Harold James, The Roman Predicament. How the Rules of International Order Create the Politics of Empire, Princeton University Press, 176 p. , 2008, Index, $ 21,05
La réflexion sur les médias et l'économie numérique mobilise fréquemment les notions de globalisation et de mondialisation pour rendre compte de l'interconnection au niveau mondial et de la domination des grandes entreprises américaines. Déjà Marshall McLuhan avec l'idée d'un "global village" ("War and Peace in the Global Village", 1968) montrait un lien entre médias et mondialisation. Depuis la publication de cet ouvrage, le développement d'entreprises à portée et à ambition mondiales comme Apple, Google, Facebook, Microsoft, Netflix ou Amazon renforce le besoin de penser leur relation à "l'empire américain", à la globalisation et à la déglobalisation. Impérialisme combinant la force (menace), les règles (lois, traités) et consensus (aides, financements) : ces sociétés jouent sur les trois.
Bientôt, peut-être, se posera la même question pour un empire chinois avec des entreprises puissantes, en voie de mondialisation telles que Baidu, Alibaba, Tencent, etc.
Harold James analyse la constitution de l'empire américain, sa nécessité et ses limites (N.B. les Etats-Unis naissent de la protestation contre une multinationale, l'East India Company, 1773). Empire commercial, empire militaire : puissance et fragilité sont indissociables, c'est le "Roman predicament", une situation inconfortable, paradoxale. La prospérité des Etats-Unis comme empire, par exemple, repose sur la liberté du commerce et la paix ; celles-ci, pour être maintenues et respectées, demandent l'établissement d'un système de règles mondiales et la mise en œuvre de moyens de rétorsion et de forces militaires pour les faire respecter. De là sourd une contradiction essentielle qui menace sans cesse la paix dans l'empire.
Empires, impérialisme : que peut-on apprendre de l'histoire romaine, de la pax romana ? Pour commencer, l'auteur revient à l'analyse de Edward Gibbon qui écrivit une histoire "du déclin et de la chute de l'empire romain" (1776) et à celle d'Adam Smith ("La richesse des nations", 1776 aussi). Passant à l'histoire contemporaine, l'ouvrage fourmille d'exemples historiques (Grande-Bretagne, Etats-Unis, colonisations, commerce international, etc.), anciens et récents. Sans thèse bonne à tout expliquer, l'auteur mobilise les faits pour provoquer une réflexion.
Auguste, Catalogue de l'exposition, Réunion des Musées Nationaux, Paris, 2014, 320 p., Bibliogr.
Les notions d'empire et de politique culturelle étaient au cœur de l'exposition "Moi, Auguste, empereur de Rome..." Dans la catalogue, qui cite d'ailleurs Harold James (Andrea Giardina, "Auguste entre deux bimillénaires", Daniel Roger évoque "l'entreprise de communication" qui s'adresse aux cités hors de Rome, mobilisant statues et monuments, architecture et urbanisme mais aussi instructions officielles ("La prise du pouvoir, les arts, les armes et les mots"). Le monnayage aussi contribue à la diffusion de l'image d'Auguste et à sa mise en scène. La mission des Romains, écrivait Virgile, est de dominer le monde, "de bien régler la paix, d'épargner les soumis, de dompter les superbes" (Enéide) : expansion territoriale, colonisation certes mais en respectant l'essentiel des coutumes politiques et cultures locales (Harold James y verrait l'équivalent de l'actuel multiculturalisme). Assimilation, octroi du statut de citoyen, tandis que monuments et urbanisme indiquent des "lieux du consensus". Pour un exemple de la gestion romaine d'une province, se reporter au texte de Cécile Giroire sur "La province de Gaule narbonnaise créée par Auguste".
Ramsay MacMullen, Romanization in the Time of Augustus, Yale University Press, 2008, 240 p., Bibliogr., Index.
L'auteur, qui fut professeur d'histoire à Yale University, analyse les modalités de le romanisation qui se développe à l'époque d'Auguste : impérialisme culturel ou séduction du "Roman way of life", "push" ou "pull" ?
Examinant les formes prises par la romanisation en Gaule, en Espagne et en Afrique, il évoque la progression du bilinguisme puis l'uniformisation linguistique avec le latin, la généralisation de la nomenclature romaine, de l'art de vivre (vêtement : la toge, techniques du corps, nourriture : de la bière au vin), l'urbanisation avec forum et marché (macellum), aqueducs, bains, murs d'enceinte... Bientôt, les formes des statues sont standardisées (modèles de plâtre), créant une culture de masse.
L'esthétique romaine est diffusée et adoptée, devenant manière de voir le monde. Comme aujourd'hui le supermarché, les multiplexes, les parkings, les autoroutes forment la perception de la ville et son acceptabilité (cf. les travaux de Bruce Bégout).
L'ouvrage contribue à percevoir le rôle des médias dans la vie quotidienne, au service des pouvoirs en place. Longtemps avant la presse et l'affichage, avant la radio et la télévision, comment s'imposait le respect des vainqueurs, comment s'inculquait un consensus culturel et social pour dominer et maintenir la paix civile.
Non seulement la langue, mais aussi la mode, les monnaies, les monuments, les statues, l'architecture et tout l'urbanisme s'avèrent à Rome autant de médias du pouvoir central. Plus que passer ses messages, leur fonction est la légitimation. Les médias légitiment les règles de l'empire, les font acceptables.
Notons que dans ces trois ouvrages courent aussi des réflexions sur le luxe et la consommation ostentatoire liés à l'expansion coloniale des empires et à leurs entreprises commerciales (étoffes, mets, bijoux, etc.). Non invitation aux voyages !
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