jeudi 15 août 2013

L'article "Encyclopédie" : questions pour Wikipedia

.
Denis Diderot, Encyclopédie, présenté et annoté par Jean-Marie Mandosio, éditions de l'éclat, Paris, 2013, 156 p., Index

Edition annotée de l'article "Encyclopédie" qui fut publié en 1755 dans le tome V de L'Encyclopédie. Diderot travaille à L'Encyclopédie depuis déjà dix ans quand il rédige ce long article qui est une réflexion critique et auto-critique sur ces années, sur la méthode mise en oeuvre et sur les limites du travail effectué : "Il y aura toujours des défauts dans un ouvrage de cette étendue" (p. 152).

L'originalité première de L'Encyclopédie est d'être une entreprise collective, par conséquent une formation de compromis. "Entreprise" est d'ailleurs à prendre au sens économique du terme avec ce qu'il implique de gestion, de finances, de stratégie, de marketing, de publicité, de ressources humaines... Diderot, qui est devenu de facto chef d'entreprise privée, souligne les contraintes de gestion qui pèsent sur la fabrication de L'Encyclopédie. Ainsi, il évoque la notion de durée, le respect si difficile du calendrier, des délais et le nécessaire "empressement économique", la longueur à attribuer à chacune des parties (L'Encyclopédie dépassera de beaucoup en longueur les prévisions annoncées), la vitesse d'obsolescence des savoirs, leur vulgarisation, les corrections et les changements qu'il faut anticiper pour de prochaines éditions... Et de reconnaître l'aspect pragmatique de la gestion de l'ouvrage : "On se tire de là comme on peut" (p. 145) et de saluer, pour finir, après le travail des auteurs, celui du typographe et de l'imprimeur.

Le mode d'exposition de L'Encyclopédie est mixte : alphabétique par commodité, encyclopédique pour "enchaîner" des connaissances, articulé par des renvois. Ce mode d'exposition est à lui seul un mode de penser des Lumières : critique, contradictoire, polémique (les renvois), provisoire (les savoirs s'accroissent, ils évoluent, la science comme l'opinion) ; Diderot mène tout au long de cet article une réflexion sur la méthode, sur le cheminement du savoir autant que son exposition : la notion d'enchaînement est centrale, le terme revient sans cesse (on pense aux "longues chaînes de raison" de la méthode cartésienne). La notion de "renvoi" (de choses, de mots), participe de la méthode, elle en constitue un outil essentiel, système nerveux de l'exposition dont l'objectif ultime et constant, rappelle Diderot, est "de changer la façon commune de penser" (p. 93). Les renvois forment l'architecture raisonnée d'un maillage qui multiplie et féconde, en les croisant, les informations et les idées associées.

Dans son introduction, Jean-Marie Mandosio invite ses lecteurs à confronter l'ambition de Diderot à celle de Wikipedia où il ne voit que "gigantesque poubelle en réseau" à laquelle manquent l'enchaînement et la méthode. Dommage qu'il n'approfondisse pas cette opinion.
Ainsi, la lecture de l'article "Encyclopédie" suscite-t-il une occasion de penser les conséquences des supports matériels et de leur ergonomie sur la pensée. Comment pense-t-on - et ne pense-ton plus - lorsque l'on pense et travaille avec Wikipedia ? Question que devraient aborder les enseignants avant de livrer leurs élèves tête et idées liées à Wikipedia.
.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire