Jean-François Canguilhem, Marie-Pierre Cueff, Média Planning. Fondements conceptuels et métodologiques, Paris, Editions TECHNIP, 424 p. Bibliogr. (française exclusivement), Index (rerum). 45 €
Table des matières précise (12 pages) pour s'orienter dans l'ouvrage, complête heureusement l'index.
Média Planning, drôles d'expression. Surannée à l'époque des mots clés et des influenceurs, d'Amazon et de YouTube ? Pas sûr, à voir, en tout cas.
Voici un manuel complet qui permet d'y voir clair. Mais allons tout de suite au sous-titre de l'ouvrage qui évoque les fondements conceptuels et méthodologiques : enfin ! Car si le marché compte nombre de bons praticiens du média planning, plus rares sont ceux qui savent en analyser et en critiquer les concepts et méthodologies. Et faire front avec circonspection aux dérapages récents du marché publicitaire, qu'il s'agisse de réseaux sociaux en proie aux misplacement et aux miscalculations ou d'invisibilité, de fraude avec robots, etc... Le monde de la publicité a besoin de talents armés des outils qu'exposent cet ouvrage.
Les auteurs sont deux spécialistes français du média planning. Marie-Pierre Cueff, praticienne confirmée, riche d'une solide expérience de la presse magazine (elle n'en est pas à son premier manuel), Jean-François Canguilhem, statisticien expérimenté, spécialiste reconnu du média planning et de ses logiciels. Il fallait deux pros indiscutables pour oser s'attaquer à un projet aussi redoutable. De plus, la relecture a été confiée à un grand pro du média planning également, mathématicien hors pair, Jean-Luc Stélhé. Les lecteurs peuvent être confiants : pas de fake news ici !
L'ouvrage est d'abord un travail d'exposition rigoureux. Cela en fait un outil indispensable aux étudiants, à celles et ceux qui commencent une carrière publicitaire, mais aussi à ceux qui sont entrés dans la carrière depuis quelque temps et osent enfin s'avouer qu'il est temps d'approfondir leurs connaissances, de démêler l'écheveau des notions et concepts, des chemins à parcourir (méthodes) pour répondre aux demandes de leurs clients, annonceurs, régies publicitaires, instituts d'études.
Média planning ? Planification et budgétisation des actions publicitaires, pour un produit, un service, une marque. L'art d'adresser un message (commercial, mais pas nécessairement) aux personnes que l'on veut atteindre (la cible, terme peu engageant), sous contrainte budgétaire, dans des délais déterminés. L'idéal étant de pouvoir évaluer et valider cette action commerciale en temps réel. Bien sûr, on admet, généralement sans preuve, que le message ("la créa") est adéquat à ses fins.
Notons que les médias rencontrent bien d'autres problèmes de marketing que publicitaires (abonnement, pay-wall, recommandation, etc.). Symptomatique d'une nouvelle époque, Netflix, premier service pluri-national de vidéo à la demande (SVOD), sans publicité, ne s'encombre pas de données d'audience : elles ne lui serviraient de rien.
Tous les concepts du média planning sont explicités minutieusement, sans raccourcis : contact (et distribution de contacts), couverture, GRP, fréquentation, probabilisation, données manquantes, fusion, distance de voisinage, modélisation. Excellents techniciens - les meilleurs - les auteurs décrivent et analysent le fonctionnement du média planning ; ils ne s'attardent pas (pas assez à mon goût, du moins) sur les limites des notions mobilisées. Normal : pour la deuxième édition ?
Quelques remarques, en vrac, en marge de ma lecture à propos des limites.
- La notion de déclaration mériterait un développement. Tant de mesures, qu'il faudrait justement mesurer, reposent sur des déclarations.
- La mémorisation, aussi, tellement importante, la mémorabilité (A. Morgensztern). Où l'on retrouve la qualité de la création publicitaire ou promotionnelle et l'efficacité.
- La notion de contact qu'il faut distinguer de l'occasion (de voir, d'entendre). Ainsi, distinguera-t-on le contact avéré contrôlé par eye tracking ou détection des regards (facial recognition) et le contact probable, déduit des déclarations de passage dans l'environnement d'un support de publicité. Quant à la mesure d'audience de la télévision, elle ne connaît que des probabilités de contact puisqu'elle ne considère que les personnes présentes dans la même pièce que le téléviseur, que celles-ci regardent ou non l'écran (et dans la mesure où elles se déclarent présentes à l'aide d'une sorte de télécommande, déclaration assistée).
- Ne doit-on pas distinguer voir et regarder, entendre et écouter ? Ainsi pour une affiche dans la rue, un écran dans une vitrine, nous pouvons avoir l'occasion de voir (être passé dans la rue), nous pouvons avoir vu (ou entrevu) et, mieux, avoir regardé (voire lu). De même, quand la fréquentation de la radio est déclarée, il s'agit sans doute d'écoute (puisque l'on s'en souvient), mais, quand elle est détectée (portable people meter), il s'agit seulement d'avoir pu entendre. D'où l'importance d'une définition précise du contact, donnée élémentaire du média planning.
- De même qu'un excellent média planning ne peut rien contre un message inadéquat, fût-il mémorable, il ne peut rien faire de données confuses ("garbage in, garbage out"). Tester la création au préalable pour estimer ce que les proctériens ont appelé effective frequency (donc le GRP utile) ?
- Les enquêtes de référence citées par les auteurs pour illustrer leurs propos ont presque toutes changé et n'ont pas fini de changer suivant les équipements et les pratiques culturelles : peut-être faut-il réserver cet aspect à un support numérique complémentaire. Au livre de s'en tenir aux fondements, concepts et méthodes.
Les méga-médias, armés de moyens technologiques et financiers puissants, ont tout intérêt à accélérer l'obsolescence des techniques anciennes, non sans en avoir préalablement débauché les spécialistes. Alors, un ouvrage sur le média planning serait-il bientôt obsolète ? Non, le marché de la publicité et des médias, de plus en plus multi-national, qui compte des milliers de mesureurs, pourvoyeurs en analytics de tous genres (toute technologie média développant ses mesures : wearables, Internet of Things, computer vision, etc.). Pour s'y retrouver, il faut s'appuyer sur des principes fermes, universels, des idées claires. C'est ce qu'apporte l'ouvrage de Jean-François Canguilhem, Marie-Pierre Cueff.
Comme il semble impossible de résister à l'obsolescence actuellement observable dans ce domaine, le manuel universitaire est condamné, et avec lui ses auteurs, à des mises à jour régulières accessibles sur le web ou à l'aide d'une appli. Voyez les manuels de médecine : de nouvelles "recommandations" imposent aux étudiants (et aux médecins en exercice) de mettre à jour leur savoir avant chaque nouveau cas. Voyez le Vidal ! Médecine et marketing, même combat !
Conclusion : cet ouvrage va désormais faire référence en France : aux auteurs de travailler vite à une mise à jour prochaine, coordonnant le livre papier avec une présence sur internet : un étudiant (tout lecteur) veut aujourd'hui pouvoir consulter un tel outil, à jour, sur une appli dans son téléphone.