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Culture et médias sous l'Occupation. Des entreprises dans la France de Vichy, sous la direction de Agnès Callu, Patrick Eveno et Hervé Joly. Editions du CTHS, Paris, 2009, 398 p. (pas d'index, hélas !).
Ouvrage d'historiens spécialistes d'une période avec laquelle la culture politique française est mal à l'aise.
- Histoire décomposée : le métier d'historien conduit à isoler les mutiples dimensions de la collaboration avec le nazisme. Cette décomposition, sorte de mise en silos bien séparés, si elle est techniquement nécessaire, tant pour la recherche que pour l'exposition, ne doit toutefois pas faire oublier que le fonctionnement de la radio, l'enrichissement des patrons de presse, le music-hall qui battait son plein, les théâtres jouant à guichets fermés sont indissociables de la torture qui se pratiquait à quelques rues de là, des trains de déportation, des rafles, des dénonciations et des camps à quelques centaines de kilomètres. Aussi, chacune des analyses de cet ouvrage devrait être précédée d'un signe rappelant que, en même temps... L'effet en serait plus juste et plus saisissant, le sens plus clair. L'ergonomie du livre papier ne le permet pas, le livre électronique le permettra sûrement.
- Que reste-t-il de cette histoire, comme un refoulé, dans la culture des médias d'aujourd'hui ? Les auteurs n'abordent pas cette question, ce n'est pas leur métier. La question n'en reste pas moins ouverte... et la prise de conscience nécessaire.
De nombreux cas sont au sommaire de cet ouvrage collectif qui traite aussi des médias en France mais aussi en Allemagne nazie : les entreprises de presse (dont Bertelsmann), les éditions de livres et de disques, les galeries d'art, le cinéma (Pathé), la photographie, la SACEM, la radio, le spectacle (music-hall, Folies-Bergères, etc.), une étude sur la presse régionale à Bordeaux, etc. Diversité d'objets bienvenue pour dégager l'unité des comportements d'une France occupée à collaborer.
Retenons deux exemples parmi la vingtaine de cas traités dans l'ouvrage.
- Le magazine illustré Signal (1940-1945), titre pan-européen déjà, avec photos et reportages, plurilingue, en couleur, qui diffuse à 800 000 exemplaires en France. Aurianne Cox s'attache à montrer l'efficacité de sa gestion et la modernité de son organisation qui a su se greffer sur l'organisation française (imprimerie, distribution). La modernité de la culture de gestion nazie est frappante, rappelant que la modernité, si aveuglément célébrée, est compatible avec les plus horribles systèmes politiques, qu'elle peut les renforcer et contribuer à leur succès. [Rappelons que le porte-parole de Ribbentrop, Paul Karl Schmidt (alias Paul Carell), qui dirigea Signal, collabora après guerre à divers grands titres de la presse allemande (Die Welt, Der Spiegel, Die Zeit, etc.) et, très étroitement, avec le groupe Axel Springer AG (cf. l'ouvrage de Wigbert Benz)].
- Les médias constituaient un objectif stratégique pour l'armée allemande ; ils devaient participer au travail de dissimulation de la dominiation nazie, facilitant son acceptation. La collaboration culturelle fut importante, dans le domaine musical, littéraire, à la radio. Les vedettes de variétés (Maurice Chevalier, Tino Rossi, etc.) participeront à la radio nazie (Radio Paris). Charles Trenet, Mistinguette et Edith Piaf, bien payés, chanteront pour les ondes de Vichy. Giono et Sacha Guitry, Raimu, Simone de Beauvoir s'y font rémunérer. Et combien d'autres... ni leur carrière ni leur image n'en seront affectées après la guerre...
Sartre, qui fera jouer "
Les Mouches" au théâtre en 1943, résumera la situation : "Me comprendra-t-on si je dis à la fois qu'elle [l'occupation] était à la fois intolérable et que nous nous en accommodions fort bien" (
Situation III, cité p. 337).
De ces études méticuleuses, rigoureuses, il ressort que la collaboration, pour la majorité des médias, allait de soi et surtout sans dire. Il s'agissait de s'adapter au mieux, à tout prix, mais aussi de profiter, si possible, de la situation. D'ailleurs, après la défaite des nazis, beaucoup de ceux qui avaient fait tourner la machine médiatique de la collaboration ont gardé leur poste, comme si de rien n'était, rarement inquiètés. Et aux Folies Bergères, le public des militaires américains succéda sans transition aux militaires allemands. "
Business as usual" aurait pu être la devise de la collaboration.
Livre désenchanteur.
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