lundi 2 décembre 2024

Nietzsche philologue

 Friedrich Nietzsche, Traité appelé La joute d'Homère et Hésiode, Certamen quod dicitur Homeri et Hesiodi, E codice florentino, Les Belles Lettres, 2024, Bibliogr, Index des noms, Table des illustrations, 351 p.

Voici un texte peu connu des non spécialistes : il s'agit de l'édition et de la traduction en allemand par Nietzsche d'un traité sur la joute des deux grands aèdes, poètes épiques de l'antiquité grecque, Homère et Hésiode. L'ouvrage présente le texte grec et sa traduction en allemand, traduite en français par Anne Merker, Professeur des universités à Strasbourg. C'est le cinquième volume des écrits philologiques de Nietzsche publié par Les Belles Lettres.

ἀγών / agṓn est le terme grec qui est employé pour désigner la joute oratoire des deux poètes. On doit à Nietzsche d'avoir découvert l'auteur de ce traité, Alcidamas d'Elaea, un contemporain de Platon. Nietzsche a mis en oeuvre tout son métier de philologue pour identifier l'auteur du Certamen ; cette identification sera confirmée par les découvertes ultérieures de deux papyri. Nietzsche était alors au début de sa carrière d'enseignant et de chercheur, il était l'auteur de La Naissance de la tragédie, publiée en janvier 1872. La production du Certamen couvre les années1867-1873.

L'ouvrage donne toutes les dimensions du travail de Nietzsche. On y trouvera : les recensions de Nietzsche pour le Literarisches Centralblatt, le texte de La guerre des aèdes en Eubée, conférence de Nietzsche donnée en juillet 1867, Le traité florentin sur Homère et Hésiode, leur lignée et leur jouteparu en1870 dans le Rheinisches Museum für Philologie, et finalement le texte du Certamen quod dicitur Homeri et Hesiodi. Les textes sont traduits et richement annotés par Anne Merker. L'ensemble constitue une contribution remarquable à la connaissance deNietzsche.

lundi 11 novembre 2024

Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne

 Philippe Desan, Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire, Paris, Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €

Ce n'est ni de la littérature ni de la philosophe, c'est un roman policier. Le sous-titre renvoie à, ou au moins évoque - c'est une idée de l'éditeur -, un célèbre roman politique de Balzac publié en 1841. Roman historique qui évoquait l'époque de Napoléon 1er.

Le roman du français Philippe Desan, Professeur de littérature française à l'Université de Chicago - mais il est aussi un ancien champion cycliste, un grimpeur qui rêve encore des grandes classiques belges (p. 376) ! - est d'abord un "polar historique" ; il s'agit d'une intrigue que l'auteur aurait "ruminée durant de longues années". Ce "divertissement érudit" donne pourtant à penser : et l'on ne voit plus, ni Montaigne ni La Boétie, comme avant, quand on referme ce livre. 

Cet ouvrage parcourt plusieurs siècles, partant du 16ème pour la première étape, le siècle de Montaigne, pour arriver au 21ème, le siècle où se déroule la soutenance d'une thèse consacrée, le  3 juin 2023, à Montaigne. C'est la dernière étape, l'arrivée au sprint à Paris, place de la Sorbonne.

C'est un bon roman ; il donne à voir un Montaigne que l'on ne connaît guère, un Montaigne qui songe à sa carrière, un Montaigne homosexuel, un Montaigne qui aime les femmes dont, raconte ce livre, Marguerite de Carle, l'épouse de son ami La Boétie. Mais qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui est faux ? Allez savoir... et cherchez sur Internet ! L'ouvrage donne à voir trois illustrations : le fauteuil de Montaigne, la reproduction d'un tableau qui a servi d'ex voto, et l'image d'une gourde de Montaigne, toutes pièces reprises par l'argumentation de la thésarde. Ce livre se lit de deux manières, en même temps, comme un policier, mais aussi comme un ouvrage d'histoire littéraire. Et le lecteur ou la lectrice hésite... Que la soutenance de thèse ne se passe pas très bien ne saurait étonner. Le jury sera-t-il à la hauteur de la thèse ?

samedi 2 novembre 2024

La vie d'un chat japonais

 Hiro Arikawa, Les mémoires d'un chat, Paris, BABEL, 327 p., roman traduit du japonais

Que pense un chat ? Allez savoir ! Les personnes vivant avec un chat sont certaines que les chats pensent mais elles n'ont pas de preuves. Mais en ont-elles besoin ? Moi je ne sais pas. Comme toujours, il y a un risque à penser que le chat pense : tout le laisse croire mais... Enfin, Baudelaire...

Hiro Arikawa, romancier japonais, dresse le portrait d'un chat, Nana. Chat errant, trouvé, et qui cohabite avec Satoru Miyawaki qui l'a rencontré suite à un accident de voiture. Alors commence l'Odyssée de Nana et de Satoru, dans un monospace. Cette Odyssée, ce sont les aventures de Satoru pour laisser Nana en pension (il s'agit de le faire adopter) et de Nana qui l'accompagne. Le roman se termine par les funérailles, et voilà. Je ne vous en dirai pas plus. C'est un bon roman. Et les héros sont japonais, ce qui les rend quelque peu étrangers à notre culture.

Ce chat qui pense et qui parle nous fait penser à des chats, ceux de ma grand-mère qui ne mangeaient que le poisson cuit, les nôtres, le petit que m'avait offert mon copain Porcher et qui est mort après quinze jours, les autres qui sont ceux de ma femme et qui nous manquent tous terriblement. Mais que pensent les chats ? Rien, peut-être... Mais, nous, nous pensons à eux, encore et toujours. 

lundi 28 octobre 2024

Maïakovski, poète et voyageur

 Vladimir Maïakovski, Du monde j'ai fait le tour. Poèmes et proses, Paris, Les Belles Lettres, 2024, 402 p., Textes présentés et traduits du russe par Claude Frioux, Repères (les noms de l'époque), Bibliogr.

"Je suis poète et par là intéressant". C'est lui qui l'affirme, alors croyons le sur parole, pour voir. Maïakovski voyage donc, et ce sont ses voyages que raconte et met en scène Claude Frioux, spécialiste éminent du poète : en effet c'est à lui que l'on doit l'édition bilingue en quatre tomes des Poèmes de Maïakovski, aux éditions Messidor (Paris, 1984). Les poèmes dans ce nouvel ouvrage sont d'ailleurs repris de l'édition de 1984. Sans doute donc le meilleur spécialiste français de l'oeuvre de Maïakovski, Claude Frioux fut pourtant prudent. Ainsi, à propos de Lili Brik qui apparaît toujours comme une passion majeure dans la vie du poète, il précisait : "celle du moins qui a le plus marqué nominalement son oeuvre" (p. 65).  Doute légitime, que corroborent de nombreux faits et témoignages : Lili serait à l'origine du refus à Maïakovski d'un visa, refus qui causera sans doute son suicide.

Puisque le livre est intitulé "du monde j'ai fait le tour", les voyages seront au coeur de cet ouvrage. "Voyager m'est indispensable. Le contact des choses vivantes remplace presque pour moi la lecture des livres" (p.13). Néanmoins, il n'a pas fait le tour du monde mais a connu l'Europe et les Etats-Unis, une partie de l'Amérique du Nord donc.

Les voyages seront par conséquent Paris et Berlin, Prague et Varsovie. Puis ce sera Cuba et le Mexique et surtout New York et les Etats-Unis. Là-bas, il rencontrera, une femme, russe, immigrée, Elizaveta Petrovna Zibert. Avec elle, il aura une fille, Hélène Patricia, née le 15 juin 1923. Fille du poète donc, qu'il ne verra qu'une seule fois, à Nice. Ce que pense Maïakovski des Etats-Unis est complexe. Il admire les prouesses techniques mais il souligne aussi le racisme et la vie difficile de la classe ouvrière. Maïakovski, futuriste, voulait "non pas l'exaltation de la technique mais sa domestication au nom des intérêts de l'humanité." 

Maïakovski ne parle aucune langue étrangère et il dépend donc de ceux et celles qui le prennent en charge. "Je n'ai vu l'Amérique que des fenêtres du wagon" (p. 229), dit-il : c'est le lot du touriste. Maïakovski a été un spectateur de l'Amérique, spectateur de Paris et de Berlin, spectateur de la Russie aussi, sans doute. Mais n'est-ce pas le métier du poète que de voir, de regarder, d'imaginer, de fabriquer des images : "le poète a le droit et la nécessité d'organiser et de transformer le matériau qu'il voit et non pas seulement de la polir" ? Ce sera aussi "Le pont de Brooklyn - / vraiment...  / C'est quelque chose",  et Maïakovski évoquera, admiratif, "le calcul rigoureux / des boulons, / du métal". "J'AIME NEW YORK à l'automne dans l'affairement des jours ouvrables" mais Maïakovski décrit la ville au travail. "JE HAIS NEW YORK LE DIMANCHE". Et puis ce seront aussi des images horribles des abattoirs de Chicago et des animaux abattus : "Une machine soulève avec un crochet les porcs vivants et hurlants" (p.233). A Detroit, Maïakovski visite en touriste les usines Ford et peut voir les ouvriers immigrés au travail : "Comment faire de la propagande en 54 langues"?, s'interroge-t-il. "La langue de l'Amérique, c'est la langue imaginaire de la Tour de Babel, avec cette différence que là on mêlait les langues de telle façon que personne ne comprenne, ici on mélange pour que tous comprennent. Le résultat est que de l'anglais on fait une langue que tout le monde comprend sauf les anglais..."  (p.231)

Ce livre est utile pour mieux connaître Maïakovski, mais il est surtout bien fait pour que les lecteurs et lectrices l'aiment. C'est un très bon livre.

dimanche 29 septembre 2024

Kafka, selon les dix premières traductions. Excellent !

Maïa Hruska, Dix versions de Kafka, Paris, 2024, Grasset, 239 p. bibliogr.

Ce sont dix lectures de Kafka, lectures de toutes sortes mais lectures de traducteurs et traductrices auxquelles nous confronte ce livre passionnant. Et quelles traductions ! Ce sont les premières d'abord : ce sont donc aussi des traductions de découvreurs. Ces traductions, celles auxquelles on est rarement confronté puisque l'on ne lit un auteur, généralement, que dans une seule langue, la nôtre et parfois la sienne, en l'occurence l'allemand pour Kafka. Aussi, à part celle en français, ne connaît-on que rarement les autres traductions.

Mais volà, Maïa Hruska nous met en relation avec une dizaine de traductions de Kafka : en italien (Primo Levi), en espagnol (Jorge Luis Borges), en yiddish (Melech Ravitch), en roumain (Paul Celan), en anglais (Eugene Jolas), en français (Alexandre Vialatte), en polonais (Bruno Schulz et Josephina Szelinska), en hébreu (Yitzhak Schenhar), en tchèque (Milena Jesenská). Dans chacun des cas, l'auteur raconte à propos du traducteur ou de la traductrice, des anecdotes, des petites histoires et des grandes, toujours liées à ses traductions et souvent biographiques. Cette diversité est généralement dramatique, car ces histoires se terminent souvent fort mal ; mais cette diversité donne au livre sa vigueur et, d'une certaine manière aussi, son unité et son discret humour. L'ensemble constitue un livre très agréable. Pourtant c'est un livre de juriste, comme l'était d'ailleurs Kafka. Le thème de ces dix versions est remarquablement bien exploité, on perçoit petit à petit le pokoï où se réfugie Kafka, sa chambre où il peut écrire en paix, et Kafka en devient encore plus séduisant. Le livre est érudit, bien conçu. Il donne aussi envie de lire, ou relire Kafka. Et c'est bien.  

Pour en savoir plus, et mieux, on pourra écouter l'interview de Maïa Hruska par Sylvain Attal sur RCJ  "Maïa Hruska, l'invitée de Patronymes"

dimanche 18 août 2024

Lire l'illisible Luis de Góngora : un plaisir !

 Luis de Góngora, Fable de Polyphème et Galatée, édition bilingue, présentation et traduction de Jacques Ancet, version en prose de Dámaso Alonso, chronologie, bibliographie, 213 p.

Voilà un très beau poème, très couramment ignoré de la plupart des francophones, fussent-ils cultivés. C'est l'un des sommets de la poésie du "Siècle d'or" espagnol. Illisible, a-ton-dit, et, dans sa présentation, Jacques Ancet évoquera, à propos de Góngora, Mallarmé et Valéry. 

La  Fable de Polyphème et Galatée est un poème daté de 1612, donc deux siècles après Pétrarque mais peu de temps après Torquato Tasso. En France, Góngora est contemporain d'Agrippa d'Aubigné, en Grande-Bretagne de John Donne. 

Le thème du poème est célèbre, développé longuement par Ovide dans les Métamorphoses. L'intrigue est simple : Acis, habile chasseur, découvre la belle Galatée endormie ; la nymphe surprend le jeune homme qui, séduit, bientôt l'embrasse. Mais le cyclope Polyphème, géant jaloux, les surprend et écrase Acis d'un rocher.

Jacques Ancet présente une traduction habile, fidèle ; le livre y ajoute une version en prose (d'après Dámaso Alonso) et des notes fort utilles, strophe par strophe. L'ensemble des trois versions est remarquable, bien organisé, précis et complet. Tous les moyens sont donnés au lecteur pour une lecture astucieuse et claire, qu'il soit spécialiste ou amateur. Travail exemplaire.

dimanche 2 juin 2024

Lucrèce, relu. Autrement, et tellement mieux

Pierre Vesperini, Lucrèce. Archéologie d'un classique européen, Paris,  Fayard, 414p., Bibliogr, Index, 24€

Voici un grand livre sur un philosophe classique, écrit par un Professeur que l'on ne saurait concevoir plus classique (et normalien) mais aussi formidablement moderne. Tout d'abord, l'ouvrage multiplie les exemples, les références grecques et latines (dans la langue d'origine, surtout en notes).
Surtout, le livre est bien organisé, pédagogiquement. Tout d'abord, la Grèce vue de Rome : l'otium graecum pour Rome qui se perçoit comme "ciuitas erudita", ville savante (selon Ciceron). Puis viennent plusieurs chapitres dont l'un est consacrés au commanditaire du De Natura Rerum, Memmius, dont Lucrèce, poeta, est un "client".

"Lucrèce est périégète" (guide, qui décrit, raconte son voyage), déclare Pierre Vesperini qui souligne que l'ordre des thèmes abordés obéit à une logique selon laquelle chaque chose (res) évoquée fonctionne comme un prétexte (du grec πρόφασις prophasis, en latin, locus) qui provoque d'autres discours, qui, à leur tour, provoquent d'autres discours, et ainsi de suite (p.153). L'illustration, qui vaut démonstration, suit. Ce tissage des choses, leurs connections suivent des listes, des sous-listes non systématiques (on est dans le règne de "apesanteur taxinomique" !, p.170). L'auteur aussi parle du vertige qui peut saisir le lecteur, ou l'auditeur, à suivre "le dédale infini des bibliothèques mentales" que peut faire défiler cette pratique. Tout s'éclaire, et l'on comprend dès lors l'organisation du discours de Lucrèce...

"Lucrèce, quand il écrit, écrit pour l'oreille" (p.102) ; de plus, la lecture à Rome concernait seulement les passages les plus connus qui étaient d'ailleurs aussi, souvent, des passages enseignés par les "grammatici". "On lisait par extraits", affirme Pierre Vesperini (p.178), cette "lecture découpée" renvoyant à la pratique des " conversations lettrées". Et la conclusion s'impose : "Le De natura rerum n'était donc ni désordonné ni incohérent ; ses principes d'ordre et de cohérence n'étaient simplement pas les nôtres" (p. 181).
 Pour teriner, les chapitres X à XVI du livre sont consacrés à la postérité de l'oeuvre de Lucrèce jusqu'aux Lumières, puis bien au-delà, avec Henri Bergson (qui produit un petit manuel de lecture de Lucrèce) et même Bertolt Brecht qui l'a emporté en exil.
Chemin faisant, Pierre Vesperini émet des hypothèses qui débordent largement son objet d'études. Ainsi de l'hypothèse de l'opposition entre culture populaire et culture savante, opposition qui serait née des sociétés bourgeoises. Voilà qui demanderait (dans un autre ouvrage ?) d'amples démonstrations.

Au total, l'ensemble compte 291 pages de texte sur 412 pages. Donc, 30 % de l'ouvrage sont consacrés aux annexes : les notes, la bibliographie, l'index (des noms seulement, mais, et c'est dommage, pas des notions et concepts). La bibliographie ensuite, pertinente mais qui, parfois, mélange un peu tout. Cela dit, les notes sont toujours très riches, suggestives et bienvenues : elles constituent un outil de travail et d'approfondissement important.

L'ouvrage est de remarquable qualité, même si la conclusion est un peu rapide, allusive. Il s'agit d'une "archéologie" (cf. le titre de l'ouvrage) : elle retrace le voyage de l'oeuvre de sa naissance aux siècles récents. La première lecture fait défricher le sujet ; une seconde lecture permet d'en approfondir les conclusions. Reste que l'on voudrait en savoir plus sur la méthode et comprendre les intentions de l'auteur. Alors, il faut lire d'autres ouvrages de lui : j'ai attaqué par La philosophie antique, dont le traiterai prochainement.


mardi 30 avril 2024

Walter Benjamin, sa vie

Jean Lacoste, Walter Benjamin. Enfance, passages, exil, Paris, Editions Bartillat, 2023, 290 p. Chronologie, Index

Ce sont quelques étapes, mais parmi les plus importantes et les plus révélatrices de la vie de Walter Benjamin explorées par un germaniste à partir de quelques uns de ses textes : celui sur son enfance à Berlin (Berliner Kindheit um Neunzehnhundert), sur Charles Baudelaire, sur les passages des rues de Paris (Das Passagen-Werk, en français, Paris, capitale du XIXe siècle), sur le Goethe de la Théorie des couleurs, de Poésie et vérité (Dichtung und Wahrheit) et de Wilhelm Meister, et, enfin, des articles concernant la période de l'exil de Walter Benjamin et sur sa relation à Ernest Bloch. 

L'ouvrage se termine par une chronologie de la vie de Walter Benjamin, de sa naissance à Berlin (le 15 juillet 1892) jusqu'à sa mort, par suicide, le 26 septembre1943 dans une chambre d'hôtel à la frontière franco-espagnole (Port-Bou). 

Voici donc bout à bout quelques travaux de Jean Lacoste, normalien, traducteur de Goethe, de Nietzsche et de Walter Benjamin. L'ensemble est en apparence disparate mais une unité apparaît bientôt dans l'oeuvre de Walter Benjamin, re-construite par les approches de Jean Lacoste qui sait habilement mêler les itinéraires de Walter Benjamin, les emmêler puis les démêler, ramener sans cesse à l'enfance berlinoise puis à certaines oeuvres de Goethe, puis aux "Passages" parisiens. Le travail qui montre ainsi l'unité de l'oeuvre est convaincant et la lecture est passionnante. Le livre de Jean Lacoste démontre méticuleusement les méthodes et les outils de Walter Benjamin.

vendredi 12 avril 2024

La Révolution française : ce qu'apporte la notion de régénération

 Lucien Jaume, Le religieux et le  politique dans la révolution française. L'idée de régénération, PUF, 2015, Index des noms, 163 p., 26 €

Qui s'intéresse encore, aujourd'hui, en 2024 à la Révolution française, à cette période qui va de 1789 à Napoléon Bonaparte (inclus ?), soit un quart de siècle ? On peut penser qu'il n'y a plus que quelques "damnés de la thèse" à défricher un bout de ce terrain ; pourtant, des travaux retournent encore telle ou telle question pour rendre compte d'une idée, d'un concept révolutionnaire. Ainsi Lucien Jaume avec "l'idée de régénération".

L'histoire de la révolution française est complexe, indiscutablement : alors, par où la prendre ?  L'aborder par ses politiques religieuses peut constituer, semble-t-il, une approche intéressante et féconde. Que peut nous apporter dans ce cas la notion de régénération ? Elle peut remettre en questions la tradition, les héritages divers, "même le calendrier, même le langage (la langue française) ne doivent plus être des héritages et des usages antérieurs au sujet-citoyen qui parle, pense et juge toute chose" (pp. 3-4). Ce que l'auteur, normalien et philosophe (CNRS, CEVIPOF), évoque en citant Gaston Bachelard : "Rien n'est donné, tout est construit". 

La régénération est une idée que l'auteur a choisi d'interroger pour mieux comprendre la Révolution ; pour cela il oppose "deux modèles de l'idéologie de la régénération", l'un qui penche vers le constitutionnalisme (Le Chapelier en 1791) l'autre vers la Terreur (Billaud-Varenne en 1792-1793). Et la comparaison des deux visions de la régénération constitue l'essentiel de l'ouvrage. Comparaison fort savante et menée avec talent par l'auteur qui multiplie les références et les utilisations de cette notion, malgré tout, fort ambigüe. Au coeur du débat, bien sûr, Robespierre.

Contre le projet éducatif de Le Pelletier (1793) qui privilégiait les vertus révolutionnaires, plus importantes que le savoir et comptait sur "les fêtes décadaires, les fêtes nationales et locales, les banquets civiques et les théâtres" en fait, sur l'enthousiasme : ce que critique Condorcet qui revendique plutôt un enseignement pour lequel "il n'y a pas de vérités toutes faites, seulement des vérités vérifiées et corrigées dans les progrès de la connaissance". Ce débat est fondamental et on ne cessera de le retrouvera dans les périodes révolutionnaires ainsi, par exemple, lors de la Révolution culturelle chinoise.

Batailles de mots ? Sans doute car les révolutionnaires parlaient beaucoup mais bataille fondamentale dont l'enjeu sera décisif pour la suite. Mirabeau, Babeuf, Boissy d'Anglas, Robespierre, Champion de Circé, Sylvain Maréchal ... Combien de définitions du droit naturel sont mobilisées, jusqu'à quel point la morale a-t-elle "envahi le droit et la politique" ? Le livre de Lucien Jaume se termine avec la référence à Ferdinand Buisson, républicain de l'époque de Jules Ferry : il faut, dit-il, que la religion et la politique se séparent. 


samedi 6 avril 2024

Baudelaire, observateur et poète parisien

Jean-Michel Maulpoix, Charles Baudelaire, l'homme des foules, 2024, Pocket Agora, 330 p., 9,7 €

Charles Baudelaire, encore ? Oui, et c'est bien, car Jean-Michel Maulpoix a réalisé un travail intéressant en escortant Baudelaire dans Paris. Chemin faisant, il nous fait lire ou relire les oeuvres de Charles Baudelaire avec un point de vue quelque peu nouveau. Le titre d'abord : "l'homme des foules" qui reprend le titre d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe, 'The Man of the Crowd", publiée en 1840, la première des Mysteries, et qui fut traduite en français par Charles Baudelaire. Ce titre donne toute la tonalité de l'approche de Jean-Michel Maulpoix, qui va nous faire suivre Baudelaire dans les différents moments de sa vie, dans la très grande ville en reconstruction qu'est le Paris de la seconde moitié du XIXème siècle. Baudelaire est comme l'homme des foules, il "nage avec délices dans l'océan humain" (Etudes sur Poe).

Baudelaire aimait Paris "le paysage des grandes villes, c'est à dire la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d'une puissante agglomération d'hommes et de monuments, le charme profond et compliqué d'une capitale âgée et vieillie dans les gloires et les tribulations de la vie" (Salon de 1859). Dans ce Paris, Baudelaire sait l'art de "prendre un bain de multitude", il "entre dans la foule comme dans un immense réservoir d'électricité" (Le peintre de la vie moderne). C'est ce mouvement perpétuel du poète dans la vie de la ville que décrit Jean-Michel Maulpoix. Ses héros sont le "chiffonnier au travail", "le vieux saltimbanque", "l'étranger", les "pauvres", "les lesbiennes", " le mauvais vitrier", "les petites vieilles"... tous ceux et celles qui peuplent le Paris où il déambule, observateur et passant.

Baudelaire est "un poète de l'intelligence" : Jean-Michel Maulpoix conclut que ce poète "nous éclaire sur nous-mêmes autant qu'il nous contraint à voir". Jean-Michel Maulpoix aime Baudelaire, homme des foules, homme des mondes modernes. "Non ! peu d'hommes sont doués de la faculté de voir ; il y en a moins encore qui possèdent la puissance d'exprimer", dit Baudelaire dans "Le Peintre de la vie moderne". Fidèle à Baudelaire, l'auteur de ce livre sait lire et il a la puissance d'exprimer ce qu'il voit, que l'on peut résumer en un mot : la modernité. Cela donne un grand livre sur Baudelaire, à lire puis à relire tout en feuilletant Baudelaire, décidément moderne.


dimanche 24 mars 2024

Louise Labé : ange ou prostituée ? Poète, en tout cas

Elise Rajchenbach, Louise Labé. La rime féminine, Callype Editions, 112 p.

Voici un livre sur un poète mal connu, autrice du 16ème siècle ("poétesse", "autrice" dit Elise Rajchenbach ; quels affreux mots, mais bon, il faut s'y faire !). 24 sonnets d'amour de "la Belle cordière", auteur "lionnoize" (lyonnaise) née aux débuts des années 1520, 24 sonnets auxquels s'ajoutent 24 poèmes d'homme. Femme d'artisan, elle n'est pas, comme Marguerite de Navarre, soeur du roi. Elle est née à l'époque de François 1er ; Guillaume Budé est alors aux commandes de la culture. Lyon, ville centrale en Europe occidentale, carrefour culturel, est une ville de culture italienne, et Louise Labé composera aussi en italien : elle pourra lire Pétrarque et Dante, entre autres. Elle est musicienne également, pratique le luth :

"Luth, compagnon de ma calamité 
De mes soupirs témoin irréprochable, 
De mes ennuis contrôleur véritable, 
Tu as souvent avec moi lamenté." Sonnet XII. 

(voir "Traduire Louise, Sur le sonnet XII des Euvres de Louïze Labé Lionnoize", 1555) https://journals.openedition.org/rief/3836

Louise Labé apparaît d'abord comme une humaniste, disciple de la grecque Sapho, d'Erasme aussi, entre autres. Ensuite, son livre publié, on la retrouve femme d'affaires dans le milieu financier italien de la région, habile investisseuse d'ailleurs. A-t-elle eu des enfants ? On n'en sait rien. Elle meurt en 1566 laissant une fortune raisonnable à ses héritiers.
Notre fille de cordier avait épousé, classique endogamie, un cordier. Elle fera publier ses poèmes en 1555 chez un imprimeur lyonnais connu ; dans la préface, elle invite les femmes à "élever un peu leurs esprits par dessus leurs quenouilles et fuseaux". Ensuite, se construit autour d'elle une réputation, mais ce n'est que réputation, ou peut-être diffamation : Calvin entre autres est cité, témoin pour le moins discutable. Mais que savait-il des femmes, notre antisémite assassin ? Louise Labé demandera un privilège royal pour publier son ouvrage ; elle le finance elle-même. Pourtant, cette grande dame de la Renaissance française ne fera que deux lignes et demie dans le manuel de littérature français du XXème siècle (Lagarde et Michard, p. 31 du volume consacré au XVIème siècle) quand Ronsard avait droit, lui , à 47 pages. Triste inégalité !

"Il convient d'avouer notre ignorance", reconnaît Elise Rajchenbach, normalienne et spécialiste de la culture littéraire de cette époque, en conclusion de son enquête sur Louise Labé. Son livre qui ne dévoile pas "l'énigme" est honnête, clair, et prudent. Dommage qu'il ne constitue pas l'introduction à l'oeuvre de Louise Labé, qu'elle donne tellement envie de lire. Mais, enfin, on peut encore attendre !

dimanche 25 février 2024

L'infographie, pour mieux comprendre l'empire de Napoléon 1er

Vincent Haegele, Frédéric Bey, Nicola Guillerat, Infographie de l'empire napoléonien, Paris, Passés / Composés, 158 p., 29 €

Pour mieux comprendre l'histoire du premier empire, et, surtout peut-être comprendre que l'on est loin de tout savoir, ce livre est essentiel. Il se compose de quatre parties : tout d'abord, "le pouvoir, l'Empire et les institutions", ensuite "la Grande Armée et la Marine impériale, puis "la guerre et les coalitions" et enfin "la chute".Son principe est le recours à une présentation infographique des données essentielles de l'Empire : les personnages, les armements, les batailles, les navires, les communications, les nourritures, tout est passé en revue et mis en forme simplifiée, schématique pour bien faire voir. Hélàs, il faut du temps au lecteur pour comprendre la légende des. schémas, mais sur de nombreux aspects, ce type de présentation donne à voir les particularités d'une époque.

Les chapitres techniques décrivent l'armement des troupes. Ainsi l'artillerie hérite d'une réforme lancée par Louis XVI et mise en oeuvre par Gribeauval (1765) : obusiers, mortiers et canons sont décrits précisément avec la portée des boulets et des boîtes à mitraille. Ensuite, l'ouvrage décrit les effets des tirs d'artillerie qui provoquent des blessures graves, directement ou par rebond

Le corps du génie est expliqué ainsi que son évolution ; il s'illustrera lorsque l'armée napoléonienne franchira les eaux glacées de la Bérézina durant la retraite de Russie. La Garde impériale, qui sera massacrée à Waterloo, était composée de troupes aguerries : les schémas la décrivent ainsi que son évolution durant l'Empire. Un chapitre est consacré au service de santé, qui soigne également les ennemis blessés ; ce service se compose de 5 000 médecins, pharmaciens et chirurgiens. C'est dans ce chapitre, uniquement, qu'il est fait allusion aux femmes de la Grande Armée  (p. 90) : les vivandières qui s'occupent de la nourriture et les blanchisseuses, mais on n'apprend presque rien d'elles et c'est dommage ! La marine impériale est décrite en détail, elle est inférieure en compétence et en moyens à la flotte britannique.

Un chapitre traite des chevaux ; dans ce domaine aussi, Napoléon est l'héritier de l'ancien régime avec les écoles de Lyon et d'Alfort. La campagne de Russie sera sur ce plan catastrophique : 157 000 chevaux franchissent le Niemen à l'aller mais seulement 5 000 au retour, il n'y a donc pas de transport des pièces d'artillerie, qui restent en Russie, dans la neige.  L'Espagne et la Russie seront les tombeaux de la Grande armée. Au total, on convient d'un calcul de 700 000 morts pour les 15 années napoléoniennes. L'ouvrage s'achève par le congrès de Vienne qui défait les gains de la Révolution et de l'Empire. 

Au total, voici un ouvrage intéressant qui traite de l'Empire avec une infographie de qualité. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit très facile à lire. Les lecteurs que passionne cette période apprendront beaucoup. J'ai retenu, par exemple, la part de l'héritage de la monarchie dans l'armement, le désastre militaire que représente les chevaux morts pendant la guerre de Russie, la lenteur des communications ; le télégraphe optique de Chappe, 1791, est encore limité dans ses utilisations : il faudra huit jours pour que soit connue à Paris la victoire de Napoléon à Austerlitz. Ce livre constitue assurément un outil original pour comprendre l'Empire et pour le rendre plus simple en défaisant les mythes. Napoléon ne fut pas l'esprit du monde à cheval comme l'avait vu Hegel à Iena ("diese Weltseele"), il fut moins que cela pour l'histoire de l'Europe et bien plus pour ses contemporains. Et les élèves de toutes les classes scolaires apprendront de nombreux aspects mal connus de l'Empire au moyen de ces schémas. Car la technique de présentation est souvent convaincante, mais le commentaire reste important pour que l'on perçoive bien ce qu'il faut voir, car il ne suffit pas de montrer. La démonstration est le produit des deux approches.

dimanche 21 janvier 2024

Naissance de la littérature latine


 Pierre Vesperini, Poètes et lettrés oubliés de la Rome ancienne, Paris, 2023, Les Belles Lettres, 149 p., Notes, Bibliogr

Le livre part d'un double constat, et commence par deux mystères : d'une part, la création de la grande Bibliothèque d'Alexandrie, d'autre part, la création à Rome, d'une littérature grecque, en latin. La grande Bibliothèque fut un rêve d'Alexandre. Ce dernier, qui fut l'élève d'Aristote, vénérait Homère. Ptolémée, qui hérita de l'Egypte à la mort d'Alexandre, fit donc construire une bibliothèque qui allait contenir 500 000 rouleaux de papyrus, son ambition, déclarée, étant de réunir "les livres de tous les peuples de la Terre" (y compris la Bible, la Septante, traduite de l'hébreu en grec). La bibliothèque est construite où l'imagina Alexandre, d'après des vers de l'Odyssée entendus en rêve. Alexandre, dit-on, était "fou de livres" (φιλαναγνώστηϛ, p. XXII), fou de savoirs divers, multiples, comme Aristote.

Rome, "civitas erudita" (Cicéron), fut, dit Pierre Vesperini, "passionnée par l'imaginaire grec" aussi, la littéeature latine est-elle, d'abord, une "littérature grecque en latin", donc "une littérature savante, destinée au commentaire". Les poètes romains de l'époque républicaine sont souvent pauvres, "esclaves ou fils d'esclaves" et vivent chichement. Métier bien précaire ! Le livre de Pierre Vesperini " est consacré à ces "poètes fantômes". L'auteur cite d'ailleurs Gustave Flaubert qui écrivait encore, quelques siècles plus tard : "Nous sommes des ouvriers de luxe ; or personne n'est assez riche pour nous payer. Quand on veut gagner de l'argent avec sa plume, il faut faire du journalisme, du feuilleton ou du théâtre" (1867). Le mal est durable donc auquel le droit d'auteur apportera le début d'une solution avec Beaumarchais...

Ce livre se compose donc deux parties, l'une brillante (pp. I-LXVI) qui raconte l'histoire de la littérature grecque puis latine (de l'époque républicaine, seulement), la seconde qui cite et explique des textes de ces poètes (pp. 1-149). Ces textes sont souvent de simples morceaux, fragments minuscules d'oeuvres perdues, "des éclats de vers". Leur présentation par Pierre Vesperini, normalien, CNRS, donne à chacun des extraits une étrange mais fort belle couleur. Le pluri-linguisme du livre, composé de beaucoup de latin et de grec (avec traductions) , les notes et la bibliographie réjouiront les amateurs, lectrices et lecteurs, quel que soit leur niveau de langues anciennes. L'ensemble est parfaitement conduit. Bravo !

mercredi 3 janvier 2024

1851 : coup d'Etat et naissance du capitalisme français

 Francis Démier, Le coup d'Etat du 2 décembre 1851, Perrin, 463 p. Bibliogr., Index, 32 pages de notes.

Le Professeur Francis Démier, historien, est un spécialiste de la France du XIXème siècle. Son histoire du coup d'Etat est un livre très bien écrit, extrêmement documenté et précis (la presse de province est incroyablement présente ; sont présents aussi, par exemple, de manière systématique, les fonctionnaires locaux, préfets et sous-préfets). Du bon travail d'universitaire, et aussi de l'élégance et du style : le livre se lit comme un très bon roman et l'on découvre, en refermant l'ouvrage, que l'on a beaucoup appris. Sur les événements politiques mais aussi sur les événements économiques. Ainsi "l'appareil d'Etat", mis en oeuvre par le coup d'Etat, servit parfaitement Napoléon III et le "coup d'Etat de 1860", qui n'est pas de même nature que celui de 1851, allait assurer une mutation économique du capitalisme français.

Beaucoup d'informations sur le personnage du neveu de l'empereur mort à Sainte-Hélène : le président de la République, en bon héritier, sait utiliser à son profit l'image de son oncle si célèbre. Mais Napoléon III sait aussi gouverner : préfets et sous-préfets épurés, conseils municipaux dissous, maires révoqués...

Le livre décrit minutieusement les dispositifs militaires ; le coup d'Etat a été préparé dans les moindres détails : "dans plusieurs mairies, les tambours ont été crevés. Impossible de sonner le tocsin, les clochers sont gardés et souvent on a coupé les cordes" (pp;147-148).

On trouve à l'oeuvre, dans le livre, des notions (des concepts ?) mal définies et peut-être peu adéquates telles celle  d'"appareil d'état" tellement confuse et qu'on ne peut sans doute définir que pour une période et un régime politiques. L'auteur semble mobiliser cette notion d'appareil d'Etat faute de mieux ; ainsi, p. 231, "les notables ... apparurent aux yeux de l'appareil d'Etat" (faut-il percevoir une allusion aux "appareils idéologiques d'Etat" ?). Ensuite, sont mentionnés le préfet puis le ministère de l'Intérieur.... Ailleurs, Francis Démier mentionne "les agents de l'Etat, préfets, procureurs généraux, officiers supérieurs"  (p.251) ou encore "la main de fer de l'appareil politique bonapartiste" (p. 270). De même est-on mal renseigné sur la bien trop vague "sociologie de la province insurgée "(p. 234), mais sans doute ne pouvait-on faire mieux : drame de l'historien condamné par les limites de ses données ! Plus loin, l'auteur conclut que "si la bourgeoisie a vaincu la révolution, c'est qu'elle s'est appuyée sur la force militaire et administrative sans faille de son appareil d'Etat" (p. 342). On regrette d'ailleurs de ne pas connaître les points de vue de l'historien sur son travail, ses difficultés, ses renoncements, son organisation, ses outils. Karl Marx est souvent cité, évoqué parfois mais rarement critiqué. Il en va de même pour le comte de Tocqueville. Enfin, nous faut-il trouver, comme Karl Marx, que Napoléon III est "médiocre et grotesque" ? C'est un peu vite dit !

Et l'on voit les héros de l'époque, Victor Hugo surtout qui, après avoir courtisé Louis Napoléon, dénonce le coup d'Etat, s'enfuit et s'établit dans les îles voisines, pour un exil de dix-neuf ans. Le coup d'Etat s'avère une réussite et une victoire imposante pour Louis-Napoléon qui se fait appeler empereur ; et c'est aussi une défaite complète pour les opposants. Le livre de Francis Démier éclaircit la situation sans toutefois se prononcer sur le bilan du second empire. Prudence scientifique qui appelle d'autres travaux, si possible, et qui souligne encore l'insatisfaisante réussite de la science historique.