Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Editions cent pages Cosaques, 2009 (non paginé)
C'était avant Twitter.
Fénéon, ancien employé au ministère de la guerre (1881-1894), soupçonné d'attentat anarchiste, rédige en 1906, pour un quotidien national, Le Matin, des faits divers en trois lignes. Fénéon est libertaire, dreyfusard ; il dénonce le colonialisme, le militarisme, l'église... Il sera critique d'art, aux admirations admirables (Rimbaud, les Impressionnistes, Mallarmé, Apollinaire, Jarry, Valéry, Matisse, Proust...) et il dirigera La Revue Blanche à laquelle il fit collaborer Debussy et Gide. Il traduisit un roman de Jane Austen et, surtout, car il était passionné de peinture, vendit des tableaux dans des galeries.
Pris un à un, ces petits textes (1210) produisent un effet bizarre qui les apparente à certains énoncés dada ou surréalistes. Juxtaposés, publiés bout à bout, à raison de trois par page, ils donnent aujourd'hui, sous des dehors d'actualité aléatoire, une image cocasse, anarchique du monde, tendre et tragique. Effets de montage, effets de brièveté...
Extraits :
- "Tombant de l'échafaudage en même temps que le maçon Dury de Marseille, une pierre lui broya le crâne".
- "Dormir en wagon fut mortel à M. Emile Moutin de Marseille. Il était appuyé contre la portière ; elle s'ouvrit, il tomba".
- "Radieux : "j'aurais pu avoir plus!", s'est écrié l'assassin Lebret condamné à Rouen aux travaux forcés à perpétuité".
Le format s'y prêtant, quelqu'un a eu l'idée de publier ces faits divers traduits en anglais, à raison d'un par jour, sur Twitter où ils retrouvent leur rythme d'origine : http://twitter.com/#!/novelsin3lines.
Ces textes, que publia un grand quotidien national (Le Temps, dont héritera Le Monde), invitent à penser la catégorie journalistique de "fait divers", de "quotidien", par opposition à "l'événement" : "fait divers" pour les uns, "événement" pour les autres ? En vrac :
Sur Félix Fénéon :
- Le fait divers est l'opposé du "pseudo-event", plus ou moins people, construit par et pour les médias (cf. Daniel J. Boorstin).
- Il s'agit de "nouvelle", au double sens du terme : le fait divers annonce quelque chose de nouveau, de vrai, d'imprévu et raconte brièvement une histoire dramatique, lue en une seule fois.
- Il n'y a que la presse régionale pour couvrir régulièrement les "faits divers", rendre compte des faits de la vie ordinaire, inclassables (divers) dans les catégories courantes.
- Le fait divers, au plan de la notoriété, appartient à la longue traîne des événements
- Libération, du temps de Sartre, mit le fait divers au coeur du journalisme.
- Twitter pourrait être un outil formidable de traitement des faits divers.
Sur Félix Fénéon :
Wikipedia et l'article de kairos dans Mediapart, "Le très curieux Félix Fénéon ou trois lignes d'anarchie dans les belles-lettres", 23 janvier 2010.
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Bon exemple pour illustrer que beaucoup d’innovations d'aujourd'hui sont plus ou moins basées sur des principes déjà existants.
RépondreSupprimerFelix Fénéon a évidemment connu le potentiel des informations courtes au sujet de notre vie quotidienne avec un peu de critique et sarcasme. Je me demande, si les initiateur de Twitter connaissaient Felix Fénéon et ces « nouvelles en trois ligne ».
RépondreSupprimerCet exemple, nous montre de nouveau que nous inventons rarement des nouveaux types de communication. Le médium change mais le contenu reste le même. C’est la même chose avec la mode. On pense que c’est nouveau mais c’est seulement la nouvelle version de quelque chose qu’on avait déjà. Vu sous cet angle, le hype avec les nouveaux médias est un peu exagéré. Le changement de la communication n’est pas assez grand, qu’on pense souvent. Les communautés, par exemple existent déjà longtemps. Pour les communautés en ligne on a simplement un canal de communication en plus, mais le contenu n’a probablement pas changé.