Voici le dernier texte, inédit, de Marcel Proust. En fait, c'est la plus ancienne version de A la Recherche du temps perdu : les "archives Fallois" ont donné leur dernier mot.
En 1899, Proust a abandonné son roman, Jean Santeuil, et les 75 feuillets, "toilettés", constituent, près de dix années plus tard, son retour à ce genre littéraire, c'est "le roman de 1908".
Dans ces 75 feuillets, il y a tout Proust, déjà.
Le portrait de la mère, la route de Villebon, "quand je fus amoureux pendant les promenades dans ces champs infinis et plats de Meséglise" p. 66). Et puis les "Jeunes filles" : "Un jour sur la plage marchant gravement sur le sable comme deux oiseaux de mer prêts à s'envoler, j'aperçus deux petites filles, deux jeunes filles presque, que leur aspect nouveau, leur toilette inconnue, leur démarche hautaine et délibérée me firent prendre pour deux étrangères que je ne reverrais jamais" (p. 84). Et puis voici les "Noms nobles" : "Chaque nom noble contient dans l'espace coloré de ses syllabes un château où après un chemin difficile l'arrivée est douce par une gaie soirée d'hiver, et tout autour la poésie de son étang et de son église qui à son tour répète bien des fois le nom... " (p. 93). Il y a aussi le Palazzzo Foscari, à Venise : "La-bas, s'élevant de l'eau bleue, approchés, longés, puis dépassés par la gondole ce sont eux qui ont exalté vos rêves comme l'ont fait Anna Karénine ou Julien Sorel. Mais eux vous n'avez pas pu les connaître" (p.106).
Ainsi, se raconte A la recherche du temps perdu. Ces pages sont suivies de manuscrits "choisis en fonction de leur portée génétique" (c'est l'expression de Nathalie Mauriac Dyer qui en a établi l'édition de Gallimard). "Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n'est qu'en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impressions passées, c'est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art" (p. 136). Le judaïsme de Proust ? Quelques mots qui en disent long : les humiliations qu'"Il est bien rare qu'un Juif n'ait pas éprouvées dans son enfance, voire les a éprouvées parce que juif lui-même" (p. 218).
Le livre se lit comme un livre que l'on relit, heureux de retrouver les pensées de notre héro, d'en découvrir un passé, des hésitations, des changements. C'est à la fois l'occasion d'un retour à Proust pour ceux qui l'ont lu déjà, d'un retour par petites touches, quelques pages parcourues de temps en temps qui peuvent donner envie de lire ou relire la recherche.
Inutile de rappeler que les étudiants et les profs de classes préparatoires littéraires y trouveront aussi de quoi alimenter quelque dissertation, peupler leurs discussions.