Anne-Lise Gastaldi, Pierre Ivanoff (sous la direction de), Marcel Proust, Une vie en musiques, Paris, Riveneuve / Archimbaud, 2020, 235 p.
Ce petit livre regroupe une vingtaine de contributions diverses, d'universitaires et de journalistes, de musiciens, sur les musiques de Marcel Proust, musiques qui vont de Wagner à Fragson, de Saint-Saëns (qu'il n'aime guère) à Wagner. Chaque auteur s'empare d'un aspect de la relation de Marcel Proust aux musiques et l'explique ou raconte quelques anecdotes.
Myriam Chimènes analyse, en musicologue et historienne, le personnage de Madame Verdurin à travers celui de Marguerite de Saint-Marceaux, grande bourgeoise qui a pu servir de modèle à Marcel Proust. Il s'agit d'une musicienne avertie, "quasi-professionnelle" ; pianiste, "Meg" chante aussi des rôles de Wagner, de Ravel... Ses vendredi réunissaient Gabriel Fauré, Jacques-Emile Blanche, Vincent d'Indy, Claude Debussy, voire Puccini. Quant à Reynaldo Hahn, c'était un fidèle. Mais on peut mentionner aussi Isadora Duncan qui dansait tandis que Ravel était au piano. Les Saint-Marceaux sont snobs, conclura Maurice Ravel. Ce beau travail permet de comprendre mieux comment Proust observe le monde et le transcrit.
Benoît Duteurtre consacre son article à l'ami de Marcel Proust, Reynaldo Hahn, "musicien et dandy", qui aime fredonner, la "cigarette au coin des lèvres". Tout comme Mireille Naturel qui voit dans Reynaldo Hahn le témoin privilégié de l'écriture des Plaisirs et et les jours ; ils sont, l'un et l'autre, amateurs d'un texte de Pierre Loti qui inspirera le catleya, fleur proustienne, s'il en est une. Luc Fraisse, lui, brosse un portrait de Marcel Proust en philosophe ; il nous montre un Proust citant Schopenhauer et Le monde comme volonté et représentation, et constituant ainsi sa "métaphysique de la musique" avec la musique de la petite phrase de Vinteuil. Mais Proust est aussi un connaisseur de Bergson (son cousin : Marcel Proust sera garçon d'honneur au mariage du philosophe en 1892) ; il connaît l'Essai sur les données immédiates de la conscience et Matière et mémoire. Essai sur le relation du corps à l'esprit. Et Proust s'inspire aussi des idées de Richard Wagner. Luc Fraisse s'avère un fin spécialiste de l'oeuvre de Proust. Pierre Boulez évoque les "phénomènes de mémoire" (la madeleine, les pavés inégaux) et souligne la non-linéarité de l'oeuvre proustienne, qui pense en diagonale. Et Jean-Jacques Nattiez approfondit à son tour cette relation de Proust et de Wagner, son "frère en création".
Et l'on n'en finirait pas de citer le livre tant les approches font voir les relations complexes de l'oeuvre de Marcel Proust à la musique, à toutes sortes de musiques. Ainsi, la pianiste Anne Queffélec donne à imaginer le travail de l'interprète "qui commence par le regard", certes mais, dit-elle, "on peut détruire la Pieta mais pas "L'art de la fugue".
Voici donc un excellent livre qui fera entendre les différentes petites musiques de l'oeuvre de Marcel Proust. Quand on le laisse pour un moment, on doit abandonner Proust que chaque auteur décrit à sa manière, à la manière dont elles-ils l'ont lu et l'entendent. Ensuite, on peut reprendre le livre et recommencer : à nous ensuite de reprendre Proust et de le lire et l'entendre à notre manière...