Vincent Bousrez, Les loups des bois. Comtois, rends-toi..., Vesoul, FC culture & patrimoine, 250p. 18 €
Voici un livre dont l'action se situe à l'époque de Louis XIV, en Franche-Comté, du côté de la Saône et du Doubs, entre Gray et Vesoul, Dijon et Besançon, Luxeuil et Montbéliard, Dole et Langres. Guerre civile, guerre du peuple, guerre de libération ? Oui et non car les "loups des bois" ne constituent pas une armée véritable mais plutôt un petit groupe de guérilleros décidés. Mais décidés à quoi ? A libérer cette région ? La libérer des français, des troupes de Louis XIV ou de la présence espagnole ? Le roman va nous amener à suivre une petite troupe, d'hommes et de femmes, nobles et paysans, "les loups des bois", dans leur vie, une vraie "pôchouse" composée de poissons divers, de la Saône et du Doubs, comme on la baptisait alors, une petite troupe décidée, en tout cas. Les poissons du Doubs ont plus de goût que ceux de la Saône, disait-on pourtant encore à Verdun sur le Doubs, capitale de la pôchouse, au confluent de la Saône et du Doubs. Certains des interlocuteurs commencent leur phrase par des "mon !" tournure typique pour marquer l'étonnement dans la région.Le roman se lit aisément, et se relit avec autant de plaisir. L'auteur, un peu historien, donne quelques notes en bas de page ou en incipit pour que l'on s'y retrouve, et l'on y retrouve même Victor Hugo à propos de Besançon. Et peut-être, même, quelque lecteur stendhalien y retrouverait-t-il les traces de Julien Sorel rôdant dans Verrières, au bord du Doubs, entre Besançon et Dôle (cf. Le rouge et le noir).
Vincent Bousrez a du talent ; il connaît son métier et l'histoire y est rondement menée, les batailles s'enchaînent, quelques amours aussi. Mais, peut-être, là n'est pas l'essentiel. Plus que les événements comptent les modalités de ces événements, les attitudes des personnages, le décor des histoires plus que l'histoire même. On oublie facilement Louis XIV, roi-soleil, mais pas la cuisine. Dans le roman, les repas sont de bon goût, pris de bon appétit ; il y a de la cancoillotte que l'on mange en grandes tartines, de la terrine de lièvre, les vins des pays sont doux (vin de Vesoul, le Gradion de Chariez), on y déguste une omelette aux jaunottes - des girolles - et au lard, des fromages (comté, vachelin, bleu de Saint-Claude, Morbier), des "têtes de nègre", des cèpes... On évoque aussi des galettes de gaudes à la farine de maïs. Et l'on y cueille des mousserons ou tricholomes de la Saint-Georges que l'on mangera avec un brochet de l'Ognon, un affluent de la Saône, né dans les Vosges. Et l'on y boit une infusion de baie d'églantiers, ces "gratte-culs"...
A coup sûr, l'auteur connaît l'art de la "racontotte", selon ce mot utilisé en Franche-Comté, pour décrire les veillées et qu'il utilise dans son livre. En conclusion, voici un livre qui va retenir l'attention des lecteurs et lectrices francs-comtois mais, surtout, aussi, bien au-delà. La fabrication matérielle du livre est de très bonne qualité ; on peut avoir parfois l'impression qu'il y manque une carte géographique en annexe - prochaine édition ? - pour repérer et suivre les déplacement des héros, à moins que l'on préfère l'imaginer et la rêver, pour mieux se perdre dans ce livre original qui est à la fois d'une autre époque et pourtant si près de nous, d'où que l'on soit. Très beau travail qui mêle en un roman, l'ethnologie et l'histoire, mal connues, d'une région.