lundi 2 février 2015

Littérature et médias : anthropologie des couleurs


Frédérique Toudoire-Surlapierre, Colorado, Paris, Les Editions de Minuit, 2015, 175 pages

La couleur est partout et l'on n'y prête guère attention. Quel est son statut, et celui de son absence aussi (noir et blanc, gris), dans la culture occidentale ? L'auteur qui est Professeur de littérature comparée, cherche et trouve des réponses à cette question inattendue en parcourant des œuvres littéraires et des œuvres cinématographiques, essentiellement.
Dans le cas des médias, c'est surtout le cinéma en technicolor qui fera voir au grand public le monde en couleur ; en revanche, il faudra attendre la fin du XXème siècle pour que la télévision puis la presse quotidienne passent à la couleur.

Le lecteur de Colorado sera surpris par l'omniprésence des mentions et développements sur la couleur dans tant d'œuvres littéraires, comme si la couleur nous était à la fois évidente et invisible. Souvent les œuvres sont bien connues et cette notoriété renforce la démonstration de l'auteur. Le montage qu'effectue l'auteur de ces nombreuses références est créatif, il confirme l'une des thèses majeures de l'auteur : l'impact de la couleur, souligne-t-elle, est sous-estimé.

La couleur dans la littérature s'illustre des textes d'Arthur Rimbaud ("Voyelles", bien sûr ; on pourrait évoquer aussi pour l'aspect média les "illustrés" des "poètes de sept ans"), de ceux de Marcel Proust ("le petit pan de mur jaune", témoin de la mort de Bergotte), de Mallarmé (la blancheur), de Nabokov, etc. L'auteur convoque aussi des discours de peintres (Kandinsky, Malevitch), de Roland Barthes  ("le degré zéro du coloriage"), de Gilles Deleuze, de Claude Lévi-Strauss aussi. Bien sûr, on n'échappe pas au débat canonique de Newton et Goethe sur la couleur.

A la suite de chapitres sur les manières de voir, puis les "manières d'y croire" (les couleurs dans la religion), l'auteur consacre des développements aux médias, au cinéma, surtout. Le dessin animé sonore en couleurs de Walt Disney (1937) sur un conte des frères Grimm, "Blanche Neige et les sept Nains", marque un tournant dans l'histoire des médias : "la culture européenne va basculer dans le camp hollywoodien".
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La couleur s'empare du cinéma avec les westerns de John Ford ; le "désert rouge" d'Antonioni (1965) marque une réflexion. Plus emblématique encore, le film "Pleasantville" (1998) oppose la prévisibilité ennuyeuse, rituelle du noir et blanc télévisuel aux couleurs de la vie au cinéma. Médias et publicité exploitent systématiquement la symbolique et la sémiolgie des couleurs (les travaux de Roland Barthes, de Christian Metz, Georges Péninou, etc.).

L'ouvrage s'achève par un chapitre sur "les couleurs de l'Amérique". L'auteur mobilise la littérature américaine pour sa démonstration. "Le dernier des Mohicans" (Fennimore Cooper, 1826), puis les romans de William Faulkner. Le cinéma confirme et enrichit son propos avec "La prisonnière du désert" ("The Searchers"), de John Ford puis, du même auteur, "Cheyennes". L'Amérique rouge des Indiens (Peaux-Rouges) massacrés par la colonisation européenne serait "compensée" par l'Amérique noire de la Traite et de l'esclavage ? Cet esssai doit son titre intriguant aux eaux rouges du Rio Colorado.

Remarquable réflexion sur l'anthropologie des couleurs, originale, jamais ennuyeuse, jamais cuistre malgré l'abondance des référérences.

N.B. Cette réflexion sur les couleurs invite à considérer la vogue récente du coloriage aux crayons de couleur ou au feutre : depuis une année, de nombreux magazines et livres proposent des activité de coloriages pour adultes, coloriages à vocation thérapeutique, coloriages pour passer le temps, se détendre, lutter contre le stress (cf. supra). Ces coloriages relèvent-ils des loisirs créatifs tout comme la dentelle ou le tricot ?

Sur les couleurs, voir aussi, à propos du livre de Michel Pastoureau : Des goûts et des couleurs que l'on perçoit.


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