jeudi 30 décembre 2021

Chevreuse ou Paris ? Se perdre dans un roman de Modiano

Patrick Modiano, Chevreuse, Roman, Paris, Gallimard, 2021, 159 p. 

Le roman se passe entre Paris et la vallée de Chevreuse. Il y a des voyages en voiture, depuis Boulogne-Billancourt, vers la porte Molitor, vers Auteuil puis vers la vallée de Chevreuse. Il y a aussi le café de la place Blanche, ou celui de Saint-Lazare, la terrasse vitrée du restaurant Murat, la porte d'Auteuil, la rue Pierre-Charron, la Cité universitaire, le parc Montsouris, le boulevard Jourdan, la porte d'Orléans, la gare de Lyon. Le livre n'est aussi qu'une complexe déambulation dans Paris, et, parfois, sur la côte d'Azur. 

Parfois, on a l'impression que nous manquent les éléments cartographiques qui nous aideraient à comprendre, à moins que, se perdre dans ces lieux ne fasse partie du jeu. Il y a bien un schéma dans le roman mais cela ne suffit pas. Les héros du roman que l'on lit sont aussi les héros d'un roman que l'auteur est censé écrire. Le lecteur se perd dans les saisons du roman, mélange les moments et les romans et finit par ne plus très bien savoir où le héros en est. Le lecteur est perdu, comme les personnages du roman.

L'auteur recompose ainsi le monde de son enfance, ses personnages. "Mais il eut un vertige en voyant brusquement apparaître comme sur l'écran d'un appareil de radiographie les liens qui unissaient les unes aux autres ces personnes. En quinze ans, ces liens s'étaient ramifiés et formaient avec de nouveaux venus un réseau très serré dont il faisait lui aussi partie, à son insu, comme au temps de son enfance". C'est donc un réseau social que décrit l'auteur, un réseau tel qu'il se forme dans son esprit ou tel que son esprit le forme, petit à petit.

"On est de son enfance comme on est de son pays", conclut le romancier. Patrick Modiano décrit les faits, les gestes et les pensées de son héros. Quand on a fini de le lire, il faut recommencer pour mieux comprendre. Et, recommencer encore pour bien situer les relations entre les personnages, entre les moments de l'histoire. Et le plaisir s'accroît à la relecture. C'est un très beau roman, fertile et aventureux où il fait bon se perdre puis se retrouver. 

mardi 28 décembre 2021

Spinoza dans toute son oeuvre et selon l'ordre de ses raisons

 Alexandre Matheron, Etudes sur Spinoza et les philosophies de l'âge classique, ENS Editions, Lyon, 741 p.,  2011, Index des noms, Index des passages cités de Spinoza, Préface de Pierre-François Moreau.

Voici une somme, celle des travaux d'Alexandre Matheron sur Spinoza (en dehors de ses travaux de thèse : Individu et communauté chez Spinoza, 1968 et Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza, 1971. Alexandre Matheron était LE spécialiste de Spinoza. 
Alexandre Matheron était d'abord un disciple de Martial Guéroult dont il a apprécié la méthode telle qu'exposée et mise en oeuvre dans Descartes selon l'ordre des raisons (publié en 1953). Le spinozisme est pour lui comme pour Alexandre Matheron un "rationalisme absolu" (le réel est rationnel). 
Alexandre Matheron subit aussi l'influence de Pierre Lachièze-Rey dont Les origines cartésiennes du Dieu de Spinoza fut publié en 1932. Pierre-François Moreau dans sa préface souligne également l'importance d'un marxisme passé par la phénoménologie : "la magistrale étude de Jean-Toussaint Desanti", à qui il succède à l'ENS (Introduction à l'histoire de la philosophie, 1956), et Jean-Paul Sartre (Critique de la raison dialectique, publié en 1960). 
Pierre-François Moreau conclut son introduction en soulignant le langage cartésien de Spinoza : "parce qu'il n'a pas d'autre langage à sa disposition et qu'il doit forger sa pensée à travers ce langage - car on ne pense que dans un lexique, et on ne pense de façon originale qu'en modifiant peu à peu un lexique reçu".
L'oeuvre publiée est colossale : Spinoza est traité par tous les aspects possibles de son oeuvre et l'ensemble est divisé en deux parties : "Ethique, anthropologie, politique, religion", d'abord puis "Ethique, ontologie, connaissance, éternité", deux parties séparées par deux lectures de Spinoza, l'une consacrée à Victor Delbos, l'autre à L'anomalie sauvage d'Antonio Negri.