jeudi 2 janvier 2025

Les boursiers scolaires au XIXéme siècle en France

 Jean Le Bihan, Bourses et boursiers de l'enseignement secondaire en France. 1802-1914, Paris, puf, 2024, 493 p. Bibliogr.

C'est le début d'une "véritable" histoire des bourses et des boursiers. Et cette histoire traverse tous les régimes politique du dix-neuvième siècle, du premier Empire à la Troisième république. A la fin du XIXème siècle, on comptait 6 000 boursiers (soit 11% des lycéens en 1895 et, près de 20% si l'on prend en compte les diverses sortes d'aides financières qu'ils pouvaient recevoir).

Ce travail méticuleux n'apporte pas de conclusions définitives, modestie remarquable. Deux ordres d'enseignement coexistent en France, l'un de plus en plus gratuit, le primaire qui conduit les élèves jusqu'au certificat d'études, le second, payant, qui concerne l'enseignement secondaire et conduit jusqu'aux bacchalauréats. Le boursier est presque toujours un transfuge, il passe des classes populaires à la bourgeoisie, fût-elle petite. 

Le décret du 19 janvier 1881 marque le moment d'une grande réforme républicaine : les boursiers doivent appartenir à des familles dont la fortune est insuffisante (notion vague) mais dont les aptitudes scolaires sont importantes.

Quelle est la carrière du boursier ? Qu'en est-il de la méritocratie du système des bourses ? Tous ces points sont analysés et discutés finement par l'auteur. La carrière des boursiers culmine souvent par l'entrée dans les "grandes écoles", Ecoles normales supérieures, Ecole polytechnique et autres écoles spéciales militaires.

Le livre représente un excellent travail de recherche socio-économique. On peut bien sûr attendre un recours plus précis aux concepts de capital (culturel, social, économique), et le croisement, à peine évoqué, des stratégies matrimoniales (célibat, hypogamie) et éducatives. Mais Jean Le Bihan souligne les difficultés rencontrées, presque insurmontables, dans le suivi à moyen et long termes des anciens boursiers (travaux prosopographiques ?). Sans parler des critiques des boursiers rassemblées dans la revisite de The Uses of literacy (Richard Hoggart) par Paul Pasquali et Olivier Schwartz.

Et les filles, les femmes ? Elles sont muettes, absentes de ce travail et pourtant présentes par leur contribution au capital des boursiers, et notamment au capital culturel ; elles jouent sans doute un rôle majeur dans leurs ambitions totalement oublié. Alors un travail sur celles qui portent la "moitié du ciel" (expression chinoise célèbre) serait maintenant bienvenu et l'auteur dispose des outils et des moyens de combler ce vide béant, alors... Car cela serait probablement mieux que ce que pourra faire la littérature.