Elisabeth Roudinesco, Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires, Seuil, Paris, 275 p.
L'objet de ce livre est une série de comportements politiques que l'auteur qualifie d'identitaires. Comportements qu'elle répertorie à partir d'expériences et d'exemples divers, qu'elle repère dans la création de nouveaux concepts et d'un nouveau vocabulaire : c'est la "galaxie du genre"."Ainsi passe-t-on, sans même s'en rendre compte, de la civilisation à la barbarie, du tragique au comique, de l'intelligence à la bêtise, de la vie au néant, et d'une critique légitime des normalités sociales à la reconduction d'un système totalisant."Ensuite, il s'agit de "déconstruire la race". Et c'est le travail de Claude Lévi-Strauss qui est mis en avant, travail qui réfute la prétention de la notion de race à une quelconque scientificité. Elisabeth Roudinesco évoque à ce propos le débat qui opposa, à l'UNESCO, Claude Lévi-Strauss et Roger Caillois. Le premier voyait une domination là où l'autre voyait une supériorité. L'auteur consacre ensuite de nombreuses pages à Aimé Césaire et à Frantz Fanon ; elle y traite aussi des réactions au livre d'Octave Mannoni sur la Psychologie de la colonisation (1950) et à ses critiques. Elle n'accorde hélas qu'une seule demi-page à Kateb Yacine plus intéressante pourtant que les gesticulations de Jean-Paul Sartre, quelque peu commis d'office. André Schwarz-Bart, l'auteur du Dernier des Justes (1959) et de la Mulâtresse Solitude, est mieux traité. Ensuite, Elisabeth Roudinesco évoque Edouard Glissant.
Le chapitre suivant qui s'intitule " Postcolonialités" commence par un hommage à Derrida et à Nelson Mandela. La logique ethnoraciale dont l'importance est fondamentale dans l'histoire américaine est à l'origine des dérives identitaires. Le chapitre comprend une analyse approfondie de l'oeuvre d'Edward Sapir, brillant élève à Harvard où il soutient une thèse sur Joseph Conrad, contrapuntique, "en contrepoint" : les mélodies se superposent sans que l'une d'entre elles domine. Dans son livre Orientalism, Edward Said traite, entre autres, de Flaubert et de la danseuse Kuchuk Hanem, reléguée par le pouvoir à Esneh, sur les bords du Nil ; et Elisabeth Roudinesco de critiquer Edward Sapir qui se trompe, victime lui-même de la configuration orientaliste qu'il dénonce.
Tout le livre se déroule ainsi citant Le Fromage et les vers de Carlo Gainz ou l'histoire de Pierre Rivière que raconte Michel Foucault, mais aussi Homi Bhabha ou Spivak et tant d'autres qui illustrent les représentations identitaires, ce "puits sans fond". Le chapitre 5 traite de "la querelle des mémoires" et de la construction d'une "postcolonialité genrée" qui contribue à une créativité étonnante, les "phobes" et les "philes" se multipliant en des listes interminables de néologismes fumeux pour terminer en "déferlement d'horreurs". "Spirale infernale", déclare l'auteur. Et elle évoque enfin "Je suis Charlie" et puis la mise en scène d'Eschyle ("Les Suppliantes").
La voie française pourrait au contraire se trouver dans une culture laïque et républicaine, héritée de Lévi-Strauss. Car les identitaires ont renié les Lumières et le progrès, ne cessant de dénoncer un Occident imaginaire qui pour l'essentiel les accueille dans ses universités où ils peuvent parader sans risque.
L'auteur cite beaucoup, surtout ces "identitaires" que la plupart de ses lecteurs découvriront sans doute. Bien sûr, ils finiront dans les "poubelles de l'histoire" mais, en attendant, que de dangers ils provoquent.
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