samedi 11 mars 2023

Paul Valéry, en avance ?

 Paul Valéry, Cours de poétique

1. Le corps et l'esprit, 1937-1940, 685 p

2. Le langage,  la société, l'histoire. 1940-1945,  739 p.

Index des noms propres, édition de William Marx, Paris, Gallimard, 2023

Voici la publication des cours que donna Paul Valéry au Collège de France de 1937 à 1945. Deux heures hebdomadaires, les vendredi et samedi, à la "chaire de poétique". Au total, plus de mille quatre cent pages. En 1937, l'auteur est alors âgé de 67 ans.

L'importance de cette publication est d'abord historique, ces cours couvrent les huit dernières années de la vie de Paul Valéry. Les cours sont en grande partie donnés pendant l'Occupation nazie de la France, avec l'autorisation de ses autorités. L'académicien, élu en 1925, est entre  autres l'auteur de La jeune Parque (1917), du Cimetière marin (1920) et de Charmes (1922). Toute sa vie est ensuite celle d'un intellectuel célèbre. Si Paul Valéry fut d'abord un anti-dreyfusard virulent, il prononcera aussi un discours sur Henri Bergson le 9 janvier 1941, à l'Académie française, "frappée à la tête" par le décès de Bergson.

Que retenir de ces deux volumes ? D'abord, il faudra le temps de les digérer. Je pense qu'une bonne solution serait après les avoir parcourues, rapidement, trop rapidement, de lire ces pages au rythme de leur production, hebdomadaire. Car il y a de tout dans ces "cours". 

Par exemple (T.1, p.374), sur la distinction ("et c'est un fait capital en matière de philosophie, entre toutes ces questions, que la distinction") ou encore sur le capital culturel ("je n'ai pas manqué d'observer que notre civilisation consistait en somme, comme toute civilisation, dans un apport, une accumulation d'ouvrages, de traditions, de routines, de procédés, d'habitudes d'esprit, qui constituaient ce qu'on pourrait appeler un capital. Et c'est ainsi que j'ai eu la première notion de ce que j'ai appelé, à ce cours même, l'économie poïétique, c'est-à-dire quelque chose qui, sur le terrain de l'intellect le plus pur et de la production des oeuvres de l'esprit, fût l'analogue de l'économie politique ou de l'économie domestique" (t. 2, p. 90). Voici pour ce que l'on pourrait appeler les allusions aux futurs travaux de Pierre Bourdieu. Paul Valéry évoque aussi les médias qui s'approchent du public : "Tous les points de vue se traduisent par des clichés qui sont diffusés par les journaux ; tout le monde emprunte ces manières de parler ; le journal imite la rdio, la radio imite le journal : c'est un élément de discours qui représente une grande pauvreté dans les moyens et dans les modes de pensée." (t. 2, p. 689). Comment ne pas penser à Marshall McLuhan ! Ou encore sur une définition de la littérature ("la littérature est et ne peut être autre chose qu'une sorte d'extension et d'application de certaines propriétés du langage") et, plus loin,  ("ne peut-on pas regarder le langage lui-même comme le chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre littéraires, puisque toute création dans cet ordre se réduit à une combinaison des puissances d'un vocabulaire donné, selon des formes instituées une fois pour toutes ?"). Anticipations ?

Il fallut, au Collège de France, protéger Paul Valéry, comme Henry Bergson, "contre les curiosités mondaines", et contre les "belles écouteuses qui piétinaient sans se plaindre dans le froid glacial". La publication de ses cours invitera sans doute des chercheurs à y trouver des sources de concepts ultérieurs de la sociologie de la culture. L'édition comporte un index des noms propres mais y manque un index des notions

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