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Gordon Hutner, "What America Read. Taste, class and the novel, 1920-1960", University of North Carolina Press, 2009, 449 p, bibliogr., index.
Que lisaient les Américains quand ils ne lisaient pas de littérature ? Car la littérature "classique", celle que l'on enseigne dans les classes, que légitiment tardivement les manuels, les éditeurs nobles et les programmes scolaires - tout ce qui fait le "champ littéraire" - ne constitue pas, et de très loin, la consommation de fiction littéraire des classes moyennes américaines. Gordon Hutner, dans ce copieux travail de recherche, étudie les romans que l'histoire littéraire oublie, ignore, les centaines de romans qui ont connu de vastes lectorats, qui ont été récompensés par des prix, qui ont fait l'objet de recensions dans la presse et les revues, qui ont été diffusés par des clubs, qui ont inspiré des films et des séries TV. Tous ceux qui n'étaient pas Edith Wharton ou Henri James, William Faulkner ou F. Scott Fitzgerald : "middle class fiction".
Cette recherche oblige à "redresser" l'histoire littéraire en considérant le travail de sélection esthétique et sociale, les classements qui aboutissent à la "grande littérature". Mais elle oblige aussi à percevoir la fragilité de l'édifice conceptuel sur lequel repose cette sociologie de la littérature : "middle class", "middle brow", "bourgeois culture", "realism", "mainstream culture"... Ce n'est sûrement pas avec de telles notions, tellement confuses, que peut se constituer une analyse rigoureuse de la production et de la consommation littéraires, mais sans doute est-ce une étape nécessaire pour baliser le terrain et situer les outils de travail indispensables.
La contribution essentielle de cet ouvrage ne se situe donc pas dans la sociologie de la littérature mais dans la compréhension du rôle de tous ces ouvrages dans la vie quotidienne des classes moyennes américaines, dans la formation de la politique américaine : l'américanisation des immigrants, l'entrée des Etats-Unis dans la guerre, l'évolution du statut des femmes, l'intégration raciale, etc.
Ces romans font voir la gestation invisible, insensible, des changements que les décisions politiques et les lois entérinent. L'auteur est souvent convaincant, c'est à dire qu'il nous fait partager ses intuitions. Et l'on entrevoit où pèche le travail d'analyse littéraire, comme celui de tant de sciences sociales : l'absence de démonstration. Il est probable que la numérisation de tous ces romans, de leurs recensions permettant diverses analyses quantitatives, ajouterait des moyens de valider ou invalider certaines des hypothèses de l'auteur, et aussi d'en former d'autres.
Travail minutieux, livre d'histoire littéraire ambitieux dans sa volonté de fonder et d'exploiter la coupure entre littérature moyenne et littérature pour producteurs. Espérons que d'autres analyses poursuivront ce travail.
On ne peut s'empêcher de lire Gordon Hutner en pensant à la situation française, au tamisage qui institue la hiérarchie de nos évidentes légitimités. Qui, aujourd'hui, hormis les historiens de la période, lit Romain Rolland, Paul Bourget, Roger Martin du Gard, Henri Barbusse, Roland Dorgeles (auteurs présents dans le "Lagarde et Michard", manuel d'histoire littéraire du "20ème siècle") ? Qu'est-ce qui constitue les différences entre les livres qu'une société oublie, relègue, et ceux que l'université sélectionne, dont elle retient et inculque les formes ? Quelles sont les différences qui participent de cette sélection ?
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Entrer dans la carrière universitaire. Pour n'en plus sortir ? Pierre
Bourdieu
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Victor Collard, *Genèse d'un sociologue*, Paris, CNRS éditions, 2024,
Index, Bibliogr., 447 p.
De son enfance lycéenne aux débuts de sa carrière univers...
D'après cette analyse, la question que nous pose Gordon Hutner semble être: selon quels critères est opérée la sélection de ce qu'on considère comme "les classiques"? devrait-on lui juxtaposer une autre sélection, qui serait donnée par le nombre de livres vendus par exemple, ou par la correspondance découverte entre le thème d'un roman et l'évolution sociale qui le suit (ou le précède?). Cette comparaison nous aménerait à réfléchir sur les critères de sélection, sur le rôle de ceux qui décernent les prix de "grande" littérature, sur le pouvoir des "nantis" de la culture.Et aussi, de manière plus littéraire, sur les qualités internes qui font une "grande oeuvre", une oeuvre qui reste. Il faudrait aussi essayer de numériser les lectures de ces grandes oeuvres, plus disponibles que les autres dans les bibliothèques, considérer si la manière dont elles sont "enseignées" en classe ne nous en détourne pas...
RépondreSupprimerEt puis, supputer le rôle de la publicité, de l'attrait du neuf, du vernis d'actualité de l'ouvrage écrit à notre époque...
Le but de l'auteur était-il de poser ces questions? mhl