Jean-Michel Rey, L'oubli dans les temps troublés, Editions de l'Olivier, 2010, 150 p.
L'ouvrage a pour objet l'oubli de l'histoire, oubli que des gouvernants tentent d'imposer sous prétexte de raccommoder des "communautés nationales" déchirées, mais, surtout, parce ces gouvernants sont mal à l'aise avec telle ou telle partie de l'histoire, généralement criminelle. Ainsi a-t-on voulu que les Français oublient : les massacres d'Albigeois (1208-1249), la révocation de l'Edit de Nantes (1685), la Révolution de 1789 (cf. la Charte constitutionnelle de Louis XVIII, article 11), la Commune de Paris (1871), l'Affaire Dreyfus (1894), et, plus récemment, la collaboration de nombreux français avec les nazis, la colonisation, etc. Effacer, amnistier, refouler. Décréter l'amnésie... Par construction, l'oubli serait-il toujours favorable aux assassins et aux criminels, ainsi que Robespierre déjà le notait : "La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m'est supecte" (1792).
De quel droit des gouvernants intiment-ils l'oubli, prient-ils les victimes de se taire, rectifient-ils l'histoire ? Leurs arguments sont constants : il faut arrêter de resssasser le passé, ne voir que l'avenir, rétablir la concorde, pardonner au nom de l'unité nationale... "L'incident est clos, je vous demande [...] d'oublier ce passé pour ne songer qu'à l'avenir", ordonne aux troupes le ministre des armées, après la grâce du capitaine Dreyfus. Autre exemple, plus récent, qui touche les médias : pendant dix ans, la télévision française d'Etat bloquera le passage à l'antenne du film documentaire "Le Chagrin et la pitié" au prétexte qu'il rouvrait des plaies et divisait la France ! Achevé en 1969, le film ne sera diffusé par la télévision qu'en 1981. A la même époque, novembre 1971, le milicien, l'assassin Paul Touvier, bénéficiait de la grâce grâce présidentielle, en vertu des mêmes arguments. Cf. document : à 1h 05mn 39s de la conférence du Président.
Le livre de Jaen-Miche Rey analyse, déplie méticuleusement les raisonnements mis en oeuvre pour justifier l'oubli de l'histoire. Exercice concluant : il faut oublier l'oubli et réclamer la justice, toute la justice qui seule, sans doute, peut frayer un chemin, sinon à l'oubli, au moins à la paix.
Alors que, à propos du Web et des bases de données, on débat dans les assemblées parlementaires du "droit à l'oubli numérique", la réflexion de Jean-Michel Rey les politiques d'oubli est de première utilité. Le droit à l'oubli importe moins que le devoir de mémoire, moins que la justice.
N.B. Sur un sujet proche, signalons le livre de Hubertus Knabe, Die Täter sind unter uns. Über das Schönreden der SED-Diktatur, 2008, List Taschenbuch, 384 p. Bibliogr., Index.
L'auteur traite de la situation des anciens complices du régime criminel de la RDA (DDR, Allemagne de l'Est, dite "démocratique") dans l'Allemagne réunifiée, membres de la Stasi, etc. Comment la "réécriture du passé" ("Umschreibung der Vergangenheit") par les anciens criminels peut-elle être acceptée, tolérée ? Que faire de ce passé, de la seconde dictature criminelle de l'Allemagne ? Que faire de la mémoire de ce passé récent ? Les bourreaux (les coupables / die Täter) sont encore "parmi nous", triomphants, souligne l'auteur ; ils ont leurs associations et contribuent à redorer un passé ("Ostalgie") qui fut criminel ? Or les générations allemandes (et européennes) d'après le Mur ignorent ce que fut la DDR, une dictature criminelle : devoir de mémoire, d'explication rigoureuse et surtout de justice car l'oubli est, comme toujours, favorable aux criminels.
N.B. Notons encore le débat à propos de la culpabilité de la SNCF dans la déportation : faut-il oublier, "réparer"... cf. "The Holocaust's legacy..." et la discussion qui suit l'article.
Je suis bien d’accord avec Jaen-Miche Rey: il faut oublier l'oubli!
RépondreSupprimerBien sûr il faut pouvoir pardonner les fautes du passé et il faut avancer. Mais ne voir que l'avenir, c’est un peu trop facile et je le considère comme fortement ignorant! Comment avancer si on ne connaît pas le passé?! L’histoire a connu de graves moments mais ce sont bien sur ces moments qui doivent être pris en conscience par l’humanité et qui permettent ainsi à tirer des leçons des fautes commises!!