500 expressions françaises bien décortiquées
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On les a toutes, ou presque toutes, déjà lues ou entendues. Sans toujours
en connaîtr...
lundi 16 mai 2016
Iconoclaste : la gestion de la presse nationale française depuis 1939
Jean Stern, Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais. Enquête avec la collaboration d'Olivier Tosas-Giro, Paris, 2012, La fabrique éditions, 190 p. Bibliographie
Voici une histoire polémique de la gestion de la presse nationale française. Une synthèse virulente allant de la guerre de 1939-45, de la collaboration avec les nazis, jusqu'à 2010. Livre ironique, mordant souvent, féroce parfois, écrit par un journaliste nourri dans le sérail, et qui en connaît beaucoup de détours.
Nombre des acteurs de cette presse, fonctionnaires, journalistes, managers, "journalistes-managers", ont écrit sur leur expérience de dirigeant dans la presse, sur leur déception souvent : ils peuplent la bibliographie.
Livre de journaliste, il met l'accent sur la presse d'information nationale, celle qui est adulée par les médias, celle du microcosme journalistique et politique, celle qui a toujours, simultanément ou successivement, un pied dans la politique et dans la finance, presse écrite qui aime se voir à la télévision : qui d'ailleurs lui confère une dimension people.
Les patrons de la presse nationale est le fruit d'une enquête journalistique (lectures, entretiens) sur la gestion politique et financière des entreprises de presse nationale en France. L'accent est mis sur la presse quotidienne, Le Monde et Libération surtout, titres emblématiques d'une presse pour journalistes et personnels politiques. Il n'y est pas question de la presse populaire, presse des loisirs créatifs, magazines de vulgarisation historique, des guides d'achat... On va du Monde de Hubert Beuve-Méry, au style modeste et sobre, à l'expérience innovante du Monde Interactif. On évoque le Libération de Serge July mais on omet celui de Jean-Paul Sartre, ambitieux qui prétendait changer l'information des citoyens, le journalisme et le financement de la presse (cf. infra, la Une de Libération du 18 avril 1973, avec appel à la souscription).
Les auteurs dégagent plusieurs dimensions de la gestion de la presse : le "hold-up des holdings" (chap.VII) qui permet aux propriétaires de profiter d'avantages fiscaux et de noyer la gestion dans la complexité technique, rendant les structures financières opaques, les structures sous-jacentes illisibles. Les chapitres VIII et IX décrivent "le règne des propriétaires" et les grandes "familles" de la presse : il s'avère plus difficile d'énoncer que de dénoncer.
Se profilent encore, à la lecture de cet ouvrage, quelques caractéristiques majeures de la presse quotidienne nationale en France et de son modèle économique. Tout d'abord, l'intrication de la presse, de la haute administration (cabinets ministériels, missions, commissions, etc.) et de la banque ; tous ces milieux sont en constante osmose. Ensuite, sa dépendance de l'Etat par la voie des subventions (diverses "aides à la presse") : la presse qu'ils ne financent pas directement par leurs achats, les Français la financent indirectement par leurs impôts...
Au-delà de ces spécificités nationales, d'un poids limité, il faut malgré tout observer la quasi universalité du déclin de la presse papier. Partout dans le monde, son lectorat diminuant, elle n'est plus un support publicitaire adéquat pour les grandes entreprises visant la consommation massive et ciblée ; elles lui préfèreront de plus en plus la télévision puis le Web mobile, vidéo. La part des recettes publicitaires qui revient à la presse baisse depuis un siècle : chaque média nouveau vient éroder sa part du marché publicitaire : ce furent d'abord la radio puis les réseaux d'affichage national, puis la télévision, et, maintenant, le tour du Web. C'est à une transformation lente et inéluctable à laquelle nous fait participer ce changement de paradigme : la nostalgie de la presse papier et du média national a encore de beaux jours devant elle, mais l'avenir de l'information, donc du journalisme, est aux écrans, aux données mobiles (géo-data). La concurrence devient américaine (plutôt que mondiale) : Google, Facebook, Microsoft, AOL pour commencer puisIBM, Freewheel, etc.
Pour finir : ne confondons pas les problèmes de la presse nationale (papier) avec ceux du journalisme d'information. Si l'information est indispensable à la vie démocratique, son modèle économique est loin d'être établi. Jean Stern et Olivier Tosas-Giro décrivent un modèle économique compromis et décadent sans imaginer - ce n'est pas leur propos - le prochain modèle, numérique, évidemment. Le diagnostic se veut politique voire moral, mais la solution est économique et technique.
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« Libération » reste un cas d’école, symbole de la gloire, de la force puis du déclin de la presse papier avec une marque nationale (en théorie mais, davantage circonscrite sur le territoire, dans les faits). Quand Nicolas Demorand a quitté ses fonctions de la direction de la publication de « Libération », il s’est ouvert de la difficulté de pilotage du quotidien de Gauche et de sa principale activité : renflouer les caisses du journal !
RépondreSupprimerLe profil d’un patron de presse reste aujourd’hui une équation insoluble : le print est un produit très spécifique (comme tous les médias traditionnels), où la connaissance d’un certain opérationnel et de sa faisabilité permettent de saisir rapidement les enjeux de la chaîne de valeurs et de ses blocages. Le choix de Demorand était aussi intelligent que non-pertinent : voilà un homme de médias (surtout de radio et d‘audiovisuel, avec l’effet « vu à la télé » qui permet de devenir une tête de gondole), agrégé CSP + dont le profil socioculturel correspondait plus à celui de ses lecteurs qu’à un patron (à moins que, comme le Hadrien de Yourcenar, « Libé » a choisi un « philosophe » pour voir ce que cela donnerait dans des fonctions de décision et de pouvoir… Un choix fantasmé donc ?). Que nous indiquait ce choix ? Ni plus ni moins que « Libé » était victime de son aura de marque dont elle se réappropriait les codes pour se sécuriser. Ce stress, on le retrouve même aujourd’hui dans la maquette du journal, très années 80, les années de sa gloire.
La vraie interrogation reste de savoir comment un patron de presse peut impulser une dynamique d’innovation. Des anciens de « Libé » ont créé « Rue89 », le site d’informations qui a disrupté le print et fait maintenant figure de modèle du genre ; d’autres signatures ont monté le site « Les Jours ». Avait été évoqué la possibilité que le quotidien devienne le premier gratuit de qualité, il y a quelques années… Le numérique et le gratuit : les deux tournants loupés par « Libé » ! Les ressources étaient pourtant là en interne.
Alors, une question se pose : comment un patron de presse peut renouveler le journalisme maison pour en enrichir le capital éditorial ? Le récent poste de votre blog (Fake news, fact cheking… du 21 décembre 2016) laisse entrevoir un nouveau levier possible de réussite : la curation et l’éthique journalistique. « Libé » saura-t-il créer un pôle dédié pour servir la curation globale du Net ? Saura-t-il « se vendre » sur une facette encore non-exploitée de sa marque et créer des passerelles inédites entre la rédaction print, les équipes Net et la régie ?
nicolasbauche226