Charlotte Guichard, Graffitis. Inscrire son nom à Rome au XVIe-XIXe siècle, Paris, 2014, Seuil, 20 €, 175 p. Index.
Les touristes plus ou moins distingués qui, du 16e au 19e siècle ont visité, à Rome, les palais et les églises y ont parfois laissé des traces inattendues. Si les murs de nos villes sont aujourd'hui couverts de graffitis, plus ou moins talentueux, plus ou moins provocateurs (détournements d'affiches, slogans), on ne s'attend certes pas à trouver des graffitis sur les œuvres les plus célèbres de la villa Adriana (Tivoli), de la villa Farnesina, de la Domus Aurea ou du Vatican... Pourtant l'auteur rappelle que des graffitis accompagnent les œuvres les plus prestigieuses (Raphaël) et portent la signature d'artistes non moins prestigieux (Nicoals Poussin, Van Loo, Jean-Louis David, etc.), touristes privlégiés, érudits...
Ces graffitis ont été évacués des reproductions illustrant manuels scolaires et des livres d'art. Graffitis indignes des "beaux livres", censure ? Le graffiti retire aux œuvres leur aura.
Le livre, abondamment documenté, rend "leur visibilité à ces graffitis" et enrichit ainsi l'histoire sociale des chefs-d'œuvre et de leur réception. "Les graffitis sont les traces d'un moment dans la vie sociale des œuvres", avant leur patrimonialisation : stockage et exposition protégée dans des musées, au titre de "trésors nationaux".
L'auteur, en interprétant les différents gestes d'inscription, gestes d'artistes ou de "vandales", interprète le rapport social aux œuvres d'art. L'anthropologie du chef-d'œuvre donne une dimension nouvelle à ces graffitis qui acquièrent une valeur historique aux yeux des rapports de restauration. Quelle histoire de l'art ? Les graffiti sont-ils des traces des effets du temps sur les œuvres au même titre que la patine ? Faut-il les garder, les restaurer, les effacer ?
Graffiti sur un mur de l'Avenue de Versailles, Paris, été 2014 |
L'ouvrage de Charlotte Guichard impose une réflexion décapante sur l'œuvre d'art et ses temporalités : "les graffitis documentent un lien ancien de familiarité avec les "grandes œuvres" qui a disparu avec l'âge muséal et la conscience d'une responsabilité collective dans la protection et la conservation des objets du passé" ; aujourdhui, les graffiti sont souvent répréhensibles. L'auteur souligne d'ailleurs, en passant, combien l'histoire de l'art, en se soumettant aux disciplines littéraires et en se coupant des sciences sociales, a évité de telles problématiques, préférant la célébration admirative à l'analyse critique.
Une telle réflexion peut-elle être étendue à l'histoire des médias que guettent à son tour le musée et la patrimonialisation (cf. Expo télé à Paris) ? Sans aucun doute...
Les graffitis représentent bien une partie de l'histoire humaine. Depuis l'Antiquité, ils sont un moyen de s'exprimer, de revendiquer et de contester. L'analyse de ces dessins est fondamentale en ce qu'elle permet de comprendre les modes de vie et les croyances à une époque précise.
RépondreSupprimerDe nos jours, les graffitis ne sont-ils pas une alternative à la saturation publicitaire? Face aux réticences du "digital out of home", les graffitis ne seraient-ils pas un moyen de contourner le numérique et de revenir à des images plus simples? Les graffitis dénonceraient peut être la société de consommation... à l'inverse d'images payées par des annonceurs, les graffitis sont gratuites et disponible à l'usage de tous!