Michel Laval, Il est cinq heures, le cours est terminé. Bergson, itinéraire, Paris, 2023, Les Belles Lettres, 179 p.
Philosophe inclassable, il fut à la mode aussi, tellement à la mode. Il a eu tous les postes qui comptaient, dans le désordre : Académie française, Ecole Normale Supérieure, prix Nobel, lycée Henri IV, Collège de France, entre autres... Philosophe de religion juive mais qui ne prit pas position dans l'Affaire Dreyfus, il ira, mourant, se déclarer juif au commissariat de police de son quartier en 1941. Sa mère est anglaise, ses parents vivent à Londres et il est bilingue. Il mènera pendant quelques années une vie diplomatique intense, en Europe et aux Etats-Unis, pour le gouvernement français. Ses ouvrage sont mis à l'index par le pape, en 1914. Sa fille unique, Jeanne, sourde et muette, deviendra un sculpteur reconnu, élève d'Antoine Bourdelle.
Ce petit livre que signe un avocat plaide la cause de Bergson. Du jeune Bergson, qui gagne le premier prix du concours général de mathématiques en 1877 et qui deviendra philosophe, après avoir intégré l'Ecole Normale Supérieure, dans la promotion de Jean Jaurès et Emile Durkheim... Notons que l'on n'apprendra rien ou presque rien de la famille de Bergson, rien sur son père, musicien reconnu, rien sur sa mère qui lui donnera sa formation religieuse, rien non plus sur ses six frères et soeurs.
Michel Laval donne à voir les cours de Bergson au Collège de France, cours à la foule bariolée où se mêlent normaliens et dames du monde, Charles Péguy, Antonio Machado, le politologue André Siegfried, l'historien de la philosophie Emile Bréhier, Léon-Paul Fargue et Alfred Jarry. Mais la variété de ce public fait-elle de Bergson, comme l'écrit Michel Laval, un individu libre, "absolument, irréductiblement libre" ? A voir.
Les Données immédiates de la conscience (1889), Matière et mémoire (1896), L'Evolution créatrice (1907), ces trois oeuvres essentielles ponctuent la vie de Bergson. Mais, si l'on apprend les grandes lignes des débats philosophiques qui les ont marquées, on ne saura rien de la vie quotidienne de Bergson et c'est dommage. Certes, on le voit qui aide Péguy et les Cahiers de la quinzaine, il aidera d'ailleurs les enfants de Péguy. Mais ce sont de rares mouvements connus. Qui donc est Bergson ? On ne le saura guère. L'homme est discret et secret. On referme ce livre un peu déçu de ne pas avoir vu vivre Bergson, on n'a vu qu'un professeur, des livres, et quelques discours d'occasion. Bien sûr, on a vu aussi un homme s'engager contre l'impérialisme allemand, on l'a vu mener une carrière anglophone, en Angleterre et aux Etats-Unis mais on aurait aimé aussi connaître le père de famille, le mari, le professeur avec ses élèves, avec ses amis.
Nous en restons donc avec les classiques : le Henri Bergson de Vladimir Jankelevitch (1931, 1959, PUF) ou, plus récents, La gloire de Bergson. Essai sur le magistère philosophique (2007, Gallimard), Le secret de Bergson (Jean-Louis Vieillard-Baron, Editions du Félin, 2013). Le petit livre de Michel Laval se lit agréablement, il est clair et souvent complet.