Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2ème édition 2011, 125 p. Biblio.
La notion de réseau social n'a pas attendu MySpace, Facebook, Foursquare, Twitter, YouTube ou Google+. C'est la première leçon de ce manuel qui nous renvoie aux auteurs clés de ce domaine : Georg Simmel (géométrie du monde social), Jacobs Levy Moreno (sociométrie), Stanley Milgram. Il nous renvoie aux approches sociologiques et ethnologiques (trop peu) des réseaux sociaux. De là, on passe aux ressources qu'apportent à l'analyse des réseaux la théorie des graphes (dont est issue la notion de social graph) et le calcul matriciel (Katz, Festinger). Etapes indispensables, peut-être les plus prometteuses. Ensuite, l'auteur traite de la sociabilité et du capital social, de l'amitié, de la réputation, notions exploitées plus ou moins rigoureusement par la pratique publicitaire. Exposition claire, rigoureuse, sans charabia, servie par des illustrations également claires et une bibliographie choisie, riche mais qui devrait être hiérarchisée pour être tout à fait utile.
- N.B. La bibliographie des ouvrages de sciences sociales - et des thèses, qui sont le modèle - s'en tiennent à des modalités d'exposition anachroniques, selon l'ordre alphabétique, alors qu'il faudrait, au moins, y ajouter une présentation sous forme graphique, indiquant des itinéraires de lecture. La bibliographie n'a pas encore intégré l'existence du Web et des moteurs de recherche. Patience !
- Le fonctionnement de ces réseaux, leur évolution ("implicit social graph", social CRM, Facebook connect, etc.) ne sont qu'à peine effleurés, leur diversité et leurs interactions non expliquées (quel rapport entre Facebook, Twitter, Linkedin, YouTube, etc.).
- L'exploitation publicitaire et la place des marques ne sont pas évoquées, or elles jouent un rôle primordial dans les valorisations boursières, les levées de fonds, le financement même de ces réseaux. Comment comprendre sans cela la bataille technologico-économique formidable où s'affrontent, notamment, Google et Facebook ?
- Comment comprendre l'échec de réseaux fondés sur la musique (MySpace, Ping) malgré le soutien de groupes puissants (News Corp., Apple) ? En quoi YouTube est-il un réseau social ? Pandora, Shazam ?
- Quel rôle joue le mobile dans ces réseaux (qu'il s'agisse d'applis ou de fonctionalités comme Unsocial) ?
- Quel est le métier de "community manager", au sens où l'on a parlé de "métier de sociologue" ?
- Que se passe-t-il, et comment, dans ce domaine en Asie ? Notre sociologie est entièrement dédiée à l'univers occidental, dominé par la culture de recherche développée par les universités américaines. Dommage, pour une discipline qui a souvent fait de l'ethnocentrisme l'objet de ses recherches et de ses dénonciations.
Manifestement, la sociologie est plus à l'aise dans l'histoire que dans la compréhension du présent en train de se faire. Faut-il toujours traiter les faits sociaux comme des choses, qu'est-ce qu'une sociologie qui n'est pas une économie ? Tout se passe comme si la recherche universitaire se trouvait, vis à vis des réseaux sociaux numériques et des entreprises qui les développent, dans la même situation que les agences de publicité : démunies devant des entreprises totales, protéiformes qui détiennent, par construction, le monopole des données et, les analysant en continu, dévaluent toutes tentatives d'analyses exogènes, analyses toujours déjà en retard, condamnées à ne comprendre le changement social qu'à son crépuscule. Un peu d'épistémologie pourrait-il éclairer ces questions ? La sociologie décidément a bien du mal avec les médias. Absence de pratique ?
En conclusion, malgré ses inévitables limites (l'auteur en pointe plusieurs lui-même), cet ouvrage constitue une indispensable propédeutique à la compréhension des réseaux sociaux issus du Web. C'est un bon outil pour qui travaille sur le marché publicitaire des données personnelles : il contrebalancera, par son rappel des concepts premiers, les approximations qu'imposent l'urgence de la pratique et du commerce, et les changements incessants de ces domaines.
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En conclusion, malgré ses inévitables limites (l'auteur en pointe plusieurs lui-même), cet ouvrage constitue une indispensable propédeutique à la compréhension des réseaux sociaux issus du Web. C'est un bon outil pour qui travaille sur le marché publicitaire des données personnelles : il contrebalancera, par son rappel des concepts premiers, les approximations qu'imposent l'urgence de la pratique et du commerce, et les changements incessants de ces domaines.
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