La revue mensuelle Positif consacre, dans son numéro de mai 2011, un dossier au cinéma numérique, à la fin de la pellicule photochimique ; dossier coordonné par Jean-Pierre Berthomé. Six éléments constituent ce dossier concis (26 p.), précis et synthétique, faisant le tour de la "révolution numérique" : les décors, l'étalonnage, le montage, le son, la dématérialisation des copies et la restauration numérique des films anciens (cf. sommaire exact du dossier).
Mai 2011, N° 603, 7,8 € |
Tout d'abord, l'opposition analogique / numérique, commode, se révèle confuse et, sur certains points, erronée (cf. la "fausse homogénéité des techniques pré-numériques") ; elle apparaît surtout comme une reconstruction avantageuse pour reléguer des techniques anciennes que supplantent "des" technologies numériques, pour le meilleur et pour le pire. Michel Chion dans son article sur les "sons numériques" stigmatise la notion de "numérique" et montre qu'elle mêle, selon lui, des aspects hétérogènes : la miniaturisation des appareils, le montage virtuel et le rapport signal/bruit. L'auteur développe à cette occasion une critique féconde du technicisme.
Avec le montage virtuel, qui commence avec "Coup de coeur" (1981) puis "Cotton Club" de Francis Ford Coppola, on assiste au développement d'innombrables versions (relevant davantage des marketing cuts que director's cuts). Le numérique confère au cinéma la pluralité des variantes, la trace des brouillons, alors que la littérature les voit disparaître.
L'équipement des salles, commencé en 2005 à l'occasion de "Star Wars 3", s'achèvera fin 2012. Toutes les salles seront alors équipées pour le numérique ; afin de donner une chance à toutes les salles (coût : 80 000 € par salle), le CNC a mis en place une aide sélective pour l'équipement des salles (loi du 30 septembre 2010). La disparition prévisible des copies et des laboratoires qui s'en suivra risque d'entraîner la disparition des projections de films anciens, et, par voie de conséquence, de certaines formes de cinéphilie.
Alors intervient la réflexion sur la restauration (recadrage, colorisation) des films. Cette restauration pose les questions de la cohérence d'une oeuvre avec une époque et sa technologie, et de son intégrité même. Là où l'on met en avant la capacité de diffuser des films anciens sur les réseaux numériques (TV), François Ede souligne un danger potentiel pour la préservation des oeuvres. Le musée numérique du cinéma dit analogique est encore à imaginer. Notons que le dossier semble ne pas considérer la difficile compatibilité du cinéma numérisé avec une quelconque "chronologie des médias".
Contrairement à l'enthousiasme, béat et intéressé, qui préside d'habitude à la célébration courante et convenue de la révolution numérique, célébration aveugle qui accompagne, pour les justifier toujours les investissements de modernisation, ce dossier dégage les enjeux de tous ordres liés au "tout numérique" dans le cinéma. Important rappel : les avantages indiscutables et spectaculaires des techniques numériques ne vont pas sans contre-parties. Comment limiter au mieux, si cela est possible, certaines des retombées négatives de cette révolution conduite par les intérêts économiques sans souci, souvent, des aspects artistiques.
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