dimanche 10 juillet 2011

Maïakovski, poète de la publicité russe

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Maïakovski, Rodtchenko, Choix de poèmes et traductions du russe, Henry Deluy, Illustrations d'Alexandre Rodtchenko, Paris, Le Temps des cerises, 2011, 324 p.
Publicité pour les éditions d'Etat et pour une bière (o.c. p. 187)
Poète futuriste russe, bolchévik (1893-1930). Sa relation à l'Etat soviétique est complexe : favorable mais, révolutionnaire, anticonformiste, il ne supporte pas la politique soviétique d'enrégimentement des artistes ; il critique férocement la bureaucratie, l'abus de réunions ("Ceux qui siègent"), la soumission au "goût public", aux habitudes. En même temps qu'il dirige la revue LEF (Front Gauche de l'Art) qui réunit Pasternak, Babel, Eisenstein, Rodtchenko, Meyerhold, entre autres, Maïakovski rédige des slogans publicitaires, rimés parfois, pour des grands magasins, pour divers produits (bière, édition, bonbons, chaussures, etc.), et, notamment, pour les affiches de l'agence de presse Rosta. "Moi, j'ai appris l'alphabet avec les enseignes" ("J'aime"), écrira-t-il. La publicité participe de la transformation culturelle d'une société.

Dans sa poésie, comme dans ses slogans, se manifeste une recherche d'écriture et de graphisme (le texte est aussi une image) pour réveiller la perception, donc la pensée. Maïakovski milite avec les formalistes comme Roman Jakobson et Victor Chklovski. Il revendique l'effet oral de la poésie ("et la prose me rend muet"), de la versification ("Je taille // Mes cris pour y gagner des vers") et donne fréquemment des lectures publiques de ses poèmes (il en fera au Café Voltaire, à Paris, auxquelles assisteront Louis Aragon avec Elsa Triolet, amie de longue date de Vladimir Maïakovski).

Cette sélection de poèmes est servie par une illustration rare (elle pourrait être mieux légendée) qui fait appréhender une volonté de défaire les modes d'expression traditionnels pour faire entendre des voix nouvelles. Les illustrations soulignent la place accordée alors à l'expression publicitaire comme laboratoire de la communication.
Dans la poésie de Maïakovski, surgissent le téléphone et ses usages ("J'ai heurté de mes lèvres l'enfer du téléphone", "De ça"). Sa poésie, futuriste, célèbre les nouveaux médias (affiches imprimées, télégraphe, téléphone), les machines et de leur rythme (sirènes, roues), les locomotives, les aéroplanes, les tramways électriques, les grands immeubles. Modernité industrielle (l'acier, l'électricité) qui saisira aussi Guillaume Apollinaire, Dziga Vertov, Edgar Varese, Serge Essenine... Apologie logique et esthétique du linéaire, des colonnes, de la vitesse, de l'ordre alphabétique (la nouvelle politique économique, NEP, révérait Taylor et Ford, alors que Chaplin fut plus lucide dans Les Temps modernes). Les "sociétés industrielles", même léninistes, élaborent les fondements de cultures mécaniques, cultures que secouera et digérera le numérique, un siècle plus tard.

Note :
Sur la taylorisation de la culture, des procès de travail, le rôle du chemin de fer, de l'électricité, etc. voir, de Robert Linhart, Lénine, Les paysans, Taylor, Paris, Seuil, 1976, 220p. 17 €
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