou du Vatican... Pourtant l'auteur rappelle que des graffitis accompagnent les œuvres les plus prestigieuses (Raphaël) et portent la signature d'artistes non moins prestigieux (Nicoals Poussin, Van Loo, Jean-Louis David, etc.), touristes privlégiés, érudits...
Ces graffitis ont été évacués des reproductions illustrant manuels scolaires et des livres d'art. Graffitis indignes des "beaux livres", censure ? Le graffiti retire aux œuvres leur aura.

Le livre, abondamment documenté, rend "leur visibilité à ces graffitis" et enrichit ainsi l'histoire sociale des chefs-d'œuvre et de leur réception. "Les graffitis sont les traces d'un moment dans la vie sociale des œuvres", avant leur patrimonialisation : stockage et exposition protégée dans des musées, au titre de "trésors nationaux".
L'auteur, en interprétant les différents gestes d'inscription, gestes d'artistes ou de "vandales", interprète le rapport social aux œuvres d'art. L'anthropologie du chef-d'œuvre donne une dimension nouvelle à ces graffitis qui acquièrent une valeur historique aux yeux des rapports de restauration. Quelle histoire de l'art ?  Les graffiti sont-ils des traces des effets du temps sur les œuvres au même titre que la patine ? Faut-il les garder, les restaurer, les effacer ?

Graffiti sur un mur de l'Avenue de Versailles, Paris, été 2014
Les problèmes que soulève cet ouvrage concernent t-ils aussi l'histoire des médias ; quel est alors l'équivalent des graffitis, du travail de restauration pour l'histoire des médias ? Le peintre qui signe un tableau lors d'une visite témoigne de sa présence comme un selfie atteste une présence. Aujourd'hui, les œuvres d'art sont tenues à distance dans les musées (effets du tourisme de masse), mais il reste aux visiteurs la possibilité de se prendre en photo avec un portable (geste souvent interdit) et de publier les photos sur Facebook comme sur un libri amicorum, feuillets où, de la Renaissance à l'époque romantique, des voyageurs faisaient signer des témoins de leurs voyages, notaient leurs impressions, dessinaient pour se souvenir.

L'ouvrage de Charlotte Guichard impose une réflexion décapante sur l'œuvre d'art et ses temporalités : "les graffitis documentent un lien ancien de familiarité avec les "grandes œuvres" qui a disparu avec l'âge muséal et la conscience d'une responsabilité collective dans la protection et la conservation des objets du passé" ; aujourdhui, les graffiti sont souvent répréhensibles. L'auteur souligne d'ailleurs, en passant, combien l'histoire de l'art, en se soumettant aux disciplines littéraires et en se coupant des sciences sociales, a évité de telles problématiques, préférant la célébration admirative à l'analyse critique.
Une telle réflexion peut-elle être étendue à l'histoire des médias que guettent à son tour le musée et la patrimonialisation (cf. Expo télé à Paris) ? Sans aucun doute...

lundi 18 août 2014

Usages des objets dans l'histoire et la littérature


Marta Caraion (sous la direction), Usages de l'objet. Littérature, histoire, arts et techniques. XIX-XXe siècles, Paris, Editions Champ Vallon, 2014, 278 p.

Prendre "le parti des choses" (Francis Ponge), entrer dans la littérature et l'histoire par les objets, fait assurément voir le monde autrement. D'abord en rappelant à quel point l'économie industrielle produit une pléthore d'objets. Sociétés du fétichisme des marchandises (Karl Marx) et de la reproductibilité (Walter Benjamin), les objets sont partout, pour faire (outils), pour décorer, distinguer, fantasmer. La propriété n'est-elle pas ce que l'on possède et ce qui nous définit, et finit par nous posséder ?

En seize contributions, l'ouvrage saisit les usages des objets sous des angles différents : le roman-feuilleton, le roman policier, la poésie, le voyage et les souvenirs, les expositions, les collections, les natures mortes photographiques, les plantes d'appartements, les aquariums, les trophées coloniaux, le commerce (grands magasins)... Les références classiques abondent (Baudelaire, Balzac, Gauthier, Zola, Ponge, Delille, Pérec, Valéry, Simmel) ainsi que la littérature française contemporaine (Pérec, Toussaint, Houellebecq, Le Clézio, Modiano, Quignard). Plus inatttendus et précieux, les développements sur les expositions universelles, sur l'exotisme et sur les "sciences" de l'oppression (cf. l'anthropologie et ses outils de pseudo-mesure, les trophées coloniaux).

Les objets dont parlent ces études sont des objets isolés. L'ouvrage nous laisse bien sûr aux portes des objets connectés et connectants, de l'Internet des objets, de la personnalisation calculée et programmée (data), distinction à la chaîne. L'ouvrage nous laisse aussi trop loin peut-être de l'Encyclopédie et du Larousse, des planches et des objets techniques (objets pour faire des objets). Peu d'allusions et de développements sur les catalogues et les dictionnaires, où se mêlent et se classent "les mots et les choses". Car il n'y a pas d'objets, de choses sans mots. Et peu de choses sans marque sans quoi elles ne se démarqueraient pas.

Partout dans l'ouvrage, court la critique de la matérialité (spiritualité), de la quotidienneté (événement) et de l'utilité (gratuité) qui distinguent les œuvres littéraires et artistiques des œuvres courantes. La critique de la publicité est constante : invasion des objets achetés, achetables (harcélement, tyrannie, désir, "appel publicitaire"). La hiérarchie des objets est socialement construite : les cadeaux, le photographiable, le mémorable et le collectionnable font l'objet de stratégies d'affiliation et de distinction que la publicité reprend à son compte et renforce mais qu'elle n'invente pas. Dans l'activité publicitaire, il y a des objets mais aussi des sujets consommateurs d'objets et de mots.

Ouvrage collectif au meilleur sens du terme : les contributions, pluridisciplinaires, se croisent, se réfléchissent et se complètent, servies par une introduction éclairante. Du point de vue du marketing, cet ouvrage invite à mieux concevoir une socianalyse de la consommation et des équipements (prix, design, etc.), de l'habitation qui les abrite.

dimanche 16 mars 2014

Siegfried Kracauer, journaliste et sociologue des médias


Martin Jay, Krakauer l'exilé, traduit de l'anglais et de l'allemand, Editions Le Bord de l'eau, 2014, 247 p. Index, 22 €

Les articles de Martin Jay, professeur à l'université de Berkeley, réunis dans cet ouvrage constituent une contribution importante à la biographie intellectuelle de Siegfried Krakauer. La vie de Krakauer y est analysée comme une "vie d'exilé" permanent, une "vie extra-territoriale". En effet, par de nombreux aspects de sa vie et de sa carrière, Krakauer apparaît toujours en marge, jamais pleinement intégré. En marge de l'école de Francfort (Institut für Sozialforschung créé à l'université de Franfort en 1923, transférée à New York et reconstituée à Francfort en 1950) ; en marge du judaisme (cf. l'article sur la traduction de la Bible par Martin Buber et Rozenzweig) ; en marge du marxisme, en marge de la sociologie, de la philosophie (jamais hegelien), en marge de l'émigration (intégré), en marge de l'Allemagne... Tellement en marge de tout qu'on le retrouve aujourd'hui au cœur de tout : de la sociologie de la culture et des médias, de la modernité et du changement social, tout comme Walter Benjamin, et ceci, de manière plus centrale qu'Adorno ou Horkheimer qui ont longtemps tenu le haut du pavé philosophique en Allemagne.

Né à Franfort en 1889, Siegfried Krakauer mœurt à New York en 1966. Après l'incendie du Reichstag, en 1933, il quitte l'Allemagne en proie au nazisme, pour s'installer d'abord en France ; puis, la France passant sous administration nazie, il réussit à fuir en 1941 aux Etats-Unis. Il y restera jusqu'à sa mort, tandis que d'autres, comme son ami Theodor W. Adorno, reprenaient une carrière universitaire en Allemagne de l'Ouest. Comme Erwin Panofsy, Herbert Marcuse ou Hannah Arendt, une fois aux Etats-Unis, Krakauer publie en anglais.

A la différence de la plupart des autres membres de l'Ecole de Francfort, Siegried Krakauer n'est pas universitaire de formation mais ingénieur et architecte. Devenu journaliste (Publizist), de 1922 à 1933, il tient une rubrique culturelle célèbre dans le prestigieux quotidien, la Frankfurter Zeitung (FZ) : sa connaissance des médias est donc aussi une connaissance pratique et de première main. Certains de ses articles rédigés pour la FZ seront rassemblés dans L'ornement de la masse en 1963 (Das Ornament der Masse), ouvrage dédié à Adorno. Le recueil traite de pratiques culturelles modernes, dont celles issues de la "reproductibilité mécanique" (cf. Walter Benjamin), comme la photographie ou le cinéma qui intéressent particulièrement l'ingénieur ; Krakauer évoque les effets psychologiques du cinéma, de la vie urbaine (Paris, Berlin), du voyage. Parmi la diversité des objets et notions abordés : la distraction ("Kult der Zerstreuung"), l'ennui, la biographie, le roman policier, l'opérette (Jacques Offenbach), la danse, le sport, la musique de jazz, etc. L'Allemagne de la République de Weimar, qui fut à la fois le creuset de cette modernité culturelle et du nazisme (corrélation qu'il faudrait interroger), est l'objet principal des analyses de Krakauer. "Aus dem neuesten Deutschland" est le sous-titre de son livre sur Les employés (1930) qui traduit une perception aigüe de la fragilité sociale, la vulnérabilité politique de cette nouvelle classe d'employés à col blanc, classe qui ne cessera de se distinguer à tout prix de la classe ouvrière. On entrevoit, en creux, la difficulté de la bourgeoisie intellectuelle européenne à penser la culture de masse autrement qu'avec condescendance et mépris.

La lucidité de Krakauer fait de lui un "étrange réaliste" ("wunderliche"), selon le mot d'Adorno. L'ouvrage de Martin Jay en dresse un portait sensible, dégageant son originalité en prenant en compte toute son oeuvre, aussi bien ses romans (Ginster, Georg), son travail sur le cinéma (De Caligari à Hitler, Théorie du film) que son travail de journaliste.
Cette série d'articles fait percevoir l'effort multiple de Krakauer pour comprendre tout ce que par la suite on tentera de penser au travers de notions comme la culture de masse, la civilisation des loisirs, les mass-médias : de Simmel à McLuhan.
Ouvrage souvent difficile mais indispensable pour s'orienter dans le labyrinthe intellectuel de l'Ecole de Francfort et de la théorie critique. Ouvrage qui souligne combien Siegried Krakauer mérite une place primordiale dans la constitution d'une science des médias.

mardi 7 janvier 2014

Médias et constructions nationales


Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Editions du Seuil, 1999, 311p., Bibliogr., Index.

"La check-liste identitaire", c'est ainsi que Anne-Marie Thiesse désigne avec humour l'inventaire hétéroclite des éléments symboliques réunis pour faire accroire aux populations que la nation existe et que nous avons une identité nationale remarquable. Ce bric-à-brac fabriqué de toutes pièces comprend la langue, bien sûr, les emblêmes, les commémorations, les monuments, les musées, les timbres, les billets de banque, les expositions, les manifestations sportives, des légendes inventées, des œuvres musicales, etc.
Complément logique de ce bric-à-brac culturel : le tourisme qui donne à voir et consommer le folklore national, le patrimoine, "la nation illustrée" : costumes traditionnels, paysages (recadrés par la photographie et les cartes postales), folklore rural et monuments restaurés, fêtes. La nation est aussi l'objet chéri des manuels scolaires (histoire, instruction civique, géographie, etc.), du sport (gymnastique, le rôle des Tours cyclistes, célébrations journalistiques des composantes territoriales de la nation). Tout fait nation : l'opéra, le foot, les loisirs en plein air...
Cela converge vers des topos sur l'âme nationale, l'art national et la nostalgie artificielle d'époques d'avant l'industrie, l'urbanisation. La crainte proclamée de l'affaiblissement de la nation et de la culture nationale s'acoquine bientôt avec des attitudes xénophobes, antisémites et moralisatrices, sexistes et racistes.

Les médias jouent un rôle essentiel dans l'élaboration des identités nationales et des langues nationales : les langues se nationalisent grâce à l'imprimé (livre puis périodiques) et surtout grâce à la radio et à la télévision. Le roman historique, lié au développement de la presse populaire (publications en feuilletons) contribuera aux identités nationales : il fournit des héros que le cinéma amplifiera (Notre-Dame de Paris). Les objets décoratifs reproduits en grande quantité ("reproductibilité technique") pour le consommation des touristes (lithographies, vaisselle, miniatures diverses), les spectacles historiques contribueront également à la célébration continue du sentiment national et à l'euphorie qui accompagne les consommateurs et les supporters dans une "communauté imaginée" (euphorie souvent guerrière). La création publicitaire aussi exploitera le filon de la nation.
Très précisément documenté, mobilisant de nombreux exemples, souvent inattendus, cet ouvrage d'historienne permet de penser la notion de média (son extension, son histoire). L'ouvrage souligne les effets invisibles des média et en fait saisir l'ampleur. Notons que ces effets, politiques et culturels, sont supposés et que la liaison causale est rarement démontrable ou vérifiable, comme pour la plupart des effets des médias (ce qui n'est pas un mince problème pour qui voudrait construire une science rigoureuse des médias).
Ouvrage décapant, indispensable à qui veut comprendre l'évolution récente et actuelle des médias.

lundi 30 décembre 2013

L'amour fou de New York : petits poèmes en photos

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Brandon Stanton, Humans of New York, $ 29,98, New York, St-Martin's press, 2013

Les photographies réunies dans ce livre ont été prises à New York au cours des trois dernières années. Scènes de rue, portraits (les photographiés ont donné leur accord : contrainte de droit). Captures d'écrans visuels, ethnographie spontanée des lieux publics. Ce ne sont pas des photographies esthétisantes ; plus que la forme, le photographe a privilégié le sujet. L'auteur ne mentionne rien de la technique (appareil, etc.).

"Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder ?" notait Charles Baudelaire qui soulignait que ses "petits poèmes en prose" étaient nés "de la fréquentation des villes énormes", de Paris, "Capitale du XIXème siècle" (selon l'expression ultérieure de Walter Benjamin).
New York, capitale du XXème siècle ?
Ces photos, comme les "petits poèmes en prose" peuvent être regardées dans le désordre : il n'y a pas d'ordre apparent dans le livre, ni pagination, ni classement des photos, ni chapitrage, ni index, ni cartographie. A lire au hasard, dériver. On soupçonne toutefois un marketing culturel -- calculé ou spontané -- dans le soin de représenter toutes les cultures, toutes les tendresses, toutes les religions, tous les quartiers...

Les centaines de photographies rassemblées montrent de très vieilles gens, des enfants, des artistes, des solitudes, des fous et des Vénus, des chiens, mais aussi des jeunes mariés, des joueurs d'échec, des parents, des pauvres, des amoureux, des skateboarders, des couples, des fauteuils roulants.
Le photographe a recherché l'étrange, l'étonnant, une sorte d'exotisme que traduisent les costumes et les accessoires, les coiffures et les maquillages, les gestes ("techniques du corps", Marcel Mauss). Parfois, il pose une question à ses modèles de rencontre. Beaucoup de photographies sont posées, rejouées ; elles sont légendées aussi, mentionnant parfois un lieu, une anecdote, une citation des personnes photographiées. Volonté de désillusion.

A une passion récente pour la photo, reconversion à l'occasion d'un licenciement, l'auteur, qui se professionnalise, ajoute le recours aux réseaux sociaux, un blog puis Facebook (HoNY, 17 millions de followers) puis Tumblr surtout. Par certains de leurs aspects, les réseaux sociaux participent d'une sorte d'anthropologie "imaginaire", non savante, folksonomique, qui n'est ni dans les musées ni dans les livres ; Brandon Stanton construit à sa manière celle des new-yorkais. Il laisse entrevoir ce que les sciences du social pourront tirer des réseaux sociaux pour réaliser une ethnographie du XXIème siècle.

L'ensemble constitue une sorte d'inventaire anthropologique ("photographic census of New York City") ; mais on peut le lire aussi comme un témoignage des tentatives, modestes et paisibles, de résistances à l'uniformisation qu'imposent la vie urbaine, le commerce, le travail, la scolarisation, la consommation, les médias. Le sentiment qui se dégage le plus souvent des photographies est la fierté : l'originalité est un luxe qui ne s'achète pas. L'une des forces de résistance à l'uniformisation sociale est l'amour, "l'amour fou", et ce livre comporte de nombreuses de nombreuses scènes d'amour fou, scènes humbles qui sont autant d'images surréalistes où posent des couples, des parents avec leurs enfants, des grands-parents, des mères, des vœufs, des veuves... André Breton n'avait-il pas inclus des photographies dans son roman, "l'amour fou" (1937).

Fin août 2017, "Humans of New-York" devient une émission de 30 minutes sur Facebook (plateforme Watch).
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mardi 20 août 2013

La ville comme mass-medium. Philosophie du conditionnement urbain

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Bruce Bégout, Suburbia. Autour des villes, Paris, éditions inculte, 357 p.

Ouvrage sur la ville par un philosophe de la vie dans les villes. Bruce Bégout, spécialiste de Edmund Husserl, décrit la société urbaine en phénoménologue. Il fait de la ville un problème philosophique : "celui de l'institution sociale du sens à partir de la configuration de la vie quotidienne".

La banlieue, ce qui dans l'espace d'une lieue autour de la ville vivait sous sa juridiction, a débordé la ville. Bruce Bégout y lit le négatif de la ville, là où malgré tout, s'inventent d'autres manières de vivre, de penser, pour le pire et le meilleur. Suburbia, territoire de l'innovation : consommation, commerce, loisirs... Que l'on pense aux hypermarchés, aux multiplexes, aux centres commerciaux (villes miniatures), aux grands ensembles, aux quartiers pavillonaires, tout cela organisé et quadrillé pour un univers automobile de stations service, parkings, autoroutes, affichage grand formats, panneaux de signalisation. Non loin, la ville-centre est mise en scène pour le pouvoir (les administrations) et pour l'économie touristique, musées, commerces de gadgets souvenirs, bus et bateau-mouche...

La population suburbaine est motorisée : "l'errant suburbain se retrouve dans sa voiture dans la position même du spectateur face à l'écran, avec ce minime avantage que c'est lui qui décide du contenu du film et de sa vitesse de déroulement". Bruce Bégout s'essaie par maximes juxtaposées à une définition originale de la suburbia. Exemples : "Nous sommes dans la suburbia si un centre commercial représente un pôle d'attraction hebdomadaire, voire quotidien", "Nous sommes dans la suburbia lorsque le temps passé devant la télévision excède celui passé au travail et dans les transports", etc. (p. 24). La suburbia est au coeur du marketing et des médias.

Après avoir relevé les apports des travaux de Walter Benjamin : Paris à déchiffrer comme la salle de lecture d'une grande bibliothèque, avec son alphabet de rues, de passages, d'affiches, Bruce Bégout évoque les situationnistes et Guy Debord, qui aimaient la ville où l'on peut dériver et détestait l'urbanisme fascisant à la Le Corbusier (sympatisant nazi).
Ensuite, l'auteur évoque plusieurs villes : Bordeaux, Paris, Las Végas, et surtout Los Angeles, extrême occident. Los Angeles est perçue et étudiée davantage comme un laboratoire social que comme une ville particulière, "comme la ville en soi, l'archetypus suburbain", "l'exemple d'une exploitation totale des possibilités quasi infinies de la technique et du spectacle, du travail et de l'entertainment". Helldorado !

La ville et l'architecture conditionnent la perception et la conception des habitants, ce qui les apparente aux médias ; aussi, la construction des bâtiments exprime-t-elle "une sorte de condensation concrète des multiples habitus visuels nés de la fréquentation urbaine". Le livre fourmille de notations originales sur le mode de vie américain, sur Emerson et Thoreau, sur le spectacle urbain, l'affichage, l'automobile, le mall, la signalisation. Le livre fait penser les médias.

dimanche 25 novembre 2012

Aragon, journalisme et roman


Daniel Bougnoux, Aragon, la confusion des genres, Paris, Gallimard, 2012, 205 p. , 19,9 €
Aragon, Oeuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, 1537 p., 69 €

Journalisme et roman, théâtre, poésie... Aragon a brouillé systématiquement les genres, comme dans sa vie. Daniel Bougnoux connaît Aragon sur le bout du doigt : il est l'éditeur des oeuvres romanesques en Pléiade (dont le cinqième tome vient de paraître), il est aussi Professeur, spécialiste de communication, auteur de manuels universitaires.
La confusion des genres qui structure son essai sur la vie d'Aragon est aussi celle des sentiments, celle de la vie familiale, de la vie amoureuse et de la vie politique. Drôle de vie : avec cet essai, nous y entrons comme dans un moulin, un peu gênés par ce "mentir-vrai" à tout va. Refermant le livre, on a surtout envie de (re)lire Aragon. Il nous est devenu un peu moins étranger, un peu plus attachant. Qu'avons-nous compris ? La frime, les masques et les fidélités qu'il s'impose, semblent exprimer une constante difficulté de vivre : "Comment, comment pouvons-nous supporter le monde tel qu'il est ? J'ai passé mon temps à l'imaginer autre", avoue-t-il dans Blanche ou l'oubli. Voyons là une clef de lecture. Dire le monde tel qu'il est, travail de journaliste ; dire le monde tel qu'il pourrait être, travail politique ; rêver le monde, oeuvre de poète... Pour Aragon, roman et poésie se nourrissent de journalisme.

Ecole de la rue, école des médias
La relation d'Aragon aux médias est constante. Tout d'abord parce qu'il dirigea successivement trois journaux : Paris-Journal (1923), Ce soir (1937) et Les Lettres Françaises (1953-1972), cela après avoir été rédacteur à L’Humanité en 1933. A l'époque, avec l'affichage (sauvage), la presse était le premier média du Parti communiste qui compta de nombreux titres, quotidiens, magazines, revues. Un groupe de presse majeur appliquant à la propagande et à l'information un marketing précis et une segmentation rigoureuse. 
Daniel Bougnoux note que les surréalistes célébraient en esthètes la vie urbaine et ses bizarreries commerciales : publicité, néons, affiches, passages, music-hall, marchandises de tous ordres offertes à la flânerie et aux déambulations. C'est l'héritage baudelairien. Mais ils n'en dénonçaient pas moins le journalisme, trop quotidien pour eux, trop “au goût du jour”. Aragon, au contraire, aurait éprouvé autant de fascination que de répulsion pour le journalisme, l'actualité et la presse. Goût pour “le déballez-moi ça de l’univers” (L’Année terrible) : Zeitgeist, dit Daniel Bougnoux, mi Google mi-Hegel. Comme Sartre, intellectuel total ? A la différence d'André Breton, Aragon revendique la proximité féconde de la littérature et du journalisme : “S’il est vrai qu’il faut lire la poésie autrement que le journal, il faut savoir aussi la lire comme le journal” (Chronique du Bel Canto). Retenons encore cette question qui donnerait une maxime féconde pour le journalisme : “Comment savoir ce qui se passe sans avoir notion de ce qui ne se passe pas ?” ("Le contraire-dit").

La création littéraire comme anti-dogmatisme ?
Daniel Bougnoux considère que Aragon a été protégé du dogmatisme par le roman et par le travail dans les journaux. Au contraire, l’enseignement, le cours magistral portent au dogmatisme, à la scholastique, au marxisme de la chair : tout le contraire de l’innovation, de l’invention, de la création. Sauf à enseigner en cherchant, ses mots, ses idées au lieu d'asséner des cours et des méthodes. L'un de ses héros de roman déclarera : “C’est curieux d’être un enseignant quand on est sûr de rien” (cité p.195). Cheminements bizarres de la création : “Comment suivre une idée ? Ses chemins sont pleins de farandoles. Des masques apparaissent au balcon”. 
L'auteur rappelle qu'Aragon fut traducteur (cf. l'émission de France Culture, "Aragon traducteur"). Pouchkine, Maïakovski, Shakespeare, Brecht, Lewis Carroll, Rafael Alberti) : toutes ces langues qu'il épousa (il est aidé de son épouse, russophone, Elsa Triolet, pour la traduction de Maïakoski) affecteront sa manière de dire, et, sans doute, sa “chorégraphie mentale”.
Cet essai a pour ambition de dévoiler “comment marche une tête”, celle d’Aragon ; on y suit aussi celle de Daniel Bougnoux lisant Aragon. Livre parfois émouvant, ironique tout le temps, sans insister jamais.  Livre court, d'avoir le bon goût de ne pas conclure.

Comme c'est le trentième anniversaire de la mort d'Aragon, le pseudo-événement nous vaut des présences dans les médias (cf. supra, le Hors Série de L'Humanité, les interventions de France Culture, etc.). Les hasards du marketing de Gallimard nous apportent aussi le Tome 5 des oeuvres romanesques d'Aragon. On y trouve, entre autre, "La mise à mort", "Blanche ou l'oubli", "Le contraire-dit". Illustrations des énoncés et hypothèses de Daniel Bougnoux.
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samedi 21 juillet 2012

Visibilité et énergie médiatique

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Nathalie Heinich, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard, 2012, 593 p. Index

La différence de potentiel de visibilité entre des personnes est au coeur de l'économie des médias. La peoplisation est omniprésente : divertissement (sport, cinéma, musique, littérature, chanson), de la politique, de l'économie, de la science, de la religion, de l'entreprise... Pas de sujet, de thème auxquels les médias ne donnent une dimension people. Les médias créent et propagent la visibilité des personnes mais aussi celle d'événements, de personnages et lieux historiques (cartes postales, magazines de tourisme, de patrimoine, réseaux sociaux comme Foursquare ou Facebook, etc.). Cf. le cas de Jeanne d'Arc.
La différence de potentiel (que nous noterons ddp comme en électricité) de visibilité semble un effet de la reproductibilité technique des images, reproductibilité d'abord mécanique (W. Benjamin) puis numérique. L'économie des médias fabrique de la ddp de visibilité, une tension (la masse a un potentiel nul !) et s'en sert pour produire de l'audience et de la data vendues ensuite aux annonceurs.

Cet ouvrage commence par la construction de son objet (définitions, périmètre, typologies, taxonomies, etc.), le situant par rapport aux notions voisines ou parentes (célébrité, fan, notoriété, spontanée ou assistée, image de marque, réputation, influence, star, people, etc.).
Après ce travail préalable, l'auteur évoque l'histoire de la visibilité puis passe en revue ses domaines de prédilection : les cours et les familles royales, les champions sportifs et les politiques, les écrivains et les "penseurs", les chanteurs, les mannequins, les personnalités de la télévision.
A partir de là, l'auteur centre sa réflexion sur l'économie et la gestion du "capital de visibilité", usant de la métaphore féconde du capital selon laquelle vivent et se développent souvent les approches bourdieusiennes (capital linguistique, social, culturel, informationnel, etc.). Cette économie ébauchée, des questions surgissent :
  • Comment s'effectue l'accumulation du capital de visibilité ? Quelle place y tient le progrès technique ? Qu'y change l'économie numérique ?
  • Peut-on "se hedger" pour se protéger des écarts de visibilité ?
  • Qu'apporterait d'aller jusqu'au bout de la formalisation et de l'analyse systématiques des opérations de visibilité : transitivité (les amis de mes amis sont mes amis) ; anti-transitivité : (les ennemis de mes ennemis sont mes amis), non commutativité, associativité ? A voir...
  • Ce capital de visibilité se déprécie, il faut donc le gérer (c'est le travail des RP, des "agents"), investir dans la visibilité, dans l'image. Les détenteurs de visibilité peuvent passer d'une marque à l'autre selon une sorte de mercato dont le marché des tranferts sportifs professionnels montre l'exemple. Ainsi, Marissa Meyer, auréolée de son image Google, passant chez Yahoo! (juillet 2012).
  • Un produit peut être star (placement de produit), un consommateur peut devenir l'ami d'une marque (cf. Facebook), le capital de visibilité est un actif de l'entreprise, valorisable, cf. goodwill. Depuis longtemps, le marketing évalue et qualifie la notoriété et la visibilité ainsi que le coût de sa construction (bilan de campagne) et de son érosion (mémo/démémo). 
  • Couverture du magazine People, juillet 2012,
    Présentoir (caisse de supermarché américain)
  • Comment cette économie se situe-t-elle par rapport a à une économie du faire-valoir, à une économie des singularités ?
  • Comment opèrent les tranferts dans certaines marché particuliers comme le marché politique : tel acteur ou chanteur soutenant visiblement tel candidat, lui apportant - ou non - le crédit de sa visibilité.
  • Qu'est-ce que la privation de visibilité, l'invisibilité sociale, l'anonymat ? (dans une discussion avec Nathalie Heinich, Annie Ernaux évoque sa "carapace d'invisibilité" (cf. L'épreuve de la grandeur. Prix littéraire et reconnaissance, p. 86).
L'ouvrage de Nathalie Heinich a manifestement été achevé avant le raz de marée des réseaux sociaux. Ceux-ci généralisent la question de la visibilité : effets de réseau de la notoriété, effets des outils de mémorisation et de stockage (thésaurisation des contacts, capital social objectivé), reconnaissance automatique des visages, mises en scène publiques des vies quotidiennes privées. Surtout, les réseaux sociaux en complexifient l'arithmétique. Lady Gaga et Justin Bieber comptent apparemment des dizaines de millions de followers ("suiveurs" ?) sur Twitter, Gabby Douglas en deux médailles d'or de gymnastique gagne 260 000 "likes" sur Facebook, tel politicien compte ses milliers d'amis sur Facebook... Grâce aux réseaux sociaux, toute notoriété est quantifiée (le nombre des contacts, leur distribution). Quantification à mettre en relation avec le capital social et, sans doute, toujours omis, avec le capital humain. Facebook et Twitter démocratisent la visibilité, la proximité. On collectionnait les autographes, on collectionnera les "amis", les recommandations, les fans (WhoSay, réseau social pour célébrités). Le Klout score se veut mesure de l'influence pour tous et Bottlenose recherche la tendance "sociale" du moment : "See what the crowd is talking about", crowdsourcing de la tendance ("Surf the stream") ! Dans cette économie de la visibilité, la protection de l'image, de la réputation est indispensable. Des entreprises vendent ce service (MarkMonitor), par exemple.

C'est parce qu'il ignore presque totalement les réseaux sociaux que ce livre sera précieux pour les comprendre et les analyser. N'entrant pas a priori dans leur logique, il fournit des repères et des concepts indipensables. Il sera désormais au point de départ de tout travail sur les réseaux sociaux, une boussole...


Ouvrage évoqués
Walter Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit,1935 (L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, Gallimard, 2008)
Nathalie Heinich, L'épreuve de la grandeur. Prix littéraire et reconnaissance, 
Gérard Lagneau, Le Faire valoir. Une introduction à la sociologie des phénomènes publicitaires. Avec une préface-réponse par Marcel Bleustein-Blanchet (Publicis), Paris, 1969, 166 p.
Lucien Karpik, L'économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007, 373 p.
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dimanche 23 octobre 2011

L'homme de la foule, c'est l'homme du Web

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Edgar Allan Poe, L'hommes des foules, suivi d'un essai de Jean-François Mattei, "Edgar Poe ou le regard vide", Edition Manucius, 2011, 96 p., bibliogr.

Edgar Allan Poe a publié ce conte ("a tale") en 1840. "The Man of the Crowd" est inclus, lors des publications ultérieures, dans les "Mysteries".  L'histoire est simple : le narrateur, dans un café, parcourant un journal, fumant un cigare, observant la rue, se laisse aller à une analyse spontanée des individus de la foule, classant et distinguant les passants selon leurs apparences (vêtements, hexis corporelle, etc.)... Intrigué par un passant qui lui semble inclassable, il le suit dans les rues. Discrète filature. Cet homme, qu'il suit des heures durant, ne fait rien que se noyer dans la foule, parcourant Londres de quartier en quartier à la recherche de foules successives, selon les moments de la journée, foule des magasins et du marché, foule des sorties de bureau, foule du divertissement nocturne... Cet homme passe son temps à rechercher furieusement la foule, comme s'il ne pouvait respirer que dans un bain de foule. Rien d'autre ne se passe.

Edgar Allan Poe termine le conte comme il l'a commencé, empruntant la clé du mystère à une expression allemande pour qualifier un livre : "il ne se laisse pas lire" ("es lässt sich nicht lesen"). L'homme de la foule est comme un gros livre rébarbatif, il ne se laisse pas lire : "peut-être est-ce une grande miséricorde de Dieu" que cette illisibilité (ce sont des mots du "Miserere") de l'homme caché dans la foule, Dieu seul voit ses péchés.
Le narrateur échoue donc dans son enquête ; tout attentif à observer, il ne comprend pas. Aucun signe visible ne l'aide à lire le coeur de cet homme. L'homme de la foule lui échappe. Inutile de continuer à le suivre, il n'apprendra rien de plus qui lui permette de s'identifier à l'inconnu, étranger définitif. "It will be in vain to follow; for I shall learn no more of him, nor of his deeds". Vanité du spectateur, impossibilité de comprendre un tel homme en le suivant, en le regardant (passer), malgré toute l'acuité d'un regard entraîné. On sait tout de lui, tous ses trajets mais pourtant, rien ne le révèle.

Un homme n'est-il compréhensible que comme atome d'une foule, gibier statistique ? Cet "homme de la foule" n'est-ce pas aujourd'hui l'homme des médias numériques ? Celui qui sans cesse se dissout dans des foules virtuelles, se repaissant de la foule de ses "amis" en ligne, sans cesse spamé, "pressé" (crowded, foulé) de déclarer qu'il aime ou n'aime pas, de suivre, de voter, sommé d'être à la mode, au courant... Foules innombrables d'internautes où les algorithmes vont pêcher un savoir : crowd sourcing.
"Que peut-on savoir d'un homme aujourd'hui ?" demandait Sartre à l'entrée de son Flaubert (L'idiot de la famille), question à reprendre à propos des outils du Web. Question au coeur de tout ciblage comportemental. Que peut-on apprendre d'un homme dans une foule d'internautes ? Tout, comme le prétendent Google ou Facebook (Open Graph), ou rien d'important ? "Il n'est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art" dira Baudelaire, "Les foules", Le spleen de Paris.
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vendredi 5 août 2011

Brecht et Weigel à la maison

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Chausseestrasse 125. Die Wohnunngen on Bertolt Brecht und Helene Weigel in Berlin-Mitte, fotografiert von Sibylle Bergemann, Akademie der Künste-Archiv, 96 p.

Visiter la maison d'un écrivain pour mieux comprendre le mode de production de ses textes ? Pourquoi pas. La dernière habitation de Brecht peut être visitée à Berlin, Chausseestrasse 125. La visite, guidée, est brève, claire. Le document qui l'accompagne également.

Cette maison est aussi et, peut-être, d'abord, un atelier où se fabriquent les pièces de théâtre ("Produktionstätte"), où se réunissent les acteurs, costumiers, décorateurs des pièces jouées par le Berliner Ensemble, théâtre que dirige Helene Weigel : des bureaux et tables pour écrire, ciseaux et colle, pinceaux, schémas de mises en scène, documents (photos, journaux, anglais et américains notamment)... Une radio, une machine à écrire (portable), des téléphones fixes et même un téléviseur dans la chambre d'Helene Weigel. Des livres.

Le document du musée rapporte des réflexions sur les effets de l'habitation (l'habiter), sur le rôle et l'ampleur des habitudes ("die Diätetik der kurzen Gewohneiten") prises dans une habitation, réflexions stimulées par une discussion avec Walter Benjamin. En allemand comme en français, les notions d'habitude (Gewohnheit) et d'habiter (wohnen) sont parentes et renvoient, pour le français, au verbe latin avoir (habere). Dommage que le mot "habitant" l'ait emporté sur l'ancien français "habiteur" : de la maison et de celui qui y demeure, quel est l'habiteur ?

Au mur, sur des étagères, des signes des engagements de Brecht : un poème de Mao, une image et un texte de Confucius ("Der Zweifler", celui qui doute, titre d'un poème de Brecht, repris dans le livre, p. 50), des masques de théâtre japonais Nô : la ligne asiatique ("die asiatische Linie") qui court dans l'oeuvre de Brecht est manifeste, tout comme la ligne marxiste, non stalinienne (portraits de Lénine, Marx, Engels). Et encore des livres, de toutes sortes : des policiers (Krimi), des livres de cuisine et les classiques (Schiller, Goethe, Shakespeare, Cervantes, etc.)...

Trop peu d'attention est accordée par les sciences des médias et des cultures au mode de production des oeuvres, des médias (épistémologie). Les modes de production, littéraires ou cinématographiques, restent dissimulés dans la notion fumeuse d'auteur. D'après cette habitation, qu'est-ce qui a changé dans les technologies de création littéraire ? L'ordinateur et le Web. Si peu, et tellement.
Cette habitation énonce un mode de vie indissociable d'un mode de production et d'un rapport au monde : l'habitation ne doit pas manifester, provoquer d'attachements. Elle reste un lieu provisoire, pas d'enracinement. Dernière habitation de passage pour ces deux qui furent des émigrés perpétuels, condamnés par le nazisme dès 1933, mais revenant à la langue allemande et à Berlin, un moment usurpés (cf. le texte de Anna Seghers sur la langue parlée, prononcée par Helene Weigel, pp. 66-68). Brecht et Weigel sont enterrés ensemble, selon leurs voeux, dans le cimetière voisin, à quelques pas des tombes de Fichte et de Hegel...
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