Jérôme Fehrenbach, Jenny Marx. La tentation bourgeoise, Editeur : Passés composés / Humensis, 2021, 397 p., Bibliogr., Index des nom de lieux, Index des noms de personnes, 22,8 €
Son nom était noble et elle était, disait-on, très jolie : Julia Bertha Jenny von Westphalen, "Madame Karl Marx, née baronne von Westphalen", ouvrait à Marx un monde proche du pouvoir prussien. Mais cela n'intéressait pas Marx, qui, juif converti, était de toute façon exclu de ce genre d'avenir : il refusera définitivement toute proposition du gouvernement prussien. Et Jenny ne reniera jamais la noblesse de ses origines.
Jenny, explique l'auteur, était fille de son siècle et elle conseille à son jeune mari un usage plus décontracté de la langue allemande : "Libère l'outillage des rimes, desserre la cravate et le shako - laisse filer les participes, et place les mots comme ils l'entendent". Le 25 août 1841, c'est leur première nuit d'amour mais ils se marieront à l'église Saint-Sylvestre de Kreuznach, le 19 juin 1843. Mariage religieux, quand même.
La première partie du livre expose les conditions de vie des deux familles, leurs modes de socialisation. L'auteur fait des hypothèses sur les personnages, sur leurs relations que parfois rien ne justifie ; mais c'est son opinion. Ensuite, le livre décrit minutieusement l'activité, politique et personnelle, des deux personnages.
Karl Marx devint d'abord rédacteur en chef de la Rheinische Zeitung puis s'attaque à Paris aux Annales franco-allemandes, qui seront un échec. Marx, jeune père de famille, - sa première fille, Jenny est née le 1er mai 1844 - mène encore une vie d'étudiant un peu attardé. Lui et sa femme ont appris le français, très vite et très bien, et ils en sont fiers. En 1845, pourtant, le couple doit quitter Paris suite à un arrêt d'expulsion du gouvernement français ; ils vont s'établir en Belgique. Evénement clef : Marx fait alors la connaissance de Friedrich Engels, fils d'un industriel anglais ; il est riche. Le 24 février 1848 est publié le Manifeste et puis c'est leur embarquement pour l'Angleterre. Là, c'est la misère mais, malgré tout, Karl Marx s'attaque au Capital qu'il terminera en septembre 1867, presque vingt ans après, pour le premier livre du moins. En 1852, ce sera le Dix-huit brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. En 1857, une grossesse éprouvante s'achèvera par un enfant mort-né. Mais toutes ces années seront difficiles, surtout pour Jenny qui va perdre trois de ses jeunes enfants. Et l'on perçoit que l'auteur, malgré toute sa prudence, n'arrive pas tout à fait à rendre compte de la spécificité féminine dans le couple. En 1859, est publiée la Contribution à la critique de l'économie politique. Jenny ne s'en occupera pas. Elle se remet en 1860 d'une sévère variole...
En 1869, le père de Engels meurt ; il laisse à son fils, Friedrich, un bel héritage dont celui-ci accorde une part à Marx, qui, du coup, touchera désormais une rente importante. La vie des Marx change dès lors : en octobre 1865, un bal est donné chez les Marx, cigares, vins fins et décolletés ; le 2 juillet 1867, une soirée est co-financée par Engels pour les trois filles Marx...
Jenny Marx mourra le 2 décembre 1881. Elle servit Marx, elle mit au monde six enfants. Il ne serait pas ce qu'il est devenu sans elle et le livre ne le met pas assez en évidence. La documentation est riche et souvent précieuse. Certes, la biographie de Jérôme Fehrenbach est souvent de bonne qualité, elle approfondit des aspects mal connus de la vie de Marx et de sa femme mais l'auteur n'aime pas Marx, et cela transpire dans presque tout le livre.
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