L'objet du livre, c'est le Big Data et son utilisation pour prédire l'avenir, proche ou moins proche, et deviner nos intentions. The Naked Future a le mérite d'explorer et synthétiser de nombreux problèmes à venir, de les faire voir et d'inviter à y réfléchir. C'est un travail de vulgarisation et de sensibilisation, souvent émerveillé et optimiste. L'auteur, spécialiste de technologies numériques, est éditeur de The Futurist, magazine de politique étrangère (sécurité, etc.).
De plus, avec la Big Data, notre futur devient partie prenante, rétro-activement, de notre présent ("causalité du probable"). La Big Data, en prédisant notre futur, altère le présent, devenu du futur passé. C'est comme un destin annoncé, un horoscope qui se lit et se réalise au fur et à mesure du temps qui passe. Le futur mis à nu par la data, de plus en plus probable (raisonnement bayésien), est déshabillé de ses mystères, de ses doutes, de ses erreurs, de ses bifurquations, de ses espoirs ; d'habitude, "on ne sait jamais".
Comment l'avenir, prédit - ou dicté - par la Big Data, affecte-t-il le présent, notre liberté ? On ne sait pas ce que l'on dit (S. Freud), on ne sait pas ce que l'on sait de nous, les traces laissées et oubliées : ainsi s'institue un inconscient numérique refoulé : comment faire advenir un moi libéré à partir d'un "ça" structuré comme de la data ? Big Brother, armé désormais de Big Data, est-il devenu un horoscope totalitaire, où tout est dit, édicté par le passé, par la constellation des astres au moment de la naissance ?
D'où viennent toutes ces données ? Ces données, actes de toutes sortes, actes volontaires et actes manqués (Sigmund Freud), "tropismes" (Nathalie Sarraute), ce sont d'abord des données de la vie quotidienne, données insignifiantes a priori mais qui, traitées en masse, interconnectées, corrélées, peuvent intervenir dans la gestion de nos vies, les éclairer ou les assombrir. Transmutation des données. Les sources sont multiples et de plus en plus nombreuses. L'auteur évoque, entre autres, le quantified self produit par les capteurs divers notant et quantifiant la santé, les performances sportives (wearables), l'alimentation, les déplacements, les dépenses, les rencontres, les émotions, etc. Il évoque aussi comment peuvent être affectés, positivement, la démographie médicale, les réseaux sociaux, les prévisions météo, le succès d'un film ou d'une série télévisée, les cartes de fidélité, la publicité, l'éducation, la criminalité (on pense à "The Machine" qui signale les dangers à venir pour en protéger de futures victimes innocentes, cf. "Person of Interest", la série télévisée de CBS). Prédire les interactions, les rencontres, les sentiments : est-ce une si bonne idée, si peu romantique ? L'amour ne serait plus aveugle ? "Alors nous regetterons d'avoir médit des anciennes étoiles" (Louis Aragon, Le Progrès, 1931).
L'inventaire des craintes et des possibilités est impressionnant, les réussites semblent plus anecdotiques. Car combien de personnes sont membres régulièrement actifs d'un réseau, combien sont prêtes à partager leur performances sportives, leurs données médicales, leurs déplacements ? N'exagère-t-on pas l'ampleur de cette propension à publier ? Nombre de personnes s'inquiètent du totalitarisme numérique, pire des mondes possibles, certaines résistent, se déconnectent, beaucoup réclament la séparation des data (dimension nouvelle de la séparation des pouvoirs)...
Exemples : dunnhumby et sociomantic (achetés par le distributeur Tesco) "prédisent" l'avenir avec la data |
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