lundi 23 octobre 2017

Retour vers le papier : les cathédrales, ces livres de pierre


Auguste Rodin, Les cathédrales de France (édition 1914, Librairie Armand Colin), 164 p., Paris, Hachette Livre / BNF, 24,8 €. Introduction par Charles Morice (qui fut le secrétaire de Rodin).

Voici une réimpression effectuée à la demande de Hachette Livre en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France (BnF). Il s'agit de l'ouvrage consacré par Auguste Rodin aux cathédrales en France. Le livre est dans le domaine public. Sa version numérique gratuite est disponible dans Gallica, la Bibliothèque numérique de la BNF depuis 1997, il a été mis en ligne en mai 2014, à l'adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65835520

Nous nous trouvons donc en présence d'un objet multiple, hybride, double : le document ancien, l'édition de 1914 par la Librairie Armand Colin, rééditée et consultable sur papier et sur écran, combinant et articulant les ergonomies propres à chacun des supports.
  • Au document numérique, l'accessibilité généralisée par le smartphone, la tablette et l'ordinateur, la capacité de chercher dans le document, de zoomer, de marquer la page, d'acheter des reproductions, de sélectionner un mode d'affichage, de télécharger le document (PDF), de le partager, etc. Dans ce cas, le lecteur peut bénéficier de services généraux de la BNF.
  • Au document papier, la portabilité, le feuilletage, le contact, le toucher, la capacité de souligner, d'annoter en marge, de corner une page, d'insérer un signet entre les pages, un marque page, une fleur séchée, de ranger le livre sur une étagère près de livres du même auteur, du même domaine, à portée des yeux, de la main...
Voici l'œuvre d'un artiste, pas d'un érudit, avertissent les éditeurs. Il s'agit plutôt d'un recueil de notes prises par le sculpteur Auguste Rodin au gré de ses visites aux cathédrales : écrits et dessins (101 planches). Rien de systématique donc.
D'emblée, Rodin se désole : "l'architecture ne nous touche plus"... "Les chambres où nous acceptons de vivre n'ont plus de caractère. Ce sont des boîtes remplies de meubles pêle-mêle ; le style Amoncellement règne partout".  Etait-ce mieux avant ? Pour qui, pour quelle partie de la société française, celle qui habitait des châteaux ?
Auguste Rodin replace les cathédrales dans le paysage, le spectacle du ciel et des nuages, des arbres et du vent ; il s'en suit un éloge continu de la France, de ses paysages, de la nature ("l'église est une œuvre d'art dérivée de la nature"). Célébration d'un patrimoine qui a pris depuis des dimensions touristiques. Rodin tonne contre les destructions mais aussi contre les restaurations excessives telles celles de Viollet-le-Duc qui trahissent les bâtisseurs premiers.
A la même époque, Marcel Proust publiait "En mémoire des églises assassinées" (in Pastiches et mélanges (1919, Paris, Gallimard, 1971) à propos des églises désafffectées (suite à la séparation de l'Eglise et de l'Etat) et des églises détruites lors des guerres. Bien sûr, Marcel Proust comme Auguste Rodin ont lu la thèse d'Emile Mâle sur L'art religieux au XIIIème siècle en France (1899, thèse publiée aujourd'hui en Livre de Poche, 768 p, bibliogr., Index). L'art religieux y est évoqué comme une "prédication muette". Paraphrasant Victor Hugo, Emile Mâle admet que la cathédrale peut être perçue comme un livre, un lectionnaire écrit en pierre. Proust et Rodin se reconnaissent dans la conclusion de la thèse : "Quand donc voudrons-nous comprendre que, dans le domaine de l'art, la France n'a jamais rien fait de plus grand". Le patrimoine déjà.
De là, on peut imaginer les églises et cathédrales comme des médias inculquant autrefois des habitudes mentales, ainsi que l'analyse Erwin Panofsky. (Cf. Gothic Architecture and Scholasticism, Meridian, 1951).

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