Franck Balandier, Le Paris d'Apollinaire, Editions Alexandrines, 2018, 124 p. Bibliogr., Index. 12 €
Apollinaire débarque à Paris quand il a 18 ans. Il prend son premier job dans la publicité (au service courrier), puis dans une agence de placements boursiers dont il démissionne en janvier 1901. Il obtient un diplôme de sténographie. Puis le voilà pigiste pour divers médias (revues, hebdomadaires), le Guide du Rentier, Paris-Journal, etc. En 1908, il signe des textes sous un pseudo féminin, Louise Lalanne, avec la complicité de Marie Laurencin, son amie. Canular certes, mais les poèmes seront mis en musique par Francis Poulenc.
Comme le feront plus tard les poètes surréalistes (André Breton, Louis Aragon, Robert Desnos) et plus tard encore Guy Debord qui en fera un mode de vie, Guillaume Apollinaire "erre à travers [son] beau Paris" (Alcools), de bars en bistrots : Montmartre, Montparnasse, les Halles, Grands Boulevards, la gare Saint-Lazare, Place Clichy puis finalement s'installe à l'Ouest, rue Raynouard, à Auteuil "quartier des jardins" qui est encore un village alors, ("lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses"). On suit l'inventeur du surréalisme vers la Tour Eiffel, par "le Pont Mirabeau", d'où un soir se jettera Paul Celan.
Le livre montre, sans s'y attarder, le rôle que jouaient les médias de l'époque pour les intermittents de la littérature et de la poésie, le rôle des bistrots aussi, noeuds de la vie sociale et intellectuelle, points de rencontre qui tissent un réseau dans la ville. Espaces publics. Le livre fait entrevoir un peu de la vie quotidienne d'Apollinaire et de sa bande, l'invention d'un style de vie d'artistes, une sorte de bohème, qui sera longtemps imitée. Beaucoup d'alcool et de drogues de toutes sortes (opium, etc.). La bande, avec Picasso (qui habite avec Fernande à Montmartre, rue Ravignan), Paul Fort, Alfred Jarry, Max Jacob notamment. Une passion avec Marie Laurencin qui échoue, une rencontre avec André Gide qui réussit... On croise aussi le Douanier Rousseau, André Breton, Paul Eluard, Francis Picabia, Blaise Cendrars ("Les Pâques à New York" qui peut-être auraient inspiré "Zone"), Braque, Max Jacob, Giorgio de Chirico, Modigliani, Pierre Reverdy, Tzara, Cocteau, Paul Léautaud, Vlaminck, etc. Du beau monde (cf. Apollinaire, les peintres de sa modernité) que tous ces amis dont il dira dans un calligramme "écrit" au Front que "les noms se mélancolisent".
Grasset, 2018, 186 p. |
Le livre de Franck Balandier raconte tout cela, sans jamais ennuyer les lecteurs, comme un film ; les plans se succèdent : crue de la Seine en janvier 1910, séjour du poète à la prison de la Santé en 1911 pour complicité de vol et recel (statuettes dérobées au Louvre par un de ses amis), l'engagement dans l'armée française en 1914. Blessé, Apollinaire est ramené à Paris, au Val de Grâce (Vème arrondissement), trépanation à la villa Molière, Paris bombardé par la "grosse Bertha" (pariser Kanonen). Mariage dans le VIIème où habite le couple (au 202 du boulevard Saint Germain), grippe espagnole. 9 novembre 1918. FIN. Père-Lachaise. Guillaume Apollinaire venait d'avoir 38 ans.
Ce livre résume le voyage d'une vie, de Montparnasse à Saint-Germain, un itinéraire social peut-être, aussi. Car on n'habite pas impunément, ici ou là, même si, comme dit Hölderlin, "c'est en poète que l'homme habite sur cette terre" ("Dichterisch wohnt der Mensch auf dieser Erde") ! Ce livre évoque un Paris encore intelligent (smart city), avant les périphériques, avant le Front de Seine, avant la marée quotidienne des voitures, avant que le Parc des Princes ne soit bétonné...
Le livre est sobre, trop sobre sans doute ; à cette géographie parisienne d'Apollinaire, il manque un plan illustré (et une version numérique), des photos d'époque ; cela mériterait une appli pour suivre, dans Paris, les déambulations d'Apollinaire. Il y manque aussi les rues évoquées dans "Zone" : l'avenue des Ternes, la rue Aumont-Thiéville, la rue des Ecouffes, la rue des Rosiers... Pour notre bonheur, la collection publie de nombreux autre livres (28), du même format, sur le Paris vécu des écrivains, Balzac, Proust, Aragon...
N.B. Sur le même sujet, éclairant d'une autre lumière la personnalité du "flâneur des deux rives", Grasset réédite les souvenirs de Louise Faure-Favier (1945). La confrontation des deux approches est féconde. Comme Franck Balandier, Louise Faure-Favier souligne le plaisir qu'avait Apollinaire de Paris, d'y déambuler à pied ou en train de banlieue, avec ses amis. L'auteur rapporte que Apollinaire, évoquant les articles de journaux, les poèmes, les contes dira "nous sommes la génération des bouts de papier" (formats courts !).
Référence
Le piéton de Paris est un ouvrage de Léon-Paul Fargue, ami de Guillaume Apollinaire
Publié en 1932 aux éditions Gallimard, (L'imaginaire), Paris, 306 p. 10 €
202 boulevard Saint-Germain, Paris |