mercredi 3 novembre 2010

La mémoire a une histoire

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Catherine Baroin, Se souvenir à Rome. Formes, représentations et pratiques de la mémoire, Paris, Belin, 329 p., Bibliogr.

Cet ouvrage d'une historienne de la civilisation latine permet une approche comparative utile à la compréhension des médias. Bien sûr, ce n'est pas l'objectif de ce livre mais cela peut être le nôtre, lecteurs.
Toute l'histoire des médias pourraient être écrite avec la mémoire pour analyseur.
  • Tout effet des médias se traduit et se mesure encore par une mémorisation : du nom d'un produit à l'image d'une marque, des mots qui lui sont associés, des avantages d'un service. Mémoire de mots, mémoire d'idées, pour paraphraser Léon Brunschwicg. Mémoire de mots, mémoire de marques ? Combien de fois faut-il répéter un message pour que le consommateur s'en souvienne (effective frequency, capping) ? Quand commence-t-il à oublier  ? Qu'est-ce qu'une présence à l'esprit, et une absence ? Questions de mémoire. 
  • Alors que la mémoire change, faut-il revoir nos manières d'apprécier l'évaluation de l'image de marque et de l'impact d'une campagne ?
Deux directions essentielles peuvent être explorées grâce à cet ouvrage : la transmission et l'acquisition des savoirs, d'une part, les outils de la mémoire d'autre part.
  • Nous retiendrons que la mémoire relève du corps : savoir, c'est incorporer. Apprendre va de la main aux yeux et des yeux à la mémoire, disait Quintilien. D'où la difficile transmission du capital culturel : il n'y pas de raccourcis pour la culture, elle ne s'achète pas. Comme le bronzage, disait Bourdieu !
  • La mémoire peut recourir à des aides matérielles : de même que l'on disposait à Rome de tablettes de cire pour noter et ne pas oublier, de même que les politiques se faisaient accompagner de nomenclateurs pour saluer par leurs noms les publics et les clients (salutatio), de même, des outils de mémoire numérique jouent ce rôle aujourd'hui : le smartphone et les tablettes (iPad) avec leur palette d'outils (photos, Gist, etc.), les fiches pense-bête (stickies), les listes (tasks), le prompteur ?



Quel rôle pour la mémoire dans l'éducation à l'ère numérique ? Que faut-il encore savoir par coeur ? On semble éviter cette question primordiale avec habileté. A Rome, la rhétorique était primordiale et la mémoire était à son service. Est-ce que cela a changé ? Pas si sûr !
Ce livre ramène aussi des questions politques, comme celles de l'oubli ou de l'amnistie ("non-mémoire" ordonnée, volontaire), comme celle des monuments. Comment gérer la mémoire du passé ("Verangenheitspolitik", "Vergangenheitsbewältigung"), quelle histoire enseigner ? 

Confronter le rôle de la mémoire à Rome avec celui que lui accordent les médias numériques est un exercice comparatiste salutaire : sommes-nous si loin de cette civilisation dont nous dépendons d'autant plus que nous l'avons "oublié" ?
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