lundi 7 avril 2014

La radio au service des nazis en Allemagne (1933-1945)


Muriel Favre, La propagande radiophonique nazie, Paris, INA éditions, 2014, 161 p., Bibliogr., Index, 18 €

Ce que les nazis firent de la radio. Dès leur prise de pouvoir, les nazis ont contrôlé totalement les médias, sous l'impulsion de Joseph Goebbels. Toute presse non nazie fut interdite et la radio passa entièrement sous contrôle nazi. En 1939, l'écoute des radios étrangères fut interdite.

L'ouvrage de Muriel Fabre correspond à une thèse d'histoire ; l'auteur, archiviste de formation a travaillé au Deutsches Rundfunkarchiv (Francfort), elle décrit les utilisations de la radio par les pouvoirs nazis. Elle rappelle à propos que le parti nazi (NSDAP) n'avait eu aucun accès à la radio avant sa prise de pouvoir ; ce qui élimine l'explication courante selon laquelle la radio aurait assuré le triomphe du nazisme : non, la radio n'a pas fait les élections allemandes de 1932-1933 ! D'une manière générale, ce que doivent Hitler et son parti à la radio n'est pas démontré.
L'auteur analyse surtout le fonctionnement politique et l'organisation de la radio dirigée par les nazis.
  • Retransmission de la radio dans les usines et les bureaux (premier discours de Hitler diffusé depuis l'usine Siemens de Berlin en novembre 1933), puis dans les cafés. Un récepteur adéquat a même été conçu à cet effet. Ecoute sous contrainte, non sans réticence du public, semble-t-il. Un média que l'on 
  • Le modèle économique de la radio nazie est celui du secteur public : dès 1936, Goebbels supprima la publicité à la radio afin de s'assurer du contrôle total du financement et de l'organisation.
  • Pas de ciblage, rappelle Goebbels : la radio est un mass-média. Représentation courante, que partagent à l'époque aussi bien Rudolph Arnheim que Joseph Goebbels. La radio serait un média qui s'imposerait à tous, qui transcendant les classes de réception, effacerait les distinctions sociales pour procéder à "l'unification mentale du peuple allemand" (J. Goebbels). 
Au terme de l'ouvrage, une question s'impose : en matière de communication politique, qu'est-ce qui est l'universel d'une époque et que l'on retrouve dans d'autres régimes (mussolinien, stalinien, franquiste, etc.), dans d'autres partis, et qu'est-ce qui caractérise exclusivement le nazisme allemand ? A mon avis, en matière de médias, rien n'a distingué les nazis. L'obsession politique du contrôle des médias, autant qu'il est possible, semble d'ailleurs universelle.
La radio était perçue comme une arme de guerre civile : d'ailleurs, le gouvernement nazi fit don d'un émetteur Telefunken à Franco pour l'aider dans sa guerre contre les Républicains espagnols (RNE, 1937).

Malgré tout le travail historique effectué par l'auteur, on reste frappé par la pauvreté conceptuelle des sciences sociales face aux médias : dans ce cas, faute de données qualitatives (témoignages), faute de données quantitatives concernant la réception (pas de publicité, donc pas de mesure d'audience...), il est difficile d'apprécier l'acquiescement ou la résistance de la population allemande à la radio nazie. On est contraint de s'en tenir à l'analyse des programmes, à la diffusion, à méconnaître la réception.
Avons-nous progressé sur l'analyse des "mass-médias" ?
Pour analyser les modalités d'action et d'efficacité de la radio, l'auteur recourt à la notion confuse de "cérémonie radiophonique", notion importée de travaux sur la télévision. Quant à la notion de propagande, elle est tout aussi floue : d'ailleurs, dans le titre du ministère de J. Goebbels figurait avec la notion de propagande celle de "Volksaufklärung" (difficile de traduire cette expression qui signifie "éclairer le peuple") où le peuple (das Volk) est mis en avant comme dans la dénomination (branding) d'autres réalisations nazies : Volksempfänger (récepteur radio), Volkswagen (automobile)...
Pour mieux percevoir le rôle idéologique de la radio, sans doute faut-il l'intégrer dans l'ensembles des moyens mis en œuvre par un groupe ou un parti pour assurer l'hégémonie de ses idées (A. Gramsci). D'où l'intérêt de l'approche globale de l'action nazie tentée parfois par Muriel Fabre.
Avant 1933, pour sa propagande et sa visibilité, le parti nazi comptait sur des manifestations de rue paramilitaires puis sur l'organisation minutieuse de vastes regroupements populaires : toute une sémiologie était mobilisée avec chemises brunes, emblèmes, hymnes, flambeaux... le tout servi par des mises en scène démonstratives voire menaçantes. Pour préparer la prise du pouvoir, les nazis procédèrent ainsi à l'investissement calculé et systématique de l'espace public (par exemple, la formation d'orateurs et de conférenciers nazis est organisée dès 1928). Ce premier travail de propagande étant effectué, il reviendra à la radio (le direct) et aux actualités cinématographiques (différé) de l'amplifier. Ultérieurement, il en fut ainsi lors des déplacements de Hitler devenu chef d'Etat.

Voici donc une description précieuse de la radio nazie. Dans un souci de vulgarisation, cette publication a-t-elle peut-être trop décapé la thèse originale des références originales (en allemand) et de son appareil de commentaires.

Signalons, pour finir, une anecdote rapportée par Muriel Favre (qui ne l'explique pas) : parmi les consignes données aux directeurs des radios nazies, l'une concerne les Cantates de Jean-Sébastien Bach : ne pas en diffuser pas plus d'une fois par mois.

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